Actualité sur le choc hémorragique Management of hemorrhagic
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Actualité sur le choc hémorragique Management of hemorrhagic
Réanimation (2008) 17, 311—317 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: http://france.elsevier.com/direct/REAURG/ MISE AU POINT Actualité sur le choc hémorragique Management of hemorrhagic shock K. Asehnoune ∗, M. Pinaud Service d’anesthésie réanimation, hôpital Hôtel-Dieu, CHU de Nantes, 1, place Alexis-Ricordeau, 44093 Nantes cedex 1, France Disponible sur Internet le 3 avril 2008 MOTS CLÉS Choc hémorragique ; Vasopresseurs ; Remplissage vasculaire ; Insuffisance surrénalienne ; Polytraumatisés ; Modèle expérimental KEYWORDS Hemorrhagic shock; Vasopressor; Fluid resuscitation; Adrenal failure; Severe trauma; Experimental model ∗ Résumé Les principes de la réanimation du patient victime d’un état de choc hémorragique reposent sur des expériences animales de choc contrôlé (modèle de Wigger). La physiopathologie du choc hémorragique a été modifiée par l’utilisation de modèles « non contrôlés » d’hémorragie plus proches de la réalité car ils laissent la réponse neurohumorale de l’animal se développer dans des conditions proches de la clinique. Le remplissage vasculaire massif basé sur les principes de Wigger est délétère et le choc hémorragique réanimé se caractérise à des degrés divers par une vasoplégie, une insuffisance surrénalienne et un certain degré d’incompétence myocardique surtout, dans le cadre du polytraumatisme. L’emploi précoce de vasopresseurs associé à une réanimation volumique contrôlée apparaît justifié. Dans ce cadre, l’emploi de sérum salé hypertonique comme soluté de remplissage découle logiquement des constatations précédentes. Un débat actuel porte sur l’emploi du propofol ou de l’étomidate pour l’induction anesthésique du choc hémorragique. L’utilisation du propofol doit s’accompagner d’une réduction de 80 à 90 % des doses alors que l’étomidate semble plus maniable et ne justifie pas de modification posologique. Une dose unique d’étomidate entraîne un freinage surrénalien temporaire qui est facilement contrôlé par de l’hydrocortisone. En conclusion et au-delà des justifications physiopathologiques, l’emploi précoce de vasopresseurs pour la réanimation du choc hémorragique permet de diminuer le volume de remplissage administré en atteignant plus rapidement les objectifs tensionnels fixés par les recommandations internationales. © 2008 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Summary Current guidelines regarding the resuscitation of patients in hemorrhagic shock are based on animal models of controlled hemorrhage (Wigger’s model). The pathophysiology of hemorrhagic shock was recently challenged when investigators used models of ‘‘uncontrolled’’ hemorrhagic shock. These models are more representative of the clinical situation as the neurohumoral compensatory mechanisms in an attempt to compensate the decrease in arterial pressure are functional in animals. Agressive fluid resuscitation based on Wigger’s principles is deleterious in the setting of hemorrhagic shock. Hypotension is usually considered to be secondary to absolute hypovolemia. However, recent data suggest that a decreased vacular tone, a reduced adrenal responsiveness to adrenocorticotrophic hormone and a myocardial dysfunction are sometimes present. With this in mind, some authors advocated earlier use Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (K. Asehnoune). 1624-0693/$ – see front matter © 2008 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.reaurg.2008.03.015 312 K. Asehnoune, M. Pinaud of vasopressors and a smaller volume of fluid resuscitation. Hypertonic saline solutions (HSS) represent a valuable tool in this area of ‘‘small volume resuscitation’’. The use of etomidate or propofol in patients with hemorrhagic shock remains a matter of debate. The dose of propofol should be decreased by 80 to 90% when the dose of etomidate remains unchanged. Some authors suggested that an adrenal severe impairement can occur even with a single bolus of etomidate. However, hydrocortisone