traduction d`un texte intraduisible?
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traduction d`un texte intraduisible?
TRADUCTION JURIDIQUE: TRADUCTION D’UN TEXTE INTRADUISIBLE? RODOLFO SACCO * 1. Le droit rencontre la langue. – 2. La traduction, le concept, la signification du texte légal. – 3. La découverte de la traduction juridique. – 4. La tâche qui incombe au juriste qui traduit. – 5. Le juriste traduit. – 6. La traduction garantie. 1. Il n’y a point de droit sans des règles. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de droit s’il n’y a pas de règles formulées par des vocables. Le droit peut être muet. À l’origine, tout le droit a été muet. Á un certain moment, l’évolution a donné aux humains les centres de Broca et de Wernicke, et les humains ont créé un langage articulé. Pensons au droit muet du premier homme. Il pratiquait les règles du droit de la même façon dont l’analphabète ou l’enfant pratiquent les règles de la langue: sans en avoir une véritable connaissance, sans savoir les formuler, sans construire des catégories grammaticales et sans donner un noms à celles-ci. À ce stade, la règle est inférentielle. L’étranger peut essayer de la reconstruire et de la décrire; mais il ne peut pas la traduire. Sa reconstruction, quand elle serait bien fidèle, n’est pas une traduction. Plus tard, l’humain perçoit la règle, il se la représente, ensuite il la conceptualise, enfin il en parle. L’homme n’a pas attendu la loi écrite, pour parler du droit. L’homme du paléolithique, à partir d’un moment bien reculé dans le temps, avait créé les mots appropriés pour indiquer l’épouse, le fils, pour exprimer son appartenance à son clan, etcétera. * Professeur émérite, linceo, correspondant de l’Institut TRADUCTION JURIDIQUE: TRADUCTION D’UN TEXTE INTRADUISIBLE? L’agriculteur du néolithique savait sûrement mentionner son droit sur ses esclaves, sur la terre et sur ses bêtes, car il disait sûrement, en l’occurrence, que tout cela lui appartenait. La multiplicité des langues du droit ne naît pas avec la pluralité des langues des législateurs. Elle naît avec la pluralité des langues, dès que deux communautés parlant deux langues différentes commencent à donner des noms à des catégories que nous appellons juridiques. La langue du droit est née d’abord pour raconter le droit. Plus tard, elle a appris à créer le droit – à créer, d’abord, des liens juridiques; a créer (beaucoup plus tard) des règles de droit –. L’autorité écrit sa volonté, écrit la loi, depuis cinq mille cinq-cent ans. La parole a servi, d’abord, pour raconter le droit. La parole a servi, ensuite, pour créer la loi. Rien ne nous garantit que les paroles qui remplissent les deux tâches se correspondent exactement. Il y aurait de quoi s’étonner si, à l’intérieur d’un système linguistique donné, la correspondance était parfaite. La parole n’a pas créé tout d’un coup un dictionnaire juridique complet, exhaustif et parfait. Certains détails, certaines verités n’ont pas été mis en évidence au premier abord. Et certains détails peuvent bien être demeurés inexprimés dans les langues d’aujourd’hui. Rien ne prouve le contraire. 2. Puisque les langues du droit sont plus d’une, il se peut que le juriste traduise; il se peut aussi que le juriste ait besoin de traduire. Jusqu’aux années quatre-vingts du siècle passé la communauté des juristes du monde entier croyait savoir en quoi consiste la traduction juridique. Le discours se compose de mots. Pour traduire, il suffit de chercher, dans la langue de la traduction, le mot qui correspond au concept, qu’exprime le mot à traduire. Le juriste savant estimait que traduire n’était pas difficile. Les concepts juridiques étaient les enfants légitimes de l’école du droit rationnel. Le juriste savant laissait comprendre que ces concepts clairement définis, présents dans chaque système juridique, sont universels ou tout au moins doués d’une forte vocation à l’universel. Les langues diffèrent, les langues passent (le 2 R. SACCO: TRADUCTION JURIDIQUE: TRADUCTION D’UN TEXTE INTRADUISIBLE? latin en est un exemple). Mais les concepts restent, universels et éternels. Le concept en question est métalinguistique, est unique à travers toutes les frontières culturelles. Les langues parlées par les nations civilisées disposent évidemment du mot qui convient pour nommer le concept. Dans ce climat, traduire était une tâche mécanique. Celle-ci consistait à répéter, dans la