Los Angeles. L`angoisse du « Big One »

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Los Angeles. L`angoisse du « Big One »
6.
Repères
Dimanche 11 août 2013 Le Télégramme
Los Angeles. L’angoisse du « Big One »
Il devrait frapper
dans les trente
ans. Le « Big
One », le plus
violent et le plus
destructeur des
tremblements de
terre, est une
épée de
Damoclès
suspendue
au-dessus des
Californiens.
Chacun tente de
s’y préparer à la
mesure des
destructions
envisagées.
OREGON
Photo MaxPPP
Afin de se préparer au pire, les
secours californiens organisent
très fréquemment des exercices
simulant au mieux les
conséquences d’un tremblement
de terre de grande ampleur.
IDAHO
NEVADA
San
Francisco
Las Vegas UTAH
CALIFORNIE
Los Angeles
De nos correspondants en Californie. Vallée de
Coachella, à 200 kilomètres à l’est de Los Angeles.
Sous la chaleur écrasante du soleil de midi, Morgan
Levine, chapeau à la Indiana Jones vissé sur la tête,
traverse un décor lunaire de pierres blanches au
volant d’une Jeep rouge avec un petit groupe de touristes curieux. Bienvenue sur la faille de San Andreas.
C’est bien ici, en plein désert, que se trouve le berceau sismique le plus redouté des États-Unis. Vieille
de trente millions d’années, la faille de San Andreas
se situe à la jonction des plaques tectoniques du Pacifique et de l’Amérique du Nord.
Une poignée de secondes
Morgan reprend la route pour se perdre dans un labyrinthe de roches de granit obliques arrachées du sol
par la pression de la croûte terrestre. Elle disparaît
dans un passage étranglé entre deux murs de pierre
géants. « À ma gauche, la plaque Pacifique ; à ma
droite, la plaque nord-américaine, précise-t-elle. C’est
de cet endroit que le Big One partira. Et il faudra
moins de quinze secondes à l’onde de choc pour
atteindre Los Angeles ».
Une armée prête à intervenir
Ce scénario catastrophe, les équipes du département
de protection civile de Los Angeles (LA City EPD-Los
Angeles Emergency Preparedness Department) le
connaissent par cœur. Pièce maîtresse du plan de sauvetage, les « responders », constitués de pompiers,
de policiers, de responsables des transports, de salariés des travaux publics, de la Croix rouge… Les hélicoptères, les médias, les réseaux sociaux sont autant
de sources d’information permettant de mesurer la
gravité de la situation. « Notre travail consiste à hiérarchiser les incidents et évaluer les moyens d’intervention nécessaires à chacun », résume Chris Ipsen,
coordinateur au LA City-EPD.
Des destructions incommensurables
Une véritable course contre la montre pour la deuxième ville des États-Unis. Seize ans après son dernier
séisme meurtrier - c’était à Northridge en 1994 -, Los
Angeles vit au quotidien dans une forme de terreur.
Le « Big One » devrait frapper la Californie du Sud
Des entreprises sur le qui-vive
Un réseau de partenaires privés est également déjà
sur pied, comme les grands magasins Target, Sony
Pictures ou Bank of America. Ils pourront assurer la
distribution de biens de première nécessité ou la mise
en place de guichets automatiques ambulants…
Faille de
San Andreas
200 Km
MEXIQUE
ARIZONA
Océan
Pacifique
Je stocke de
l’eau et de la
nourriture en conserve
dans les placards »
Sharon Furman
habitante de Los Angeles
dans les trente prochaines années. Mais alors que le
compte à rebours a déjà commencé, comment la ville
se prépare-t-elle à la catastrophe ?
En zone urbaine, les dégâts sont attendus sur les
structures hautes. Mais les conséquences les plus graves seront les coupures des lignes de vie : l’apport en
eau, en énergie, les voies de chemin de fer et les autoroutes.
Autre crainte d’importance : les transports. Les ponts
et les routes seront-ils sûrs ? Comment déplacer les
gens ? Rien que dans le Downtown de Los Angeles,
le quartier des affaires, quatre millions de personnes
transitent quotidiennement. Or, prévient Chris Ipsen,
« il n’y aura pas un pompier pour chacun. Se prendre
en charge sera indispensable ».
