Discours Nobel » de Saint-John Perse
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Discours Nobel » de Saint-John Perse
Laurent FELS Le « Discours Nobel » de Saint-John Perse : une conception épistémologique de la poésie 2012 Déclaration Le soussigné déclare avoir réalisé le présent travail par ses propres moyens et avoir mentionné toutes les sources d’information utilisées pour son élaboration. Laurent FELS Candidat-professeur de littérature française au Lycée classique d’Echternach Dissertation de candidature Le « Discours Nobel » de Saint-John Perse : une conception épistémologique de la poésie Sous la direction de Monsieur le Professeur Jean-Michel WITTMANN Université Paul Verlaine – Metz Echternach 2012 Pour Nic Klecker in memoriam TABLE DES MATIERES Remerciements 9 Résumé 11 Introduction 17 Chapitre Ier – Le savant et le poète 25 1. 1. La posture du savant dans la société 25 1. 2. Le poète et la société 30 1. 3. Le savant et le poète, des « frères ennemis » ? 36 Chapitre II – La poésie comme mode de connaissance 49 2. 1. Connaître et savoir 49 2. 2. L’épistémologie 55 2. 3. Poésie et connaissance 60 Chapitre III – La poésie comme mode de vie 75 3. 1. Habiter le monde en poète 76 3. 2. L’écrivain et l’Histoire 83 3. 3. Le poète comme « mauvaise conscience de son temps » 93 Conclusion 99 Bibliographie 103 Index des noms 117 7 Remerciements Je tiens à remercier le Professeur Jean-Michel WITTMANN (Université de Metz) d’avoir accepté la direction du présent travail et de m’avoir fait bénéficier de ses précieux conseils durant les dix-huit mois de recherches ininterrompues que cette étude m’a demandé. Une vive pensée de gratitude va à mes amis et complices de longue date, Ferdinand STOLL et René WELTER. J’adresse mes remerciements aussi au service du prêt national et au service du prêt international de la Bibliothèque nationale de Luxembourg. Merci à Madame Arlette VENTRE de la Fondation Saint-John Perse (Aixen-Provence). Je remercie ma femme de son soutien indéfectible. 9 Résumé La lecture du « Discours Nobel » où Saint-John Perse précise que, chez le savant aussi bien que chez le poète, « l’interrogation est la même qu’ils tiennent sur un même abîme, et seuls leurs modes d’investigation diffèrent », nous a incité à approfondir l’analyse des influences des savoirs scientifiques sur la poésie de SaintJohn Perse, d’autant plus que, plus loin, l’écrivain fait directement allusion à Einstein et à la physique quantique. Fernand Hallyn souligne dans son ouvrage La structure poétique du monde : Copernic, Kepler qu’« [u]ne poétique s’occupera de la formation d’une hypothèse en tant que phénomène global, débordant largement les cadres constitués et s’organisant d’une manière propre : résultat, certes, de déterminations et de conditionnements logiques et autres, mais également configuration unique, synthèse originale qui, en tant que totalité, demande une étude sui generis de la structuration et de l’interaction des éléments qui l’encadrent et l’informent ». Dans Les structures rhétoriques de la science de Kepler à Maxwell, il ajoute que « [l]a poétique n’est pas à exclure totalement de la science : celle-ci possède, au contraire, une poétique propre, pourvue de règles et de valeurs spécifiques ». Autrement dit, il y a interaction entre la vérité poétique et la vérité scientifique, les « modes d’investigation » (Saint-John Perse) des deux étant différents, mais l’objet de la quête restant le même. Ce que Saint-John Perse met en évidence dans son « Discours Nobel », c’est une conception épistémologique de la poésie. Nous avons tenté d’analyser les principales thèses qu’il défend dans ce discours à retentissement international. 