Centre Henri Pousseur - Festival Images Sonores 2015
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Centre Henri Pousseur - Festival Images Sonores 2015
Mot de bienvenue Notre société actuelle est dominée par les médias numériques et virtuels. La musique contemporaine n’échappe pas à ce phénomène. Les compositeurs ne se limitent plus aux seuls paramètres classiques de la musique, bien s’en faut. Dans leur quête incessante et souvent individuelle de renouveau, tant les compositeurs que les interprètes et les techniciens explorent de nouvelles formes d’expression. Le canon classique et les principes qui le fondent sont explicitement remis en question. Et si la musique mixte suppose nécessairement une extension aux possibilités de l’instrument, force est de constater que, dans ce domaine également, les compositeurs s’appliquent à rechercher de nouvelles dimensions. Une des op2 tions récurrentes est celle de la « performance », qui prend parfois l’allure d’un Gesamtkunstwerk revisité et dans laquelle la théâtralité et les extensions médiatiques (en particulier la vidéo) semblent occuper une place prépondérante. Effet de mode, vraie tendance ou évolution nécessaire ? Quoi qu’il en soit, le programme de ce festival – nous en sommes déjà à la 17e édition – tente de rendre compte de la diversité actuelle, avec une attention particulière portée aux jeunes générations. Nous sommes persuadés que ces trois journées de concerts seront parsemées de moments surprenants et de rencontres intéressantes, en présence des nombreux compositeurs nationaux et internationaux qui auront fait le voyage. Je vous souhaite des expériences (auditives) passionnantes. Stijn Boeve Directeur général Centre Henri Pousseur Programme Préambule p.5 Jeudi 12 novembre Ça Balance Classique 2015 / ConTimbre – The Virtual Orchestra p.6 Thomas Hummel, L’orchestre virtuel de Sinaida Kowalenka Roberto David Rusconi, Mnemosyne Rand Steiger, La coalescence de technologie et acoustique Vendredi 13 novembre We are from Belgium p.16 Daan Janssens, (Paysages-Etudes) Conservatoire de Liège, Trois créations Samedi 14 novembre Hello ! p.22 Performance = Art Johannes Kreidler, Créer, c’est interpeller Steven Kazuo Takasugi, The Man Who Couldn’t Stop Laughing Les compositeurs p.31 Les interprètes p.31 3 Préambule La musique est un reflet de la société – les Grecs anciens l’avaient déjà remarqué. Le train-train quotidien de chacun a toujours eu un impact indéniable sur la façon dont les compositeurs improvisent, raisonnent et finalement créent. La musique de Bach dégage ainsi maîtrise, force et piété – la musique était en effet pour lui un cadeau de Dieu, et non de l’homme. Pour sa symphonie Eroica, Beethoven s’est inspiré de la grandeur de Napoléon – du moins avant qu’il ne s’autoproclame empereur. La Deuxième Guerre mondiale a imposé aux compositeurs des règles à respecter si l’on voulait que sa musique soit un jour entendue. Mais la technologie contemporaine exerce elle aussi une influence sur la façon dont on fait et vit la musique. Dès le début du XXe siècle, les compositeurs ont cherché à intégrer les progrès technologiques à la musique. Le mot « machine » n’était désormais plus étranger à l’homme ; les machines devenaient nécessaires dans la société et devaient donc l’être aussi dans les arts. Elles devaient prendre part au progrès artistique et musical. Les futuristes italiens rêvaient à l’âme musicale des usines, des trains, des voitures, des avions, etc. Ils en vinrent pratiquement à idolâtrer l’électricité et défendirent les qualités poétiques et musicales du progrès industriel. Cette idéologie ne rencontra hélas pas grand écho à cette époque. Lors des débuts en musique futuriste du pianiste Leo Ornstein à Londres en 1914, le journal britannique Daily Sketch recommanda que seules les personnes complètement sourdes assistent à son prochain récital! Après la Deuxième Guerre mondiale, cet amour de la technologie et des outils électroniques connut un renouveau. Avec ses Cinq études de bruit, le Français Pierre Schaeffer fut un des pionniers de la musique concrète, un genre où les bruits de l’environnement forment le matériau de base de la composition. Schaeffer enregistrait des bruits de trains, de tourniquets, de bateaux et de casseroles, les coupait et les arrangeait, donnant naissance à de nouvelles expériences musicales. Les sons se sont ainsi progressivement libérés de leur tradition et de plus en plus l’homme et la machine se rencontrent en musique. Aujourd’hui, la production du bruit dans un contexte musical n’est plus évidente. Le charisme transparent propre au musicien sur scène est esquivé. On désarticule l’espace musical des instruments et les personnes qui en jouent ; il en résulte une illusion. La musique actuelle est fractionnée, amplifiée, copiée-collée, accumulée ; les bruits deviennent des objets que le compositeur peut sculpter, le matériau devient une illustration et un critère du métier de compositeur. Les sons et les images générés par ordinateur constituent une extension des capacités humaines ou peut-être plutôt des limites de l’interprète. L’interprète est tout à la fois opprimé et libéré. La musique est ainsi un reflet poétique de notre monde numérique. Nico Couck 5 Jeudi 12 novembre 19h00 Présentation du Prix Ça Balance Classique 2015 Guillaume Auvray, 6 Tableaux Funestes – I. Le Ruisseau ** pour ensemble et électronique (2015) Edwin Pierard, Invention pour ensemble (2014) 20h30 ConTimbre – The Virtual Orchestra (Introduction au concert à 20h00) João Pedro Oliveira, Towdah * pour ensemble et électronique (2009) Johannes Kreidler, Klavierstück 5 * pour piano et électronique (2005) Thomas Hummel, Sinaida Kowalenka * pour ensemble et orchestre virtuel « ePlayer » (2014) Pause Rand Steiger, Concatenation * pour basson et électronique (2012) Roberto David Rusconi, Mnemosyne ** pour ensemble, orchestre virtuel, électronique et vidéo (vidéo par Metka Sumandl) (2015) (réalisation