Retranscription de la conférence du philosophe Denis Faïck du 2

Transcription

Retranscription de la conférence du philosophe Denis Faïck du 2
Mieux comprendre l’homme au travail
www.apap-accompagnement.fr
Sait-on vraiment de quoi on parle
quand on parle de travail ?
Atelier du 2 février 2015
Animé par le philosophe Denis Faïck
Transcription : Clémence Dallez
Les valeurs de l’APAP : décloisonner, dialoguer, divertir.
Bonjour à tous, je suis Denis Faïck, je suis enseignant chercheur en philosophie. Ce
n’est pas fréquent pour moi d’avoir un public comme vous puisque je suis souvent en face
d’étudiants, donc cela me permet d’avoir moi-même une expérience différente. Vous avez
l’air tous très impliqués dans l’application, dans la question du travail, je pense que vous
avez beaucoup de questions, et je pense que vous allez m’apporter plus que ce que moi je
vais vous apporter. Pourquoi la philosophie viendrait s’immiscer ou participer disons à ce
questionnement de comprendre le travail. Simplement, notre petite participation consiste à
se poser la question tout à fait en amont, à l’origine, la question de qu’est-ce que le travail ?
C’est le rôle de la philosophie de se poser ce genre de question, c’est-à-dire la question de
l’identité, la question du concept, ce qu’on appelle un concept chez nous, et de revenir pour
cela proposer des pistes de recherche, on essaie de remonter tout à fait aux origines.
Pourquoi faisons-nous cela ? Toutes les notions qu’on appelle philosophique, le
travail en est une, mais aussi sociologique, etc., si on remonte à l’origine et qu’on se pose
cette question, c’est parce qu’on utilise tous ce mot, très souvent, non seulement d’ailleurs
pour le travail professionnel, mais si par exemple en rentrant chez moi je peins pour me
détendre, si mes enfants viennent me voir et me dérange, je vais leur dire « attends, je
travaille », alors que je ne suis plus du tout dans le contexte de mon travail professionnel.
Nous disons très fréquemment ce mot, et au moment où finalement on se pose la question
de « qu’est-ce que le travail », on va se rendre compte très vite que donner une définition
claire, précise, concise et circonscrite est très compliqué. Il est beaucoup plus facile de
donner une définition à des termes très complexes d’une terminologie, physique,
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sociologique, psychologique. Il est beaucoup plus difficile de donner une définition à un mot
aussi commun, fréquent, présent dans tous les dictionnaires tout simplement parce que, si je
vous pose la question « je suis à mon bureau je travaille », je suis en train de peindre, je suis
musicien, je travaille, je suis artiste peintre ou peintre en bâtiment les deux disent «je
travaille »… Nous avons une multitude d’activités qui les unes des autres ont des différences
considérables et pourtant, on utilise toujours ce mot-là. Quel est le point commun ?
Evidemment, si l’on prend la définition d’un dictionnaire, c’est une définition très
générale, très succincte… Quel est le point commun entre l’ensemble de ces travaux qui
sont d’une différence qui apparemment les oppose totalement, mais qui utilisent le même
terme ? C’est la question du philosophe, de quoi parle-t-on quand on parle de travail ? La
question que l’on se pose, c’est la question de l’identité. Qu’est-ce qui fait qu’un travail en est
un ? La deuxième chose quand on remonte toujours à l’origine, on s’aperçoit que le travail
est une notion qui est ambiguë car elle possède deux pôles, qui apparaissent comme deux
pôles contradictoires. La difficulté continue. Quand on se promène un petit peu et qu’on
s’aperçoit que même quand on va essayer de trouver des brides de définitions, on va voir
qu’elles se retrouvent dans deux pôles contradictoires. Je suis allé voir ce qu’il se passe du
côté du latin, du grec ancien, et par exemple dans le latin on trouve dans l’étymologie, on
trouve un terme qui est « tripalium » qui nous renvoie à ce qu’on peut définir comme un
instrument de torture, qui permettait de maintenir les animaux afin de pouvoir les marquer. Ici
nous avons l’idée de la douleur physique. On peut trouver le mot opéra, c’est l’activité, le
travail, mais là on n’a plus cette idée de souffrance, de douleur, de difficulté. C’est l’activité
dans le sens très général. Si je continue de me promener, je vais voir du côté du Grec
Ancien, on retrouve le mot « ergasesthai » qui veut dire l’activité mais dans le sens du
labeur, il y a la sueur, la difficulté, on trouve le mot « ergon », qui renvoie à l’activité mais pas
ici forcément l’idée de la douleur, de la difficulté. Dans le latin, on trouve aussi le mot « labor
», le « labor » c’est le labeur, c’est le poids de la difficulté, le poids de la douleur, des efforts
physiques et psychologiques qu’on peut engager dans des travaux. Quand on remonte tout
à fait aux origines, on s’aperçoit que c’est deux pôles sont toujours présents. Dans les
langues vivantes, en français, nous avons travail, labeur, mais on a aussi le mot œuvrer.