can be used to overcome this complication and etomidate is probably safer than propofol in severe hemorrhage conditions. With respect to recent knowledge in the pathophysiology of hemorrhagic shock, the use of a smaller volume of resuscitation, early use of HSS, and vasopressors may be able to resuscitate patients better and more rapidly. Moreover, earlier use of vasopressors would allow one to achieve predetermined hemodynamic goals with a lower volume of administered fluid. © 2008 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Introduction Le choc hémorragique se caractérise à l’heure actuelle par deux traits essentiels : la mise en évidence d’une physiopathologie complexe apparentée au concept global de réponse de l’organisme à l’agression et la remise en cause des modalités thérapeutiques traditionnelles. Cet exposé est articulé autour de ces deux traits et se consacre essentiellement à une mise au point sur le concept du remplissage vasculaire à « petit volume », sur l’actualité des médicaments vasoactives et sur l’utilisation des médicaments d’anesthésie en situation de choc hémorragique. La physiopathologie du choc traumatique est complexe et se distingue de celle du choc hémorragique isolé du fait de l’existence de traumatismes tissulaires et osseux responsables d’une altération précoce de la réponse inflammatoire accompagnée d’une immunodépression systémique [1—3]. Ces lésions traumatiques peuvent également majorer les altérations hémodynamiques secondaires à l’hémorragie. En effet, lorsqu’il existe des fractures, une diminution de 29 % du volume sanguin circulant reproduit les mêmes perturbations hémodynamiques qu’une déplétion de 40 % de la volémie sur un modèle de choc hémorragique isolé [4]. Bien que la diversité des lésions rencontrées rende toute tentative de modélisation difficile, il est actuellement évident que le choc traumatique constitue une entité physiopathologique à part entière qui associe plusieurs mécanismes de choc : hémorragique, neurogénique, cardiogénique, obstructif, vasoplégique et dont l’importance respective varie en fonction de la nature des lésions traumatiques. Il découle naturellement de ces concepts que le traitement de l’hypotension du choc traumatique doit faire appel non seulement à un remplissage vasculaire mais également probablement aux médicaments vasopressives, voire aux corticoïdes. Les données exposées dans cette mise au point s’adressent essentiellement aux patients subissant un choc traumatique, elles restent néanmoins valables en cas de choc hémorragique isolé. l’ampleur est guidée par la recherche d’une hypotension artérielle prolongée et transitoire [5] (modèle contrôlé de Wigger). Ces expériences sont loin de la réalité quotidienne et de nouveaux modèles expérimentaux ont été proposés au cours de la dernière décennie. Dans ces derniers, l’hémorragie n’est pas contrôlée par l’expérimentateur ; elle est secondaire à une lésion vasculaire ou à une lésion viscérale et le volume de la spoliation sanguine dépend des mécanismes compensatoires mis en jeu par l’animal : constitution d’un caillot au niveau de la lésion, vasoconstriction artérielle et veineuse. Ces modèles « non contrôlés » d’hémorragie sont plus proches de la réalité car ils laissent la réponse neurohumorale de l’animal se développer dans des conditions très proches de celles rencontrées chez un patient polytraumatisé. Dans ces conditions, le remplissage massif préconisé depuis les expériences de Wigger [5] provoque une augmentation de la spoliation sanguine et, souvent, une surmortalité. Au pire, le remplissage vasculaire rend létale une lésion qui ne l’était pas avant le traitement. Cet effet néfaste a été attribué à une élévation transitoire de la pression artérielle au décours de la reperfusion. De ce fait, l’élévation de la pression artérielle déplace les caillots encore fragiles et le remplissage vasculaire ajoute un facteur de dilution à la coagulopathie de consommation initiée au niveau des lésions tissulaires. Dans ces conditions, une évolution des principes de remplissage vasculaire au cours du choc hémorragique paraît souhaitable. La