l`identification des rapports bénefices risques dans la prescription
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ARTICLE N°21 L’IDENTIFICATION DES RAPPORTS BÉNEFICES RISQUES DANS LA PRESCRIPTION DES ANTIDÉPRESSEURS Recherche menée par Frédéric ROuILLON et Hélène VeRdOuX F. ROUILLON - Professeur de Psychiatrie à l’Université Paris Descartes, Chef de Service et de Pôle à la CMME (Clinique des Maladies Mentales et de l’Encéphale de l’hôpital Sainte Anne), PARIS. H. VERDOUX - Professeur de Psychiatrie adulte, Université Victor Segalen, BORDEAUX. F. Rouillon et H. Verdoux - L’identification des rapports bénéfices-risques dans la prescription des antidépresseurs L’identification des rapports bénéfices-risques dans la prescription des antidépresseurs La connaissance du rapport bénéfice/risque des antidépresseurs permet d’éclairer la décision de les prescrire et de les utiliser. Différentes recommandations de bonnes pratiques nationales et internationales résument les connaissances scientifiques actuelles sur les antidépresseurs et définissent des protocoles de bon usage qui cadrent les conditions de prescription et d’usage des antidépresseurs. Le Pr. François Rouillon discute les questions essentielles permettant d’éclairer ces connaissances : quels sont les résultats connus sur les rapports bénéfices-risques des antidépresseurs dans les troubles dépressifs ? quelles sont les probabilités relatives de bénéficier ou de pâtir des antidépresseurs dans les différentes situations cliniques pertinentes rencontrées dans la pratique ? quels sont les dispositifs méthodologiques utilisés pour produire ces résultats ? D’autre part, les connaissances aujourd’hui disponibles sur l’efficacité de ces différentes approches thérapeutiques ouvrent la voie à d’autres perspectives de compréhension de la physiopathologie des troubles de l’humeur. Le Pr. Hélène Verdoux discute les différents points de débats que suscite la question de l’évaluation du rapport bénéfice-risque des antidépresseurs : l’augmentation du risque suicidaire, leur efficacité incertaine dans les dépressions d’intensité légère à modérée, les prescriptions inadéquates des antidépresseurs... L’évaluation de ce rapport nécessite de développer les études pharmaco-épidémiologiques où le bénéfice/risque est estimé en conditions réelles de prescription. Il est nécessaire de promouvoir des recherches sur les facteurs qui déterminent les prescriptions hors indication, car elles contribuent au déséquilibre de la balance bénéfice/risque des antidépresseurs. Il y a urgence à développer des recherches sur le rapport bénéfice/risque de thérapies alternatives, notamment des psychothérapies, mais aussi à favoriser les filières et les modalités d’accès à ces traitements alternatifs... DISCUSSIONS ET DÉBATS SOMMAIRE NOTA beNe : Les numéros entre crochets dans le texte correspondent aux références bibliographiques situées à la fin du document (Exemple : [1] correspond à Ref. [1] sur la page 11). De quels résultats communément admis disposons-nous ? p.3 Comment les obtenons-nous ? p.4 Qu'en tirons-nous comme connaissances ? p.6 Qu'en faisons-nous concrètement ? p.7 Quels sont les discussions et débats actuels ? p.7 Références p.11 Biographies p.14 F. Rouillon et H. Verdoux - L’identification des rapports bénéfices-risques dans la prescription des antidépresseurs De quels résultats communément admis disposons-nous ? auteur : frédéric rouillon 1. Pour mieux connaître la procédure française d’autorisation de mise sur le marché des produits de santé, on pourra consulter les informations fournies par l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé (AFSSAPS). 2. Un placebo est une préparation dépourvue de tout principe actif, utilisée à la place d’un médicament pour son effet psychologique. En effet, le simple fait de se voir prescrire un médicament, et de l’utiliser, peut produire des effets thérapeutiques, indépendamment de l’action pharmacologique du produit sur l’organisme. C’est ce que l’on appelle « l’effet placebo ». 3.Pour connaître les symptômes de la dépression chez l’adulte et en avoir une illustration, voir l’article n° 20-1 : « Comment se fait un diagnostic de dépression », Tableau n° 1 (Dr. David Gourion), Le Livre Blanc de la Dépression. 