Quand j’œuvre pour faire quelque chose, c’est qu’il y a bien une activité, un mouvement. Si
vous allez voir un petit peu en anglais, on a labour », et « work ». En allemand, « werk ».
C’est pour dire que ces deux pôles nous montrent à la fois un travail qui est difficulté,
douleur, pénibilité, et en même temps un travail qui est constructivité, création, activité,
puisque le peintre, le cinéaste, le poète sont aussi des gens qui travaillent.
Donc on a ces deux pôles, on a une multitude de travaux de toute sorte qui a priori
n’ont aucun rapport les uns avec les autres. Et donc, si je repose ma question « qu’est-ce
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que le travail », on est quand même embêté. Comment va-t-on faire ? On va essayer de
nous repérer dans l’ensemble de ces activités-là. Dans le français, le verbe travailler, vous
savez quand on dit « travailler au corps », je travaille quelqu’un pour qu’il accepte de faire
quelque chose, ça veut dire quoi ? Cela veut dire mettre une activité en œuvre de telle sorte
que je puisse réaliser une finalité. Le menuisier qui travaille le bois, il lui donne une forme.
Dans cette définition du travail on peut proposer que travailler c’est donner une forme à de
l’informe, faire naître une finalité, un processus, accomplir, épanouir quelque chose qui à la
base ne l’était pas. Différents sens, différentes pistes, chemins qui vont nous aider à donner
un sens à tout cela.
Dans notre culture, civilisation judéo-chrétienne, la présence du travail est très
particulière. Si vous remontez à la genèse, première étape, vous avez l’Eden, Adam et Eve
sont là, c’est le bonheur, tout va bien. Après l’acte du pêcher dans la bible, l’histoire de la
pomme, l’interdiction divine de toucher à l’arbre de la connaissance. Surgit le châtiment : il
est double, concernant l’homme : à partir de maintenant tu devras dans une terre qui ne te
donnera plus immédiatement ce dont tu as besoin pour vivre, tu vas devoir travailler, gagner
ton pain à la sueur de ton front, tel est ton châtiment. Le travail dans cette culture judéochrétienne, le travail est un châtiment. Et tout châtiment a priori est accompagné d’une
douleur, souffrance, contrainte. Deuxième châtiment, celui d’Eve, il est dit que « tu
enfanteras en travail », « dans la douleur ». Dans cette culture, le travail est quelque chose
de très compliquée, et ici liée plutôt à la douleur. Maintenant si on laisse cette tradition, et
qu’on s’attache au Grec, 5ème /6ème siècle avant Jésus Christ, là où naît notre fondement, si
on regarde le travail, qui travaille ? Ce sont les artisans et les esclaves, et les artisans. Les
artisans sont très mal considérés dans la littérature de la Grèce antique, les paysans pas
plus, et les esclaves sont très mal considérés. Ceux qui ne travaillent pas sont les Nobles,
c’est eux qui commencent à philosopher. La philosophie naît grâce aux gens qui travaillent.
A l’origine de notre culture philosophique, religieuse, le travail est quelque chose de tout à
fait négatif. Seulement, remontons un petit peu à l’origine et dans les mythes. Les mythes
fondateurs, il en reste toujours quelque chose dans notre civilisation. Si l’on regarde le mythe
de Prométhée, dans la version de Platon. Vous savez Zeus a créé les animaux, a créé les
hommes, et il confie à Epiméthée, le frère de Prométhée, la charge de donner aux animaux
et aux hommes de quoi pouvoir survivre dans la nature (griffes aux ours, pelage, vitesse..).
Tous les animaux ont eu quelque chose pour pouvoir survivre dans la nature. Prométhée
étant un peu « tête en l’air », il a oublié les hommes. Il se rend compte que les hommes ne
vont pas pouvoir survivre dans la nature puisqu’ils sont démunis de tout, physiquement ils
n’ont pas la capacité de pouvoir survivre. Et c’est là que Prométhée vole l’aptitude à pouvoir
faire du feu, et le donne aux hommes. Et cela est important, l’aptitude, c’est à dire qu’il
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donne aux hommes la capacité à créer un instrument, un outil, qui va leur permettre de
survivre en faisant du feu. Si on analyse un peu le mythe, on voit que finalement à quoi est
due la survie de l’homme ? Si l’humanité survie c’est parce qu’elle devient homofabeur :
l’homme qui fabrique. Sans cette aptitude-là, l’homme ne pouvait pas survivre. Si bien que à
la définition « qu’est-ce que l’homme ? », on pourrait répondre « L’homme qui fabrique »,
l’homme qui de par son activité, produit un outil.
