docteur, est-ce que mon pain quotidien doit être sans gluten

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docteur, est-ce que mon pain quotidien doit être sans gluten
F O R M A T I O N
C O N T I N U E
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DOCTEUR, EST-CE QUE MON PAIN QUOTIDIEN
DOIT ÊTRE SANS GLUTEN ?
La culture du blé a favorisé l’émergence des grandes sociétés humaines, mais aussi
de la maladie cœliaque, une entéropathie auto-immune causée par l’ingestion du gluten
présent dans certaines céréales, chez certaines personnes génétiquement prédisposées.
La réaction inflammatoire qui en résulte touche la muqueuse intestinale. Le seul traitement
est l’exclusion de tous les aliments contenant du gluten. Comme médecin de famille,
vous devez souvent penser à dépister la maladie cœliaque et à assurer le suivi
à long terme des patients chez qui elle a été diagnostiquée. Voyons comment.
Julie Carrier
COMPLICATIONS DE LA MALADIE CŒLIAQUE :
AVEC OU SANS SYMPTÔMES DIGESTIFS
CAS CLINIQUE NO 1
Vous voyez Nathalie, 30 ans, pour son bilan annuel
et diagnostiquez une anémie ferriprive. Devez-vous
penser à la maladie cœliaque ?
En plus des autres sources de spoliation, vous devez assurément envisager la maladie cœliaque. Cette dernière se
manifeste de façon caractéristique par des symptômes
digestifs (diarrhée, ballonnements) ou par une malabsorption de certaines vitamines et de certains minéraux (fer et
calcium) et nutriments. L’anémie ferriprive est donc très
fréquente chez les personnes qui sont atteintes de cette
maladie sans le savoir. Un sondage mené auprès des mem­
bres de l’Association canadienne de la maladie cœliaque
a ainsi révélé que 40 % des 2681 répondants avaient déjà
souffert d’anémie et qu’un répondant sur deux était anémique
au moment du diagnostic1. L’anémie est le plus sou­vent
ferriprive en raison de la malabsorption au long cours
du fer alimentaire. En effet, la maladie cœliaque commence
classiquement par une atrophie villositaire de l’intestin grêle
proximal, qui peut s’étendre à tout le petit intestin. Le fer
est surtout absorbé dans le duodénum. L’anémie survient
lorsque les réserves martiales sont épuisées. De plus, les
dommages à la muqueuse causés par la réaction immunitaire contre le gluten entraîneraient un certain degré de
spoliation digestive tandis que l’inflammation généralisée
ENCADRÉ 1
DÉPISTAGE DE LA MALADIE CŒLIAQUE3
Le test recommandé est le dosage des anticorps antitransglutaminase tissulaires de sous-type IgA, effectué chez une
personne qui consomme du gluten. Les IgA doivent être
mesurés puisque la déficience congénitale en IgA touche
0,2 % de la population générale, mais de 2 % à 3 % des personnes atteintes de la maladie cœliaque. Quant au dosage des
anticorps antigliadine, son efficacité est tellement faible qu’il
ne devrait tout simplement plus être prescrit. Le dosage des
anticorps antiendomysium et antigliadine désaminée est pour
le moment peu accessible.
produite contribuerait à provoquer une anémie semblable à
celle des maladies chroniques. La réponse clinique à la prise
de suppléments de fer par voie orale est sous-optimale alors
que l’anémie s’atténue chez plus de 90 % des patients après
l’adoption d’un régime sans gluten2.
Le dépistage de la maladie cœliaque est donc recommandé
chez Nathalie (encadré 13). Malgré la très bonne sensibilité
et spécificité de la sérologie, la biopsie duodénale demeure
essentielle à la démarche diagnostique chez l’adulte3. La ma­la­
die cœliaque est confirmée lorsque le résultat de la séro­logie
est positif et que la biopsie montre une atrophie des villosités
intestinales. Le diagnostic est probable lorsque la sérologie
positive est combinée à une lymphocytose intraépithéliale
sans atrophie villositaire.