limitation du volume de soluté perfusé est la base du concept de « réanimation par un petit volume » (small volume resuscitation) ; elle est liée à une réduction délibérée de l’objectif de pression artérielle optimale dans l’attente d’une intervention d’hémostase efficace (permissive hypotension). Un objectif raisonnable de pression artérielle ne provoque ni majoration de la spoliation sanguine par excès ni souffrance tissulaire d’origine ischémique par défaut. Une réanimation limitée d’un état de choc hémorragique expérimental n’altère pas l’état neurologique des animaux auparavant sain et ne provoque pas de dysfonctions ou de lésions tissulaires histologiques. Actualités physiopathologiques Défaillance d’organe et remplissage vasculaire Les principes de la réanimation du patient victime d’un état de choc hémorragique reposent sur des expériences animales de choc contrôlé, c’est-à-dire d’une saignée pratiquée au travers d’un cathéter intravasculaire et dont Un syndrome de défaillance multiviscérale (SDMV) survient fréquemment après un traumatisme grave et est responsable pour une grande part de la morbimortalité des patients polytraumatisés [6,7]. Deux tableaux de survenue du SDMV Actualité sur le choc hémorragique post-traumatique sont décrits [7] ; le premier survient dans les 48—72 heures post-traumatiques sans cause infectieuse identifiée. Le SDMV tardif est de cause infectieuse dans 90 % des cas. Pour réduire l’incidence de survenue des défaillances multiviscérales, il est généralement admis que les patients doivent rapidement bénéficier d’un remplissage vasculaire massif qui vise à limiter l’ischémie tissulaire. La réanimation a donc pour but de restaurer certains paramètres cliniques (pression artérielle, fréquence cardiaque, diurèse. . .) et biologiques (pH artériel, taux de lactate) témoignant d’un état cardiocirculatoire satisfaisant. En l’absence de monitorage hémodynamique invasif, il s’agit en fait le plus souvent de « normaliser » la pression artérielle systémique. Les effets délétères potentiels d’un remplissage vasculaire massif ont conduit à une remise en cause des données de la littérature qui recommandait le maintien d’une pression artérielle systolique (PAS) supérieure à 120 mmHg ou d’une pression artérielle moyenne (PAM) supérieure à 80 mmHg, d’une fréquence cardiaque inférieure à 90 par minute et d’une diurèse inférieure à 1 ml/kg par heure au prix d’une réanimation volémique souvent conséquente [8] Données expérimentales Dans un modèle murin de choc hémorragique non contrôlé, il a été démontré qu’un large volume de ressuscitation altérait la perfusion hépatique sans améliorer la perfusion cardiaque, rénale et splanchnique [9]. La réanimation volumique selon les principes de Wigger ne semble procurer aucun avantage en terme de perfusion régionale, altérant même certaines d’entre elles [10]. L’altération de la réponse inflammatoire post-traumatique dont l’une des composantes est « l’immunodépression systémique » joue un rôle majeur dans l’apparition des défaillances d’organe post-traumatiques [1—3]. Dans un modèle murin de choc hémorragique il a été démontré que le groupe d’animaux réanimés suivant les principes de Wigger présentait une « immunodépression » systémique beaucoup plus importante que dans les autres groupes d’animaux réanimés avec des volumes de remplissage plus modérés [11]. D’autres auteurs ont confirmé le rôle délétère du remplissage vasculaire massif dans des modèles de choc hémorragique incontrôlés par plaie artérielle en montrant que l’administration de larges volumes de remplissage pour tenter de normaliser la PAM entraînait une surmortalité dans le groupe d’animaux traités [12,13]. Données cliniques Il semble que le remplissage vasculaire massif constitue un facteur de risque important de SDMV précoce [14]. Malgré toutes les limites du travail de Bickel et al. [15], un remplissage vasculaire retardé après l’hospitalisation en milieu urbain des patients présentant une plaie thoracoabdominale, s’accompagne d’une amélioration de la survie des blessés. Cela est valable pour les traumatismes pénétrants du tronc et peut être extrapolé