Neptune Magazine Iguana Yachts Mai 2014

Transcription

Neptune Magazine Iguana Yachts Mai 2014
Chantier
Les chenilles
du succès
En lançant son concept d’open amphibie, Iguana Yachts a bousculé
les normes classiques du nautisme. Concentré d’innovation, d’audace
et de style, l’Iguana 29 est un bel exemple des atouts du made in
France. Récit d’un pari osé. Texte Olivier Voituriez - Photos l’auteur et Iguana Yachts
A
taille à l’export ses premiers succès
commerciaux. À l’image de son
modèle, l’aventure du chantier
Iguana Yachts est hors normes.
C’est l’histoire d’une rencontre
entre un ingénieur, un designer
et un architecte. Un noyau vite
agrandi par l’arrivée d’autres passionnés, pris au jeu de cette entreprise un peu folle, où se panachent
inventivité, ténacité et opportunité pour parvenir à percer. Une
«success story», comme on dit, qui
mérite d’être évoquée en ces temps
toujours incertains pour le nautisme français. À l’origine du projet, Antoine Brugidou. Ingénieur
centralien, cadre dirigeant au sein
du cabinet de conseil Accenture,
l’homme est habitué aux naviga-
tions le long des côtes de la
Manche. C’est entre le Cotentin
et la baie du Mont Saint-Michel,
là où agissent les marnages les plus
importants d’Europe que lui vient
l’idée d’un bateau capable d’affronter aussi bien la mer que son
estran, pour naviguer «entre les
sables, les roches et les courants...».
Un concept adapté
à la plaisance
Ce concept de bateau amphibie
adapté à la plaisance s’impose peu
à peu dans l’esprit de Brugidou.
En 2007, il réunit autour de la
table deux vrais «pros» du nautisme, capables de concrétiser sa
vision : le designer Antoine Fritsch
Quelque part sur
une plage de Dubaï…
Avec ses chenilles
en caoutchouc rétractables, grimper sur
la plage est une évidence
pour l’IG 29. Une nouvelle génération d’opens
amphibie est née.
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Iguana Yachts
dieu, postes d’amarrage
et manœuvres délicates.
Au revoir (et à tout jamais), remorques encombrantes et mises à
l’eau pénibles. Fini,
supprimé, le problème
des places de port. Rapide en mer,
pugnace sur terre, agréable à l’œil,
voici venir l’Iguana 29, super
héros aux pouvoirs amphibie. Une
silhouette design, des pointes à
40 nœuds avec un 300 ch horsbord, et surtout un double train
de chenilles rétractables qui permet à cette singulière coque ouverte d’atterrir sur le rivage. Tel est
le concept novateur de cette unité
«tous terrains» de 8,60 m de long,
conçue et réalisée en France, qui se
et l’architecte naval Tanguy Le
Bihan. Les idées fusent, les avis
s’interfèrent, les échanges s’intensifient. Premières études, recherches
d’antériorité... Le projet s’échafaude. L’entreprise est créée en mai
2008. Le brevet du système de
mobilité est déposé. Puis le temps
passe... Chef d’orchestre de ce projet d’envergure, Antoine Brugidou
doit en parallèle assumer les impératifs de son poste à responsabilité
mondiale chez Accenture. Mais,
après vingt-cinq ans de carrière,
l’homme constate les limites de
son job : «Entre les métiers du
conseil et la réalité, les écarts sont
énormes. On décroche du réel,
on perd le rapport aux choses. C’est
très confortable, très intéressant,
mais, en fait, tu n’es pas libre. C’est
une prison dorée...»
Un système de commande automatisé
actionne le train de
roulage, actionné par
des bras en aluminium. L’ensemble ne
craint ni l’immersion
ni la corrosion.
Uptat nisl iriusti onulla accum
iril utat. Borem
nullaore
molorem el et
iurem zzrilit
lobore dolortie
dolupta tinibh
ea aut num
deles
Au fait…
L’Iguana Mobility System
Les Iguana sont équipés de
deux systèmes de propulsion
indépendants et complémentaires, alimentés par un
unique réservoir à essence
de 300 litres. En mode
navigation, la motorisation
hors-bord Mercury Verado
est conventionnellement
Quatre années
de travail
La nécessité d’être en prise directe
avec le réel, mais aussi le challenge
personnel – «faire bouger les choses,
ne pas rester dans ses rails dans ce
monde de plus en plus normalisé» –
le motivent toujours davantage
à troquer son costume de consultant de haut niveau pour celui
– moins ajusté – d’un «patron de
PME de base». Le pari est risqué,
bien sûr, mais le secteur le passionne. «En tous les cas, il fallait que
je parte. On n’a qu’une vie. Je me
suis décidé vraiment après le lancement du bateau à Cannes.» Après
quatre années de maturation et de
travail, le premier Iguana 26 est
officiellement présenté au salon de
Cannes, en septembre 2011. Un
prototype, avec une carène en aluminium. Un modèle certes perfectible, mais bien réel, qui fonctionne selon le cahier des charges
imparti : chenilles en caoutchouc
rétractables à flanc de bordé, moteur hydraulique indépendant
du hors-bord, capacité à grimper
sur des pentes jusqu’à 22%,
7 km/sur routes et pointes
à 30 nœuds en mer. Le
concept surprend, bien
entendu, mais l’accueil
est favorable. Libéré de ses obligations professionnelles,
Brugidou se consacre
désormais à 100 % à son
entreprise. «Je suis un peu le
guide, conduit par une idée
fixe», commente l’entrepreneur, qui continue à se demander pourquoi ce système n’a pas été conçu
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En mode navigation, les chenilles intégrées
dans leur niche
font partie intégrante du bordé
et ne nuisent
pas à l’esthétique du bateau.
