PASSIonS CRoISÉES Leur idéal commun fut le

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PASSIonS CRoISÉES Leur idéal commun fut le
Émile Hermès (1871-1951) et Ettore
Bugatti (1881-1947), passions croisées
Leur idéal commun fut le pur-sang de l’auto­
mobile.
Dès avant la Grande Guerre, Ettore Bugatti,
cet amoureux de la France et des chevaux,
a fait d’Hermès le couturier de ses pur-sang.
Sur les registres de commandes des ateliers de
sellerie du 24, faubourg Saint-Honoré,
les désirs de ce client connaisseur – selle anglaise
très légère, selle d’amazone sans piqûres, harnais
de tandem, fouet et trompe, tenues anglaises, chiffres
EB en drap découpé… – illustrent son adage :
« Rien n’est trop beau, rien n’est trop cher.»
Ses commandes sont souvent paraphées de la
main même d’Émile Hermès, qui partage alors
avec son frère aîné les rênes de la manufacture
Hermès Frères et s’assure personnellement de
leur exécution irréprochable. Sellier accompli,
Émile s’intéresse cependant de près à l’aven­
ture automobile. En mission en Amérique du
Nord à la fin de l’année 1914, il visitera l’usine
Ford à Detroit. Il s’enthousiasme surtout pour
le système de fermeture à glissière, révolu­
tionnaire, fixant la capote de la torpédo mise
à sa disposition par l’état-major canadien, et
se portera bientôt acquéreur du brevet pour la
France. Ainsi se tissent, dès ces années, entre
l’inventeur-designer mécaniste et son sellier de
prédilection des liens d’estime et de complicité,
alliant l’amour du cheval à la fascination pour
l’automobile.
Les années vingt amorcent toutefois un tournant
décisif pour la maison Hermès, qu’Émile, resté
seul à la tête de l’affaire familiale, entraîne dans
une politique de diversification audacieuse mais
cohérente. Désormais la signature Hermès s’im­
pose comme spécialiste du confort et de l’élégance
en automobile. Aux salons de l’automobile, ses
stands créent l’événement par la gamme d’acces­
soires raffinés et de nouveautés pratiques que l’on
y découvre – vêtements confortables, couvertures
avec poches, nécessaires à liqueur, à chaussures
ou de toilette, pendulettes, bouteilles isother­
mes, mascottes et bouchons de radiateur… Très
remarqué dès 1923, un modèle de sac à poignées
rondes, le sac haut à fermeture Éclair ou sac pour
l’auto, est le premier bagage offrant une ferme­
ture instantanée et hermétique. Sa ligne arrondie
dessine la courbe de la calandre d’une
Bugatti, ou encore le fer à cheval de son radiateur,
comme un trait d’union entre les deux maisons.
En 1930, le rayon couture d’Hermès s’affirme à
son tour avant-gardiste, en lançant un ensemble
Bugatti féminin, tout en cuir, audacieux et sportif.
L’année précédente, Ettore Bugatti a commandé
aux ateliers Hermès une malle exceptionnelle,
exactement ajustée à l’arrière de la carrosserie
signée par Weymann de sa Royale n° 1. La malle,
réalisée en juin 1929 dans un solide cuir de
vache jaune, arbore au centre de son couvercle
bombé le chiffre EB. Ainsi « complété par
Hermès », le coach rafle le prix du Concours
d’élégance de Paris.
Au printemps 1937, le Grand Prix d’Honneur
au Tournoi de super-élégance de Juan-les-Pins est un
coupé Bugatti Atlantic 57S. Le jury, élogieux,
apprécie l’intérieur gainé de peau de porc par
Hermès, de même que les boîtes à cigarettes, les
bouteilles isothermes et les malles.
La rencontre des deux grands noms de
l’artisanat de l’élégance est aujourd’hui entrée
dans la légende. Mais les valeurs qui les ont
animés demeurent dynamiques et durables,
portées par l’élan des maîtres mots qu’Émile
et Ettore firent leurs : élégance, confort, vitesse,
puissance, sécurité. À leur foi commune pour
l’innovation fait écho la vitalité inépuisable
déployée par ces deux esprits originaux pour
améliorer et embellir jusqu’aux objets les plus
usuels. Tous deux aspirèrent à une synthèse de
la tradition et de la modernité, où l’amour du
cuir les réunit encore. En 2008, leurs signatures
se croisent à nouveau, promesse des rebondis‑
sements d’une fabuleuse histoire créative…