aux lésions vasculaires consécutives à une fracture du bassin instable hémodynamiquement. Pourtant, le concept d’hypotension artérielle toléré ne peut être appliqué aux patients présentant un 313 traumatisme du système nerveux central (encéphalique ou médullaire). Dans cette circonstance en effet, les épisodes répétés et prolongés d’hypotension artérielle sont à l’origine des lésions ischémiques secondaires du cerveau et de la moelle qui influencent le pronostic fonctionnel ultérieur [16]. De plus, diminuer le volume de remplissage vasculaire des blessés en choc hémorragique ne signifie pas qu’il faille s’abstenir de tout remplissage vasculaire. En terme de remplissage vasculaire chez un patient en choc hémorragique l’abstention thérapeutique tue aussi sûrement que l’excès d’apport. Un travail rétrospectif illustre parfaitement l’intérêt d’une diminution du volume de remplissage sur le devenir des patients [17]. Deux cent soixante-quatre polytraumatisés sévères recevant des vasopresseurs à la phase initiale de leur prise en charge (dopamine 7 !/kg par minute) afin d’obtenir une PAM adéquate en diminuant le volume de remplissage étaient comparés à une cohorte historique de 163 polytraumatisés recevant exclusivement du remplissage pour rétablir la PAM. La diminution du volume de remplissage dans le groupe traité par vasopresseur s’est traduite par une diminution significative du score de SDMV au deuxième jour, une diminution du nombre de jours de ventilation mécanique ainsi qu’une diminution de la durée de séjour en réanimation. Dans l’attente d’un travail prospectif multicentrique et randomisé sur une cohorte importante de patients validant ces données, il semble d’ores et déjà justifié de recommander une diminution du volume de remplissage à administrer aux patients par rapport aux recommandations découlant du modèle de Wigger. Réanimation par un petit volume de soluté hypertonique Le concept de hypertonic small volume resuscitation découle logiquement des constatations précédentes et a été proposé depuis près de 20 ans. Les effets hémodynamiques du sérum salé hypertonique sont liés à la mobilisation liquidienne endogène : il existe un transfert de liquide à partir du secteur intracellulaire vers le compartiment vasculaire du secteur extracellulaire. La redistribution liquidienne atténue rapidement l’élévation de l’osmolalité extracellulaire [18]. La prolongation de l’effet bénéfique en terme de remplissage vasculaire est significative en cas d’adjonction d’un colloïde de synthèse (dextran ou hydroxyéthylamidon) au sérum salé hypertonique [19]. La réanimation par un petit volume de sérum salé hypertonique atténue la reprise du processus hémorragique attribuée à la réanimation conventionnelle lorsque la perfusion est retardée par rapport au traumatisme et que la perfusion du soluté est relativement lente (par exemple, 4 ml/kg sur 15 minutes en pratique clinique) [20]. Le sérum salé hypertonique dilué dans un colloïde de synthèse (dextran) ne modifie pas l’hémostase biologique lorsque la posologie conseillée est respectée [21]. La perfusion de sérum salé hypertonique atténue l’augmentation du volume des cellules endothéliales vasculaires et prévient ainsi les obstructions microvasculaires à la reperfusion au décours d’un état de choc [22]. Finalement, un effet inotrope positif a été attribué au sérum salé hypertonique ; cet effet s’accompagne d’une vasodilatation artériolaire réflexe, expliquant une possible chute 314 transitoire de la pression artérielle en début de traitement [23]. Le rôle de la charge sodée au niveau des barorécepteurs artériels pourrait contribuer à une modulation du contrôle baroréflexe de la fonction cardiovasculaire. Une méta-analyse des essais contrôlés du sérum salé hypertonique en période préhospitalière et à l’accueil hospitalier a mis en évidence une réduction globale de la mortalité des patients en état de choc hémorragique lorsque le chlorure de sodium est dilué dans du dextran [24]. Cet effet est particulièrement net chez les patients présentant une hypotension artérielle sévère, chez les patients nécessitant une intervention chirurgicale