langue de la traduction, les mots correspondant aux mots à traduire. N’importe quel étudiant de quatrième année, désormais au courant du dictionnaire juridique, pouvait remplir cette tâche. Mais le XX siècle – surtout la deuxième moitié du XX siècle – voit la crise de la méthode conceptuelle. L’interprétation doit précéder; les concepts et le système vont suivre. Le concept cesse d’être un a-priori. Le procès fait au concept va de pair avec le procès fait à l’idée de la signification objective du texte. L’homme qui écoute est doué d’un savoir et d’une expérience, et ce savoir et cette expérience conditionnent l’interprétation. L’interprète pré-comprend le texte. L’expérience confirme la donnée. Les années trente ont vu la parution des lois uniformes sur la lettre de change et sur le chèque. Et les années cinquante ont constaté que l’application des lois uniformes était française en France et allemande en Allemagne(1). 3. À un certain moment, la situation a été mûre. Et le juriste a eu accès aux problèmes de la traduction juridique. En 1986 l’Académie internationale de droit comparé, qui allait tenir á Sidney son congrès quadriennal, a inscrit, parmi les thèmes, la traduction juridique(2). Quel chemin a parcouru, à partir de Sidney, la science de la traduction juridique, la traductologie juridique! Nombre de problèmes ont été découverts, identifiés et classés. Nombre de distinctions ont été trouvées, nombre de suggestions ont été formulées. En Italie des Facultés offrent à l’étudiant des cours et même des masters en traductologie juridique. 3 TRADUCTION JURIDIQUE: TRADUCTION D’UN TEXTE INTRADUISIBLE? La littérature dans ce domaine est désormais importante. Les linguistes invitent les juristes à leurs congrès, et leur demandent de présenter des rapports. Le juriste, le juriste traducteur est à l’oeuvre. Une illusion a disparu. L’expérience et la réflexion ont appris au juriste qu’on ne trouve pas dans chaque langue le mot juridique approprié pour traduire les concepts qu’exprime une autre langue, et qu’on ne trouve pas dans le texte juridique tout le droit du Pays considéré. On ne trouve pas dans les textes tout le droit. En effet, le droit est soit écrit, soit non écrit; les fragments non écrits du droit ont trois diverses origines: a) La coutume, si personne ne l’a verbalisée, n’est pas écrite. b) Les moyens d’interprétation (la raison de la norme, le but de la norme, le besoin social correspondant à la norme, le précedent historique de la norme, la position systématique de la norme) jouent un rôle dans l’application du droit et participent donc de la nature des sources de droit. c) Les notions latentes dans la culture de l’interprète jouent sûrement un rôle dans la détermination de la règle de droit (les cryptotypes des écoles italiennes)(3). On ne trouve pas dans chaque langue le mot qui correspond aux concepts qu’exprime une autre langue. Même à l’intérieur d’une seule langue nous pouvons trouver de multiples languages juridiques, si une seule langue est utilisée pour les nécessités de plus d’un système de droit. Ainsi la possession des Français et des Belges n’est pas la possession des Suisses, car la première, à la difference de la deuxième, implique non seulement un contrôle du sujet sur la chose, mais aussi son intention d’être propriétaire du bien. Des difficultés majeures de traduction sont dues à un fait plus grave: à savoir, au fait que le rapport entre mot et concept n’est pas le même dans toutes les langues juridiques. Un exemple important, en la matière, nous est offert par la synecdoque, pratiquée par le juriste français. La langue juridique aurait tout à gagner si elle était axée sur la correpondance entre un mot et une catégorie, définie par l’ensemble de ses caractères constitutifs (= à savoir, par sa dénotation) Mais certaines expressions juridiques s’enrichissent de 4 R. SACCO: TRADUCTION JURIDIQUE: TRADUCTION D’UN TEXTE INTRADUISIBLE? connotations diverses, favorables ou défavorables, impliquant sympatie ou phobie. Le mot <<épargne>> implique une évaluation favorable qui fait défaut au mot <<capital>>. Il serait impropre de traduire épargne par l’expression capitalizzazione, même si l’étendue des deux catégories est la même. Une émotion, un style, une mode, une phobie, l’amour pour le théatre, peuvent bien déterminer le choix du mot. Des relations peuvent exister, ou être entrevues, entre plusieurs expressions, dans une langue déterminée. En