4. Pour une définition des troubles névrotiques, on pourra consulter les descriptions de la Classification Internationale des Maladies (CIM) de l’OMS, catégories F40-F48 : Version anglaise, version française. 5. Pour une définition des troubles anxieux, on pourra consulter les informations fournies par la Haute Autorité de Santé (HAS). 6. Troubles en relation avec la douleur. 7. Pour plus d’informations consulter par exemple les informations fournies par la Food and Drug Administration (FDA) américaine. Quels sont les résultats connus sur les rapports bénéfices-risques des antidépresseurs dans les troubles dépressifs ? Connaître l’efficacité et la tolérance d’un antidépresseur est indispensable à sa prescription. Cette connaissance est donc une condition préalable à toute mise à disposition du corps médical d’un nouvel antidépresseur. Des études destinées à obtenir une Autorisation de Mise sur le Marché (AMM 1 ) évaluent donc : > La supériorité de leur activité thérapeutique en comparaison à un placebo2 . > Leur supériorité (ou tout au moins leur non-infériorité) par rapport à un produit de référence déjà disponible sur le marché. > L eur bonne tolérance. La tolérance recouvre les effets indésirables mineurs qui ne doivent pas obérer l’amélioration des manifestations psycho-pathologiques traitées, mais surtout les évènements graves qui conduisent au retrait du marché du produit concerné ou à l’arrêt de son développement s’il n’était pas encore commercialisé. > Les caractéristiques du patient traité (par exemple son âge, son vécu de sa maladie, ses attentes par rapport au médicament, les conséquences de son trouble, sa sensibilité aux psychotropes…). > L a nature de l’indication thérapeutique : Les médicaments dits « antidépresseurs » peuvent être prescrits non seulement dans les troubles dépressifs stricto-sensu3 , mais aussi dans les troubles névrotiques 4 , les troubles anxieux 5 , voire dans les troubles algiques 6 . Par exemple, comme le recommande à juste titre l’AFSSAPS [1], il n’y a pas lieu de prescrire un antidépresseur pour un épisode dépressif d’intensité légère ; Contrevenir à cette recommandation serait exposer le patient à d’éventuels effets indésirables, sans bénéfice tangible espéré. Quelles sont les probabilités relatives de bénéficier ou de pâtir des antidépresseurs dans les différentes situations cliniques pertinentes rencontrées dans la pratique ? De même, il faut être particulièrement vigilant lors de l’utilisation d’un antidépresseur chez l’enfant ou l’adolescent du fait du risque de passage à l’acte suicidaire (mise en garde connue sous le nom de « black box warning », en raison du graphisme des avertissements spéciaux imprimés sur les conditionnements de médicaments américains 7). Les probabilités de bénéficier ou de pâtir des antidépresseurs dépendent de nombreux facteurs, parmi lesquels : > Le produit lui-même. > La sévérité du trouble. > Le caractère isolé ou récurrent du trouble. Les effets que l’on peut attendre de l’usage d’un antidépresseur chez des adultes souffrant d’un épisode dépressif majeur d’intensité moyenne à sévère sont les suivants : > L a moitié d’entre eux présenteront une 3 F. Rouillon et H. Verdoux - L’identification des rapports bénéfices-risques dans la prescription des antidépresseurs 8. Un groupe placebo est un groupe de patient auquel est prescrit un placebo. Lorsque l’étude est en double aveugle, ni les patients, ni les médecins ne savent qui reçoit un placebo et qui reçoit le médicament testé. 9. Pour mieux connaître les protocoles de mise en œuvre des essais cliniques, on pourra consulter les informations fournies par l’AFSSAPS. diminution de 50 % de l’intensité de leurs symptômes après 4 semaines de traitement. > Les deux tiers présenteront cette réduction de 50 % après 6 à 8 semaines de traitement. > Un quart souffriront d’effets secondaires mineurs qui auront tendance à s’estomper avec le temps. Pour bien évaluer ce qui dans cette évolution est dû au traitement antidépresseur lui-même et à d’autres facteurs (effet « placebo », évolution spontanée du trouble dépressif, autres facteurs ayant une efficacité thérapeutique…), il faut