avant lui. Le processus de fabrication de l’Iguana est en constante
amélioration. Il faut rendre le bateau plus léger, plus résistant, plus
doux. Et plus fonctionnel. Début
2013, le premier modèle de série
sort de l’usine. Plus grand que le
prototype, l’Iguana 29 est doté
d’une carène en sandwich PVC et
infusion vinylester. Un procédé
qui sera ensuite remplacé par de
l’infusion carbone, afin d’alléger le
bateau de 400 kilos. Le système de
propulsion terrestre est lui aussi
réexaminé. Le train de chenilles en
caoutchouc est désormais pourvu
d’amortisseurs, apportant un niveau de confort nettement supérieur en mode route.
Aux commandes,
Antoine
Brugidou, fondateur et dirigeant d’Iguana
Yachts. L’idée
vient de lui.
«Nous sommes partis
d’une page blanche»,
se souvient le designer
Antoine Fritsch, qui a
imaginé et conçu les
formes et les structures
de cet open novateur.
Des améliorations
régulières
Le moteur hydraulique est gonflé
à 75 ch. Autre progrès notable,
le comportement mouillant du
bateau est résolu par l’ajout de déflecteurs, qui sont placés au-dessus
de la niche du bordé où se rétractent les chenilles. En mer, le choix
d’un moteur de 300 ch permet de
tutoyer les 40 nœuds, alors que la
version avec 250 ch donnait un
goût d’inachevé avec ses 31 nœuds
maximum. Entretemps, un prototype d’Iguana 24 (7 mètres de
commandée par le système
SmartCraft. À l’approche du
rivage, le pilote descend le
train de chenilles et démarre
le moteur hydraulique de
75 ch à l’aide d’un boîtier
dédié. Le temps de grimper
sur le littoral (ou de prendre
la mer), il peut utiliser les
deux types de propulsion.
En mode terrestre, l’IG 29
se conduit à l’aide de deux
manettes, dirigeant chacune
une chenille. Il existe un
mode lent (manœuvres)
et un mode rapide (jusqu’à
7 km/h). L’Iguana Mobility
System, brevet déposé, est
donné pour gravir des pentes
jusqu’à 22%.
La console centrale s’incline
pour faciliter l’accès au système
de propulsion hydraulique.
long) est sorti fin 2012. Mais
le projet est, pour le moment, resté en suspens. «Il n’y a pas assez
de demandes pour investir dans
un moule», reconnaît Steve Huppert, le directeur commercial de
la marque. Nerf de la guerre,
l’investissement total s’élève aujourd’hui entre 2,5 et 3 millions
d’euros. Y compris le 1,2 million
investi lors de la dernière levée de
fonds, opérée en décembre 2013.
Parmi les investisseurs figure une
personne de Barheïn, propriétaire
du premier Iguana 29 de série.
Quelle meilleure preuve de satisfaction client ? Les financements
Une fois son
train d’atterrissage déployé,
la carène est
à 1,20 m audessus du sol.
Notez l’élégance des
formes de la
carène à étrave
perce-vague.
sont divers, français ou étrangers,
des personnes privées, des fonds
d’investissements ou des business
angels. Pas facile de trouver des
fonds aujourd’hui, reconnaît Brugidou qui reste actionnaire majoritaire de sa boîte : «L’industrie, ça
fait peur. Et la combinaison avec le
nautisme, c’est mortel ! Notre chance,
c’est d’être sur un nouveau marché.»
Avec pour cible toutes ces personnes qui ont un peu peur du
nautisme, mais surtout tous ceux
qui n’ont ni le temps ni l’envie de
subir les contraintes de marinas. Se
simplifier la vie, tel est l’objectif
de l’Iguana... Ne s’occuper de rien,
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Chantier
Chantier Iguana Yachts
C’est au Moyen-Orient – ici à Dubaï –
que cet open design et fonctionnel
trouve son principal marché.