La Dre Julie Carrier, gastro-entérologue, exerce au Centre hospitalier universitaire
de Sherbrooke et est professeure agrégée à la Faculté de médecine et des sciences
de la santé de l’Université de Sherbrooke.
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TABLEAU
MANIFESTATIONS EXTRAINTESTINALES DE LA MALADIE
CŒLIAQUE CHEZ L’ADULTE3,4
Anémie ferriprive réfractaire
h
Ostéoporose
h
térienne intestinale, un défaut d’intégrité de la muqueuse
intestinale (qui facilite l’entrée d’antigènes et de cytokines
dans la circulation porte) et une réaction inflammatoire
secondaire. Plus rarement, la maladie cœliaque est associée à d’autres maladies auto-immunes s’attaquant au
foie, comme une hépatite auto-immune et une cirrhose
biliaire primitive3.
Dermatite herpétiforme
h
Augmentation du taux de transaminases
h
Aménorrhée et sous-fertilité chez la femme
h
Fatigue chronique
h
Aphtose buccale récidivante
h
Hypoplasie de l’émail dentaire
h
Arthrite et arthralgie
h
Ainsi, pour Caroline, après avoir exclu les autres causes
d’hépatite (voir l’article du Dr Jean-Daniel Baillargeon intitulé : « La stéatose hépatique, plus que du foie gras ! », dans
le présent numéro), vous devez penser à faire le dépistage
de la maladie cœliaque par un dosage des anticorps antitransglutaminase et des IgA sériques.
Manifestations neurologiques
h
Ataxie
h
Neuropathie périphérique
h
Épilepsie
h
CAS CLINIQUE NO 3
Mme Leclerc, 55 ans, est de petite stature. Elle s’est fracturé
le poignet lors d’une banale chute. L’ostéodensitométrie
révèle une ostéoporose. Vous demandez alors un dosage
CAS CLINIQUE NO 2
Caroline, 28 ans, vous consulte pour une ordonnance
d’anovulants. Elle a une élévation des transaminases
(taux d’ALT et d’AST de deux à trois fois au-dessus de
la limite supérieure de la normale) depuis environ
six mois. Est-ce que ce tableau clinique fait partie des
manifestations extradigestives de la maladie cœliaque ?
Les symptômes atypiques de la maladie cœliaque peu­vent
inclure diverses manifestations extradigestives (tableau3,4).
Pour chacune, le diagnostic différentiel est très large, mais
la maladie cœliaque est souvent oubliée. Certains symptômes comme la fatigue chronique ou les manifestations
rhumatologiques ou neurologiques sont peu fréquents.
Quant au risque accru d’infertilité, au-delà de l’aménorrhée associée aux maladies chroniques, les résultats
des recherches sont controversés. Certains symptômes
cliniques plus caractéristiques de la maladie cœliaque chez
l’enfant et l’adolescent ont été présentés dans le numéro
du Médecin du Québec de février 2015 (voir l’article de la
Dre Brigitte Moreau intitulé : « Maladie cœliaque ou intolérance : du gluten à toutes les sauces ! »). Chez l’adulte,
une hausse isolée du taux d’enzymes hépatiques représente un mode de présentation relativement commun de
la maladie cœliaque5. L’augmentation des transaminases,
souvent modeste, est associée à des changements histologiques peu spécifiques et s’amende par une alimentation
sans gluten6. Les hypothèses expliquant les dommages
hépatiques comprennent la malnutrition, la pullulation bac-
30
Le Médecin du Québec, volume 50, numéro 4, avril 2015
des anticorps antitransglutaminase dont le résultat
est positif et une biopsie du duodénum qui confirme la
présence de la maladie cœliaque. Êtes-vous surpris ?
