SOCIÉTÉ CHORALE D`OTTAWA – NOTES
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SOCIÉTÉ CHORALE D`OTTAWA – NOTES
SOCIÉTÉ CHORALE D’OTTAWA – NOTES-PROGRAMME POUR LE CONCERT « ÉCLAT DE LUMIÈRE » – LE 23 OCTOBRE 2015 J’ai le grand plaisir de me retrouver de nouveau sur le podium devant mes amis et collègues de l’ensemble choral au parcours historique le plus imposant de notre ville et de l’un des chœurs philharmoniques les plus reconnus du Canada. S’ajoute à ma joie de donner une empreinte au concert de ce soir, l’occasion d’offrir en partage les œuvres expressives de trois compositeurs de génie, qui entrouvrent certaines perspectives à l’égard du cheminement que nous sommes tous un jour appelés à connaître, soit le passage de la vie terrestre aux mystères de l’éternité. Duruflé, Elgar et Lauridsen, chacun à sa façon, ont contribué de manière durable à l’enrichissement du répertoire choral du XXe siècle. L’époque qui a précédé la Grande Guerre et celle qui a suivi, en France et en Angleterre, offraient un terreau fertile pour la composition d’œuvres aux formes les plus diverses. Tandis que la formation de Duruflé était imprégnée de la culture musicale issue des cathédrales, à titre de jeune choriste à Rouen, les jeunes années d’Elgar ont été celles d’une quête avide d’une véritable éducation musicale, une quête qui est restée essentiellement inassouvie : n’eût été son aversion de la bureaucratie, Elgar aurait très bien pu se trouver à pratiquer le droit dans un cabinet d’avocats. Duruflé et Elgar ont tous deux été élevés dans la foi catholique romaine, et connaissaient la tradition de la musique grégorienne et les formes liturgiques associées à cette esthétique particulière. Les impressionnistes ont constitué la principale source des autres influences musicales de Duruflé, tandis qu’Elgar, issu d’une génération antérieure, a plutôt subi l’influence des œuvres romantiques de compositeurs allemands et français. Quant à Lauridsen, qui a grandi aux États-Unis sur la côte nordouest du Pacifique, il a reçu sa formation musicale en Californie. Il a publié ses premières œuvres chorales au milieu des années 1960, et sa propre adaptation musicale du texte du Requiem a vu le jour pratiquement à l’aube du nouveau millénaire. Même si l’expérience musicale et culturelle des trois compositeurs dont les œuvres figurent au programme de ce soir diffère selon chaque personne, leurs œuvres réalisent une synthèse de l’ancien et du nouveau, que ce soit en agençant des mélodies grégoriennes traditionnelles et les couleurs et atmosphères impressionnistes, ou par la simple évocation de ces références anciennes reprises dans un contexte correspondant à l’expression du mysticisme moderne. Elgar a certes composé plusieurs œuvres chorales (dont la forme varie du motet à l’oratorio), mais la pièce Lux aeterna n’a jamais été conçue comme une œuvre chorale. Elle est plutôt un arrangement particulièrement réussi, réalisé par John Cameron, de la neuvième variation – Nimrod – de l’œuvre pour orchestre d’Elgar, Enigma Variations (1891-1900). À l’origine, le titre Nimrod évoquait un personnage de l’Ancien Testament, « un vaillant chasseur devant l’Éternel », selon la description biblique, mais l’on sait qu’Elgar décrivait énigmatiquement cette variation comme une représentation de « quelque chose s’étant produit » entre deux personnes ou plus. Dans cette optique, cet arrangement choral (sur les paroles du Lux aeterna du texte du Requiem), s’accorde avec l’idée évoquée, celle d’une personne qui pleure la mort d’un ami, et qui invoque la miséricorde et la protection de l’Éternel dans ce passage de vie à trépas. Duruflé a composé son Requiem entre 1941 et 1947, et chacun des mouvements est fondé sur l’hymne grégorien correspondant de la Messe des morts. On reconnaît clairement ces mélodies intemporelles, souvent au début de chaque section de l’œuvre. Par exemple, dans l’Introït, il s’agit de l’hymne Requiem aeternam, enluminé par les couleurs du mouvement harmonique et rythmique que l’on associe si étroitement à ce compositeur. Même si l’œuvre comporte ses moments dramatiques exprimés avec éloquence et