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Autour de la console
centrale bien protégée par un haut parebrise, une banquette
aux assises de cuir
fauve ceinture intégralement le bordé.
sauf de l’essentiel : aller directement à l’eau depuis son
jardin. On retrouve cette recherche de simplification dans le
fonctionnement même d’Iguana
Yachts. L’entreprise est composée
d’une équipe assez légère, composée de six permanents, qui couvrent les fonctions managériales,
les finances, l’ingénierie et le développement commercial.
Un vaste panel
de sous-traitants
Tout le reste est délégué à des soustraitants partenaires. L’ensemble
de la production est réalisé à Caen,
au sein de la pépinière d’entreprises Norlanda : Shore Team gère
l’infusion composite et l’assemblage, Olea Systems tout l’hydraulique, Cams la chaudronnerie.
«C’est un véritable faisceau de compétences que l’on a sur place, avec
l’impression d’être sur un seul chantier», indique Steve Huppert. Ce
système de partenariat est-il pour
autant viable à long terme ? Si les
ventes décollent, l’entreprise devra
trouver une solu-
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CARACTÉRISTIQUES
Longueur hors tout
8,60 m
Largeur
3,00 m
Tirant d’eau
0,55 m
Poids
2,5 t
Transmission
Hors-bord
Puissance maximale
300 ch
Carburant
300 l
Eau
50 l
Catégorie CE
C/8
PRIX
250 000 € HT avec 300 ch (prix de base)
CONTACT
Chantier
Commercial
iguana-yachts.com
Steve Huppert + 33 6 62 57 61 62
Envie de faire
une escale
sur la plage, se
rafraîchir à
l’ombre d’une
paillote, ou aller
chercher un
ami ? Une
simple formalité
pour l’Iguana.
Iguana Yachts
développe ses
modèles de 24’,
29’ et bientôt
33’ en version
Classic ou
Exclusive
(super luxe).
tion pour augmenter sa production de série. Nous n’en sommes
pas encore là bien sûr, même si
tout peut aller vite. Fin 2103,
Iguana Yachts annonçait trois
ventes fermes. C’était avant le salon de Dubaï, en mars dernier, et
la tournée promotionnelle du bateau dans les pays du Golfe. Une
dizaine de bons de commandes
auraient été signés dans cette partie du monde, première zone
de développement commercial
du chantier. Avec sa silhouette,
ses performances et son côté
«gadget» pour riches, ce
passe-partout a bien des
atouts pour séduire les seigneurs du pétrole,
toujours à
À l’occasion
du Dubaï Boat
Show, Antoine
Brugidou et son
directeur commercial Steve
Huppert prennent la pose
devant l’Iguana
29 au repos.
tournables : Dubaï et Fort
Lauderdale. Ensuite, un réseau de
distribution passant par des concessionnaires automobiles de luxe serait
très adapté à notre produit.» Cette
montée en puissance commerciale
doit faciliter la mise en chantier de
l’Iguana 33.
Le marché
des professionnels
l’affût de nouveautés qui brillent
et d’objets haute technologie qui
décoiffent les keffiehs les mieux
ajustés. Le modèle actuellement
en construction, destiné à Abou
Dhabi, a les mains courantes et
l’échelle de bain en or 24 carats.
Si le panel de clientèle est large,
il cible en priorité les propriétaires
de maisons au bord de l’eau, d’îles
privées ou de yachts, qui s’en serviront comme tender de luxe. Imaginez le succès que vous auriez en
débarquant ainsi sur la plage de
Pampelonne, à Saint-Tropez...
Autre zone privilégiée, les États-
Unis. En rythme de croisière,
Iguana prévoit de réaliser entre dix
et douze bateaux par an. Un tiers
serait exporté au Moyen-Orient,
un autre tiers aux USA, le dernier
tiers en Europe du Nord et en
Russie. L’étape suivante visera
l’Asie/Pacifique, avec l’Australie,
l’Indonésie et les Philippines
comme zones cibles. «Au vu des
volumes actuels, nous n’avons pas
besoin d’un gros réseau de distribution, analyse Steve Huppert. Nous
privilégions des organisations d’événements privés. Deux salons internationaux sont pour nous incon-
Conçu par le tandem Antoine
Fritsch (design) et Exequiel Cano
Lanza (carène), ce grand frère de
10,50 mètres de long sera proposé
en version plaisance et professionnelle. Le pari un peu fou d’Antoine Brugidou semble donc en
phase d’être gagné. Mais, au-delà
du challenge personnel, cette initiative démontre également la capacité des entreprises hexagonales
à répondre aux attentes d’une
clientèle sensible à l’esprit d’innovation, fait d’élégance, d’astuce
et de haute technologie, que sait
parfois leur proposer le label
«France». Le chantier Iguana Yachts
en est la preuve. ■
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