La maladie cœliaque est quelques fois diagnostiquée tardivement. Une enquête canadienne effectuée il y a une
décennie révélait un délai moyen de près de douze ans
entre l’apparition des symptômes et le diagnostic de maladie cœliaque confirmée par biopsie1. L’ostéoporose est une
complication silencieuse de la maladie cœliaque et d’années d’alimentation à base de gluten. Il faut y penser et la
rechercher. La faible minéralisation osseuse serait due à :
1) une malabsorption des vitamines et minéraux, dont la
vitamine D et le calcium essentiels à la santé des os ; 2) la
production de cytokines par l’intestin enflammé, ce qui
favorise la résorption osseuse, et 3) l’atteinte d’un faible
capital osseux chez les patients dont la maladie était présente dès l’adolescence7. La petite stature de Mme Leclerc
pourrait être due à une maladie cœliaque dont le diagnostic
n’aurait pas été fait auparavant. L’étendue de l’augmentation du risque d’ostéoporose fracturaire chez les adultes
atteints de maladie cœliaque est controversée. Par contre,
les sociétés savantes, dont l’American Gastroenterological
Association, recommandent d’effectuer une ostéodensitométrie au moment du diagnostic et de traiter l’ostéoporose
selon la stratification du risque de fracture3.
Vous pouvez encourager Mme Leclerc puisque les données
indiquent que la densité osseuse augmente de façon considérable dans l’année suivant l’adoption d’une alimentation
sans gluten.
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MALADIE CŒLIAQUE DIAGNOSTIQUÉE :
CONTRIBUTION DU MÉDECIN DE FAMILLE
À LA PRISE EN CHARGE
CAS CLINIQUE NO 4
Mme Nault prépare les repas de son mari qui a eu récemment
un diagnostic de maladie cœliaque. Elle est en attente
d’une consultation auprès d’une diététiste, mais aimerait
savoir ce qu’est le gluten et quels aliments en contiennent.
Ce que l’on appelle communément « gluten » est une famille
de protéines visqueuses et insolubles dans l’eau que l’on
trouve dans les grains de plusieurs céréales. En formant
des mailles, le gluten fait lever les produits de boulangerie
en emprisonnant les bulles de CO2 qui se forment lors de la
fermentation de la pâte. En raison de sa texture élastique et
agréable, le gluten est utilisé dans une multitude de sauces
et de mets préparés, ce qui en rend l’exclusion stricte de
l’alimentation difficile. En soi, les protéines de gluten ne
sont pas nocives, mais contiennent beaucoup d’acides aminés difficiles à cliver par nos enzymes digestives, ce qui
favorise une réaction immunitaire contre ces peptides chez
une personne sensible. L’apprentissage d’une alimentation
sans gluten nécessite l’aide d’une diététiste. D’ici à son
rendez-vous avec la diététiste, vous donnez à Mme Nault un
petit cours « Gluten 101 ». Le grain est la semence de certains végétaux. Il est constitué du son, l’enveloppe du grain
(riche en fibre insoluble), du germe (riche en lipides et en
protéines) et de l’endosperme (riche en amidon). Les trois
parties des grains de blé, d’orge et de seigle contiennent du
gluten et ne doivent donc pas être consommées en cas de
maladie cœliaque. Après une période d’exclusion, l’avoine
pure et certifiée non contaminée par d’autres céréales
pourrait être réintroduite en petite quantité, car la réponse
immunologique à l’avénine, une protéine, est peu fréquente.
Il est à noter que certains grains dits anciens, qui font l’objet
d’un engouement récent, contiennent du gluten : l’épeautre
et le kamut sont des variétés de blé alors que le triticale est
un hybride du blé et du seigle. Le riz et le maïs sont tou­tefois
exempts de gluten. De plus, les membres de la famille des
graminées, telles que le millet, le tef et le sorgho, ainsi que
les « pseudocéréales » comme l’amarante, le quinoa, le chia,
le sésame et le sarrasin ne contiennent pas de gluten. Même
si tous ces produits sont naturellement sans gluten, ils
peuvent être contaminés en culture, durant le transport et
pendant la mouture. Il est donc recommandé de choisir des
farines et des produits dérivés certifiés « sans gluten » par le
fabricant puisque la teneur en gluten y est alors de moins de
20 ppm, seuil établi par Santé Canada pour autoriser cette
allégation. La maison est aussi un lieu de contamination
par le gluten !