Si l’essence, l’identité de l’homme c’est précisément de produire, de créer, de
concevoir un outil pour sa survie, s’il n’y a pas d’homme sans cela, ça signifierait qu’il ne
peut pas se passer de travailler. Est-ce à dire que l’homme ne peut pas se passer de souffrir
? C’est une question à laquelle je vais vous proposer des pistes de recherche.
Donc l’homme en tant qu’homofabeur. Hegel est très célèbre pour sa réflexion sur le
travail. Sa réflexion est très connue sous le nom de la dialectique du maître et de l’esclave.
Je vais vous raconter cela sous forme de petite histoire. Le début de l’humanité c’est deux
hommes qui se rencontrent. Et comme Hegel est un peu pessimiste au début, il nous dit que
ces deux hommes vont rentrer dans une lutte et dans un combat à mort. Pourquoi ? C’est la
nature, les animaux se rencontrent, ils luttent les uns contre les autres pour leur survie, les
humains font la même chose. Il y en a un dans ce combat qui gagne et un qui perd. Celui qui
perd dans ce combat demande la grâce, contrairement aux animaux, celui qui est croqué
finit en déjeuner. L’homme demande la grâce, mais il devient esclave de celui qui a gagné,
d’où les mots maître et esclave. Hegel nous dit à l’origine, c’est le maître qui domine.
Seulement que se passe-t-il nous dit Hegel, au fur et à mesure, quelle est la tâche de
l’esclave ? C’est de travailler pour son maître. C’est l’esclave qui est dans l’activité, c’est
l’esclave qui fait tout. Que se passe-t-il dans la vie du maître ? Le maître n’a pas besoin de
travailler. Au fur et à mesure que le temps passe, le maître n’est jamais en contact avec les
lois de la nature, jamais en contact avec la loi des choses, il est constamment en retrait, si
bien qu’il arrive un moment où l’esclave se rend compte de la dépendance de son maître, et
c’est l’esclave qui devient le maitre du maitre. La conclusion de cette histoire, c’est que celui
qui est engagé dans cette activité de production, de création d’un outil qui permet sa survie
est aussi celui qui est en contact avec la nature des choses, avec le réel et qui apprend de la
réalité. En apprenant la réalité, j’arrive à survivre, j’arrive à m’adapter au monde et donc je
gagne ma liberté de par cela. Si un homme n’a pas fait l’expérience difficile, pénible, parce
qu’il y a un effort à faire, il ne peut pas survivre. Ce que nous dit Hegel, c’est
qu’effectivement le travail naît d’une douleur, souffrance, lutte, mais j’ai traversé cette
souffrance et cette lutte pour aller vers une chose fondamentale, qui est l’acquisition d’un
savoir qui me permet de m’adapter à la réalité dans laquelle je suis, si bien que le travail qui
est activité de production est en même temps adaptation dans le monde dans lequel je suis.
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Une petite réflexion : regardez par exemple les animaux : c’est vrai que si on remonte
à Prométhée, ils sont très adaptés à l’environnement, c’est le biotope. Par contre si vous
sortez un poisson de l’eau, son espérance de vie est très faible. Nous, nous avons la
capacité à évoluer dans différents biotopes. Comment avons-nous cette capacité ? Nous
avons les moyens de création, production, construction de moyen qui nous permettent de
nous adapter aux changements des conditions du biotope. Gardez à l’esprit cela,
homofabeur. Ces deux opposés souffrance et adaptation, création, constructivité ne sont pas
si opposés que ça. C’est pour cela qu’en philosophie on utilise le mot dialectique, ce sont les
opposés qui vont se réunir. A partir de ce moment-là, on se rend compte que l’homme ne
peut pas se passer de travailler si on entend le travail précisément par cette idée
d’adaptation, qui nous permet par notre intelligence de créer, d’inventer, de construire
quelque chose qui permet de nous maintenir en vie et plus que cela, de faire en sorte que
ces conditions de vie s’améliorent. Il y a 20 000 ans, les hommes survivaient, aujourd’hui on
fait un petit peu plus.
