Vente en letat - L`e-BB

Transcription

Vente en letat - L`e-BB
« Vente en l’état »
Un crime à Boulogne–Billancourt
M.A. Graff
-
Zut ! grommela Jo tout en suçotant son doigt endolori.
Un instant d’inattention en décapant un mur et elle venait de tenter de se raboter l’index….
Décidément, les travaux manuels n’étaient pas sa tasse de thé. Mais bon, elle tenait à
présenter au tapissier des murs débarrassés de l’horrible papier peint jauni, au moins
centenaire, qui décorait les murs de l’entrée, ne serait-ce que pour vérifier l’état des parois.
Un instant, elle promena un regard satisfait autour d’elle… même s’il leur faudrait assumer
beaucoup de travaux, avoir pu racheter cette maison ancienne de la rue Tisserand, à
Boulogne-Billancourt, constituait une chance unique pour un jeune couple. La bâtisse était
assortie d’un jardin de dimensions correctes, idéal pour une famille. Les parents de
Joséphine, dite Jo, avaient habité non loin de là à Boulogne et savaient que la maison était à
l’abandon depuis des années… ils avaient démarché diverses études notariales sans trop y
croire avant de dénicher la perle rare, un notaire au moins aussi âgé que la maison qui leur
avait facilité les démarches nécessaires. Il avait connu la précédente propriétaire, d’une
excentricité notoire, qui était morte intestat à l’étranger… Il leur avait fallu longtemps avant
de retrouver un neveu de la vieille dame qui avait consenti à la vente de bonne grâce pour
un prix raisonnable, de toute façon grevé par des droits de succession démentiels.
Jo se rendit dans la cuisine, et ouvrit la porte du réduit. Au pied de l’escalier en bois
antédiluvien où s’affairait son tout récent mari armé d’une lampe de poche, elle sourit avec
tendresse.
-
Alors, Laurent ? Tu t’en sors ? As-tu trouvé un trésor enfoui ?
Deux éternuements lui répondirent, ainsi qu’un bruit de trompette sonore.
-
Pour l’instant, j’ai surtout découvert une collection de souris, d’araignées et de
détritus datant au moins d’avant-guerre, répliqua-t-il du fond de la cave. Il n’y a pas
trop de bazar ici, ce n’est pas si catastrophique que je le pensais, et on pourra faire
un bel espace de stockage de cette cave, mais tout le chauffage et les arrivées
d’eau sont à refaire. Certaines ont visiblement éclaté lors des précédents hivers. On
a bétonné une partie pour limiter l’humidité de la terre battue, heureusement, mais il y
a du travail ici.
Avec agilité, Laurent grimpa l’escalier qui ouvrait en pente raide vers la cuisine et essuya ses
mains à un chiffon. Il fit un grand sourire à sa femme, tandis que son oreille droite s’ornait
d’une longue toile grise où paradait une minuscule araignée, apparemment avec flegme.
-
On ne peut pas gagner à tous les coups, en enlevant le capitonnage et la moquette
nous avons déjà découvert un magnifique parquet et une rambarde d’escalier en
acajou de toute beauté… je préviens Lambert tout de suite. Il va nous évaluer ça.
-
Attends, que je te rende beau, rit sa femme en lui ôtant la toile d’araignée et
l’époussetant à la hâte.
Quelques instants plus tard, Laurent revenait dans la pièce accompagné d’un homme
imposant d’une cinquantaine d’années au visage massif et rougeaud, flanqué d’un jeune
homme noir à casquette, maculé de poussière blanche et armé d’une pioche.
- J’ai fait l’état des lieux. Il va falloir refaire toute l’électricité, les arrivées d’eau et le
reste, fit le jeune homme en ouvrant largement la main. Bref, il y a du pain sur la
planche.
-
Je vais voir ça, déclara Monsieur Lambert en bombant le torse d’un air important – ou
plutôt la panse. Ray, tu me suis.
Le jeune homme, de son vrai nom Raymond-Charles, obtempéra aussitôt et descendit avec
agilité le long de l’échelle avec son patron.
-
Que comptes-tu faire maintenant ? demanda Jo.
-
Vérifier l’état du jardin, déclara son mari d’un air résolu. Les ronces ont tout envahi, et
l’ancienne serre menace ruine. Il faudra peut-être la refaire aussi.
-
Essayons de remettre d’abord en état le bâtiment principal, fit Jo en riant.
Ils avancèrent pas à pas dans le jardin aux hautes herbes folles pour rejoindre l’ancienne
serre, dont un des côtés était parsemé d’outils rouillés et où trônait une vieille brouette
renversée.
-
Quels crétins, fit Laurent en les désignant. Alors qu’il était si simple de les rentrer
dans l’établi.
-
Monsieur Cachon ! Monsieur Cachon !
-
Quoi ?
Le couple se retourna pour découvrir Monsieur Lambert, au visage couvert de sueur,
accourir vers eux en tenant une bouteille de whisky à la main.
-
Eh ! Mon malt écossais ! s’indigna le jeune homme.
-
Ray… Ray a voulu… voir si la couche de ciment… était profonde, balbutia Lambert. Il
a donné des… coups de pioche dedans…
-
Et alors ? gronda Laurent, dont les yeux ne quittaient pas sa précieuse possession.
-
La dalle… du boulot d’amateur… ça s’est effrité… Bon sang, Ray est tombé dans les
pommes… Il y a …

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