comparer ces résultats avec ceux que l’on obtient en prescrivant un placebo à des personnes présentant des troubles similaires : > Dans les études comprenant un groupe placebo 8 , le taux de « placebo-répondeurs » (personnes présentant une réduction de 50 % de leurs symptômes) est d’environ 30 % à 4 semaines. > À 8 semaines elle est de 40 % > L a proportion des patients ayant des effets secondaires avec le placebo est légèrement inférieure à celle des groupes recevant un traitement actif (15 à 20 %). Seulement un tiers des patients peut espérer une rémission complète après un ou deux mois de traitement actif. Cette proportion de rémission complète est de 10 à 20 % en moyenne dans les groupes recevant un placebo. Cette rémission ne sera durable (à un an) malgré le maintien de la prescription pendant plusieurs mois que dans 60 à 70 % des cas. Si l’antidépresseur est arrêté prématurément, la proportion de rémission complète à un an n’est que de 30 à 40 %. Comment les obtenons-nous ? auteur : frédéric rouillon Quels sont les dispositifs méthodologiques utilisés pour produire ces résultats ? appelée « essai thérapeutique » ou « essais clinique ». Plusieurs types de méthodes permettent d’évaluer les bénéfices et les risques d’un nouvel antidépresseur avant sa mise sur le marché. Ces méthodes se fondent sur la comparaison des effets du produit évalué à un autre traitement dans des conditions soit expérimentales soit naturelles. Une étude évaluant les effets d’un traitement est Les essais thérapeutiques les moins contestables sont les essais cliniques 9 randomisés (ECR) contre placebo en double aveugle. En comparant le traitement évalué à un placebo, ils permettent de faire la part de l’effet purement pharmacologique (vraiment dus au traitement lui-même) et des effets non spécifiques de toute prise en charge théra4 F. Rouillon et H. Verdoux - L’identification des rapports bénéfices-risques dans la prescription des antidépresseurs 10. C’est-à-dire sans autres troubles associés. peutique. En dissimulant aux patients (simple aveugle) et aux médecins de l’étude (double aveugle) le traitement utilisé, ils permettent de limiter les effets d’influence liés au fait d’utiliser un traitement que l’on suppose efficace. Les bénéfices observés dans les études doivent être statistiquement significatifs : cela signifie que l’on doit avoir une relative certitude – on retient généralement une marge d’erreur de 5 % - que les différences entre le traitement testé et le placebo ne sont pas dues au hasard, mais peuvent être vraiment imputées aux effets du traitement. Mais ces bénéfices doivent aussi être cliniquement significatifs. Cela signifie que l’on ne saurait se satisfaire d’une appréciation uniquement mathématique/ statistique de l’efficacité, mais que l’efficacité démontrée par des tests statistiques doit également avoir du sens pour le prescripteur et son patient. Pour évaluer l’efficacité clinique, on utilise généralement des échelles d’évaluation de la dépression qui permettent de transformer les symptômes dépressifs en un score numérique : le score est d’autant plus élevé que le nombre de symptômes et leur intensité sont plus importants. Par exemple, l’échelle de Hamilton (ou échelle HDRS pour « Hamilton Depression Rating Scale »), l’une des plus utilisées, comprend 50 points, un score de 50 représentant l’intensité la plus élevée possible de dépression, et un score de 0 l’absence totale de symptômes dépressifs. Pour qu’un effet thérapeutique observé soit considéré comme « cliniquement significatif », on exige généralement une amélioration d’au moins deux points sur l’échelle d’évaluation de la dépression utilisée. Différents dispositifs sont possibles selon que l’on cherche à évaluer l’effet curatif du traitement (les deux premiers mois), son effet de prévention des rechutes (maintien de l’amélioration symptomatique à six-huit mois) ou son effet de prévention des récidives (audelà de 8 mois). Par exemple, dans les études « long terme », seuls les répondeurs (diminution de 50 % du score de dépression) à une première phase curative du traitement sont randomisés (répartis au hasard), en double aveugle, soit dans un groupe avec maintien du même produit, soit