La Radio numérique terrestre Pour quoi faire et à quel prix ?
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La Radio numérique terrestre Pour quoi faire et à quel prix ?
LA RADIO NUMÉRIQUE TERRESTRE POUR QUOI FAIRE ET À QUEL PRIX ? LES SUJETS QUE NOUS ALLONS ABORDER… 1 -Conditions de l’évolution de l’audiovisuel 5 - Les trois secteurs de la Radio 6 - L’intérêt de la Fm 2 -Différencier la Radio et la Télévision 7 - Qu’apporte la Rnt ? 3- L’UIT pour la migration vers le tout numérique 8 - Quels sont les obstacles à la migration vers la Rnt ? 4 - L’hésitation vis-à-vis de la Rnt, l’exemple de la France 9 - En conclusion, pour la Rnt, vigilance et pragmatisme Pour qu’une technologie nouvelle s’implante à une échelle de masse, et à la condition première qu’elle soit au point, il faut qu’elle corresponde à un besoin nouveau de la population, que son coût soit accessible par le plus grand nombre et qu’une législation adéquate permettant son déploiement soit établie. Dans le domaine de la communication, c’est ainsi que se sont créés puis développés le téléphone filaire, la radio hertzienne, la télévision hertzienne en noir et blanc, puis la télévision couleur – à l’époque il a fallu changer les postes TV pour migrer vers la couleur le satellite, le téléphone portable, l’informatique et l’internet. Pour ces différents moyens, on peut décrire ce que chacun apportait de nouveau et les raisons de l’engouement populaire qui en a assuré le succès. Si on prend l’exemple du téléphone portable ou de l’internet, il n’y a pas eu besoin de grandes réunions internationales pour convaincre les populations d’en faire usage. Elles s’en sont emparées, regrettant en permanence les entraves mises au développement et à l’usage de ces moyens de communication. L’effort de l’Etat et la mobilisation des industriels a toujours suivi la demande populaire. Regardons ce qui s’est passé avec l’Internet dans un pays comme la France. Il a fait son apparition à la fin des années 90. Il n’a au début mobilisé que les intellectuels les plus branchés. Peu à peu, au fur et à mesure que les services se précisaient, le nombre de gens connectés, notamment dans les couches les plus huppés et les plus intellectualisées de la population s’est considérablement accru. Dès le début des années 2000, l’utilisation de l’internet s’est élargie aux classes populaires et, aujourd’hui, son usage s’est pratiquement généralisé. Pourtant, le coût d’un ordinateur est sans commune mesure avec celui que pourrait être le prix d’un poste captant la Rnt. C’est donc bien le nouveau service rendu par une technique nouvelle qui peut convaincre une population. Nous sommes ici pour étudier les diverses dimensions du passage au numérique du secteur de l’audiovisuel. Il faut incontestablement, dans ce domaine, différencier télévision et radio La télévision, aujourd’hui, est un média fixe, qui nécessite la concentration des yeux et des oreilles. Les opérateurs sont en nombre relativement limité, ce qui rend la question de la migration vers le numérique sensiblement moins complexe, même si, en particulier en Afrique, on est loin d’en avoir résolu tous les aspects. La radio est un média nomade qui ne mobilise que l’oreille et peut donc être écoutée dans le contexte d’une autre activité : elle nous suit dans notre salle de bain, se glisse dans notre lit, sonorise notre véhicule, nous accompagne en promenade. Comme le disaient les fondateurs de la radiodiffusion elle a pour mission d’informer, d’éduquer et de divertir. Aujourd’hui, Les opérateurs sont nombreux divers et pluriels. Il faut bien avoir en tête ces spécificités pour comprendre la différence d’approche et de complexité entre ces deux médias. Les instances internationales ont mis la pression sur la migration de tous les médias vers le numérique. L’Onu après deux rendez-vous importants (décembre 2003 à Genève et le Smsi – Sommet mondial sur la société de l’information- à Tunis en 2006) a voulu fixer une échéance incontournable. L’union Internationale des télécommunications (Uit) a tenu une conférence en mai et juin 2006 qui a débouché sur un traité international (Accord GE06) qui a fixé au 17 juin 2015 la fin de la radiodiffusion analogique, programmant ainsi la disparition des systèmes de diffusion (en vigueur depuis près de 50 ans) pour l’Europe, l’Afrique et le Moyen Orient. Mais depuis lors, les délais, concernant la radio (mais aussi la télévision dans la plupart des pays africains) sont sans cesse repoussés. Cette échéance, repoussée à 2020, vient à nouveau d’être reculée par l’Uit ! En France le CSA, notamment les deux