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Mme Nault doit donc prendre des précautions pour utiliser
dans les mets qu’elle prépare des produits sans gluten,
quitte à ajouter à sa portion à elle des produits contenant
du gluten dont elle ne voudrait pas se priver. Elle doit aussi
être vigilante afin d’éviter la contamination par contact des
surfaces de travail. Par exemple, un grille-pain à l’usage
exclusif de produits sans gluten est suggéré. Comme il est
difficile d’assimiler toutes ces informations, Mme Nault pourrait consulter les sites Internet de la Fondation québécoise
de la maladie cœliaque (www.fqmc.org) et de l’Association
canadienne de la maladie cœliaque (www.celiac.ca). Par
ailleurs, le parrainage d’une personne atteinte pourrait l’aider à mettre en pratique le régime sans gluten.
CAS CLINIQUE NO 5
Vous voyez pour la première fois M. Gendron, 55 ans.
Il a reçu un diagnostic de maladie cœliaque il y a plus
de dix ans dans le cadre de l’évaluation d’une diarrhée
chronique, les résultats de sa sérologie et de sa biopsie
du duodénum ayant été positifs. Il fait de son mieux pour
manger sans gluten et n’a plus de symptômes digestifs.
Quel devrait être son suivi ?
Les personnes souffrant de la maladie cœliaque devraient
faire l’objet d’un suivi médical à long terme. Compte tenu du
nombre de personnes atteintes, il est raisonnable que ce soit
le médecin de famille qui assure ce suivi. Habituellement,
pendant la première année, la prise en charge est multidisciplinaire. Ainsi, le patient se fait expliquer son diagnostic
par le gastro-entérologue et est dirigé vers une diététiste
pour recevoir l’enseignement sur l’alimentation sans gluten.
Il est par la suite revu de trois à six mois plus tard pour une
réévaluation de ses symptômes, de ses carences nutritionnelles et des complications détectées durant l’évaluation
initiale ainsi que pour l’encourager à maintenir un régime
comportant une exclusion stricte du gluten. Les personnes
dont la réponse initiale à une alimentation sans gluten est
bonne et dont l’observance alimentaire est adéquate sont
revues par le gastro-entérologue un an et quelques fois
deux ans après le diagnostic. Les anticorps antitransglutaminase sériques sont alors dosés, une réduction marquée
des titres ou une normalisation étant attendue. La persistance d’un titre élevé est fortement associée à une prise
de gluten involontaire. Une réévaluation par une diététiste
est alors suggérée. Par contre, le dosage des anticorps antitransglutaminase n’est pas assez sensible pour détecter
un faible degré de contamination par le gluten. Les personnes ayant besoin d’un suivi à plus long terme par un
gastro-entérologue sont celles dont la maladie cœliaque
est réfractaire, c'est-à-dire chez qui les symptômes ou les
31
ENCADRÉ 2
BILAN (VISITES INITIALE
ET ANNUELLE)3
Les visites initiale et annuelle devraient inclure le contrôle des
anomalies notées au moment du diagnostic (dont la mesure
de la densité osseuse), la détection de la malabsorption et de
carences nutritionnelles (formule sanguine, ferritine, folate,
vitamine B12, vitamine D, calcium) et des problèmes associés
(ALT, phosphatase alcaline, TSH).
signes de malabsorption ne se résolvent pas complètement
après un an en dépit d’une exclusion stricte du gluten de
l’alimentation. Il n’y a pas de recommandation en ce qui
a trait à un contrôle par biopsie après une alimentation
sans gluten, en raison d’un manque de bienfaits prouvés
et des années nécessaires à la normalisation complète des
lésions intestinales.