11 Sigles employés Pour des raisons de facilité, nous emploierons les sigles suivants pour renvoyer aux différentes œuvres de Saint-John Perse : – OC Œuvres complètes (Bibliothèque de la Pléiade, 1972) – EL Éloges – GR La Gloire des rois – AN Anabase – EX Exil – VE Vents – AM Amers – CH Chronique – OI Oiseaux – CL Chanté par celle qui fut là – CE Chant pour un équinoxe Nous indiquerons derrière le sigle la partie exacte du poème dont la citation est extraite. Que le langage purifié de la science, ou même que le langage encore plus riche de la littérature puisse jamais suffire à la détermination du monde et de notre expérience, c’est, par la nature même des choses, impossible. Acceptons ce fait de bon cœur, avançons ensemble, hommes de lettres et hommes de science, de plus en plus loin dans les régions toujours plus étendues de l’inconnu. Aldous HUXLEY, Littérature et science, 1963. Il faut rebaptiser ces fleurs ; les détacher des réseaux de la science pour les réinsérer dans le réseau du monde où mes yeux les ont vues. Philippe JACCOTTET, Et néanmoins, 2001. Introduction « Unité retrouvée, présence recouvrée » AM, « Chœur », I, 2 L’attribution du prix Nobel de Littérature à Saint-John Perse en 1960 nous oblige à reconsidérer la fonction de la poésie en général. Quinze ans, à peine, après le premier bombardement des villes japonaises d’Hiroshima et de Nagasaki, voici qu’un poète se propose de redéfinir, dans son « Allocution au Banquet Nobel »1, les rapports qui unissent les sciences et la poésie, auxquels l’« homme des âges atomiques »2 semble être devenu insensible. Le Discours de Stockholm, tel que Perse choisira de le nommer, en 1972, dans l’édition de la Pléiade et qui sera d’abord publié, en 1961, aux Éditions Gallimard sous le titre générique – quoique très éloquent – de Poésie, connaîtra un retentissement international à tel point que non seulement les acteurs de la vie littéraire, mais également les plus éminents représentants des cercles scientifiques y trouveront leur point d’appui3 ; car, même si la poésie touche un public considérablement plus restreint que le discours scientifique, l’on est conscient, du moins dans certains milieux intellectuels, que les deux poursuivent un même objectif : tenter d’éclairer le mystère de la vie qui soulève maintes questions d’ordre physique et métaphysique. « Car l’interrogation, écrit Perse, est la même qu’ils tiennent sur un même abîme, et seuls leurs modes d’investigation 1 Cf. OC, p. 443-447. 2 Ibid., p. 445. 3 Il est toutefois surprenant de constater que Paul Braffort, dans son livre Science et littérature : les deux cultures, dialogues et controverses pour l’an 2000, Paris, Diderot Éditeur, Arts et Sciences, coll. « Jardin des Sciences », 1998, ne mentionne pas le discours persien. 17 diffèrent »1, affirmation qui aura toute son importance dans le rapprochement des pensées scientifique et poétique, comme nous tâcherons de le montrer dans la présente étude. Pour bien saisir l’importance que revêt cette haute considération témoignée par l’Académie suédoise à Saint-John Perse – dans laquelle nous voyons le couronnement suprême non seulement d’un homme de lettres dont l’œuvre se met en évidence par son « envolée altière et la richesse imaginative de sa création poétique, qui donne un reflet visionnaire de l’heure présente »2, mais aussi d’un genre littéraire qui reste trop souvent en marge de la scène littéraire –, il faut aussi replacer les événements dans leur contexte historique. Si la campagne menée par deux éminences grises proches de Saint-John Perse a été longue et incertaine, elle illustre l’acharnement de quelques intellectuels de l’époque pour la reconnaissance d’une œuvre certes exigeante, mais dont le référent – c’est-à-dire la vie elle-même – ne l’est pas moins, et qui ouvre une voie nouvelle en redéfinissant la fonction – tout aussi exigeante – du poète et du savant dans une « société soumise aux servitudes matérielles »3. L’idée du prix Nobel de Littérature pour Saint-John Perse émane de Henri Hoppenot, diplomate, poète et ami de longue date d’Alexis Léger, qui, en 1952, est désigné « chef de la délégation française auprès de l’O.N.U. à New York »4. C’est à l’O.N.U., précisément, que les choses commencent à prendre leur cours, car en 1953, Dag Hammarskjöld, diplomate et poète, nommé à l’Académie suédoise et au Comité Nobel, devient Secrétaire général des Nations-Unies, où il succède à Trygie Lie. Sa 1 OC, p. 443. 