dans un groupe avec passage au placebo (discontinuation study). Toutefois, si les essais contrôlés versus placebo ou produit de référence apportent des résultats très solides, en raison de la rigueur des dispositifs méthodologiques utilisés, ils ne rendent que très imparfaitement compte de la réalité des multiples situations de prescription d’antidépresseurs. En effet, tous les patients ne peuvent pas être inclus dans un essai thérapeutique. Il existe des critères d’inclusion et d’exclusion. Par exemple, seuls les patients sans risque suicidaire, sans comorbidité 10 , sans prescriptions associées, ayant donné leur consentement éclairé, … seront soumis à l’expérimentation. En toute rigueur, c’est donc seulement à ce type de patients que les résultats des études peuvent s’appliquer. Des études comparatives ouvertes ou conduites « dans la vraie vie » (dites naturalistiques), comme la célèbre étude STAR-D [9], sont donc nécessaires pour compléter le recueil d’information indispensable à l’appréciation des rapports bénéfices-risques d’un antidépresseur. De même, seules des « études de prescription » (dites PMS pour Post Marketing 5 F. Rouillon et H. Verdoux - L’identification des rapports bénéfices-risques dans la prescription des antidépresseurs 11. ECT : électroconvulsivothérapie ou Sismothérapie. L’ECT consiste à provoquer une convulsion (crise comitiale) par un choc électrique exercé sur le crâne d’un patient anesthésié. Pour connaître d’avantage cette technique et son application dans le cadre de la dépression, voir l’article n° 16-1 : « Dépression et ECT » (Dr. F. Mouaffak), Le Livre Blanc de la Dépression. 12. Luxthérapie : Composé du latin lux (« lumière ») et de thérapie. C’est un traitement par la lumière. 13. L’agrypnie désigne une perte totale prolongée du sommeil, soit au cours de diverses maladies rares dont elle constitue alors un symptôme, soit provoquée volontairement. L’agrypnie peut être provoquée à titre expérimental, pour étudier les effets de la privation de sommeil. Dans certains cas, l’agrypnie est utilisés dans le cadre du traitement de la dépression. Studies, ou post-AMM), incluant plusieurs milliers de patients, sont en mesure d’identifier des évènements indésirables graves que les essais pré-AMM ayant porté sur quelques centaines de patients n’identifient pas nécessairement. Qu’en tirons-nous comme connaissances ? auteur : frédéric rouillon Quelles connaissances les résultats sur les rapports bénéfices-risques des antidépresseurs dans les troubles dépressifs permettent-ils d’obtenir sur les mécanismes des troubles dépressifs et sur les mécanismes d’action des antidépresseurs ? La psychopharmacologie s’efforce d’identifier les bases réceptérologiques qui sous-tendent les effets thérapeutiques ou indésirables des antidépresseurs ; il s’agit de déterminer sur quels récepteurs de neuromédiateurs impliqués dans les fonctionnements neuronaux les molécules des antidépresseurs sont susceptibles d’agir. À partir de ces données on peut faire des hypothèses sur leurs mécanismes d’action [3]. C’est par exemple par la connaissance du mécanisme d’action des antidépresseurs (principalement sur le recaptage des monoamines au niveau pré-synaptique) que l’on a mieux compris certains mécanismes biologiques de la dépression. Il ne s’agit toutefois que d’une vision partielle et partiale. En effet, d’une part il n’est pas certain que les antidépresseurs ne soient efficaces sur l’humeur dépressive que par leur action sur les récepteurs pré ou postsynaptiques. On sait par exemple que les antidépresseurs ont d’autres effets neurobiologiques (sur le BDNF – Brain Derived Neurotrophic Factor, une molécule qui contribue à la régulation de la croissance et de la survie des neurones et des synapses- par exemple) qui pourraient également expliquer des remaniements neurobiologiques survenant au cours des troubles dépressifs. D’autre part, les antidépresseurs ne sont pas les seuls traitements de la dépression qui peut aussi être traitée par des psychothérapies, des sismothérapies 11 , la luxthérapie 12 , l’agrypnie 13 … Les connaissances aujourd’hui disponibles sur l’efficacité des ces différentes approches thérapeutiques ouvre la voie à d’autres perspectives de compréhension de la physiopathologie des troubles de l’humeur. 