informatique musicale : Patrick Delges, Centre Henri Pousseur) 6 19h00 Ensemble Musiques Nouvelles Thomas Van Haeperen, direction Berten D’hollander, flûte Charles Michiels, clarinette David Foiche, cor Eric Sluys, violon Laurent Houque, violon Antoine Combot, alto Jean-Pol Zanutel, violoncelle Simon Drachman, percussion Centre Henri Pousseur, électronique live 20h30 Ensemble Aventure Martina Roth, flûte Walter Ifrim, clarinette Wolfgang Rüdiger, basson Rudolf Mahni, trompette Nicholas Reed, percussion & direction Akiko Okabe, piano Friedemann Treiber, violon Beverley Ellis, violoncelle Centre Henri Pousseur, électronique live * création belge ** création mondiale 7 Thomas Hummel L’orchestre virtuel de Sinaida Kowalenka Sinaida Kowalenka est une fermière biélorusse âgée, et la dernière personne à vivre dans son village dans la zone interdite autour de Tchernobyl. Tous les autres habitants ont été évacués depuis longtemps. Elle vit seule au milieu d’une nature apparemment merveilleusement intacte et vierge, mais en réalité radioactive. Nom : Thomas Hummel Né : 1962, Köln, Allemagne Formation : Composition à la Hochschule für Musik, Freiburg ; Hochschule für Musik, Köln Professionnellement : Ingénieur de son et réalisateur en informatique musicale au SWR Experimentalstudio Freiburg ; Prix de composition à la Villa Concordia Bamberg et Musikprotokoll Graz Performances : Ensemble Court-Circuit, Holst Sinfonietta, Ensemble SurPlus, Kairos Quartett, Orchestre de la Radio de Stuttgart, e.a. Plus d’informations: www.thomashummel.net 8 L’œuvre Sinaida Kowalenka est conçue pour six instruments et orchestre « ePlayer », qui repose sur une grande base de données des sonorités de l’orchestre contemporain, conTimbre. Elaborée entre 2007 et 2012, conTimbre est le plus grand orchestre virtuel au monde, comprenant plus de 86.000 sons, 4.000 techniques de jeu, et 150 instruments d’orchestre. Il permet notamment de jouer des partitions orchestrales de musique nouvelle. D’un point de vue musical, l’orchestre « ePlayer » a ici pour tâche d’étoffer et de compléter le mélange de timbres d’instruments authentiques ou de se trouver en concurrence avec eux. Plus généralement cependant, l’utilisation d’un orchestre contemporain artificiel en lien avec l’orchestre s’inscrit dans l’actuel débat culturel sur la disparition des (vrais) orchestres, et sur les tendances de la musique nouvelle instrumentale, dont les compositeurs exigent actuellement une spécialisation et une flexibilité toujours plus poussées de l’orchestre contemporain. Enfin, le caractère artificiel de l’orchestre « ePlayer » et son souhait de paraître naturel correspondent à la nature radioactive et à ses deux facettes dans les récits d’Alexievitch. Thomas Hummel « Je vis seule depuis sept ans. Cela fait sept ans que les gens sont partis… Dans la nuit, il m’arrive de rester éveillée jusqu’à l’aube. Et de penser, de penser. Cette nuit aussi, je suis restée assise toute la nuit sur mon lit, courbée comme un crochet, et puis je suis sortie pour voir comment allait être le soleil. Que puis-je vous dire d’autre ? La chose la plus juste au monde, c’est la mort. Personne ne peut se cacher d’elle. La terre reçoit tout le monde, les bons et les mauvais, les pécheurs. Mais il n’y a aucune autre justice au monde. J’ai travaillé durement et honnêtement toute ma vie. J’ai vécu selon ma conscience. Mais je n’ai obtenu aucune justice. Dieu a fait le partage quelque part et, lorsque mon tour est arrivé, il ne restait plus rien à me donner. Nous avons pensé qu’il s’agissait d’une maladie et que celui qui en souffrait mourrait aussitôt. Non, nous a-t-on expliqué, c’est une chose qui s’insère dans le sol, mais qu’on ne peut pas voir. L’animal le peut, il la voit et l’entend, mais pas l’homme. Mais c’est faux ! Moi, je l’ai vue… Il y avait de ce césium dans mon potager jusqu’à ce que la pluie l’ait mouillé. » Svetlana Alexievitch1, La Supplication : Tchernobyl, chroniques du monde après l’Apocalypse Le jeudi 8 octobre 2015, l’auteure bélarusse Svetlana Alexievitch a reçu le Prix Nobel de littérature. 1 Création belge le jeudi 12 novembre à 20h30 par l’ensemble Aventure et le Centre Henri Pousseur. 9 Roberto David Rusconi Mnemosyne Nom: Roberto David Rusconi Né: 1976, Venezia, Italie Formation: Cours de composition, piano, direction de chœur et musique électronique au Conservatoire de Padua; doctorat en composition au Kings College London Professionnellement: Premier Prix au Concours de Composition ZEITKlang (Wien) avec De Arte Respirandi; Troisième Prix dans le cadre du Prix de la Fondation BBVA, avec Memento; finaliste du Concours européen ECPNM 2012 (composition de pièces électroacoustiques en temps réel) et du concours de composition Isang Yun 2013 Performances: Klangforum Wien, David Alberman, Rohan De Saram, Garth Knox, Burkard Weber, JACK Quartet, KAIROS Quartett, Amar Quartett, Ensemble Aventure, BIT20, Insomnio, e.a. Plus d’informations: www.robertodavidrusconi.co.uk 10 Mnemosyne est une œuvre cérémonielle (é)-vocative. Dédiée à la déesse de la mémoire, Mnemosyne est poétiquement ancrée dans l’œuvre d’Aby Warburg et dans les concepts du biologiste Rupert Sheldrake. Cette œuvre se présente comme un effort intime, extrême et pourtant subtil de mêler des instruments acoustiques et virtuels, reliant des projections sonores alternatives et des perspectives spatiales afin de dessiner des trajectoires dans un temps défini par l’écoute, tout en réagissant émotionnellement à des mécanismes déclencheurs cachés. Glisser dans un état de perceptions alternatif se mue en évocation très réelle d’une déesse chthonienne qui manie avec fermeté l’essence éternelle de l’univers : sa mémoire. Les processus du souvenir d’événements rituels et mnémoniques sont difficiles à décrire, et résistent à toute explication philosophique, psychologique ou vernaculaire. Cette performance trouve son origine dans une approche éthologique de l’expérience musicale – c’est-à-dire