Exemple des abeilles, des fourmis suite à une question. « Les abeilles ne travaillent
pas ». Pourquoi ? Texte de Karl Marx (1844), il explique pourquoi les abeilles ne travaillent
pas. C’est l’instinct qui fait que l’abeille va directement à son but, sans avoir eu un
apprentissage long. C’est quasiment spontané. Chez l’homme, on a un instinct de survie,
mais on peut le dépasser. On peut avoir l’instinct maternel mais ne pas avoir d’enfant.
L’homme peut échapper à ses instincts, l’animal ne peut pas. L’homme pense, il réfléchit
pour organiser, rationnaliser. L’abeille ne fait pas cela. « La différence entre l’architecte et
l’abeille, c’est que l’architecte avant de construire à porter le projet dans sa tête ». Or pour
ce, il faut une activité intellectuelle, puis physique. Cela demande des efforts, une contention
de l’esprit. Vous avez l’homme d’un côté, et la réalité de l’autre, qui ne s’emboitent pas, il
faut un effort, qui est le travail. Sans travail, pas d’humanité possible.
Nous n’avons toujours pas notre définition, de « qu’est-ce que le travail ? ». Quand
on dit que le travail est une activité productrice, qui permet de créer un outil, est-ce qu’il y a
des activités qui échapperaient à cela ? Par exemple, si je fais une équation sur le tableau,
est-ce que je travaille ? Si je peins un paysage, est-ce que je travaille ? Quel est le rapport
entre le mathématicien, le peintre, et le déménageur ? Ils travaillent tous, alors qu’est-ce
qu’on pourrait dire ? Il y a une dépense d’énergie, oui, mais est-ce que toute dépense
d’énergie est un travail ? Cela fait partie du travail, mais ce n’est pas suffisant pour définir le
travail. Il faut rajouter quelque chose. On va prendre un déménageur et un mathématicien
qui fait des théories d’astrophysique pour expliquer l’univers. Entre les deux grandes
scissions entre le travail intellectuel et le travail manuel, on a l’idée d’un résultat attendu. Il y
a une idée de transformation, oui, de valeur. Toute activité professionnelle est une
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adaptation. Pour m’adapter à la société dans laquelle je suis, je suis obligé d’avoir une
activité professionnelle pour gagner ma vie. Une personne qui viendrait d’une autre société
devrait apprendre à travailler, c’est inévitable. On a toujours notre idée d’adaptation. C’est
l’idée d’une construction. Si on regarde le peintre, il a sa palette avec le rouge, le vert, le
bleu, or ces couleurs sur sa palette, elles sont désorganisées. Ce que va faire le peintre
dans sa pensée d’artiste, il va mettre en ordre, architecturer ce « désordre » de peinture pour
produire un ordre. Le sens, c’est précisément de trouver l’unité organisée aux travers de
l’hétérogénéité désorganisée. Je fais un effort physique pour créer cet ordre, cette finalité. Le
déménageur fait la même chose. Il maintient de par son activité la continuité d’un ordre. Le
mathématicien fait la même chose, il essaie de construire un ordre et une unité d’explication.
Si bien qu’on pourrait proposer comme définition du travail « toute activité, qu’elle soit
intellectuelle ou manuelle (à mon sens, on ne peut pas séparer les deux) par laquelle, par un
effort nous ordonnons, nous passons dans cette transition, dans un processus, nous
passons d’un désordre à un ordre ». On peut parler de contrainte, d’obligation, c’est lié à la
profession, à cet aspect du travail comme difficulté.