2 « Motif de l’affectation », in Souffle de Perse, hors-série à l’occasion du « Cinquantenaire de l’attribution du Prix Nobel de Littérature à Saint-John Perse, 10 décembre 1960 », Aix-enProvence, Revue de l’Association des Amis de la Fondation Saint-John Perse, décembre 2010, p. 19. 3 OC, p. 443. 4 Henriette LEVILLAIN, introduction à Souffle de Perse, hors-série à l’occasion du « Cinquantenaire de l’attribution du Prix Nobel de Littérature à Saint-John Perse, 10 décembre 1960 », op. cit., p. 12. 18 candidature a été appuyée par Hoppenot lui-même. Grâce à ce dernier1, Alexis Léger et Hammarskjöld entrent en contact et une amitié qui dépasse les cadres politique et littéraire se noue rapidement entre les deux diplomates et fins appréciateurs des Belles-Lettres. Hammarskjöld qui, jusque-là, a seulement eu l’occasion de découvrir Anabase, recevra en 1954 d’autres œuvres de Saint-John Perse par l’entremise de Hoppenot avec le commentaire suivant : Voici les œuvres poétiques complètes de mon candidat au prix Nobel. Vous y trouverez les poèmes qui ont précédé et suivi Anabase, ces grands textes tout brillants d’images et de visions, dont les derniers sont à la mesure du plus vaste regard de l’homme sur le monde et sur l’histoire.2 Dès 1954, donc, Perse est « candidat » pour Henri Hoppenot au prix Nobel et il en a été question lors d’une conversation téléphonique entre Léger et Hoppenot à laquelle Léger fera référence dans sa missive du 15 février 1955 : Votre voix affectueuse prolonge pour moi l’heureuse surprise d’une communication3 que je n’aurai pas de peine à garder secrète. L’écart, la dissociation même où je me tiens à l’égard de toute « vie littéraire » ne me permettent guère d’augurer trop d’une éventualité comme celle que vous évoquez. Elle signifierait évidemment beaucoup pour moi. (Mes moyens de subsistance en Amérique expirent dans 8 mois, et en France même ma pension de retraite est déjà insuffisante pour faire vivre l’un des miens.) Mais Gide n’est plus, qui seul eût pu faire le nécessaire du côté français. Et quant aux Académiciens français, ils connaissent trop mon irréductibilité à l’égard de leur milieu, qui a déjà eu occasion de s’affirmer plusieurs fois depuis deux ans. Je n’ai pas davantage de caution universitaire pour ces Messieurs du Nord, dont je ne sais rien. Je ne veux donc pas me faire trop d’illusions. Mais quoi qu’il advienne de tout cela, c’est beaucoup pour moi – je ne puis vous le dire assez simplement – 1 Il consacrera par ailleurs une petite plaquette à Saint-John Perse – D’Alexis Léger à Saint-John Perse, Liège, Dynamo, 1960 – dans laquelle il qualifiera l’œuvre du poète d’« exaltation de l’homme, immesurable à toute autre mesure que lui-même » (p. 13). 2 Cité par Marie-Noëlle LITTLE dans son introduction à SAINT-JOHN PERSE, Correspondance avec Dag Hammarskjöld, Paris, Gallimard, coll. « Cahiers Saint-John Perse », 1993, p. 23. 3 Hélène Hoppenot, l’épouse de Henri, précise dans son Journal (entrée du 19 février 1955) que « [c]et événement extraordinaire est la suite d’une conversation téléphonique qu’H[enri] a eue avec lui [Alexis Léger] pour le prévenir qu’il avait suggéré à Dag Hammarskjöld, il y a déjà un certain temps, de lui faire obtenir le prix Nobel. », cité par Marie France MOUSLI, in SAINTJOHN PERSE, Correspondance avec Henri Hoppenot - 1915-1975, Paris, Gallimard, coll. « Cahiers Saint-John Perse », 2009, p. 125, note 1. 19 que votre affectueuse et agissante pensée ait à s’exercer pour moi en pareille circonstance.