puissance, son style retenu s’apparente davantage à celui de Fauré qu’à l’expressionnisme affirmé de Berlioz. Le compositeur a réalisé une splendide adaptation avec accompagnement à l’orgue de son Requiem, composé à l’origine pour orchestre. Composés en 1960, les Quatre motets sur des thèmes grégoriens sont en quelque sorte un prolongement de la même idée. Chaque motet, pour voix sans accompagnement, est fondé sur la mélodie grégorienne correspondant à chacun des titres. Les textes proprement dits renvoient aux segments particuliers de l’année liturgique. À l’origine, Ubi caritas était chanté le Jeudi saint, au cours de la cérémonie dépeignant le lavement des pieds des disciples par le Christ, lors de la dernière Cène. Une composition pour voix hautes seulement, Tota pulchra es reprend le texte commémorant la fête de l’Immaculée Conception, hommage à la pureté de la Vierge Marie. Tu es Petrus est une fervente célébration de saint Pierre, « la pierre sur laquelle je bâtirai mon Église », tandis que Tantum ergo évoque l’essence de la bénédiction du Saint-Sacrement. Duruflé a remporté le prix de composition des Amis de l'orgue pour son Prélude, adagio et choral varié sur le thème du Veni Creator, op. 4 (1930). Le matériau thématique du Prélude est tiré de deux phrases musicales du plain-chant du Veni Creator : le traitement de la première est à la manière d’une fileuse faisant appel à un jeu de flûtes délicates, tandis que la deuxième, aux notes plus longues, est jouée sur des jeux d’anches douces à la pédale puis à la main gauche. Après un bref segment de passage, émerge un adagio plus lyrique, en trois sections; la première et la troisième présentent le plain-chant dans des tonalités mineures du jeu somptueux de voix céleste, tandis que la section médiane s’apparente à un interlude de Tournemire, caractérisé par le timbre plus sombre du jeu de voix humaine. Le mouvement se termine par un intense crescendo et un éclatant final. Il laisse place à une sublime harmonisation du plain-chant du Veni Creator, suivie de quatre exquises variations, entre lesquelles le chœur chantera les versets de l’hymne grégorien sur lequel est fondée l’œuvre. En décrivant son approche artistique, Lauridsen écrit : « la poésie est ma deuxième passion, après la musique […] il est donc naturel qu’à titre de compositeur, j’aie cherché à amalgamer ces deux passions, à marier texte et musique ». En tant que compositeur de musique chorale, Lauridsen s’intéresse particulièrement au cycle choral : à plusieurs égards, Lux aeterna est un modèle tout à fait achevé d’une pièce comportant plusieurs mouvements unis par un thème central de nature poétique (ou autre). Cette expression libre et sereine du mystère et de l’éternité est fondée sur des textes latins d’origines diverses, chacun évoquant un aspect de la « lumière ». Empreinte de sérénité et d’intimité, l’œuvre est centrée sur les thèmes de la bonté, de l’espérance et du réconfort, tous illuminés, dans toutes leurs dimensions. À l’instar du Requiem de Duruflé, l’œuvre de Lauridsen, écrite à l’origine pour orchestre, est merveilleusement adaptée pour accompagnement à l’orgue. Dans le roman de John Bunyan, Le voyage du pèlerin, l’âme est accueillie dans l’au-delà au son des trompettes. Le fidèle a franchi le parcours et maintenu sa foi, et il est accueilli par le Dieu éternel dans sa sainte splendeur. Dans son touchant hymne Let saints on earth in concert sing, Wesley explique que la mort est le mince cours d’eau qui sépare, au sein de l’Église, la communauté d’ici-bas et celle dans l’au-delà. Au sujet du passage de la vie à la mort, il dit encore que le voyageur a franchi en partie le cours d’eau et qu’il achève de le franchir. Les compositeurs dont les œuvres figurent au programme de ce soir rendent ces sentiments avec sincérité et conviction, tout en offrant une perspective différente, celle de la paix et de la consolation qui attendent chacun « sur l’autre rive », et de la foi qui est source de réconfort, comme délivrance de la peur et promesse de la miséricorde infinie que Dieu réserve à ses enfants. Matthew Larkin Traduction Louis Majeau © 2015