6 F. Rouillon et H. Verdoux - L’identification des rapports bénéfices-risques dans la prescription des antidépresseurs 14. Voir l’article n° 28 : « Antidépresseurs et suicide » (Pr. Philippe Courtet, Dr. Emilie Olié) et l’article n° 23 : « Les antidépresseurs dans la vraie vie » (Dr. Viviane Kovess), Le Livre Blanc de la Dépression. Qu’en faisons-nous concrètement ? auteur : frédéric rouillon Comment ces connaissances et ces résultats sont-ils utilisés dans les décisions thérapeutiques concernant les troubles dépressifs ? La connaissance du rapport bénéfice/risque des antidépresseurs permet d’éclairer la décision de les prescrire et de les utiliser. Différentes recommandations de bonnes pratiques nationales [1] et internationales [2, 4, 5, 7, 8]résument les connaissances scientifiques actuelles sur les antidépresseurs et définissent des protocoles de bon usage qui cadrent les conditions de prescription et d’usage des antidépresseurs. Néanmoins, la démarche de prescription résulte davantage d’une expérience pratique, adaptable à chaque patient, que d’un savoir théorique parfaitement standardisé. D’ailleurs, le savoir sur les mécanismes d’action des antidépresseurs et sur les mécanismes biologiques en jeu dans la dépression ne sont que de peu d’utilité, actuellement, dans les pratiques de soins. En revanche, la littérature sur les principes de l’éducation thérapeutique du patient déprimé est très complémentaire de la maîtrise des principes des prescriptions des antidépresseurs [6]. Quels sont les discussions et débats actuels ? rédacteur : hélène verdoux Les connaissances sur les rapports bénéfices-risques des antidépresseurs dans les troubles dépressifs sont-elles discutées, contestées ? Sur quelles bases ? L’évaluation du rapport bénéfice-risque des antidépresseurs a suscité de nombreux débats au cours des dernières années. Comme cela est indiqué dans les sections précédentes, un premier point source de débat concerne l’augmentation du risque suicidaire chez les personnes traitées par an- tidépresseur, initialement suspectée au travers d’essais cliniques menés chez l’enfant et l’adolescent. Ainsi, une méta-analyse regroupant les données de 24 essais cliniques chez des personnes de moins de 18 ans a montré que le traitement antidépresseurs multipliait par près de deux le risque d’idées ou de tentative de suicide, mais sans augmentation du risque de suicide [6]. D’autres études ont trouvé des résultats comparables dans des populations d’adultes en particulier en début de traitement [7] 14. Ces données ont amené les agences sanitaires à émettre des 7 F. Rouillon et H. Verdoux - L’identification des rapports bénéfices-risques dans la prescription des antidépresseurs 15. L’équilibre hydro-électrolytique concerne l’équilibre entre les différents électrolytes (sodium, potassium, chlore, calcium, magnésium, phosphore...) et les liquides organiques. 16. Trouble bipolaire : pour des informations sur le trouble bipolaire, consultez l’article n° 23 : « Dépression Bipolaire, aspects Cliniques » (Dr. Emilie Olié), Le Livre Blanc de la Dépression. et le site : Consulter le lien alertes pour limiter la prescription des antidépresseurs, notamment chez les enfants et adolescents. Le point central du débat est que des mesures visant à restreindre l’usage des antidépresseurs dans l’objectif de limiter le risque d’idées et comportements suicidaires pourraient paradoxalement entrainer une augmentation des taux de suicide. En effet, la dépression non prise en charge ou inadéquatement prise en charge est un des facteurs de risque les mieux documentés de suicide. À l’échelon de la population, la décision de ne pas traiter par antidépresseurs des personnes souffrant de dépression avérée entrainerait probablement plus une augmentation qu’une baisse des morts par suicide [1]. La médiatisation du possible risque suicidaire lié aux antidépresseurs a pu à cet égard jouer un rôle délétère en amenant certaines personnes à interrompre ou ne pas prendre un traitement antidépresseur alors que ce traitement aurait pu leur être bénéfique. Comme cela est également mentionné dans les sections