le traitement de la musique comme un comportement évolutif d’humains ancestraux, contribuant à leur survie et au succès de la reproduction. Je fais notamment allusion à des similarités intéressantes et suggestives entre le processus évolutionniste (biologique) de ritualisation dans la communication animale, et à l’utilisation rituelle (culturelle) du comportement musical dans les rites ou cérémonies humains. Dans le rite comme dans la ritualisation, sons, images et mouvements stylisés (c’est-àdire formalisés, répétés de façon rythmique, exagérés et élaborés) sont des outils importants pour modeler la réponse des participants. La conception éthologique de l’émotion comme moteur du comportement apporte de même une approche originale à l’utilisation en composition de nouvelles sources d’émotion musicale, permettant la création d’une première « taxonomie éthologique » liée aux diverses réponses émotionnelles à la musique. ses acteurs et de son public. Des caves et arènes primitives aux théâtres grecs et aux cercles de Stonehenge, des maisons d’opéra à l’arche de Renzo Piano pour Prometeo de Luigi Nono : le lieu et la disposition du public ont toujours été soigneusement pris en compte par toutes les personnes désireuses non seulement d’influencer l’aspect passif de la réalisation, mais aussi de chercher la véritable incarnation et la réception psychophysique de la communication artistique. Mnemosyne commence dans le noir le plus complet, l’absence de connaissance. Le lieu, l’écran, les lumières, la cérémonie : un univers infini sans mémoire ; nous sommes l’enfant perdu. Lentement, sortant du néant, les caminantes entrent dans le lieu : le rite commence ! Roberto David Rusconi Création mondiale le jeudi 12 novembre à 20h30 par l’ensemble Aventure et le Centre Henri Pousseur. L’un des aspects-clés du rite est la disposition de 11 Rand Steiger La coalescence de technologie et acoustique Nom: Rand Steiger Né: 1957, Queens, New York Formation: Manhattan School of Music; California Institute of the Arts Professionnellement: Professeur de composition à l’Université de California, San Diego; titulaire de la Chaire présidentielle au département de musique, UC San Diego, lauréat de la Fondation Guggenheim 2015 Performances: LA Philharmonic, International Contemporary Ensemble (ICE), Talea Ensemble, Ensemble Intercontemporain, New York New Music Ensemble, Southbank Sinfonia, American Composers Orchestra, e.a. « J’ai longtemps été fasciné par la façon dont nous percevons la fusion de deux sons distincts en un seul son – la façon dont une texture contrapuntique complexe peut se muer en continuum quand on l’entend dans un environnement réverbérant, ou la façon dont des notes réglées avec précision se fondent en un timbre unique. Ce point de perception délicat entre un accord et un timbre présente un intérêt tout particulier pour moi, et c’est l’une des raisons pour lesquelles je m’appuie sur les intervalles naturels des séries harmoniques comme principal guide de structures sonores. De même, mon désir d’explorer la confusion des événements m’a conduit à travailler avec le traitement de signaux en temps réel, de façon à pouvoir modifier l’environnement acoustique dans lequel on entend ma musique au fil d’une pièce. » Rand Steiger Plus d’informations: www.rand.info 12 Technologie et acoustique Les innombrables pratiques de composition, de performance et d’écoute qui découlent du phénomène collectivement qualifié de « musique électronique » se sont, d’une façon ou d’une autre, affirmées avec une provocation intrinsèque et essentielle : la coexistence d’une technologie « artificielle » et de résonances plus « organiques » de la tradition musicale et de l’expérience humaine. Il se peut que l’on ait pour première impression que la technologie, et les innombrables possibilités esthétiques qu’elle représente, s’installe catégoriquement au royaume du « surnaturel ». Bien sûr, comparée aux qualités résolument humaines des pratiques vocales et instrumentales acoustiques, elle peut sembler quelque peu étrangère. Mais en réalité, c’est seulement une facette de l’équation – ou, plus précisément, un point stratégique au sein du spectre plus large de ce qui est « réel » et de ce qui ne l’est pas. Car, tout comme elle a favorisé de nouvelles approches du son et de la structure musicale, la technologie a également ouvert des fenêtres sur le monde naturel, sur le geste brut et l’harmonie organique, et, au-delà, sur le domaine esthétique complexe de notre être intérieur. Une relation véritablement symbiotique entre technologie et acoustique peut nous sensibiliser au fait que ce que nous croirions être des goûts « naturels » sont en fait tout aussi « artificiels » que des processus de manipulation et de nouvelle synthèse de signaux numériques. Pour Rand Steiger, la technologie est l’un de ces véhicules vers l’au-delà. Son répertoire explore un grand nombre de médias, du solo au petit ensemble mixte, certains incluant le traitement live, et d’autres « purement » acoustiques. Mais des réseaux de similitudes entre les œuvres apparaissent rapidement – l’oreille de Steiger sensible aux textures intenses et chatoyantes, aux migrations de timbre radicales, aux délicates nuances d’intonation et aux riches refrains harmoniques unissent la musique dans une grande œuvre d’interdépendance flexible entre naturel et surnaturel, où la technologie constitue la base essentielle de résonance et de coalescence. Daniel Tacke Le système de traitement des signaux audio de Miller Puckette « Le traitement des signaux audio est le fruit de ma collaboration de longue date avec mon ami et collègue Miller Puckette, qui a réalisé quelques contributions majeures au développement de la technologie de l’informatique musicale. Dans toutes les pièces, les musiciens jouent dans des micros. Les signaux sont ensuite transmis à un ordinateur équipé du logiciel pd (Pure Data) de Puckette. Le son des instruments est transformé de