[…] – Je vous fais suivre, avec quelque documentation critique, une collection complète d’éditions bilinguales [sic] franco-anglaises qui peuvent faciliter l’accès au texte pour le milieu intéressé. S’il en fallait plus d’exemplaires il me serait facile de les faire tenir par votre discrète entremise. […]1 Dans un autre courrier à Hoppenot, daté du 17 février 1955, Perse fait directement allusion à Dag Hammarskjöld : Vous recevrez lundi un paquet de quatre de mes livres, en éditions bilingues, traduction anglaise, pour la commodité de votre Ami Nordique ou de ses correspondants.2 L’initiative des premières traductions suédoises de son œuvre, Saint-John Perse la doit à Hammarskjöld, car ce dernier agit en intermédiaire entre lui et Erik Lindegren – traducteur et poète lui-même 3 – qui transposera, dans un premier temps, les poèmes Exil, Vents et Amers en langue suédoise. Par ailleurs, il fait la liaison entre la Fondation Bollingen4 aux États-Unis et le Comité Nobel. Selon Hammarskjöld, la première étape à franchir, en vue du prix Nobel, consiste à faire connaître la poésie de Saint-John Perse à la critique et au public de Suède. De son côté, Saint-John Perse semble accueillir l’idée de Hoppenot « avec une évidente fausse modestie »5, alors que, nous venons de le voir, il ne ménagera désormais plus ses 1 Ibid., p. 125-126. 2 Ibid., p. 127 [c’est nous qui soulignons]. 3 Dans sa correspondance avec Hammarskjöld, mais aussi dans les lettres qu’il envoie directement à Lindegren, Saint-John Perse revient à plusieurs reprises sur les qualités poétiques de son traducteur, comme le souligne le passage suivant : « Cher Erik Lindegren // J’ai bien souvent pensé à vous, depuis que vous êtes devenu pour moi figure vivante de poète. », missive du 19 mai 1957, in SAINT-JOHN PERSE, Correspondance avec Dag Hammarskjöld, op. cit., p. 219. 4 Plusieurs œuvres de Saint-John Perse ont paru dans les « Bollingen Series » (Princeton University press) alors qu’il prolongeait volontairement son exil aux États-Unis. 5 Henriette LEVILLAIN, introduction à Souffle de Perse, hors-série à l’occasion du « Cinquantenaire de l’attribution du Prix Nobel de Littérature à Saint-John Perse, 10 décembre 1960 », op. cit., p. 13. Une lecture attentive de la correspondance de Saint-John Perse montre qu’à maintes reprises, il semble être indifférent – voire hostile – aux suggestions de traduction et de publication venant de la part de ses connaissances littéraires, alors que, discrètement, il les y convie lui-même. Citons, à titre d’exemple, un passage d’une missive à Dag Hammarskjöld du 26 février 1960 dans laquelle il est question du projet de Lindegren de traduire d’autres œuvres de Saint-John Perse : « De Lindegren, j’ai eu une bonne lettre et de bonnes nouvelles, en 20 efforts pour procurer à Hammarskjöld et à Lindegren les traductions anglaise, allemande et espagnole de certains de ses poèmes, avec comme arrière-pensée, sans doute, le dossier de candidature que le Secrétaire de l’O.N.U. prépare pour le Comité Nobel. Toutefois, les efforts de Dag Hammarskjöld ne seront pas couronnés de réussite pendant près de cinq ans1. C’est surtout l’attribution du prix Nobel à Albert Camus, en 1957, qui semble compromettre la candidature de Saint-John Perse : on a fini par croire que, dans les milieux intellectuels suédois, la prose l’a définitivement emporté sur la poésie. Grande est donc la surprise lorsque, en 1960, Dag Hammarskjöld reçoit un télégramme d’Uno Willers – Secrétaire du Comité Nobel pour le prix de Littérature de 1947 à 1957 – dans lequel on lui signale que le prix Nobel de cette année venait d’être attribué au poète Saint-John Perse : Je me réjouis d’un prix Nobel qui ne peut rien ajouter à la gloire d’un grand maître et très cher ami mais par l’acceptation duquel il honore une institution qui me paraît importante comme gardienne des valeurs de l’esprit en ce temps de déchéance de la plus noble des libertés de l’homme.2 Et Saint-John Perse de lui répondre, visiblement ému, en des termes qui tendent vers le silence : « Pour vous mon cher Dag toute ma pensée sans mots »3. Perse n’oubliera d’ailleurs jamais que ce haut témoignage littéraire est le fruit d’une longue campagne menée en sa faveur par ses amis Henri Hoppenot et Dag Hammarskjöld, Novembre [sic] dernier. Il me parlait de ses ballets, de son opéra, de son Hamlet, et de son désir de me traduire encore… Je n’ai pas voulu le prendre au mot, me faisant toujours grand scrupule de détourner à mon profit un vrai poète de son œuvre propre. J’aurais pourtant été très heureux de le voir traduire, même pour une simple publication en revue, mon dernier poème, CHRONIQUE, qui n’est pas long, et dont il me parlait avec ferveur. », in SAINT-JOHN PERSE, Correspondance avec Dag Hammarskjöld, op. cit.,., p. 169-170 [c’est nous qui soulignons]. 