Par contre, le deuxième problème : si par ce travail on s’autonomise, on s’adapte, on
se libère de la nécessité de la difficulté du monde, comment se fait-il que le travail fasse
autant souffrir ? Procure autant de stress ? Souffrance au travail ? Douleur au travail ? Ce
n’est pas le travail qui pose problème, c’est l’organisation du problème. Qu’est-ce qu’on en
fait de ce travail ? Le travail social : qu’est-ce que je fais dans la société. A partir de quand
souffre-t-on dans le travail ? Vous savez, vous travaillez un peu la terre, vous faites pousser
un arbre et il y a des fruits qui arrivent et au moment où vous allez les mangez, quelqu’un les
a mangé à votre place. On a un sentiment d’injustice. A partir de quand je vais souffrir, de
quoi souffre-t-on ? De la non-reconnaissance de mon travail par l’Autre. Vous avez
Rousseau, dans la littérature qui vous dit que l’un des fondements de notre société, c’est de
reconnaitre le travail d’Autrui. Car, lorsqu’on reconnait le travail de l’autre, on crée une
collectivité qui fonctionne. Des gens peuvent faire un travail qui ne leur plaise pas, mais, la
reconnaissance de ce travail par autrui fera que cette personne pourra s’épanouir dans ce
travail. La deuxième condition, lorsqu’on parle d’aliénation au travail, le premier qui a pensé
ça, c’est Marx. Qu’est-ce que c’est : lorsque l’activité de l’individu subit une déchirure, il est
séparé de la finalité de son produit (le travail à la chaîne). Vous avez l’ébéniste, qui va
travailler son bois brut, et qui le verra dans sa finalité. Les personnes qui ne voient pas la
finalité de ce travail ne se sentent pas bien dans leur travail, il est nécessaire que la
personne qui travaille ait une prise sur la globalité de ce qu’il est en train de faire. Le
troisième élément : ce qui fait naître le stress au travail, ce n’est pas parce qu’on a trop de
travail, c’est qu’on n’a pas les moyens pour le faire. La surcharge de travail et l’impossibilité
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d’avoir les moyens, c’est ça qui fait souffrir. Non seulement, on est parcellé, on ne voit pas la
globalité de notre travail, mais en plus on n’a pas les moyens pour le réaliser.
C’est quoi la valeur ? Il faut faire attention à ce mot, parce qu’il a un sens politique,
économique, moral etc. Le fait dans son activité de production, on peut en même temps,
parce que même si il y a un effort, etc., avoir un épanouissement, une réalisation personnelle
dans son travail. Voilà ce qu’on peut entendre par la valeur du travail. Mais il y a autre chose,
la question du divertissement au moment du non-travail. On a l’habitude de considérer qu’il y
a une différence entre travail et loisir, mais cela dépend ce qu’on entend par divertissement.
Si vous allez voir Pascal, le philosophe, pour lui le divertissement n’est pas du tout une
activité de détente, de loisir, entre des moments de travail. C’est une manière de ne pas se
poser les questions existentielles. Se divertir, c’est la diversion, c’est ne pas me retrouver
devant les questions qui me font peur, les questions qui fâchent. Quand on n’a plus
d’activité, dans ce silence, c’est quelque chose de très compliqué à vivre. Ce travail qui est
aussi d’un côté fatigant, au bout d’un moment, lorsqu’il n’est plus là, il y a un vide qui se
passe (dépression, problèmes importants). Le travail d’après Pascal, est un moyen de
survivre parce que « je ne suis pas en face des questions majeures de l’existence ». Le
travail est aussi lié à cela, c’est une autre piste.
On va parler de paresse, la paresse est un pêcher, mais pourquoi ? Si on revient à la
genèse, c’est l’ordre de Dieu de travailler. Quand on était petit, la génération des années 60,
quand on pensait, nos parents nous disaient « mais arrête de rêvasser, fais quelque chose
». Si le travail fait partie de l’essence humaine, alors la non-activité aussi, et c’est peut-être
l’harmonie entre les deux qui donne leur richesse à l’une et à l’autre. L’idée qui me vient tout
de suite par apport au travail, c’est le regard que la société porte par rapport au travail, cela
commence à changer mais regardez par exemple : quand j’étais en première/terminale, on
avait les bacs technologiques, les BEP, les CAP… Le monde du travail concernant les BEP
et les CAP étaient très mal vu, très mal considéré. On a une partie du monde du travail qui
est dévalorisé, en France.
Il y a une idée qui m’est venue, un sociologue qui s’appelle Georges Freedman qui a
écrit plusieurs livres dont un qui s’appelle « Où va le travail humain ? », et cela rejoint ce
qu’on disait tout à l’heure, c’est-à-dire qu’une personne qui travaille, quelle que soit son
activité, dans une société, dans une entreprise, les caractères importants, c’est la
reconnaissance du travail de l’autre et le deuxième c’est la participation à son niveau, à la
finalité de l’œuvre. Avoir la conscience de la participation à la finalité de l’œuvre et non pas
être un élément isolé dans une structure. Et là, même si on a un emploi considéré comme
subalterne, malgré tout, on vit son travail différemment dès lors qu’il y a ces deux caractères
présents. Cela me semble fondamental. Le premier d’ailleurs, c’est tout d’abord le respect de
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l’Autre. Lorsqu’on traverse les tempêtes, il est beaucoup plus facile de traverser cette
tempête ensemble que de la traverser tout seul, bien entendu c’est une banalité ce que je
dis, mais c’est peut-être pas si banal que cela, puisqu’on vit dans cette banalité là
aujourd’hui.
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