diverses manières puis diffusé par huit hautparleurs disposés tout autour de l’auditorium. Cette configuration me permet de varier de façon dynamique les conditions acoustiques dans lesquelles on entend la musique, et aussi de déplacer le son de façon dynamique dans la pièce, souvent en fonction de la forme dynamique des gestes musicaux. Parmi les processus que j’utilise, on trouve des filtres résonants (une sorte de résonance piano simulée, provoquée par les instruments de l’ensemble), des retards et des échos, et une harmonisation fine qui crée des accords de notes simples. Je cherche 13 à ce que ces sons transformés se mêlent au son naturel non amplifié pour produire un tissu sonore instrumental en continuelle transformation, qui apporte une plus grande expressivité aux gestes musicaux. » Cycle de coalescence Dans une coalescence, deux choses, au moins, s’unissent en une seule, plus importante. Rand Steiger travaille avec des coalescences de performance instrumentale et de transformation électronique depuis plus de dix ans, période durant laquelle la plupart de ses pièces, qu’elles soient pour soliste, ensemble ou orchestre, ont impliqué un traitement informatique. L’effet ne vise pas tant à brouiller le son qu’à l’élargir, à dilater l’espace dans lequel le musicien peut jouer, à ajouter à l’ampleur et la générosité caractéristiques de Steiger, en marge de son évident plaisir du son. Composé spécialement pour ICE (International Contemporary Ensemble), Coalescence Cycle compte six pièces (solistes et d’ensemble) et explore le concept de fusion par la performance. Deux de ces pièces seront jouées durant cette édition du Festival Images Sonores. 14 Concatenation (2012), pour basson et électronique, revisite une approche que Steiger a explorée dans de précédentes pièces solistes, appelées « études gigognes », dans lequel un ensemble de matériaux contrastants, chacun pouvant faire l’objet d’une étude, sont exposés et entrelacés dans une conversation continue. Cette pièce utilise sept matériaux différents, chacun associé à une approche unique du traitement de signaux : brouillard : des phrases rapides ou lentes se font écho et résonnent dans une texture riche qui évolue rapidement entre les haut-parleurs ; fleur : une unique note longue expressive s’épanouit en un accord complexe ; ascension : le geste s’enroule autour des haut-parleurs en devenant plus aigu ; palpitation : des trémolos retentissent et se déplacent ; métal : notes graves avec distorsion ; cri : des notes longues en glissandos excitent des filtres résonants ; débandade : des gestes fugaces sont harmonisés en tricordes et filés. Après l’exposition initiale, ces éléments musicaux réapparaissent dans des ordres variés, et avec des longueurs de phrase différentes au fur et à mesure de la pièce, débouchant sur une conversation élaborée entre les divers éléments. Rand Steiger Performance le jeudi 12 novembre à 20h30 par Wolfgang Rüdiger (Ensemble Aventure) et le Centre Henri Pousseur. Light on Water (2012) pour flûte, piano et électronique « Je vis près du marais Los Peñasquitos à San Diego, Californie ; je le longe tous les jours et j’ai été frappé par les multiples façons dont la lumière se reflète sur la surface de l’eau. Parfois, elle renvoie l’ennuyeuse grisaille du matin ; à d’autres moments, lorsque le soleil brille et que le niveau de l’eau est haut, il produit des taches éclatantes et scintillantes. Cela peut créer une forme de beauté déconcertante, et c’est avec ces impressions et images en tête que j’ai conçu le matériau de la pièce. » Rand Steiger Performance le samedi 14 novembre à 19h par Ine Vanoeveren (flûte), Frederik Croene (piano) et le Centre Henri Pousseur. 15 Vendredi 13 novembre 19h30 We Are From Belgium (Introduction au concert à 19h00) Luigi Nono, …sofferte onde serene… pour piano et électronique (1976) Daan Janssens, (Paysages-Etudes) I pour violoncelle et piano (2010) Guillaume Auvray, Corpuscules ** pour violoncelle, piano et électronique (2015) Daan Janssens, (Paysages-Etudes) V pour flûte, violoncelle et piano (2011) Pause François Couvreur, Au centre ** pour ensemble et électronique (2015) (réalisation informatique musicale : Jean-Marc Sullon, Centre Henri Pousseur) Daan Janssens, (Paysages-Etudes) IV pour ensemble (2011) Stefan Hejdrowski, Héros-Limite ** pour ensemble et électronique (2015) (réalisation informatique musicale : Jean-Marc Sullon, Centre Henri Pousseur) Daan Janssens, (l’espace d’une page) - (Paysages - études) II pour cymbalum et ensemble (2014) Pause Martin Matalon, Traces IX * pour violoncelle et électronique (2014) Daan Janssens, (…nada.) - (Paysages - études) III pour violoncelle, piano et électronique (2015) (commande du Centre Henri Pousseur, réalisation informatique musicale : Jean-Marc Sullon) 16 19h30 Ensemble Aton’&Armide Sara Picavet, piano Benjamin Glorieux, violoncelle Luigi Gaggero, cymbalum Eugénie Defraigne, violoncelle Lena Kollmeier, piano Benedetto Parisi, cor Rémi Lafosse, percussion Romain Garitte, percussion Ensemble Hopper France Collignon, piano Rudy Mathey, clarinette Roxanne Leuridan, violon Nathalie Angélique, alto Bruno Bragato, violoncelle Sofia Gantois, flûte François Deppe, direction Centre Henri Pousseur, électronique live * création belge ** création mondiale 17 Daan Janssens (Paysage - Etudes) Le cycle en cinq mouvements (Paysages – études) a vu le jour entre 2010 et 2015. Il se compose de trois pièces de musique de chambre : (Paysages – études) I pour violoncelle et piano (2010) ; (...nada.) – (Paysages – études) III pour violoncelle, piano et électronique live (2015) ; (Paysages – études) V pour flûte, violoncelle et piano (2011) ; et de deux compositions d’ensemble : ©Isabelle Françaix Nom: Daan Janssens Né: 1983, Brugge Formation: Composition au « Koninklijk Conservatorium Gent » Professionnellement: Doctorant au « Koninklijk Conservatorium Gent » Performances: Spectra Ensemble, Ensemble Intercontemporain, Aton’&Armide, Ensemble