d’hémostase et chez ceux victimes d’un traumatisme crânien grave. Vasopresseurs De nombreux arguments plaident en faveur d’utilisation précoce de vasopresseurs à la phase initiale de la prise en charge du choc hémorragique. Données expérimentales Dans un modèle de choc hémorragique porcin, les animaux ont subi une hémodilution massive jusqu’à atteindre l’hémoglobine critique pour laquelle il existe une dépendance DO2 /VO2 (Hb : 2—3 g/dl) [25]. Les animaux étaient alors randomisés en deux groupes, un groupe témoin sans aucun traitement et un groupe recevant une perfusion continue de noradrénaline (NA) afin de restaurer une PAM adéquate, aucun remplissage vasculaire n’était administré aux deux groupes. L’administration de NA permettait de faire passer la mortalité de 100 % dans le groupe témoin à 14 % dans le groupe traité. Confirmant ces données, la perfusion précoce de NA à dose modérée dans un modèle murin de choc hémorragique permettait d’obtenir un gain spectaculaire en terme de mortalité par rapport aux animaux réanimés par un remplissage vasculaire exclusif et par rapport aux animaux réanimés par de fortes doses de NA seule ou associé à un remplissage vasculaire [26]. L’administration précoce de vasopresseurs joue également un rôle sur « l’immunodépression systémique » post-traumatique. En effet, l’administration à des souris en état de choc hémorragique d’un agoniste "2 sélectif associé au remplissage vasculaire entraîne une restauration spectaculaire de la réactivité au lipopolysaccharide des leucocytes sanguins des animaux [27]. Données cliniques L’hypotension initiale du choc traumatique a longtemps été considérée comme étant de cause hypovolémique pure avec une diminution du retour veineux et une augmentation des résistances vasculaires initiales conjuguées à une hypotension artérielle. Pourtant, si l’hypotension observée à la phase initiale du choc traumatique admet comme cause principale l’hémorragie et l’hypovolémie qui en découlent, le remplissage prodigué en préhospitalier démasque rapidement un certain degré de vasoplégie et de dysfonction cardiaque. K. Asehnoune, M. Pinaud Dysfonction cardiaque et vasoplégie post-traumatique La fraction de racourcissement cardiaque (FR) est initialement basse chez des polytraumatisés sévères malgré un index cardiaque (IC) élevé. La FR s’élève ensuite pour atteindre des valeurs normales 48 heures après le traumatisme [28]. L’altération réversible de la FR suggère un certain degré d’incompétence myocardique probablement couplé à une vasoplégie (IC élevé). Edouard et al. ont confirmé cette incompétence myocardique posttraumatique en mettant en évidence une mise en circulation de troponine I à la phase initiale du traumatisme en l’absence de traumatisme thoracique et de contusion cardiaque [29]. Un syndrome hémodynamique hyperkinétique ressemblant à celui observé lors d’un choc septique réanimé (résistances vasculaires systémiques diminuées et un index cardiaque normal ou augmenté) a été mis en évidence chez des polytraumatisés sévères [14,28]. Le SIRS fréquemment observé à la phase post-traumatique initiale chez les patients les plus graves est l’explication probable de ce septic-like syndrome [2]. Insuffisance surrénalienne post-traumatique La réponse endocrine initiale à un stress aigu, que celui-ci soit septique ou traumatique, est bien connue. Elle comporte un relargage massif d’hormones de stress incluant notamment cortisol, catecholamines, vasopressine et glucagon [30]. Ces hormones contribuent à la restauration de l’homéostasie du milieu intérieur. À une phase plus tardive, le profil hormonal se modifie pour faire place à un « syndrome hypotonique » qui comprend notamment des concentrations basses de vasopressine, une insuffisance thyroïdienne sick euthyroid syndrome ainsi qu’une insuffisance surrénalienne [31]. L’amplitude de cette insuffisance surrénalinenne a des implications pronostiques importantes au cours du choc septique. En effet, sa correction par de l’hydrocortisone restaure le tonus #-adrénergique artériel, diminue le nombre et l’intensité des défaillances d’organe et, finalement, améliore le pronostic