1 Voici les noms des écrivains nobélisés entre 1955 et 1959 : Halldór Laxness (1955), Juan Ramón Jiménez (1956), Albert Camus (1957), Boris Pasternak (1958, contraint de refuser le prix Nobel) et Salvatore Quasimodo (1959). Précisons toutefois que Saint-John Perse s’est vu décerner, en 1959, par André Malraux le « Grand Prix National des Lettres françaises » qu’il a fini par accepter, malgré quelques réticences initiales (cf. lettre du 16 août 1959 à Dag Hammarskjöld, op. cit., p. 158-159). 2 Télégramme de Dag Hammarskjöld à Saint-John Perse du 26 octobre 1960, in SAINT-JOHN PERSE, Correspondance avec Dag Hammarskjöld, op. cit., p. 183. 3 Ibid., télégramme du 26 octobre 1960. 21 auxquels viennent s’ajouter l’appui de la Fondation Bollingen aux États-Unis et, en France, celui de Roger Martin du Gard et de François Mauriac, respectivement prix Nobel en 1937 et en 1957, sollicités tous les deux par Hammarskjöld. Désormais, Saint-John Perse se consacrera à la composition de son « Allocution au Banquet Nobel » dont nous proposerons quelques modestes pistes de lecture dans les chapitres qui suivront. Le texte de ce discours, rappelons-le, aura un retentissement mondial et Perse se soucie tout particulièrement de la traduction anglaise – destinée à la presse internationale – dont il craint qu’elle ne soit très imparfaite, étant donné le peu de temps dont disposent les services compétents pour traduire un texte d’une telle complexité. Aussi propose-t-il à Uno Willers de lui fournir la version anglaise, réalisée préalablement par W.H. Auden et corrigée par ses propres soins. Dans son discours, Saint-John Perse insiste surtout sur la relation étroite qui unit la science à la poésie. Selon lui, la vie constitue une unité dont chaque discipline, qu’elle soit de nature scientifique ou littéraire, devra se contenter de n’analyser qu’une partie qui sera toujours complémentaire et tributaire de l’autre. Pour l’heure, un certain nombre de travaux ont été consacrés, entre autres, au Discours de Stockholm de Saint-John Perse. Citons, à titre d’exemples, l’ouvrage collectif Saint-John Perse (1945-1960), une poétique pour l’âge nucléaire (2005)1, mais aussi la monographie d’Esa Christine Hartmann, Les manuscrits de Saint-John Perse. Pour une poétique vivante2, dans laquelle l’auteur adopte une approche génétique des manuscrits des œuvres poétiques, mais aussi du Discours de Stockholm. La même signe un autre article à ce sujet – « Poésie et vérité : une lecture des manuscrits du Discours de Stockholm » 3 – dans la revue La nouvelle anabase. Finalement, à l’occasion du 1 Henriette LEVILLAIN et Mireille SACOTTE (éds.), Saint-John Perse (1945-1960), une poétique pour l’âge nucléaire, Paris, Klincksieck, 2005. 2 Esa Christine HARTMANN, Les Manuscrits de Saint-John Perse. Pour une poétique vivante, Paris, L’Harmattan, 2007. 3 Esa Christine HARTMANN, « Poésie et vérité : une lecture des manuscrits du Discours de Stockholm », in La nouvelle anabase. Revue d’études persiennes, Paris, L’Harmattan, 2010, n°6, p. 65-78. 22 cinquantenaire de l’attribution du prix Nobel de Littérature au poète, l’Association des Amis de la Fondation Saint-John Perse a publié, en 2010, un numéro spécial de la revue Souffle de Perse 1 qui regroupe les principaux articles consacrés à cet événement ainsi qu’à l’« Allocution », tous parus au fil de ce demi-siècle dans différentes revues. Notre étude se proposera d’examiner les trois grandes thèses défendues par Saint-John Perse dans son « Allocution » : 1. le savant et le poète ne sont pas des « frères ennemis » ; 2. la poésie est un « mode de connaissance » ; 3. elle est aussi, et surtout, un « mode de vie – et de vie intégrale ». Nous essaierons d’abord de mettre l’accent sur les rôles du savant et du poète dans la société. Puis, nous nous interrogerons sur la dimension « épistémologique » de