Orchestral Contemporain, Neue Vocalsolisten Stuttgart, Ensemble Musiques Nouvelles, Vocaallab, Gulbenkian Orchestra Lisbon, Symfonieorkest Vlaanderen, Nadar, e.a. Plus d’informations: www.daanjanssens.be 18 (l’espace d’une page) – (Paysages – études) II pour cymbalum et huit instruments (2014) ; (Paysages – études) IV, étude d’après Maurice Maeterlinck, pour sept instruments (2011). Le violoncelle et le piano occupent une place centrale dans les trois compositions de musique de chambre. Je les ai écrites pour Aton’&Armide, l’ensemble du violoncelliste Benjamin Glorieux et de la pianiste Sara Picavet. Les deux pièces d’ensemble ont été commandées par le Spectra Ensemble. (Paysages – études) I pour violoncelle et piano (2010), et (Paysages – études) V pour flûte, violoncelle et piano (2011) ont vu le jour sous la forme d’études pour mon opéra de chambre Les Aveugles (2011). J’ai repris presque littéralement dans cet opéra de longs fragments de ces compositions d’études, en ajoutant aux lignes musicales de flûte, violoncelle et/ou piano déjà existantes de nouvelles parties vocales et instrumentales. Ainsi, le premier mouvement de (Paysages – études) I revient presque intégralement dans la quatrième scène des Aveugles, et j’ai repris une grande partie du deuxième mouvement de (Paysages – études) I dans la deuxième scène de l’opéra de chambre. Il existe également des liens musicaux internes entre les deux études. Ainsi, un fragment du premier mouvement de (Paysages – études) I revient dans (Paysages – études) V. Les parties de violoncelle et de piano y sont alors agrémentées d’une partie de flûte. J’ai appliqué un principe inverse à (Paysages – études) IV. Cette composition part du matériau des Aveugles. J’ai réécrit les lignes vocales et instrumentales de la deuxième scène de l’opéra de chambre pour un ensemble de sept instruments tout en conservant intégralement la dramaturgie et le développement musical de la composition d’origine. Tout comme (Paysages – études) IV, les compositions ultérieures (l’espace d’une page) – (Paysages – études) II (2014) et (...nada.) – (Paysages – études) III (2015) s’appuient sur le matériau des Aveugles. Dans ces deux œuvres, j’ai utilisé un processus différent de celui appliqué aux mouvements précédents. Contrairement aux compositions antérieures, où je reprenais à la lettre ou réécrivais des blocs de musique, le matériau de base de (l’espace d’une page) et de (...nada.) est beaucoup plus abstrait : un motif arpégé au piano et aux percussions, une succession de notes chromatiques, une reprise de quelques notes... Ce matériau a ensuite servi de point de départ à la création d’une structure dramatique entièrement nouvelle, complètement indépendante du développement musical formel de la composition d’origine. J’ai composé (l’espace d’une page) pour trois vents, trois cordes et trois instruments « à percussion » (cymbalum, piano et percussions). Le cymbalum fonctionne tout au long de l’œuvre comme un « quasi-soliste ». Il existe par moments une relation claire entre le soliste et l’ensemble, tandis qu’à d’autres, cette hiérarchie disparaît, ou d’autres instruments reprennent le rôle soliste du cymbalum. Dans (...nada.), la composition la plus récente et aussi la plus imposante de la série – elle dure à elle seule presque aussi longtemps que les quatre autres mouvements du cycle réunis –, j’ai ajouté de l’électronique aux instruments acoustiques. Le point de départ de la partie électronique est constitué d’enregistrements de fragments de (Paysages – études) I et de (Paysages – études) V, joués par Benjamin Glorieux et Sara Picavet. J’y ai ensuite ajouté d’autres enregistrements, autant de musique écrite que d’improvisations de Benjamin et Sara. Tout au long de la pièce, les instruments live et l’électronique dialoguent de trois façons différentes. Dans le premier mouvement, la partie instrumentale se distingue clairement de la ligne électronique. Dans le deuxième mouvement, les deux parties se mêlent, puis, dans le troisième mouvement, 19 l’électronique joue un rôle central. Enfin, une longue « cadenza » électronique est suivie d’une coda entièrement basée sur le premier mouvement du cycle. Les instruments reprennent le matériau du deuxième mouvement de (Paysages – études) I tandis que la partie électronique repose entièrement sur des enregistrements de cette même œuvre. Daan Janssens Conservatoire de Liège Trois créations S. Hejdrowski Héros-Limite « La mort, la mort folle, la morphologie de la méta, de la métamort, de la métamorphose ou la vie, la vie vit, la vie-vice, la vivisection de la vie » étonne, étonne et et et est un nom, un nombre de chaises, un nombre de 16 aubes et jets, de 16 objets contre, contre la, contre la mort ou, pour mieux dire, pour la mort de la mort ou pour contre, contre, contrôlez-là, oui c’est mon avis, contre la, oui contre la vie sept, c’est à, c’est à dire pour, pour une vie dans vidant, vidant, dans le vidant vide et vidé, la vie dans, dans, pour une vie dans la vie. » Performance le vendredi 13 novembre à 19h30 20 Ghérasim Luca F. Couvreur Au centre G. Auvray Corpuscules Au centre, est une pièce conçue en trois parties. La première présente successivement deux sortes d’impacts dont l’ harmonie (éclatée dans le spectre entre le médium et le sur-aigu) et la rythmicité se morcellent petit à petit. L’ensemble instrumental et les effets électroniques forment un tout harmonique et rythmique, qui se rétracte ou Corpuscules est une pièce déstructurée ou plutôt à structure semi-variable. La musique en tant que langage a pour but de véhiculer un message, une pensée, une idéologie, une revendication, mais également à nouveau – après l’extrémisme antipathique dans le sens étymologique du terme, de certaines Écoles de la fin du siècle dernier – se délaye dans le temps. Le processus mène à un ostinato qui conduira toute la deuxième partie de la pièce dans une ambiance contemplative. Des accords y apparaissent