des patients [32]. Une altération de la sécrétion de cortisol en réponse à un test au synacthène, ressemblant à celle observée au cours du choc septique, a été mise en évidence chez des polytraumatisés sévères [33]. Pourtant, et à la différence du sepsis, l’administration d’hydrocortisone chez des polytraumatisés augmente la sensibilité vasculaire à la stimulation #-1 quel que soit le résultat du test au synacthène et uniquement chez les patients présentant un choc hémorragique [34]. Nous conduisons actuellement au CHU de Nantes une étude prospective randomisée en double insu afin de déterminer si le traitement par hydrocortisone pendant sept jours de l’insuffisance surrénalienne procure chez le polytraumatisé le même bénéfice que chez le patient en état de choc septique. Pratique de l’anesthésie Le débat actuel porte sur les caractéristiques comparées du propofol et de l’étomidate, et commence par l’influence Actualité sur le choc hémorragique de l’état de choc sur les paramètres pharmacocinétiques et pharmacodynamiques de ces produits [35]. Au cours de l’hypovolémie expérimentale, le volume des compartiments centraux et périphériques de distribution de l’étomidate sont réduits ; les concentrations plasmatiques du produit sont légèrement augmentées (20—25 %). Toutefois, l’effet vasodilatateur n’est pas majoré et il n’existe pas de modifications de la sensibilité du cerveau à la molécule, évaluée par le Bispectral Index (Bis) [36]. Dans le cas du propofol, l’augmentation des concentrations plasmatiques est inversement proportionnelle à la réduction du débit cardiaque. L’effet vasodilatateur du propofol entraîne une hypotension artérielle dose-dépendante. La sensibilité au propofol du cerveau, organe-cible, est augmentée comme en témoigne l’ampleur de la réduction de l’index Bis à posologie comparable [36]. Cet effet est lié à une augmentation de la forme libre circulante du propofol en raison de l’hémodilution. Cet accroissement de sensibilité au propofol au cours de l’hypovolémie aiguë persiste au décours d’un remplissage vasculaire adéquat [37]. La posologie du propofol doit ainsi être réduite de 80 à 90 % chez le patient en état de choc [35]. L’étomidate interfère significativement avec la réponse à l’agression au décours d’une injection unique [38]. Il inhibe l’activité 11"-hydroxylase dans les glandes surrénales, limitant la stéroïdogénèse. La majorité des patients (93 %) ayant reçu une dose d’étomidate de 0,3 ± 0,1 mg/kg ont une réponse anormale à la stimulation surrénalienne par l’ACTH de synthèse (Synacthène® , 250 $g). Inversement, le propofol est antioxydant, diminue la production de cytokines 315 pro-inflammatoires, altère l’expression d’oxyde nitrique, inhibe ceraines fonctions des polynucléaires neutrophiles [39]. En pratique, l’étomidate semble plus maniable que le propofol pour l’induction anesthésique en situation de choc hémorragique et il ne justifie pas de modification posologique. Une dose unique d’étomidate entraîne, il est vrai, un freinage surrénalien d’une durée moyenne de 48 heures [40]. Cette insuffisance surrénalienne est cependant facilement contrôlée par l’administration d’hydrocortisone. Compte tenu de ces effets corticosurrénaliens, il convient cependant d’éviter l’emploi de l’étomidate en perfusion continue dans le cadre de la sédation. L’utilisation du suxaméthonium (1,0 mg/kg) facilite l’intubation trachéale chez tous les patients. En l’absence de suxaméthonium, 16 % de 155 patients en état de choc nécessitent des tentatives multiples d’intubation après injection d’étomidate (0,3 ± 0,2 mg/kg), imposant la répétition des injections jusqu’à une posologie efficace de 0,9 mg/kg [41]. En dehors de ses contre-indications absolues, l’utilisation du suxaméthonium dans le cadre d’une induction anesthésique à « séquence rapide » est obligatoire chez le patient en état de choc hémorragique Pour la pratique L’objectif de pression artérielle est défini par les caractéristiques du blessé au cours de l’évaluation primaire extraou intrahospitalière. En cas de plaie vasculaire évidente ou fortement suspectée (plaie pénétrante, épanchement Figure 1 Proposition de prise en charge du choc hémorragique intégrant à la fois une diminution du volume de remplissage vasculaire et une introduction précoce des vasopresseurs. 