Télécharger
Transcription
Télécharger
PhilCor2004L,ES,S 26/08/03 18:04 Page 158 CORRIGÉ C O R ■ Éléments NOTIONS EN R I G É d’analyse JEU La liberté ; l’État ; la société ; autrui. THÈSE ADVERSE La liberté de pensée est indépendante de la liberté d’agir. PROCÉDÉ D’ARGUMENTATION L’auteur s’appuie sur l’histoire de la liberté pour démontrer que la liberté intérieure n’est rien sans la liberté politique. DÉCOUPAGE DU TEXTE ET IDÉES PRINCIPALES m Dans une première partie (du début à « non dans le commerce avec nous-même »), Arendt pose une hypothèse philosophique : il n’y a pas de liberté intérieure sans liberté extérieure, c’est-à-dire sans expérience avec le monde et autrui. m Dans une deuxième partie (de « Avant de devenir un attribut » à « des nécessités de la vie »), l’auteur analyse de quelle manière l’homme est devenu libre : en se libérant « des nécessités de la vie ». m Dans une troisième partie (de « Mais le statut d’homme libre » jusqu’à la fin), l’auteur conclut que la libération de l’homme nécessite un espace politique. REMARQUES ET DIFFICULTÉS m Il convient de distinguer les divers niveaux d’analyse de la liberté: liberté intérieure, liberté comme statut, liberté comme absence de contrainte, liberté politique et libération renvoient à des réalités différentes. m Le rapport entre liberté intérieure et liberté politique n’est pas simplement posé mais démontré : il s’agit de rendre compte de l’argumentation. THÈME, QUESTION, THÈSE m Thème : La liberté. m Question : Comment l’homme devient-il libre ? m Thèse : La liberté intérieure dépend de la liberté politique. 158 LA MORALE PhilCor2004L,ES,S 26/08/03 18:04 Page 159 PLAN Introduction CORRIGÉ 1 La liberté intérieure n’existe pas sans rapport au monde A - L’expérience du monde B - Le rapport à autrui 2 Le cheminement de la liberté A - La liberté comme statut B - La libération qui la précède 3 Liberté et politique A - La libération comme condition nécessaire mais non suffisante au statut d’homme libre B - Condition de la libération : l’espace politique Conclusion ■ Corrigé (corrigé complet) Introduction1 Pour le stoïcien Épictète, la véritable liberté est la liberté de pensée car c’est la seule à dépendre exclusivement de soi. Or comment la connaître et la reconnaître dans la vie quotidienne si elle reste intérieure à un individu ? Pour Hannah Arendt, le domaine de la vie humaine où la liberté est en jeu est l’action, notamment la politique. Comment devient-on libre et comment l’homme prend-il conscience de sa liberté ? Quel est le cheminement de la liberté ? Quels sont les différents domaines de la liberté et quels sont les liens entre eux ? En répondant à ces questions, Hannah Arendt établit un lien étroit entre liberté et politique. 1. La liberté intérieure n’existe pas sans rapport au monde Dans la première partie (du début à « non dans le commerce avec nousmême »), Arendt pose une hypothèse philosophique : il n’y a pas de liberté intérieure sans liberté extérieure. 1. Les titres en gras servent à guider la lecture et ne doivent pas figurer sur la copie. LA LIBERTÉ • SUJET 21 159 PhilCor2004L,ES,S 26/08/03 18:04 Page 160 CORRIGÉ A. L’expérience du monde Arendt commence son texte par une hypothèse (« Il semble que ») qui remet en question la tradition philosophique affirmant que la liberté intérieure ou le libre arbitre sont premiers. En effet, l’homme n’aurait pas d’abord conscience de sa liberté intérieure, c’est-à-dire sa liberté de pensée, s’il n’avait « d’abord expérimenté une liberté qui soit une réalité tangible dans le monde ». La conscience de la liberté implique donc que l’homme en ait fait l’expérience et qu’ainsi sa liberté se soit concrétisée sous forme de « réalité tangible ». La seule expérience intérieure de la liberté semble insuffisante à la faire vivre. Le problème n’est finalement pas de savoir ce qui existe mais ce que l’on connaît en premier. B. Le rapport à autrui Aussi « nous prenons conscience d’abord de la liberté ou de son contraire dans notre commerce avec d’autres, non dans le commerce avec nous-même ». La liberté ou son contraire, par exemple l’esclavage ou l’aliénation, ou plus simplement la contrainte, suscite un sentiment immédiat dont chacun peut faire l’expérience. Ce sentiment ne se manifeste pas si l’on s’en tient à ses seules réflexions : autrui est la médiation nécessaire pour prendre conscience de la liberté. Pour Hegel, c’est plus généralement la prise de conscience de soi qui nécessite le rapport dialectique avec autrui : l’être prend conscience de lui-même dans un processus d’identification entre soi et soi. Grâce à la négation de son identité par l’autre, il s’instaure la distance nécessaire à l’identification : l’être n’est plus un être en soi mais un être pour soi. Transition Ainsi, penser sa liberté ne pourrait se faire paradoxalement qu’en sortant de ses pensées, en entrant dans le monde et en rencontrant autrui. Mais comment s’opère ce processus ? 