au compte goutte puis disparaissent en laissant leurs résonances se mêler aux autres. La troisième partie est une presque redite de la première. des élans émotifs. Ceci n’est possible que par un retour à une dialectique intelligible du discours musical. Cette cohérence discursive est présente par une continuité stratégique entre chacune des cellules offertes aux musiciens. Ce sont ces derniers qui donneront l’identité finale à chaque prestation de l’œuvre grâce au déroulement des corpuscules. C’est avec des agrégats cellulaires que les musiciens François Couvreur construiront une phraséologie en fonction de leurs singularités de musiciens et d’ensemble instrumental. Guillaume Auvray 21 Samedi 14 novembre 18h00 HELLO ! Part one Peter Ablinger, Renate Fuczik (extrait) pour piano et 1 haut-parleur (2006-2026) François Sarhan, Vice Versa (texte & body percussion) (2008) Cathy van Eck, Pièce d’Ameublement pour piano, plantes et électronique (2011) Peter Ablinger, The Real as Imaginary pour voix & noise (2012) Mark Applebaum, Aphasia for muted singer and tape (2010) Ine Vanoeveren, voix Frederik Croene, piano Tom De Cock, performer Nico Couck, performer Centre Henri Pousseur, électronique live 19h00 HELLO ! Part two Mauricio Pauly, Another Celibate Machine * pour ensemble et électronique (2013) João Pedro Oliveira, Burning Silver * pour flûte, guitare et électronique (2014) Johannes Kreidler, Klavier Study pour piano, vidéo et électronique (2011) Rand Steiger, Light on Water * pour flûte, piano et électronique (2012) Pause 22 Steven Kazuo Takasugi, The Man Who Couldn’t Stop Laughing * théâtre musical pour ensemble et électronique (2009-2014, rév. 2015) Katharina Rosenberger, The Line * pour vidéo et électronique (2002, 2003) Brian Ferneyhough, Mnemosyne pour flûte basse et électronique (1986) Johannes Kreidler, Stil 1f * pour ensemble et électronique (2013) Pause Per Bloland, Solis Overture * pour ensemble et électronique (2014) Sam Hayden, Schismatics II pour violon électrique et électronique (2007, rév. 2010) Mauricio Pauly, Sky Destroys Dog * pour guitare électrique et électronique (2014) Alexander Schubert, Hello 2.0 ** pour ensemble, électronique et vidéo (2015) (vidéo par Evy Schubert) Nico Couck, guitare Ine Vanoeveren, flûtes Frederik Croene, piano Stijn Saveniers, violoncelle Tom De Cock, percussion Takao Hyakutome, violon Centre Henri Pousseur, électronique live * création belge ** création mondiale 23 Performance = art L’art de la performance insistant sur l’aspect musical a vu le jour dans les années 1960, à la suite du mouvement artistique Fluxus (latin : flux, courant). Ces performances où se mêlent diverses disciplines artistiques, peu conventionnelles pour cette époque, ont souvent laissé au public un sentiment troublant et inconfortable. Comment décrire autrement la réaction de stupéfaction (voire d’embarras) du public quand Yoko Ono se met à crier au milieu du MoMa à New York (Voice Piece for Soprano, 2010) ? L’idée de combiner des disciplines artistiques, et tout particulièrement d’ajouter un facteur théâtral à une œuvre d’art musicale, a inspiré les générations suivantes de compositeurs. Outre les paramètres connus en musique (dynamique, rythme, registre et tempo), l’incarnation physique est devenue une dimension importante en musique nouvelle. Brian Ferneyhough, compositeur britannique connu pour son écriture rythmique et mélodique excessivement complexe, exige une composante physique (incarnée), tout simplement dans la mesure où les éléments purement musicaux ne sont pas suffisamment nombreux pour traduire son écriture dense. Dans Mnemosyne, pour flûte basse et électronique, l’interprète fait l’équilibre sur 24 la frontière ténue entre explication audible et explication visuelle de la question complexe de la mémoire et du souvenir. D’autre part, le compositeur nippo-américain Steven Kazuo Takasugi fait totalement fi des limites traditionnelles d’un concert de musique classique. La structure musicale de sa pièce The man who couldn’t stop laughing est construite sur une bande électronique. Les musiciens sur scène sont des acteurs qui, fort à propos, jouent d’un instrument. Écouter la musique ne suffit pas ; il faut la voir afin de sentir l’implication physique. Dans Hello 2.0, le compositeur Alexander Schubert et la vidéographe Evy Schubert, installés à Berlin, transposent l’aspect théâtral à un court métrage qui fait office de partition musicale. Les artistes adaptent leur interprétation de la partition écrite au scénario du film, en utilisant toutes les extensions instrumentales qui leur viennent à l’idée, de type techniques étendues, accessoires et voix. La voix joue un rôle majeur dans l’interprétation. C’est un instrument que nous possédons tous, un outil que nous pouvons tous exploiter. Les compositeurs contemporains cherchent souvent la controverse : jouer avec virtuosité est admirable, mais est-ce intéressant ? En utilisant de nouvelles techniques, appelées techniques étendues, des outils inhabituels comme du papier de verre, des chaînes et des vibrateurs, et les voix non travaillées des instrumentistes, les compositeurs parviennent à ouvrir de nouvelles fenêtres dépolies sur une expérience musicale. Certaines pièces sont spécifiquement écrites comme des (non)action performances. En 1952, John Cage a écrit 4’33”, où le pianiste est assis « silencieusement » à son piano durant 4 minutes et 33 secondes. Mais cela ne veut pas dire que le résultat de la pièce est le silence. Interprètes et public entendent tous leur cœur battre dans leur cou, le bruit des pieds, la toux ou le rire embarrassé du public, le bourdonnement des projecteurs... Une fois que l’on a dépassé le trouble du départ, on peut commencer à faire l’expérience de la puissance du silence et de la pureté du bruit. De systèmes d’irrigation électronique (van Eck) à la réalité imaginaire d’Ablinger ; d’une horloge parlante (Ablinger) à un duo de claques (Sarhan) et à une pantomime