précédentes, un autre point de débat concerne le fait que les antidépresseurs n’ont pas fait la preuve de leur efficacité dans les dépressions d’intensité légère à modérée. Au cours des années précédentes, plusieurs méta-analyses synthétisant les résultats d’essais cliniques ont ainsi montré que les antidépresseurs n’étaient pas plus efficaces que le placebo dans les dépressions de faible intensité symptomatique [2, 8]. Les personnes présentant ce type de dépression traitées par antidépresseur sont donc exposées sans bénéfice thérapeutique aux risques liés à l’usage de ces médicaments. Pour mémoire, comme tout médicament produisant un effet, les antidépresseurs induisent des effets indésirables, dont la plupart sont fréquents et peu graves (troubles digestifs par exemple), mais dont certains, fort heureusement rares, sont nettement plus dangereux (déséquilibre hydroélectrolytique 15 , hémorragie digestive, accident vasculaire cérébral…). A ces effets secondaires physiques, il faut ajouter les effets secondaires de type psychiatrique et notamment le risque d’inversion de l’humeur (virage maniaque ou hypomaniaque), qui peut révéler une vulnérabilité pour le trouble bipolaire16 ou aggraver l’évolution d’un trouble bipolaire déjà connu. La question de la balance bénéfice/risque défavorable d’un traitement antidépresseur prescrit chez des personnes ne présentant pas d’indication à ce traitement s’intègre plus généralement dans le débat induit par l’augmentation spectaculaire du taux de personnes traitées par antidépresseur, qui est observée dans tous les pays industrialisés depuis la mise sur le marché des Inhibiteurs Sélectifs de Recapture de la Sérotonine (ISRS), le type d’antidépresseur le plus prescrit aujourd’hui [10, 13]. Or, les études en population générale montrent que près de la moitié des usagers d’antidépresseurs ne présentent pas de trouble psychiatrique avéré, et en particulier par de trouble dépressif avéré [3, 4]. La fréquence des prescriptions hors indication des antidépresseurs a été récemment confirmée par une méta-analyse montrant que les diagnostics de dépression sont plus souvent posés par excès que par défaut en médecine générale, et que les antidépresseurs sont fréquemment prescrits hors indication pour des troubles de l’adaptation ou chez des personnes présentant des symptômes anxieux ou dépressifs en dessous du seuil diagnostique (dits « sub-syndromiques »)[9]. Pour éviter là encore de tomber dans des positions caricaturales amenant à conclure abruptement à une sur-prescription généralisée des 8 F. Rouillon et H. Verdoux - L’identification des rapports bénéfices-risques dans la prescription des antidépresseurs antidépresseurs, ce constat d’une proportion importante de prescriptions hors indication ne doit pas occulter le fait que l’absence de prescription d’antidépresseur en cas d’indication avérée représente également un réel problème de santé publique [5]. Dans les deux cas (traitement en l’absence d’indication, et absence de traitement en cas d’indication avérée), la balance bénéfice/risque est donc défavorable. Un dernier point de débat lui aussi étroitement lié aux précédents concerne le fait que les antidépresseurs sont souvent prescrits de manière inadéquate, déséquilibrant là encore la balance bénéfice/risque. Notamment, alors que les recommandations internationales préconisent de maintenir le traitement antidépresseur au moins 6 mois après la rémission symptomatique pour diminuer le risque de rechute et de récurrence, les études en population générale montrent que la très grande majorité des prescriptions ont une durée nettement inférieure. Par exemple, dans une étude conduite à partir des données de l’assurance maladie française, plus de la moitié des prescriptions duraient un mois ou moins [12]. Paradoxalement, les personnes traitées brièvement n’avaient pas un risque augmenté de rechute [14], probablement parce que les traitements antidépresseurs interrompus précocement étaient plus fréquemment prescrits hors indication, par exemple à des personnes présentant des troubles de l’adaptation ou des symptômes anxieux ou dépressifs sub-syndromiques. Ces durées de prescription brèves sont problématiques en