2. Le cheminement de la liberté Dans la deuxième partie du texte (de « Avant de devenir un attribut » jusqu’à « des nécessités de la vie »), Arendt établit un lien chronologique puis logique entre les différentes étapes de la conscience de la liberté selon ses modes d’expression. A. La liberté comme statut Dans la première phrase de ce deuxième paragraphe, Arendt oppose deux moments de la compréhension de la liberté. La liberté telle qu’elle est perçue par la tradition philosophique est tributaire des caractéris- 160 LA MORALE tiques psychologique et morale de l’individu : la liberté en tant qu’« attribut de la pensée ou (…) qualité de la volonté » désigne la capacité qu’a l’homme à se déterminer par lui-même, par sa raison sans être soumis à ses passions. À cette liberté Arendt oppose un sens plus originel : celui de « statut de l’homme libre, qui lui permettrait de se déplacer, de sortir de son foyer, d’aller dans le monde et de rencontrer d’autres gens en actes et en paroles ». Cette liberté désigne la condition de l’homme en tant qu’il n’est pas un esclave, mais un citoyen dans la mesure où il est à lui-même son propre maître et où il participe à la vie de la cité. CORRIGÉ PhilCor2004L,ES,S 26/08/03 18:04 Page 161 B. La libération qui la précède L’homme libre, c’est-à-dire le citoyen, était donc celui qui n’était pas astreint à un travail répondant aux besoins vitaux de survie, travail que l’esclave prenait en charge. Pour pouvoir mener ses activités de citoyen, l’homme devait donc s’être libéré des contraintes qu’exigent les besoins vitaux : « Il est clair que cette liberté était précédée par la libération : pour être libre, l’homme doit s’être libéré des nécessités de la vie. » Transition Ainsi, la philosophie a défini la liberté comme pouvoir de choix ou de décision déterminé par le seul jugement (liberté du sujet rationnel ou libre arbitre) ou comme pouvoir de ne pas subir la contrainte des passions (liberté morale). Mais avant cette définition, la liberté était, aux origines de la civilisation, le statut de celui qui n’était pas astreint au travail visant à subvenir à ses besoins, le statut du citoyen par opposition à celui de l’esclave. Mais comment certains hommes ont-ils réussi à devenir libres ? 3. Liberté et politique Dans la troisième partie (de « Mais le statut d’homme libre » jusqu’à la fin), l’auteur tisse un lien étroit entre la liberté et la politique. A. La libération comme condition nécessaire mais non suffisante au statut d’homme libre « Mais le statut d’homme libre ne découlait pas automatiquement de l’acte de libération » : s’il y a une antériorité nécessaire de la libération des contraintes liées aux besoins vitaux, il n’y a pas cependant de relation stricte de cause à effet de l’un à l’autre. La libération est une condition nécessaire mais non suffisante pour accéder au statut d’homme libre. Comment atteindre ce statut où la liberté ne répondrait pas seulement à la définition négative d’absence de contrainte ? LA LIBERTÉ • SUJET 21 161 PhilCor2004L,ES,S 26/08/03 18:04 Page 162 CORRIGÉ B. Condition de la libération : l’espace politique Dans la dernière phrase, Arendt en vient à sa conclusion qui est en réalité la thèse du texte : l’interdépendance entre la liberté et la politique. En effet, la conscience de la liberté nécessite d’en faire l’expérience par le « commerce » avec les autres. Mais pour qu’il y ait une telle relation, il faut d’une part que l’homme se soit libéré de ses contraintes, mais surtout qu’il ait la possibilité de rencontrer d’autres individus qui aspirent au même statut, dans un cadre où l’échange (d’action ou de parole) soit favorisé : l’espace politique. Celui-ci garantit par ses lois la préservation de son statut. Puisque la conscience de soi ne se fait que par la médiation d’autrui, la conscience de sa liberté ne peut se faire que sous forme publique et non pas strictement personnelle. Être libre, c’est agir librement. Conclusion Tant que l’homme ne fait pas l’expérience de la liberté par son action qui le lie au monde et aux autres, il ne peut être véritablement libre. Sa liberté intérieure peut tout au plus exister sous forme d’espérance. Pour que l’homme puisse faire cette expérience, il faut qu’il se soit libéré des contraintes l’obligeant à travailler pour sa survie et, surtout, il faut qu’il puisse agir et parler, c’est-à-dire délibérer dans un espace public. Seule une organisation politique peut lui garantir de préserver sa liberté, liberté qui est en réalité toujours à reconquérir par l’action. Mais a contrario, si la politique peut être en droit l’instrument de la libération de l’individu, elle peut aussi être de fait celui de son oppression et de son aliénation sous la forme par exemple du totalitarisme. Le problème reste donc de savoir quelle est la meilleure organisation politique pour garantir la liberté de chacun. ■ Ouvertures LECTURES – Hannah Arendt, La Crise de la culture, Gallimard, coll. « Folio essais » ; La Condition de l’homme moderne, Pocket, coll. « Agora ». 162 LA MORALE