responsables de la radio et du passage au numérique, Alain Méar et Rachid Arhab tentent de trouver toutes les solutions permettant la mise en place de la Rnt (Radio numérique terrestre). L’ex-ministre de la Communication, Frédéric Mitterrand, se contente d’en parler sans mettre de moyens sérieux au service de l’avancement du projet. L’ancien Premier ministre, François Fillon, avait commandé une première étude à Marc Tessier, avec le concours de la Direction du développement des médias. Publié en novembre 2009, le rapport qui en est issu est extrêmement réservé quant à l’avenir de la Rnt. MARC TESSIER PROPOSE DE REPORTER SON LANCEMENT AUX ANNÉES 2020. Il pose 4 questions qui situent le problème et expliquent son scepticisme : Le projet d’ensemble est-il finançable ? Le bénéfice consommateur, pour reprendre l’expression consacrée, est-il suffisant pour garantir le succès de l’opération ? Les équipements de réception, qu’ils soient dédiés à la radio numérique ou hybrides, seront-ils disponibles à un coût acceptable ? Dès le lancement et au cours des premières années ? Les nouveaux modes de réception et les usages des consommateurs qui en découlent ne vont-ils pas bouleverser le déroulement du projet comme son économie ? DAVID KESSLER : UN DEUXIÈME RAPPORT Un deuxième rapport, sensé rééquilibrer le premier et pour obtenir des réponses plus favorables à la Rnt a été commandité à l’ancien directeur de France Culture et ancien conseiller à la culture de Lionel Jospin, David Kessler. Dans ce document remis le 18 mars 2011 à François Fillon, alors Premier ministre du gouvernement français, David Kessler préconise un moratoire sur le déploiement de la Rnt et de s’en tenir pour l’instant à des expérimentations locales. Les radios commerciales (financées par la publicité et aux mains des puissances d’argent), la radio publique appartenant à l’Etat et chargée des missions qui lui sont dévolues les radios communautaires ou associatives appartenant à la population locale, à des associations, des Ong ou des cultes. Depuis longtemps, le secteur commercial a abandonné la mission de proximité et le Service public l’a largement relativisée. Ce sont donc les radios associatives ou communautaires qui comblent cette lacune. L’Unesco a reconnu depuis longtemps leur travail et leur légitimité et à ce titre considère qu’elles constituent le tiers secteur de la Radiophonie. Effectivement, elles sont un complément indispensable au fonctionnement démocratique du système médiatique. C’est ce secteur qui s’est battu pour la libération des ondes. Que ce soit la Ncrf en Afrique du Sud, l’Urtel au Mali, l’Arco au Congo, l’Abr au Burundi ou la Fnrl en France, la militance en faveur de la liberté des ondes venait des associations qui ont porté la responsabilité et les missions de ces médias. Dans le domaine de l’éducation, nombre d’entre elles travaillent avec des établissements scolaires du bassin d’écoute ; Dans le domaine de la santé : avec l’intervention de professionnels qui connaissent les pathologies du secteur géographique concerné ; Dans le domaine de la culture : ces radios sont souvent une première marche qui permet aux nouveaux talents de se faire connaître dans leur propre région ; Dans le domaine du pluralisme : elles permettent à toutes les sensibilités d’un territoire de s’exprimer ; Dans le domaine des droits : elles sont souvent très attentives à la thématique des droits de la personne humaine et interviennent notamment sur la question de la situation des femmes, sur celle des enfants, elles dénoncent les injustices, les stigmatisations et le racisme. Elles se situent dans le contexte général de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Dans le domaine linguistique : Etant des radios de proximité, elles peuvent s’exprimer dans la langue parlée et comprise par les populations de la région. Evidemment cette réalité est fondamentale pour l’Afrique où dans un même pays on peut parler, comme au Bénin, jusqu’à vingt langues différentes. Dans ce contexte, la tâche du service public qui voulait satisfaire toutes les communautés linguistiques était immense. Il est évident que de petites radios adaptées à un territoire relativement homogène linguistiquement sont beaucoup plus pertinentes. Dans un pays comme la France, où les langues régionales (breton, basque, occitan, corse…) ont été étouffées, elles sont d’incontestables vecteurs de revitalisation. PETITE HISTOIRE DE LA MODULATION DE FREQUENCE La modulation de fréquence, dont l’utilisation a été mise au point en 1933 aux Etats-Unis, est apparue en France dans les années 50 pour