Facilitation ou prédation

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Facilitation ou prédation
TIH 334
Facilitation ou prédation ?
Alors que bruisse encore l’épisode surprenant de l’annonce mensongère d’un dépôt de bilan de Mory, avec en embuscade des groupes candidats repreneurs, la question des investisseurs dans le secteur des transports mérite d’être posée. En effet, à côté de groupes divers, publics et privés, qui se livrent à une croissance externe par rachat d’entreprises, avec au premier rang le groupe Postal Allemand, il existe des firmes dont l’objet principal est de porter – généralement provisoirement – tout ou partie du capital d’entreprises qui, pour diverses raison sont « à vendre », ou en difficulté. Notre secteur présente la particularité d’avoir vu plusieurs firmes majeures – nationalement voire internationalement – passer sous le contrôle de telles entreprises. • Ainsi récemment (2010), en France, c’est Caravelle qui a repris les actifs de messagerie de DHL en France sous l’enseigne Ducros-­‐Express. L’entreprise avait auparavant contrôlé XP avant de le céder à Heppner. • Butler, dont le nom circule également à propos de Mory, détient depuis 2006 la majorité du capital de Sernam, mais a également porté une partie du capital de la Sncm dans le cadre de sa « privatisation », cédé ensuite à Veolia avec une plus-­‐value estimée par le président de l’exécutif Corse à 58 millions d’Euros, et il y a bien plus longtemps de Neopost (cédé en 1997). • A côté de ces « repreneurs » hexagonaux d’entreprises, on peut citer le groupe britannique 3i qui a porté Alloin avant de le céder à Kuehne + Nagel (2008), mais aussi ABX (2006) avant de le vendre à DSV (2008), et a participé à côté de la Sncf au contrôle de Keolis (2004), avant d’être remplacé… • Citons aussi le groupe américain Apollo Management qui contrôle CEVA (2006-­‐
2007), née de la vente de la branche logistique de TNT cédé par la poste néerlandaise et de sa fusion avec EGL, transitaire US. Le groupe contrôle aussi, dans le secteur des transports des compagnies de croisières. • Notons que très récemment le groupe britannique Laxey (Douglas Bay Capital) qui s’était porté acquéreur de TDG en 2008, l’a cédé à Norbert Dentressangle (2011). • Citons enfin Vornato Reality trust, aux Usa, qui a cédé ses parts dans Americold, le géant frigoriste, en 2008, au fonds Yucaipa Companies qui a de son côté pris le contrôle de Versacold (2009) qui lui même été repris par Americold à la fin de 2010 pour fonder un super géant du froid. Alors ? Facilitateurs ou prédateurs ? D’aucuns posent explicitement la question. S’agissant de Butler et de la Sncm, le président de l’exécutif Corse, Paul Giacobbi, rappelle que « L’offre de la Connex, qui proposait une entrée progressive au capital et un apport de 75 millions d’euros, a été écartée au profit de celle de M. Butler qui apportait 40 millions de moins et exige 10 millions de plus de l’État. » et s’interroge sur l’utilité du Butler (et de sa plus-­‐value considérable) dans l’opération de privatisation, au point de revendiquer une commission d’enquête de l’Assemblée Nationale française. Reste que l’intérêt d’un portage peut parfaitement se justifier. Ainsi, TPG (poste néerlandaise) aura sans doute préféré vendre ses actifs au gré des opportunités et donc selon le cas à des professionnels du secteur ou à des financiers (Wilson, TNT logistics), plutôt que de chercher hic et nunc un « repreneur » du secteur, ce qui aurait sans doute pesé sur la valeur du fonds. Peut-­‐être peut-­‐on rentrer dans la même logique ABX, encore qu’elle faisait suite à la cession – entre autres -­‐ des actifs français (fort déficitaires issus de Dubois), et l’autorisation donnée par la Commission européenne en décembre 2005 « de la capitalisation d’ABX LOGISTICS Worldwide par sa maison-­‐mère SNCB, à hauteur de 176 millions d’euros, principalement sous forme de la conversion en capital des dettes d’ABX LOGISTICS envers la SNCB». Le même ABX est alors estimé à 34 millions £ dans les comptes de 3i, .. bien peu ! Alors facilitateur ou non ? Les entreprises de capital investissement ne s’en cachent d’ailleurs pas (ou peu). Elles visent avant tout des plus-­‐values à terme relativement court, et beaucoup plus rarement un mix à plus long terme de bénéfices et de plus-­‐values. Encore que certains fonds semblent chercher aussi la cohérence industrielle en constituant des groupes cohérents à partir de rachats (Apollo et Yucaipa ?). Cependant, n’oublions pas que Yucaipa companies, qu’on pourrait soupçonner d’avoir une vraie stratégie pour le marché de la logistique sous température dirigée, est en fait née d’opérations dites de LBO dans le domaine du commerce qui ont permis de solides plus-­‐values. L’acquisition de 49 % de Versacold en 2009 résulte directement de la crise financière Islandaise entraînant l’armement dans la tourmente Eimskip– qui avait acheté en 2007 Versacold. Comme on le voit, on a presque toujours un fait générateur à l’intervention de ces porteurs : des difficultés financières majeures (comme avec Eimskip, Abx, ou la messagerie DHL france..) une décision de vendre des actifs (Alloin, TDG, TNT…), et parfois les deux, comme l’aboutissement d’un processus inefficace (Abx, Sncm, …) et d’une pression extérieure (Etat, commission européenne). Reste à savoir si des fonds souverains ou des banques classiques ne feraient pas mieux ou même si certains grands groupes n’auraient pas intérêt à « porter » eux-­‐mêmes les actifs dont elles cherchent à de dessaisir. Pratiquement, on perçoit bien que ces solutions n’ont pas deux avantages : celui de permettre de justifier des restructurations parfois brutales, ce qui rend ensuite l’entreprise reprise plus « présentable », et celui de bénéficier d’abandons de créances sociales et fiscales sans doute plus généreuses. En regardant plus loin dans l’histoire (Novalliance et le Cdr, les reprises de la CGM ou de la Scac) on constatera que ces opérations – sans être toujours réussies – ne fonctionnent que s’il y a des plus-­‐values latentes, réalisées ou non. Or ces plus-­‐values sont les moteurs des sociétés d’investissements. Qu’elles dévorent leurs prises, qu’elles en fassent des leaders sur le marché, où qu’elles cèdent simplement des fonds de commerce qu’elles auront rendu viables, elles visent le même résultat. Mais relevons cependant qu’elles ne font manifestement pas toutes le même métier. Ne sont-­‐elles pas nécessaires que parce qu’ailleurs, d’autres, ne font pas leur métier ? La chasse au cadeau et à la plus value valorise une image de l’entreprise qui est fondamentalement décalée par rapport à l’économie réelle. On ne peut se féliciter de ce que prospèrent à ce point des firmes dont le seul mérite s’avère d’avoir « porté », aidant en cela le ménage et un éventuel effet de levier. Mais elles ne le doivent qu’à des défaillances du secteur financier, et probablement à la bienveillance des pouvoirs publics.