termes de rapport bénéfice/ risque. Les personnes faisant usage d’antidépresseurs, même de manière très brève, sont exposées aux risques liés à l’usage de ces médicaments, sans aucun bénéfice si le traitement n’était pas indiqué. Si le traitement était indiqué, le non respect de la durée de prescription expose à un risque de rechute ou de récidive, avec là encore une balance bénéfice/risque défavorable. Quelles sont les autres propositions ? Les risques liés à des modalités d’usage des antidépresseurs ne respectant pas les recommandations internationales en termes d’indication ou de durée, et plus généralement toutes les situations où le rapport bénéfice/risque des antidépresseurs est défavorable, incitent à développer l’usage de stratégies thérapeutiques alternatives. Notamment, il s’agit de promouvoir le recours à la psychothérapie, qui est aussi efficace que les antidépresseurs dans les dépressions d’intensité légère à modérée. Au-delà de cette affirmation, qui ne fait que reprendre les recommandations internationales, le point de débat concerne les modalités d’accès aux psychothérapies. On peut ainsi noter les résultats d’une étude conduite aux USA montrant que l’augmentation des prescriptions d’antidépresseurs en population générale s’associe à une diminution du taux de recours aux psychothérapies [11]. Il faut rappeler que plus de 80 % des antidépresseurs sont prescrits par les médecins généralistes, qui n’ont le plus souvent ni le temps ni la formation adéquate pour mettre en œuvre un traitement psychothérapeutique. La question qui se pose est donc celle de l’adressage des patients pour lesquels une psychothérapie est indiquée à des professionnels compétents et formés. En France, les psychothérapies assurées par les psychologues ne sont pas prises en charge par l’assurance maladie, les psychiatres formés aux psychothérapies sont en nombre trop restreints dans la plupart des régions françaises et/ou pratiquent 9 F. Rouillon et H. Verdoux - L’identification des rapports bénéfices-risques dans la prescription des antidépresseurs des dépassements d’honoraires limitant drastiquement l’accès à ces soins pour une grande partie de la population. L’évaluation du bénéfice/risque des antidépresseurs en population générale doit donc intégrer les caractéristiques de l’offre de soins et en particulier des possibilités effectives d’accès aux stratégies alternatives. Quelles sont les grandes orientations actuelles de la recherche dans ce domaine ? L’évaluation du rapport risque/bénéfice des antidépresseurs nécessite de développer les études pharmaco-épidémiologiques où ce rapport est estimé en conditions réelles de prescription. Comme cela est souligné dans la section résultats, les essais thérapeutiques sur lesquels sont basées les autorisations de mise sur le marché (AMM) portent sur un nombre restreint de personnes sélectionnées par des critères d’inclusion et d’exclusion stricts, qui sont donc peu représentatives de la population traitée en post-AMM. De plus, les modalités d’utilisation des médicaments dans les essais thérapeutiques sont très contrôlées, notamment en termes de durée d’administration, de doses et de co-prescriptions. Ces études post-AMM permettent d’évaluer si l’efficience du produit en conditions réelles d’utilisation confirme l’efficacité théorique mise en évidence en pré-AMM. Ces études permettent également de s’assurer de la tolérance des médicaments mis sur le marché, puisque des effets secondaires rares mais potentiellement graves peuvent ne pas être identifiés lors de la phase pré-AMM du fait des effectifs limités. Il est également nécessaire de promouvoir des recherches sur les facteurs (liés au prescripteur et au patient) qui déterminent les prescriptions hors indication et les bénéfices et risques associés. En miroir, le rapport bénéfice/risque à ne pas prescrire d’antidépresseur dans les indications correspondant aux recommandations internationales doit également être mieux évalué. Enfin, il parait indispensable de développer des recherches sur le rapport bénéfice/risque des thérapies alternatives, notamment des psychothérapies, ainsi que sur les filières et modalités d’accès à ces thérapies alternatives. 