assurer au Service public des missions de proximité. L’histoire de la modulation de fréquence est instructive, parce qu’elle a des points communs avec la migration vers le numérique. Au début des années 50, une certaine asphyxie menaçait en France le réseau de l’Organisation de la radio et télévision française (Ortf) pour le système de diffusion en Grandes ondes et petites ondes. C’est alors que se fit jour l’idée d’utiliser la gamme réservée à la modulation de fréquence, inutilisée jusque-là en radiodiffusion pour le public (à part en Allemagne). Il fallait concevoir un réseau d’émetteurs couvrant l’ensemble du territoire, compte tenu que chacun ne pouvait avoir un rayon dépassant les 100 kms. C’était relativement aisé puisque la gamme d’ondes concernée était vide. Mais il y avait un problème de récepteurs : aucun modèle français n’était capable de recevoir la Fm. Il fallait donc les construire pour les mettre à disposition du public. L’industrie naissante se demandait si la seule perspective de meilleures conditions techniques de réception allait favoriser la vente en grand nombre d’un nouveau matériel comprenant la Fm. De son côté, la direction de la Radio Française hésitait à concevoir un nouveau programme en rapport avec les qualités de haute-fidélité du procédé, mais que peu d’auditeurs capteraient. Finalement, les patrons de la radio ont créé un nouveau programme qui a su attirer les auditeurs et susciter l’événement, ce qui a assuré la vente des nouveaux récepteurs. On le voit, c’est par sa capacité à proposer une nouvelle offre attractive qu’une nouvelle technologie a pu s’imposer et que le public s’est équipé pour la capter. Mais c’est aussi parce qu’il y avait le monopole qui pouvait décider seul des conditions de la mise en ondes d’une émission d’un genre nouveau (ce qui n’est évidemment pas le cas aujourd’hui en ce qui concerne la RNT). FM ET LIBÉRATION DES ONDES… Les pirates se sont emparés de cette technologie à la fin des années 60 pour mener leurs luttes radiophoniques contre le monopole de l’Etat sur les ondes, parce que leurs actions se situaient dans la proximité. A la mort du monopole, en 1981 pour la France, les radios autorisées l’ont été en Modulation de fréquence (FM), technique adaptée, comme on l’a vu, pour des territoires réduits et bien délimités. C’est aussi ce qui s’est passé en Afrique du Sud au début des années 90 ou au Mali après la révolution anti-Moussa Traoré, et, dans le contexte de la libération des ondes, dans toute l’Afrique. L’avantage de ce mode de diffusion est triple : Peu couteux, l’équipe peut gérer toute la chaîne, de la production à la diffusion, Le son diffusé par l’émetteur est conforme à celui produit à la sortie du studio. Tout le monde, dans la population, dispose d’un récepteur Fm sous une forme ou sous une autre. ANALOGIQUE ET NUMERIQUE PEUVENT COHABITER De plus, les radioteurs les plus dynamiques ou les plus huppés ont depuis longtemps intégré le numérique dans leur processus de travail non seulement dans la chaîne de production mais aussi dans la diffusion. Dans la chaîne de production, toutes les radios enregistrent, montent et produisent en numérique. En ce qui concerne la diffusion, de plus en plus de radios ont un site internet sur lequel elles émettent en streaming et à partir duquel elles peuvent être entendues sur des Smartphones et sur lequel elles produisent des données associées, certaines offrant une diffusion vidéo de leur studio. L’entrée du numérique dans le processus de travail des radios Fm a fait chuter le coût de production des émissions radios en en améliorant la qualité. La diffusion en numérique par le biais du streaming internet a permis de mettre à la disposition du monde entier les émissions Fm et de les archiver dans d’excellentes conditions de conservation. Au début, les commerciaux et le service public étaient des chauds partisans de la migration de la radio vers le numérique. La crise économique et les restrictions budgétaires ont bien refroidi cet enthousiasme ! Le service public traîne les pieds et les commerciaux y sont carrément opposés, d’abord à cause du coût de double diffusion (en analogique et en numérique) 1 - La diffusion numérique apportera une meilleure couverture des émissions dans le périmètre choisi. Ce point est sans doute le plus incontestable des avantages de la Rnt. 2 - On pourra augmenter sensiblement l’offre à la population. Mais l’offre est déjà très diversifiée et il y a encore dans la plupart des territoires de la place pour de nouveaux projets. En plus, dans une situation économiquement tendue, de nombreux opérateurs déjà en place ne voient pas d’un œil très favorable l’augmentation de la concurrence à de nouveaux venus. 