français, autonomie contractuelle et liberté contractuelle sont des synonymes; ce qui suggère l’idée d’un apparentement entre la liberté contractuelle et les droits de liberté. La suggestion est perdue si la langue du traducteur oblige celui-ci à parler d’autonomie sans évoquer la liberté. De façon analogue, la langue française apparente le droit d’auteur et le droit de l’inventeur à la propriété, par l’intermédiaire des synonymes <<propriété littéraire>> et <<propriété industrielle>>(4). Jusqu’ici, nous avons considéré l’hypothèse de mots qui représentent des catégories abstraites: contrat, volonté, dommage. Mais certains mots acquièrent – juste dans les rapports interlinguistiques – une signification spécifique, liée au milieu d’origine, ou à d’autres circonstances. Ces mots sont intraduisibles. Pour indiquer le souverain britannique, nous pouvons dire, en français, reine. Mais pour parler de l’ancien souverain russe, nous disons <<tsar>> (et cela vaut même pour ces monarques russes qui adoptaient, officiellement, le titre <<imperator>>!). Dans le secteur du droit qui se rapporte aux titres honorifiques, nous trouvons souvent des oppositions entre noms, qu’aucune opposition conceptuelle ne peut expliquer (comte et marquis; chevalier et commandeur; licencié, maître et docteur). L’équivalence avec des mots latin ou latin-médiévaux, ou la valeur historique de ces mots, permet d’enraciner les mêmes oppositions dans un grand nombre de langues(5). 5 TRADUCTION JURIDIQUE: TRADUCTION D’UN TEXTE INTRADUISIBLE? 4. Et le juriste qui veut traduire, en cette situation, que doit-ilfaire? Nous pouvons entrevoir une solution plus facile et une autre ambitieuse. Le traducteur est confronté à un texte. Le droit correspond en principe à la lettre de ce texte, mais des éléments ultérieurs conditionnent le sens de ce texte et déterminent donc la règle de droit. Dans ces conditions, nous pouvons demander au traducteur d’interpréter tout simplement la parole, et au juriste comparatiste de nous dire quels sont le éléments à analyser pour trouver la règle de droit. Le traducteur pourrait ainsi limiter sa recherche à la lettre. Mais alors pour arriver au sens de la phrase le traducteur devrait: reconstruire la signification littérale des mots, séparés de leur contexte (une signification que peut-être les juristes parlant cette langue n’ont jamais énoncée); ensuite le comparatiste (qui normalement est tout un avec le traducteur) devra rechercher les éléments à mettre en contact avec le texte, et ensuite trouver ainsi le sens de la phrase, la règle de droit. Ce serait faire trois travaux au lieu d’en faire un. À ce point il vaut mieux faire un seul travail, et chercher tout de suite la règle de droit. Le traducteur pourrait cultiver cette ambition plus élevée, et faire son possible pour nous offrir, comme résultat de sa traduction, la règle de droit. Imaginons qu’un traducteur, bien préparé, arrive à le faire. Meriterait-il une admiration sans reserve? En vérité son oeuvre ne serait pas complète. La lettre et le sens ne se correspondent pas. Le traducteur, dans cette situation conflictuelle, a choisi la signification. Mais la lettre n’est pas détruite, et l’interprète de demain pourrait toujours, après une nouvelle réflexion, la rendre effective, conformément à la volonté de la loi. Si dans tel pays le formant légal dit A et le formant opérationnel dit B, le traducteur qui veut photographier avec précision le droit ne peut pas se limiter à la règle operationnelle: dans ce pays une deuxième règle existe , non appliquée mais applicable, et le jeu des sources n’est point réductible, 6 R. SACCO: TRADUCTION JURIDIQUE: TRADUCTION D’UN TEXTE INTRADUISIBLE? alternativement, à la traduction de la lettre ou à la traduction du sens. La situation est complexe car tout texte admet de multiples interprétations. Les Français et les Belges n’interprètent pas de la même façon le Code Napoléon. Les sept générations de juristes francais qui ont appliqué le Code Napoléon l’ont soumis à plus d’une interprétation. Le comparatiste pourrait tirer de tout ce que nous avons vu jusq’ici une conclusion négative. Si le mot juridique n’a pas une seule signification constante et certaine; si partant la valeur de la norme qu’il exprime est inconstante, incertaine et non descriptible; si le concept et la parole du juriste ne naissent et ne vivent qu’à l’intérieur de telle ou telle communauté; si le juriste pour penser pré-connaît, pré-comprend, pré-conclut; si le juriste approche le droit de la communauté qui n’est pas la sienne sur la base des moules de sa propre culture, alors la traduction est impossible (et également est impossible la comparaison). Un esprit brillant, Pierre Legrand, a pu formuler ces conclusions. Le comparatiste est invité a se rendre. Le traducteur est invité à se desister. 