316 intrathoracique ou intrapéritonéal rapidement progressif, fracture pelvienne instable, hémorragie du massif facial) et en l’absence de lésion du système nerveux central (encéphalique et/ou médullaire), il est recommandé de tolérer une hypotension artérielle dans l’attente d’un geste chirurgical ou radiologique d’hémostase. Une valeur de pression artérielle systolique comprise entre 80 et 90 mmHg est habituellement proposée, à la limite inférieure du seuil d’autorégulation des circulations cérébrale et coronaire. En revanche, lorsqu’il existe une lésion du système nerveux central encéphalique ou médullaire, l’obtention rapide et le maintien d’une pression de perfusion élevée limitent les lésions ischémiques secondaires. Dans cette circonstance, une valeur de pression artérielle systolique supérieure ou égale à 120 mmHg est proposée ; cette valeur correspond souvent à une pression artérielle moyenne de 90 mmHg et permet d’obtenir une pression de perfusion cérébrale supérieure ou égale à 60 mmHg en cas de pression intracrânienne élevée [42]. Cette nouvelle approche de la réanimation cardiovasculaire de l’état de choc hémorragique correspond le plus souvent à une réduction du volume liquidien perfusé et à l’utilisation des solutions alternatives pour atteindre l’objectif tensionnel. Les catécholamines sont utilisées dans ce but. Le choix de la noradrénaline est souvent fait car, d’une part, la stimulation alphaadrénergique permet une vasoconstriction puissante et titrable et, d’autre part, la stimulation bêta-adrénergique peut être intéressante en cas de dysfonction ventriculaire [43]. Enfin, la stimulation bêta-adrénergique semble avoir un effet de contrôle de l’inflammation au cours du choc hémorragique [27,44]. Cependant, l’utilisation exclusive ou préférentielle des vasopresseurs pourrait favoriser le développement de lésions ischémiques encéphaliques en l’absence de compensation au moins partielle de la spoliation volumique [45]. La Fig. 1 propose un schéma tactique de prise en charge du patient en état de choc hémorragique intégrant à la fois une diminution du volume de remplissage vasculaire et une introduction précoce des vasopresseurs. Conclusion L’ensemble de ces données souligne la nécessité d’un contrôle plus strict du volume de remplissage, d’une introduction précoce de vasopresseurs et peut être d’hydrocortisone dans la prise en charge des patients en choc hémorragique, notamment dans le cadre d’un polytraumatisme. Ces constatations reposent sur des données expérimentales et cliniques concordantes qui suggèrent une prise en compte des données physiopathologiques récentes concernant la dysrégulation de la réponse inflammatoire et de l’axe neuro-endocrine. Pourtant, les recommandations actuelles concernant la prise en charge du choc traumatique restent particulièrement évasives en ce qui concerne la gestion du remplissage vasculaire et l’emploi des vasopresseurs. Au-delà des considérations physiopathologiques, l’emploi précoce de médicaments vasoactives permet « mécaniquement » de diminuer le volume de remplissage administré en premettant d’atteindre plus rapidement les objectifs tensionnels fixés par les recommandations internationales. K. Asehnoune, M. Pinaud Références [1] Adib-Conquy M, Adrie C, Moine P, Asehnoune K, Fitting C, Pinsky MR, et al. NF-kappaB expression in mononuclear cells of patients with sepsis resembles that observed in lipopolysaccharide tolerance [In Process Citation]. Am J Respir Crit Care Med 2000;162:1877—83. [2] Adib-Conquy M, Asehnoune K, Moine P, Cavaillon JM. Longterm-impaired expression of nuclear factor-kappa B and I kappa B alpha in peripheral blood mononuclear cells of trauma patients. J Leukoc Biol 2001;70:30—8. [3] Adib-Conquy M, Moine P, Asehnoune K, Edouard A, Espevik T, Miyake K, et al. Toll-like receptor-mediated tumor necrosis factor and interleukin-10 production differ during systemic inflammation. 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