3 - On pourra y ajouter des données associées que l’auditeur pourra voir sur l’écran de son récepteur. Dans une étude, le CSA décrit ce que pourraient être ces fameuses données à lire ou regarder : Des données directement liées aux programmes (titres de l’émission, photo des pochettes, livres albums, etc.) Des données permettant une consommation « à la carte » des contenus proposés (Podcasts…) Les services interactifs (jeux, sondages, votes, possibilités d’achat en ligne, etc.) Les données associées aux messages publicitaires. On peut également envisager des données non directement liées au programme diffusé (bulletin météo, informations routières, offres d’emplois, informations pratiques, etc.) Comme je l’ai rappelé au début de cet exposé, la radio est un média nomade dont le but est d’être écoutée et beaucoup de gens, chez les auditeurs comme chez les opérateurs, ne ressentent pas l’intérêt de sortir de cette spécificité orale. D’autant que pour ceux qui veulent l’écouter à partir d’un ordinateur, en streaming, ils peuvent y trouver cette fourniture de données associées. D’ailleurs, dans cette étude, le Csa soulève la question du danger potentiel de l’utilisation des données associées pour la conduite automobile, alors qu’on sait que c’est un des moments privilégiés d’écoute de la radio. POUR LES OPÉRATEURS 1 – Il faut changer de système de diffusion, les radios de proximité ne pourront plus assurer elle-même leur diffusion. Le coût de cette mise aux normes sera élevé. Si l’Etat ne soutient pas les radios associatives, elles n’y survivront pas. En ce qui concerne le service public, victime de nombreuses coupes budgétaires, elle entraînera soit une restriction d’activité soit une mobilisation financière de l’Etat qui ne semble pas du tout à l’ordre du jour. 2 - Selon les normes adoptées, comme c’est le cas en France, les radios seront contraintes de s’associer dans des multiplexes qui appartiendront à des sociétés commerciales et si l’une des radios ne veut plus ou ne peut plus payer les autres seront obligées de compenser. David Kessler dans son rapport propose une expérimentation pour la Bretagne. Il estime le coût du multiplexe à 1.700.000 € pour un an ! Ce qui pourrait représenter une somme de 15 à 20.000 € par mois et par radio. Si on compare à ce que paient les radios diffusées par Tdf aujourd’hui, c’est une somme de 8 à 10 fois supérieure dont il s’agit ! POUR LE PUBLIC… 3 - Enfin, il faut changer tout le parc de récepteurs de la population. Les gens ne vont pas acheter un récepteur numérique s’il n’y a pas de diffusion numérique, les opérateurs ne vont pas dépenser des sommes conséquentes pour s’équiper en diffusion numérique s’il n’y a personne pour les écouter. Les industriels ne vont pas fabriquer et mettre à la vente des récepteurs qui ne capteront pas de programme et que personne ne va demander. C’est l’histoire de la poule et de l’œuf ! Comme il n’y a pas d’argument décisif pour valider la migration, il faudrait un soutien conséquent de la puissance publique pour lancer une telle dynamique. Et aujourd’hui, en France comme au Sénégal, au Burundi ou ailleurs en Afrique, la priorité budgétaire n’est certainement pas dans ce domaine. Il faut agir contre la fracture numérique en aidant les médias dans l’accès à l’Internet. Il faut certainement des expérimentations mais surtout ne rien faire qui puisse mettre en péril la survie économique des opérateurs, que ce soit les commerciaux, mais aussi le Service public, dont les missions sont irremplaçables. Il faut aussi porter une attention particulière au tiers secteur dont l’importance des missions ne saurait cacher l’insoutenable fragilité. Il faut refuser la suppression de la Fm, tant que l’équipement du public et les moyens des opérateurs ne permettront pas une continuité des différents services. La difficile migration vers la Rnt risque d’être encore pendant longtemps un important sujet de controverse et de polémique. Peut-être jusqu’à ce qu’une nouvelle avancée technologique ne rende le débat obsolète… Cet exposé s’appuie sur les débats de Ouagadougou, en décembre 2009, lors d’un séminaire organisé par l’Agence intergouvernementale de la Francophonie avec les responsables médias d’une dizaine de pays africains et européens et de Dakar, en mai 2011, lors d’un colloque sur la migration vers le numérique au cours duquel sont intervenus les responsables sénégalais du passage au numérique et les dirigeants du secteur public de l’audiovisuel.