5. Le savant se renseigne. Le savant étudie. Le vingtième siècle est passé. Le savant constate que le nouveau siècle porte avec lui des suggestions nouvelles. Le savant se sent rassuré par le specialiste de l’ontologie appliquée, pour qui l’adoption de catégories uniformes est possible et normale même à travers les barrières linguistiques. Il se sent rassuré car les sciences cognitives ont bien établi que les procédés, par lesquels les diverses communautés humaines connaissent le réel, sont dans une large mesure uniformes. D’ailleurs, les faits sont incontestables. Et le savant constate que le juriste traduit. Il le fait sous nos yeux. Il n’a jamais traduit autant. Le juriste du Québec traduit contrat par contract: sûrement, il admet la possibilité d’un contract sans consideration. L’on pourrait penser, ici, à une langue juridique anglaise spéciale, élaborée par les Québécois. La chose ne serait pas étrange, mais la 7 TRADUCTION JURIDIQUE: TRADUCTION D’UN TEXTE INTRADUISIBLE? vérité est différente. Le common lawyer accepte de discuter le texte du projet de code civil européen, et le contract européen n’a pas besoin de consideration. Comment donc? Y-a-t-il une double notion, un double concept? Le contract est-il une promesse qui s’appuie sur une consideration si le juriste anglais parle à un common lawyer mais ce contract devient-il une autre catégorie quand le juriste anglais parle à un civil lawyer ou à un juriste dont il ne connait pas la qualification? Il faut constater que le vocable juridique n’a pas nécessairement une seule signification. Le mot contract, en tant que vocable de droit positif anglais ou américain, se rapporte à l’accord (agreement) fondé sur une consideration. Mais le common lawyer sait parler de contract pour indiquer une catégorie plus générale. Celle-ci englobe, à coté du contract, le contrat francais et le Vertrag allemand, qui ne comportent pas nécessairement un avantage pour le promettant ou un détriment pour celui qui stipule. C’est que la notion juridique peut être aussi bien une notion relevant d’un droit positif, qu’une notion (normalement plus générale) appartenant à la théorie générale du droit. Cette dernière est à l’origine d’un nombre indéfini de réalisations, qui mûrissent dans les diverses expériences culturelles et juridiques. Elle est axée sur des éléments intuitivement(20) considérés comme invariables d’un système à l’autre. La notion métapositive du contrat est axée sur l’accord, la convention, l’agreement, la Einigung, le consensus, le pactum. Quelqu’un a déja parlé, à cet égard, d’un génotype conceptuel, dont descendent ces multiples réalisations, ces multiples phénotypes. Au niveau génotypique, le contrat pourrait donc s’identifier à l’accord. Mais la langue juridique devrait aller de pair avec la richesse des idées du juriste. Nous avons vu que le contract du Common Law implique une consideration. Nous devons ajouter qu’il fait également allusion à un échange. A l’arrière plan du phénotype contract nous pouvons rencontrer soit le génotype “accord”, soit le génotype “échange”. Nous nous apercevons d’ailleurs que contrat peut correspondre, plutôt qu’à “convention” ou à “échange”, à 8 R. SACCO: TRADUCTION JURIDIQUE: TRADUCTION D’UN TEXTE INTRADUISIBLE? “promesse, qui engendre une confiance”. Témoignent en faveur de cette signification du mot l’article 1108 du Code Napoléon, qui mentionne comme condition à l’existence du contrat le consentement “de la (seule) partie qui s’oblige”, l’article 1333 du codice civile, et bien d’autres sources législatives et doctorales. Les résistances qu’opposent souvent les juristes à l’idée de contrat non libre, non autonome, nous prouvent aussi qu’un autre génotype possible correspondant au mot contrat est “acte d’autonomie”. Nous ne pouvons pas nous réjouir de la variabilité des significations des vocables juridiques: la langue d’une science a besoin de précision; l’élasticité est, plus qu’un luxe, un défaut. Pourtant, ce déficit de transparence linguistique nous permet de traduire. Plus encore, ce déficit de transparence linguistique nous permet de mettre dans un seul discours le même mot pour parler du droit français du XVIIIème et du XXème siècle, pour parler du codice civile et de la doctrine italienne. 