Si cela n’a pas été fait au moment du diagnostic, M. Gendron
devrait être vacciné contre le pneumocoque, la maladie
cœliaque étant associée à une réduction de la fonction
splé­nique et, donc, à une moindre immunité contre les
bactéries encapsulées 4. Puisque la maladie de M. Gendron
s’est stabilisée et que son alimentation sans gluten est
adé­quate, l’encadré 23 vous indique les tests de contrôle
à effectuer. Le suivi annuel avec un médecin de famille
abordant l’alimentation sans gluten est un des facteurs
clairement associés à une observance au long cours8. Une
consultation avec une nutritionniste doit être demandée
si une contamination par le gluten est soupçonnée. Une
réévaluation par le gastro-entérologue est suggérée si la
réponse clinique à l’exclusion du gluten semble diminuer,
s’il y a persistance ou réapparition des anomalies notées
au moment du diagnostic ou si de nouveaux symptômes
digestifs apparaissent.
DÉPISTER ET DIAGNOSTIQUER LA MALADIE
CŒLIAQUE À LA DEMANDE DU PATIENT ?
CAS CLINIQUE NO 6
Mme Fortin, 55 ans, se demande si elle devrait subir
un dépistage puisque sa sœur est atteinte de la maladie
cœliaque. Elle ne présente toutefois aucun symptôme
digestif ni aucune anomalie de laboratoire compatible
avec cette maladie.
Il est vrai que la prévalence de maladie cœliaque dans la
fratrie d’une personne atteinte est élevée : de 5 % à 20 %
selon les études9,10. Par contre, l’utilité d’entreprendre une
32
Le Médecin du Québec, volume 50, numéro 4, avril 2015
démarche diagnostique pour Mme Fortin est incertaine. En
effet, chez les personnes sans symptômes qui ont reçu un
diagnostic à la suite d’un examen de dépistage, la morbidité
à long terme de la maladie est inconnue et les avantages
associés à l’exclusion du gluten de l’alimentation sont
controversés3. D’un côté, la plupart de ces patients présentent une réelle entéropathie à la biopsie initiale du
duo­dénum. Bien qu’ils disent n’avoir aucun symptôme, une
anamnèse détaillée révèle souvent certains symptômes
gastro-intestinaux qui s’amendent après l’adoption d’une
alimentation sans gluten, notamment les indigestions et
le reflux gastro-œsophagien11. Il est donc possible que des
symptômes digestifs aient été présents, mais peu incommodants. D’un autre côté, ces patients deviennent plus anxieux
à la suite du diagnostic et connaissent une détérioration
de leur fonctionnement social lorsqu’ils sont soumis à une
alimentation sans gluten11. De plus, l’observance alimentaire stricte pourrait être difficile à justifier et à atteindre
au long cours.
Puisque Mme Fortin soulève la question, il serait raison­na­ble
de faire le dépistage de la maladie cœliaque, après l’avoir
informée des controverses existantes. Il n’est cependant
pas encore suggéré d’entreprendre le dépistage à grande
échelle des personnes sans symptômes dont un membre
de la famille souffre de maladie cœliaque.
CAS CLINIQUE NO 7
Mme Potvin, 50 ans, ne mange plus de gluten depuis
des années sur les conseils d’une amie. Elle avait
de légers symptômes digestifs non spécifiques
qui ont disparu. Elle aimerait que vous lui confirmiez
les bienfaits de cette alimentation pour elle. Quelle
approche devez-vous adopter ?