la poésie, c’est-à-dire en quelle mesure elle permet d’appréhender le réel. Nous tâcherons également de proposer une définition de l’« épistémologie ». Finalement, nous examinerons la position du poète face à l’Histoire en nous interrogeant plus particulièrement sur la question de la « mauvaise conscience » sur laquelle s’achève le Discours de Stockholm et qui fait l’objet d’une analyse remarquable de Henriette Levillain2. Précisons d’emblée que Saint-John Perse prend les mots « poète » et « poésie » dans leurs acceptions étymologiques respectives de « création » et de « créateur » au sens large : « Au vrai, toute création de l’esprit est d’abord “poétique” au sens propre du mot […] »3. Ce qu’il affirme au sujet de la poésie concerne à la fois la science, la littérature, la peinture et les autres domaines de l’art dans la mesure où ils constituent tous des « créations de l’esprit ». 1 Souffle de Perse, hors-série à l’occasion du « Cinquantenaire de l’attribution du Prix Nobel de Littérature à Saint-John Perse, 10 décembre 1960 », op. cit. 2 Henriette LEVILLAIN, « Une affirmation à l’épreuve : ‘Et c’est assez pour le poète d’être la mauvaise conscience de son temps’ », in Souffle de Perse, hors-série, ibid., p. 153-170. 3 OC, p. 444. 23 Chapitre Ier Le savant et le poète « J’ai vu le signe sur ton front et j’ai considéré ton rôle parmi nous. » GR, « Amitié du Prince », I Saint-John Perse choisit d’ouvrir son « Allocution au Banquet Nobel » par un hommage à la poésie : « J’ai accepté pour la poésie l’hommage qui lui est ici rendu, et que j’ai hâte de lui restituer »1. Dans les lignes qui suivent, il tente d’expliciter les raisons pour lesquelles « [l]a poésie n’est pas souvent à l’honneur »2. Dans cet ordre d’idées, sa réflexion l’amène à comparer le discours scientifique au discours littéraire. Depuis plus d’un demi-siècle, il est vrai, le progrès de la science a atteint un niveau tel qu’il lui est devenu impossible de se soustraire à des interrogations d’ordre philosophique et moral. Si le poète met, nous allons le voir, la science et la poésie à pied d’égalité, cela revient à dire que les deux constituent, selon lui, des outils complémentaires permettant de sonder le réel. Or, une telle vision des choses nous oblige à réévaluer le rôle du savant et celui du poète dans la société. 1. 1. La posture du savant dans la société Le Grand Robert définit le savant comme une « personne qui par ses connaissances et ses recherches contribue à l’élaboration, au progrès d’une science, et plus spécialement d’une science 1 OC, p. 443. 2 Ibid. 25 expérimentale ou exacte »1. Selon une idée communément admise, le rôle du savant consiste à améliorer la condition humaine et à rendre service à la société2. Ce n’est donc pas un hasard si Pierre Mendès France a déclaré, en 1954, que la république a besoin de savants qui assurent le progrès scientifique, économique et culturel du pays. Grâce à ses découvertes novatrices dans les domaines médical, chimique, physique et autres, qui participent au développement qualitatif de la vie, le savant apparaît, selon André Kaspi, dans la société comme un « héros [qui] apprivoise la nature, la transforme au bénéfice de ses semblables. […] il est le bienfaiteur de l’humanité »3. Autrement dit, les hommes de science dédient leur savoir au bonheur, au bien-être et, surtout, à la survie de l’humanité. Le cancérologue, par exemple, met le fruit de ses recherches au service de la lutte contre le cancer, permettant ainsi à des milliers de souffrants de bénéficier d’un traitement approprié, bien que, pour l’instant, la médecine n’ait pas encore trouvé de vaccin préventif contre la « peste du XXIe siècle ». De son côté, le physicien et l’ingénieur participent au développement de nouvelles sources d’énergie durables et moins polluantes, rendant service, par-là, non seulement à la société contemporaine, mais contribuant en même temps à la préservation de l’environnement pour les générations futures. Ainsi, certaines régions de la planète consomment déjà de l’énergie provenant d’éoliennes, d’hydroliennes ou de cellules photovoltaïques et les industries de l’automobile cherchent un substitut efficace au moteur à combustion. Dans cet ordre d’idées, être un « savant » devient presque synonyme de « sauveur » de l’humanité, même si nous sommes encore loin – mentalement et économiquement parlant – de renoncer entièrement à l’exploitation en masse des énergies fossiles. 