extériorisante (Applebaum) : ces pièces sont supposées impliquer. Les interprètes attirent le public dans un univers artistique inconnu, inconfortable, qui transcende la scène musicale traditionnelle. Ine Vanoeveren 25 Johannes Kreidler Créer, c’est interpeller ©Esther Kochte Nom: Johannes Kreidler Né: 1980, Esslingen am Neckar, Allemagne Formation: Hochschule für Musik, Freiburg; Institut de Sonologie Den Haag; Albert-Ludwigs-Universität Freiburg Professionnellement: Enseigne la théorie musicale et la musique électronique à l’Université de Musique et Théâtre de Rostock, à la Hochschule für Musik de Detmold ainsi qu’à la Hochschule für Musik und Theater à Hanovre Performances: Donaueschingen festival, Internationales Musikinstitut Darmstadt, Ultima Festival Oslo, Musica Strasbourg, Gaudeamus Music Week Utrecht, Huddersfield Contemporary Music Festival, e.a. Plus d’informations: www.kreidler-net.de 26 Johannes Kreidler fait partie de ces ‘nouvelles figures de musiciens’ et de compositeurs intégrant les nouvelles technologies dans sa boite à outils poïétique et fait de l’informatique musicale le moyen quasi exclusif pour concevoir une approche personnelle et engagée dans son rapport à l’art et au monde. Ses œuvres ou performances étonnantes, parfois drôles ou provocatrices interpellent notre sens critique, sans concession, sur les nouvelles technologies et les rapports complexes qu’elles entretiennent avec nos sociétés. ‘Créer, c’est interpeller’, nous rappelle Kreidler. L’internet pour J. Kreidler, c’est un investissement (au propre comme au figuré), une vitrine de sa créativité musicale (compositions, performances) et de ses engagements intellectuels (conférences, interviews) sur un mode rare chez un musicien. Le E-learning et les réseaux sociaux (déclinés par chaque artiste dans leurs utilisations en fonction de leur positionnement idéologique et poïétique) chez Kreidler exacerbent son geste, sa pratique. Se dessine le portrait d’un franc-tireur aux visages multiples (mais cohérents, unifiés quant aux idéaux sous-jacents) et un provocateur mesuré déployant une vraie stratégie de communication exhibant ses créations à la croisée des ‘genres’. Pure data, son logiciel musical fétiche, lui sert à expérimenter et à bousculer son corps sur scène sans pudeur émotionnelle. Sa rencontre avec l’informatique musicale se fit dans le cadre de l’école qui mettait à la disposition de ses élèves des postes sur lesquels Max/MSP étaient installés. Mais seule Pure data à cette époque était disponible sur PC et sa gratuité finit de le convaincre en lui ouvrant de nouvelles possibilités quant au traitements complexes rendus possibles par le traitement numérique des sons. Celui-ci va devenir son logiciel fétiche de prédilection offrant un environnement non seulement facile d’accès de par sa gratuité et sa souplesse (puisque chacun construit un projet en fonction de ses besoins partant d’une fenêtre vide sur l’écran : un patch) mais également de par toute la communauté internationale d’utilisateurs se retrouvant sur différents forums permettant de trouver aide et ressources disponibles gratuitement (tutoriels, patchs, conseils techniques etc.). Pour Johannes Kreidler, la première utilisation qu’il fit de Pure data fut celle « du simple plaisir de l’expérimentation » (sic) ; le logiciel a l’avantage de ne pas avoir de couleur esthétique spécifique car il n’y a pas de son Pd, « no Pd sound » (sic). Le « son » qui résulte du projet artistique est celui que l’artiste a construit et élaboré. Cette absence de « signature » esthétique lui offre un espace de liberté exceptionnel dans lequel il va élaborer le programme COIT (« calculated objects in time ») à l’origine de beaucoup de ses réalisations musicales et artistiques. Une autre de ses préoccupations concerne la notion de propriété et de copyright liés à toute création musicale qui fait aujourd’hui débat et qu’internet questionne. Kreidler va lui aussi poser ce problème notamment au-travers du sample, de l’échantillon (ce court ou très court fragment audio émanant d’une pièce de musique quelconque) qui devient presque emblématique de toutes les problématiques juridiques et artistiques découlant de la libre utilisation de ces « emprunts » dont il est parfois difficile de reconnaître ou d’identifier l’origine et l’auteur précis. Sur ce sujet, Kreidler revendique la libre utilisation de ces samples en menant un combat original (sa propre mise en scène d’un artiste pince-sans-rire) ou il va engendrer le rire et un sentiment de ridicule auprès des autorités allemandes. Au-delà de cet aspect purement formel, ce sample ou échantillon fascine littéralement cet artiste dans la mesure ou il est comme un « précipité culturelle » digne d’être manipulé, déformé, exhibé sur scène dans des performances assez étonnantes et rares ; Kreidler nous propose une « théâtralisation » d’une problématique, presque choquante par son caractère décalée ou burlesque créant un espace d’interrogations chez l’auditeur coincé entre le rire et la perplexité. Jean-Pierre Quinquenel 27 Steven Kazuo Takasugi The Man Who Couldn’t Stop Laughing ©Zvia Fridman Nom: Steven Kazuo Takasugi Né: 1960, Los Angeles, California Formation: Université de California, Los Angeles; Brooklyn College Conservatory of Music, New York; Université de California, San Diego Professionnellement: Professeur (Associate) au département de musique de l’Université de Harvard; directeur de l’Institut d’été de Composition. Professeur à l’Académie Schloss Solitude Stuttgart Performances: Salt Festival Victoria; Ensemble Dal Niente; Forma; Spark Festival; MusikFabrik; Acousmain; E-werk; Transit Festival; Ultraschall et MaerzMusik; HaTeiva; Stockholm New Music; State Theater; Bludenz Festival; Ferienkurse für Neue Musik Darmstadt, e.a. Plus d’informations: www.steventakasugi.com 28 The Man Who Couldn’t Stop Laughing (L’homme qui riait) est avant tout une œuvre de théâtre musical inscrite dans une performance