L’alimentation sans gluten, vue comme une alimentation
santé, est une tendance qui ne peut être ignorée. Bien que
les causes d’un accroissement de la prévalence de la ma­la­die
cœliaque soient inconnues, une plus grande consommation
de grains contenant du gluten, les modifications environnementales et de la flore bactérienne et la hausse générale
de l’auto-immunité comptent parmi les hypothèses formulées. Une partie de la population particulièrement motivée
est donc convaincue qu’il est préférable de ne pas consommer de gluten du tout. Par contre, l’adoption d’un régime
sans gluten avant les examens paracliniques appropriés
ne devrait jamais être entreprise ni encouragée, car le diagnostic s’en trouve alors compromis. En effet, les titres
d’anticorps antitransglutaminase ont une forte valeur
prédictive positive pour la maladie cœliaque, mais se normalisent lorsque l’alimentation est exempte de gluten. Il en
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est de même des biopsies du duodénum, la guérison histologique de la muqueuse intestinale se faisant progressivement
sur une médiane de trois ans12. Il est par contre possible
d’exclure la maladie cœliaque par un test de susceptibilité
génétique. En effet, les génotypes DQ2 ou DQ8 du système
de présentation de l’antigène HLA sont présents chez de
30 % à 40 % de la population de descendance européenne
et chez 99 % des personnes atteintes de maladie cœliaque13.
Donc, si le dosage des antigènes HLA DQ2 ou DQ8 est
négatif, vous pouvez affirmer que Mme Potvin n’a pas de
pré­disposition génétique et qu’un diagnostic de maladie
cœliaque est donc improbable. En revanche, la présence des
antigènes HLA DQ2 ou DQ8 ne confirme en rien ce dia­gnos­­
tic. Si elle est porteuse, Mme Potvin devra se soumettre à un
test de provocation au gluten afin de confirmer ou d’infirmer un diagnostic de maladie cœliaque14. Si elle accepte
la démarche suggérée par l’American Gastroenterological
Association, elle devra donc prendre du gluten tous les
jours pendant au moins deux semaines, mais de préférence
pendant huit semaines, suivie du dosage sérologique des
anticorps antitransglutaminase et d’une biopsie du duo­
dénum par gastroscopie3.
CONCLUSION
La maladie cœliaque est fréquente, environ 1 % de la population en étant atteinte. Ses principales complications, comme
l’anémie ferriprive, l’ostéoporose et les perturbations du bilan
hépatique, surviennent souvent en l’absence de symptômes
digestifs et devraient entraîner un dépistage par dosage des
anticorps antitransglutaminase et des IgA totaux. Après la
confirmation du diagnostic par une biopsie du duodénum,
un régime strictement sans gluten doit être adopté et –
surtout – maintenu à vie. La prise en charge annuelle par le
médecin de famille devrait mettre l’accent sur l’observance
de l’alimentation sans gluten et sur le dépistage de carences
nutritionnelles et d’autres maladies auto-immunes. //
Date de réception : le 27 octobre 2014
Date d’acceptation : le 18 novembre 2014
La Dre Julie Carrier n’a déclaré aucun intérêt conflictuel.
POUR EN SAVOIR PLUS...
Moreau B. Maladie coeliaque ou intolérance : du gluten à toutes
les sauces ! Le Médecin du Québec 2015 ; 50 (2) : 43-7.
h
lemedecinduquebec.org
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SUMMARY
Doctor, Should My Daily Bread Be Gluten-Free? Celiac
disease is common and often manifests in non-gastrointestinal
disorders in people presenting with few or no digestive
symptoms. This article discusses iron-deficiency anemia,
liver function disturbances and osteoporosis. Celiac disease
is detected through an anti-tissue transglutaminase
antibody test and confirmed by duodenal biopsy. Working in
collaboration with a gastroenterologist and a dietician, the
family physician must often explain what this disease is and
what a gluten-free diet consists of. This article also introduces
the initial management of patients with celiac disease and
suggests a long-term follow-up approach. There is a growing
infatuation with gluten-free diets based on their alleged
health benefits or following diagnosis in a sibling. Some
of your asymptomatic patients ask you about the benefits
of a diagnostic procedure. This article will provide you with
a few points for discussion and highlights the need to
establish a diagnosis before excluding dietary gluten.
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