1 Le Grand Robert, Paris, Dictionnaires Le Robert, 2001, t. VI, p. 220. 2 « Ensemble des individus entre lesquels existent des rapports durables et organisés, le plus souvent établis en institutions et garantis par des sanctions […] », ibid., p. 499. 3 André KASPI, « Trois savants dans la société : Jean Perrin, Louis Néel et Pierre Potier », in Problématique des relations entre Science et Société, p. 14 [actes du colloques consultables en ligne à l’adresse : http://www.cnrs.fr/colloques/sciences-societe/docs/colloque/ 1_RelationsSciencesSociete.pdf ; dernière consultation : 27.03.2012]. 26 Il est toutefois intéressant de noter que l’historien Kaspi qualifie le savant de « héros »1, terme appartenant plutôt au registre littéraire – voire mythologique – que scientifique, alors que la démarche des sciences est considérée comme la référence par excellence en matière d’exactitude, c’est-à-dire de résultats tangibles et vérifiables : L’époque moderne tient la science en haute estime. La croyance que la science et ses méthodes ont quelque chose de particulier semble très largement partagée. Le fait de qualifier un énoncé ou une façon de raisonner du terme « scientifique » lui confère une sorte de mérite ou signale qu’on lui accorde une confiance particulière.2 Sans doute est-ce pour cette raison que nous lisons sur l’une des façades de la faculté des sciences sociales de l’Université de Chicago l’inscription suivante : « Sans la possibilité de mesurer, le savoir n’est qu’une peau de chagrin »3. Autrement formulé, tout ce qui n’est pas analysable et contrôlable à l’aide d’un instrument de mesure est considéré comme inexistant et, par conséquent, sans valeur ajoutée. Telle est, du moins, l’opinion d’un grand nombre de nos contemporains. Pour que son œuvre soit couronnée de succès, le scientifique doit se garder de perdre le contact avec le monde extérieur. Afin de ne pas devenir un être en marge de la collectivité, il doit éviter, dans le meilleur des cas, de se calfeutrer dans son laboratoire : il doit définir, au contraire, ses conjectures, expliciter sa démarche 1 Rappelons que le mot dérive du grec hêrôs dont le premier sens est « maître, chef, noble », le second « demi-dieu » et le troisième « tout homme élevé au rang de demi-dieu ». Même s’il est vrai que le substantif « héros » est entré dans le registre courant pour désigner un homme aux capacités hors du commun, il n’empêche que celui qui l’utilise, inconsciemment ou non, dans un contexte scientifique rapproche deux univers – littéraire et scientifique – qui, dans une conception largement répandue – quoique erronée –, sont profondément distincts. À ce niveau, la terminologie employée par André Kaspi sert la première thèse que Saint-John Perse avance dans son Discours de Stockholm, à savoir que le savant et le poète se trouvent à pied d’égalité (cf. point 3 du présent chapitre). 2 Alan F. CHALMERS, Qu’est-ce que la science ? Popper, Kuhn, Lakatos, Feyerabend, Paris, La Découverte, coll. « Biblio Essais », 1987, p. 13. 3 Cité par Thomas S. KUHN, « The Function of Measurement in Modern Physical Science », in Isis, 1961, n°52, p. 161. 