de musique de chambre aux allures d’attraction (phénomène) de foire. Elle est extrême, parfois « exagérée » dans ses représentations et démonstrations théâtrales, tout particulièrement pour une pièce de musique de chambre donnée dans un lieu dédié à la musique classique ; pourtant, son impitoyable maîtrise est salvatrice. Divers actes joués sur scène pourraient se solder par des résultats comiques, étranges ou grotesques, mais les tentatives d’un interprète d’être fou, mignon, mélodramatique, ou histrionique ne s’en approchent jamais. Bien au contraire : c’est un théâtre extrêmement austère, évoquant davantage le théâtre nô japonais ou la cérémonie du thé. (À en juger par les personnages dépeints par la perspective des acteurs, ce théâtre n’a rien de drôle, mais plutôt quelque chose de fataliste ou d’absurdement tragique.) Basé sur les travers obscurs des parcs d’attraction de Coney Island au début du XXe siècle, The Man Who Couldn’t Stop Laughing est une réflexion sur la virtuosité, les spectacles de monstres, le divertissement, l’entreprise du spectacle et les sacrifices que l’on fait pour survivre dans le monde. Un cycle de quatre aphorismes du satiriste viennois Karl Kraus (1874-1936) sert de sous-texte tout au long de l’œuvre : 1. « Ein Gourmet sagte mir: was die Crême der Gesellschaft anlange, so sei ihm der Abschaum der Menschheit lieber. » (Un gourmet m’a dit qu’au regard de la crème de la société, il préférait la lie de l’humanité.) 2. « Wenn Tiere gähnen, haben sie ein menschliches Gesicht. » (Quand des animaux bâillent, ils ont un visage humain.) 3. « Der Fortschritt macht Portemonnaies aus Menschenhaut. » (Le progrès fait des porte-monnaie de peau humaine.) 4. « In einen hohlen Kopf geht viel Wissen. » (Dans une tête vide, il entre beaucoup de savoir.) Les personnages de l’attraction : - Géant (aux poumons énormes) - Avaleur d’épées (expert en sabre ; possède même un fourreau) - Araignée humaine (né avec huit mains) - Nain bégayant et Propriétaire du spectacle/ Annonceur Table des matières Mouvement I : The Man Who Couldn’t Stop Laughing A. Lead-in (0:00) B. ‘The Man Who Couldn’t Stop Laughing’ (0:08) C. Kraus Aphorism I : ‘Ein Gourmet Sagte Mir…’ (1:32) D. ‘The Man Who Couldn’t Stop Laughing, Part II’ (3:21) E. Interlude I: ‘A Queasy Ascent’ (6:03) F. Kraus Aphorism II : ‘Wenn Tiere Gähnen…’ (7:15) G. Kraus Aphorism III : ‘Der Fortschritt…’ (8:29) or ‘The Fat Man’ or ‘The Obese Genius’ (16:29) L. Interlude III : ‘Night’s Glimmering City’ (17:19) Steven Kazuo Takasugi Création belge le samedi 14 novembre à 19h00 par Nico Couck (guitare), Ine Vanoeveren (flûte), Stijn Saveniers (violoncelle), Takao Hyakutome (violon), Frederik Croene (piano), Tom De Cock (percussion) et le Centre Henri Pousseur. Mouvement II : Sodom by the Sea H. Interlude II : ‘Premonition: Morning after the Inferno (with View of Sea)’ (9:52) I. ‘The Contortionist’ (14:52) J. Kraus Aphorism IV : “In Einen Hohlen Kopf…” (16:08) K. ‘The Sideshow Giant’ 29 Centre Henri Pousseur Fondé en 1970 à l’initiative de Henri Pousseur et de Pierre Bartholomée, le Centre Henri Pousseur (anciennement « Centre de Recherches et de Formation musicales de Wallonie ») a joué un rôle de pionnier et s’est engagé dès sa création dans la réalisation et la diffusion d’œuvres de musique électronique et, tout particulièrement, de musique mixte. Lieu d’expérimentations, d’échanges et de réalisations contemporaines, le Centre Henri Pousseur accueille des projets d’artistes de la Fédération Wallonie-Bruxelles, ainsi que des autres régions du pays et de l’étranger. Plusieurs commandes sont lancées chaque année par le Centre à des compositeurs de Communauté française et étrangers. Depuis 2009, il décerne tous les deux ans le Prix Henri Pousseur à un jeune lauréat d’un Conservatoire de la Fédération Wallonie-Bruxelles. 30 Au travers de projets propres, comme le Festival Images Sonores, le Centre soutient la diffusion des créations réalisées dans ses studios, sans négliger pour autant le répertoire. Les activités du Centre Henri Pousseur sont réalisées avec l’aide de la Fédération de la Communauté Wallonie-Bruxelles (Direction générale de la Culture, Service de la Musique). Stijn Boeve directeur général Jean-Marc Sullon Patrick Delges informatique musicale et électronique live Les compositeurs Peter Ablinger Mark Applebaum Guillaume Auvray Per Bloland François Couvreur Cathy van Eck Brian Ferneyhough Sam Hayden Stefan Hejdrowski Thomas Hummel Daan Janssens Johannes Kreidler Martin Matalon Luigi Nono João Pedro Oliveira Mauricio Pauly Edwin Pierard Katharina Rosenberger Roberto David Rusconi François Sarhan Alexander Schubert Rand Steiger Steven Kazuo Takasugi Les interprètes Musiques Nouvelles Thomas Van Haeperen Ensemble Aventure Ensemble Aton’&Armide Luigi Gaggero Eugénie Defraigne Lena Kollmeier Benedetto Parisi Rémi Lafosse Romain Garitte Ensemble Hopper François Deppe Nico Couck Ine Vanoeveren Takao Hyakutome Frederik Croene Stijn Saveniers Tom De Cock www.ablinger.mur.at www.markapplebaum.com www.perbloland.com www.cathyvaneck.net www.edition-peters.com/composer/Ferneyhough-Brian www.samhaydencomposer.com www.thomashummel.net www.daanjanssens.be www.kreidler-net.de www.martinmatalon.com www.luiginono.it (Fondation - Archives) www.jpoliveira.com www.mauriciopauly.com www.krosenberger.ch www.robertdavidrusconi.co.uk www.fsarhan.com www.alexanderschubert.net www.rand.info www.steventakasugi.com www.musiquesnouvelles.com www.ensemble-aventure.de www.aton-armide.com www.cimbalom.eu www.nicocouck.com www.inevanoeveren.com www.takao.co.nr www.frederikcroene.com www.stijnsaveniers.com Les biographies sont disponibles sur le site www.images-sonores.be Traductions: Emilie Syssau - Maxime Schouppe Graphisme: www.toykyo.be 31 Centre Henri Pousseur 5 Quai Banning 4000 Liège +32 4 223 22 98 [email protected] www.centrehenripousseur.be Le Festival Images Sonores est organisé par le Centre Henri Pousseur avec l’aide de