6. La traduction juridique, que rend possible l’élasticité de la langue, rencontre parfois des alliés qui la rendent non seulement possible mais aussi tout à fait légitime. Le premier de ces alliés est le législateur. L’équivalence des deux textes légaux, adoptés pour exprimer la volonté d’un seul législateur, est axiomatique et ne peut souffrir d’exceptions. Les textes bilingues n’intéressent qu’un nombre limité de systèmes juridiques. En revanche, il arrive souvent que l’histoire d’un terme garantisse sa correspondance avec un mot appartenant à une autre langue; par exemple, lorsqu’un néologisme est introduit dans une langue seulement pour traduire un mot étranger. Le sens du néologisme est alors univoque. Lorsque la doctrine russe ou italienne parle de sdelka ou de negozio giuridico, la définition de la catégorie est claire dans la mesure où tous savent que ces mots traduisent l’expression allemande Rechtsgeschäft. Les usagers de deux langues peuvent aussi utiliser deux vocables pour indiquer une idée exprimée par tel mot dans une langue tierce. Ainsi, “louage” et Miete se correspondent car ils sont les équivalents du mot latin locatio. 9 TRADUCTION JURIDIQUE: TRADUCTION D’UN TEXTE INTRADUISIBLE? La plus grande partie du bagage lexical européen est traduisible en raison de ses origines liées, d’abord, à la traduction du latin au français, du latin à l’allemand, du latin à l’italien, ensuite à la traduction du français et de l’allemand à l’italien, au russe, au hongrois, à l’espagnol, au polonais, etc. Ces traductions-adoptions ont créé des langues juridiques dans les siècles passés. Peut être, le futur des langues du droit se trouve-t-il dans les traductions-adoptions. Le procédé fonctionne déja au Canada, où le Common Law parle non seulement l’anglais, mais également le français(6). La chose n’a rien d’étonnant. Les mots baillement (bailment), résidu (remainder) et chatel (chattel) sont utilisés au Canada. Si deux langues adoptaient ce procédé pour tous les mots qui n’ont pas encore un correspondant, la traduction pourrait être confiée, par la suite, à un ordinateur. Si une langue introduisait dans son dictionnaire tous les mots permettant d’assurer des traductions-adoptions à toutes les expressions juridiques présentes dans d’autres langues, elle mériterait, alors, d’être choisie comme la langue uniforme de la comparaison juridique(7). NOTES (1) VON CAEMMERER (dir.), Internationale Rechtsprechung zum Genfer einheitlichen Wechsel-und Scheckrecht, 1954 (autres éditions en 1987 et 1976). (2) Un certain nombre de rapports (dus à BEAUPRÉ, DE GROOT, HERBOTS, KITAMURA et SACCO) sont paru à Montréal, dans la collection Les cahiers de droit, XXVIII, décembre 1987. Voir aussi WROBLEWSKI, Le problème de la traduction juridique, dans <<Rapports polonais au XIIème Congrès international de droit comparé>>, 1986. (3) SACCO, La comparaison juridique au service de la connaissance du droit, Paris, Économica, 1991. (4) L’art. 222 du Traité de Rome, instituant la Communauté économique européenne, exclut toute incidence du même traité sur le régime de la <<propriété>>. En langue francaise, l’expression propriété pourrait comporter une interprétation allant jusqu’à la propriété littéraire. 10 R. SACCO: TRADUCTION JURIDIQUE: TRADUCTION D’UN TEXTE INTRADUISIBLE? (5) Malgré cela, des problèmes de traduction peuvent se présenter. Les Français appellent <<Grand-Duché>> de Varsovie l’État polonais créé à l’époque de Napoléon. Mais les Polonais l’appellent <<Kziestwo>> (Duché ou Principauté) Warszawskie. (6) Un centre international de la Common Law en français, CICLEF, existe à Moncton. (7) Le linguiste me rétorquera que tel mot anglais, sitôt que je le traduit en allemand, commence à modifier sa signification, et, dix ans après la traduction, aura acquis une valeur qui n’est plus celle du mot allemand. Le linguiste a, hélas, raison mais ces raisons ne sont pas de nature à nous troubler. En effet, les variations de signification qui interviennent sur une période relativement brève ne sont pas plus grandes que celles qui existent à l’intérieur d’une même langue entre les façon de s’exprimer de deux auteurs. La pratique s’accomode de ces difficultés mineures. 11