10 F. Rouillon et H. Verdoux - L’identification des rapports bénéfices-risques dans la prescription des antidépresseurs Références Références bibliographiques citées dans l’article Ref. [1] A FSSAPS. « Bon usage des médicaments antidépresseurs dans le traitement des troubles dépressifs et des troubles anxieux de l’adulte » AFSSAPS, Saint-Denis, 2006 • [pdf] Ref. [2] A PA (American Psychiatric Association). "Practice Guideline for the treatment of patients with depressive disorder (revision)" Am. J. Psychiatry, 2000 • 157/4, suppl • [pdf] Ref. [3] A nsseau M, Pitchot W. « Les antidépresseurs in : J-D. Guelfi et F. Rouillon » Manuel de Psychiatrie, Paris, Masson, 2007 • 504- 515. Ref. [4] B auer M, Whybrow PC, Angst J, Versiani M, Moller HJ. 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"Impact of duration of antidepressant treatment on the risk of occurrence of a new sequence of antidepressant treatment" Pharmacopsychiatry, 2011 • 44: 96-101 • [pdf] Requête active vers une base bibliographique Articles référencés sur pubmed • Avec les mots-clés : "antidepressants" • Avec les mots-clés : "antidepressants", "risks" et "benefits" • Avec les mots-clés : "antidepressants" et "risks" • Avec les mots-clés : "antidepressants" et "benefits" • Avec les mots-clés : "antidepressants", "efficacy" et "safety" Articles référencés sur google scholar • Avec les mots-clés : "antidepressants", "risks" et "benefits" • Avec les mots-clés : "antidepressants", "efficac" et "safety" autres liens utiles • France Dépression • SOS Dépression • Fédération nationale des associations d’usagers en psychiatrie (FNAPSY) • Union nationale des familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (UNAFAM) À qui s’adresser ? Tous les médecins, généralistes ou psychiatres, sont en mesure de traiter un trouble dépressif commun ; la prise en charge ne requiert donc généralement pas le recours à un centre de référence. En revanche, en cas de dépression résistante au traitement, il peut être nécessaire de s’adresser à un service spécialisé, généralement celui du CHU de la région. Un réseau de Centre experts (DRONE) est en cours de mise en place sous la responsabilité de la fondation FondaMental et du Pr Philippe FOSSATI (Hôpital Pitié–Salpêtrière). 13 F. Rouillon et H. Verdoux - L’identification des rapports bénéfices-risques dans la prescription des antidépresseurs Biographies THÈMES DE RECHERCHE Frédéric RoUiLLon : Coresponsable (avec P. gorwood) de l’équipe INSERM n° 1 du Centre INSERM « Psychiatrie et Neurosciences » (U894) à Sainte Anne. Principales activités de recherche consacrées à l’épidémiologie psychiatrique et à la psychopharmacologie clinique ayant donné lieu à plus de 100 publications internationales. Frédéric ROuILLON Professeur de Psychiatrie à l’Université Paris Descartes ; Chef de Service et de Pôle à la CMME (Clinique des Maladies Mentales et de l’Encéphale de l’hôpital Sainte Anne). Hélène VERDoUx : Membre de l’unité INSERM U657 « Pharmaco-épidémiologie et évaluation de l’impact des produits de santé sur les populations ». Chef du pôle universitaire de psychiatrie adulte au Centre Hospitalier Charles Perrens, Bordeaux. COORDINATION SCIENTIFIqUE xavier bRIFFAuLT, chercheur en sciences sociales et épistémologie de la santé mentale au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), rattaché au CERMES3 (Centre de recherche, médecine, sciences, santé, santé mentale, société). Hélène VERDoUx, Professeur de psychiatrie adulte, Université Victor Segalen (Bordeaux). galina IAKImOVA, chargée de mission pour la Fondation Pierre Deniker, Paris ; Maître de conférences de psychologie à l’Université de Nice-Sophia Antipolis. DéCLARATIONS DE CONFLIT D'INTéRêT Aucun. Cet article publié engage la seule responsabilité de ses auteurs. 14 L E L I V R E B L A N C D E L A D é P R E S S I O N E S T R é A L I S é g R Â C E A U S O U T I E N D E S L A B O R A T O I R E S L U N D B E C K SIÈGE SOCIAL • 36, avenue Raymond Poincaré 75016 PARIS | BUREAUX • SHU - Hôpital Sainte-Anne - 7, rue Cabanis 75014 PARIS Té l : 0 1 4 5 6 5 8 9 8 7 • M a i l : c o n t a c t @ f o n d a t i o n p i e r r e d e n i k e r . o r g • w w w . f o n d a t i o n p i e r r e d e n i k e r . o r g