Des personnes traumatisées
Sharon Furman ne dit pas autre chose. Cette psychologue et mère de famille a toujours vécu à Los Angeles et a vécu le choc de Northridge. « Un gros séisme
peut avoir un impact sérieux sur la psychologie. L’intensité du stress peut conduire à la perte de tout
contrôle de la situation. Certaines personnes peuvent
être traumatisées ». Par exemple, elle « accélère »
lorsqu’elle se trouve sur une bretelle d’autoroute de
peur qu’elle s’effondre. C’est devenu un réflexe. « Je
stocke de l’eau et de la nourriture en conserve dans
les placards », ajoute-t-elle. Et chez elle, il n’y a pas
de cadre au-dessus du lit, sa table de nuit renferme
une lampe-torche et des chaussons sont toujours au
pied du lit en cas de bris de verre.
Los Angeles se prépare. Ses habitants le redoutent.
Pour un « Big One » qui n’arrivera peut-être que
dans quelques décennies.
Oriane Fléchaire et Guillaume Serina
avec Benoîte Juneaux
(France USA Media)
« Des conséquences dramatiques pour la population »
Gilles Peltzer est professeur en géologie à l’Université de Californie (UCLA-University of California, Los
Angeles).
Pourquoi pense-t-on que le « Big One »
devrait frapper dans les trente prochaines
années ? Pourquoi dit-on qu’il est « long
overdue », qu’il n’a que trop tardé ?
Il nous est impossible de savoir avec exactitude la
date du prochain séisme. En revanche, nous avons
une assez bonne connaissance pour certaines
failles, et en particulier celle de San Andreas, du
« temps de retour », qui peut varier de cent à trois
cent cinquante ans. Nous connaissons également la
date du dernier grand tremblement de terre, en
1857. Nous savons donc qu’il y a suffisamment de
« contraintes » pour en générer un nouveau.
Pourquoi le « Big One » aura plutôt lieu
dans la partie sud de la Californie ?
Le dernier grand séisme à la latitude de San Francisco a eu lieu en 1906. Il était très comparable à
celui de Fort Tejon, dans le sud, survenu en 1857,
avec une rupture de 300 à 400 kilomètres. Ces segments sont donc tous les deux à même de générer
un « Big One ». Le séisme de Fort Tejon s’est arrêté
autour de Cajon Pass, à l’endroit où l’autoroute traverse la faille de San Andreas. Au sud de cette intersection, la faille n’a pas cassé. C’est cette section
qui inquiète plus particulièrement les sismologues.
À quelle magnitude se réfère l’expression
« Big One » ?
Une magnitude supérieure à 7, probablement proche de 8. Celui de Northrigde, en 1994, avait une
magnitude de 6,7. Mais il y a des tremblements de
terre très gros qui font peu de dommages et
d’autres plus petits mais plus destructeurs parce
qu’ils se trouvent en dessous des villes.
Quelles seraient les conséquences d’un
« Big One » sur l’agglomération de Los
Angeles ?
Mis à part les destructions, les conséquences les
plus dramatiques seraient les coupures des lignes
de vie. L’aqueduc approvisionnant Los Angeles en
eau serait détruit. Les lignes à haute tension en provenance du barrage Hoover, sur la rivière Colorado,
seraient endommagées.
Par ailleurs, Los Angeles se trouve dans un bassin
comptant d’importantes piles sédimentaires qui
amplifient les ondes sismiques, qui se réfléchissent
sur les bords du bassin comme dans une cuvette
d’eau. Pour un « Big One », les ondes de choc qui
se propageraient dans le bassin dureraient probablement pendant trois minutes.
En longueur (distance parallèle à la surface de la
Terre), un séisme de 7 ou 8 provoquerait une rupture de 300 ou 400 kilomètres. En profondeur, la dislocation descendrait jusqu’à la croûte cassante qui
se trouve en Californie entre 15 et 20 kilomètres de
profondeur. Dans les zones où les failles ne descendent pas verticalement mais horizontalement (comme au Japon), la surface de faille dans la zone cassante est bien plus grande et donc les ruptures sont
plus importantes.
Propos recueillis
par Oriane Fléchaire et Guillaume Serina