27 et divulguer ses résultats, tout en étant en accord avec l’éthique et la déontologie1. Exceller dans le domaine de la science revient donc à dire qu’il faut privilégier le contact avec ses semblables et le monde qui les entoure. Dans cet ordre d’idées, les propos du plus célèbre scientifique du XXe siècle, Albert Einstein, sont d’une importance capitale : Quand je réfléchis à mon existence et à ma vie sociale, je découvre clairement mon étroite dépendance intellectuelle et pratique. Je dépends intégralement de l’existence et de la vie des autres. […] Moi, en tant qu’homme, je n’existe pas seulement en tant que créature individuelle, mais je me découvre membre d’une grande communauté humaine. Elle me dirige corps et âme depuis ma naissance jusqu’à ma mort. Ma valeur consiste à le reconnaître. Je suis réellement un homme quand mes sentiments, mes pensées et mes actes n’ont qu’une finalité : celle de la communauté et de son progrès. Mon attitude sociale déterminera donc le jugement qu’on porte sur moi, bon ou mauvais.2 Outre les résultats concrets, c’est-à-dire vérifiables, auxquels aboutissent les recherches en sciences exactes, le savant se voit investi de la noble tâche consistant à accroître la connaissance qu’ont les hommes du monde et de son fonctionnement. En combinant la curiosité intellectuelle aux découvertes qui servent la collectivité, le scientifique devient la principale référence dans une « société de la connaissance ». Il faut toutefois se garder de conférer à cette expression un sens réducteur : dans « connaissance », nous lisons « co-(n)naître », c’est-à-dire « naître avec ». Il ne s’agit donc pas, comme le souligne Paraskevas Caracostas, d’un simple enchaînement d’apprentissages qui résultent de l’observation – et, par conséquent, de l’imitation –, mais d’un développement des savoirs acquis, tout en les confrontant à des connaissances issues d’autres domaines (ce sont, pour ainsi dire, des savoirs qui 1 Alan F. Chalmers nous met pourtant en garde : souvent, les scientifiques, « emprisonnés dans leurs laboratoires modernes, examinent le monde à travers les barreaux des nombres entiers, sans se rendre compte que la méthode qu’ils tentent de suivre n’est pas seulement stérile et improductive mais, pis, qu’elle n’est pas celle à laquelle la physique doit son succès. », op. cit., p. 15. 2 Albert EINSTEIN, « Communauté et personnalité », in Comment je vois le monde, Paris, Flammarion, coll. « Champs », 1979, p. 11-12. 28 « naissent » ensemble et qui s’enrichissent mutuellement) ; bref, il convient de transformer la matière apprise en une nouvelle création de l’esprit : La notion de « société de la connaissance » que je vise à appréhender de façon prospective encapsule donc la définition dynamique du terme « connaissance » comme « acte de connaître », d’apprendre et de création intellectuelle et non pas une vision purement patrimoniale qui mettrait l’accent sur le volume de savoir produit et accumulé qu’il s’agirait de bien gérer1. Le savant doit donc éviter de se lancer dans une investigation purement suiréférentielle et autosuffisante – une sorte de « science pour la science » –, mais de favoriser une recherche fondée qui mène à des fins utiles. C’est là que se situe, comme le souligne Saint-John Perse dans son « Allocution au Banquet Nobel », le grand avantage de la science par rapport à la littérature : La poésie n’est pas souvent à l’honneur. C’est que la dissociation semble s’accroître entre l’œuvre poétique et l’activité d’une société soumise aux servitudes matérielles. Écart accepté, non recherché par le poète, et qui serait le même pour le savant sans les applications pratiques de la science.2 Si la science n’avait donc pas cette utilité tangible, elle connaîtrait le même sort que la poésie. Doit-on conclure de cette constatation que tous les hommes sont animés exclusivement par une attitude profondément égoïste, ne s’intéressant qu’à ce qui leur est vitalement et matériellement utile ? Dans ce cas, les différents domaines de l’art ne seraient-ils pas irrémédiablement réduits à néant et le contact interhumain ne se limiterait-il pas à un échange purement mercantile ? En outre, si l’être humain trouvait sa motivation exclusivement dans la satisfaction de ses aspirations matérielles et sanitaires, ne ferait-on pas de lui ce qu’Einstein appelle « une machine utilisable mais non une personnalité »3 ? Et le physicien de répondre : Il importe qu’il [l’homme] acquière un sentiment, un sens pratique de ce qui vaut la peine d’être entrepris, de ce qui est beau, de ce qui est moralement droit. 1 Paraskevas CARACOSTAS, « Une prospective de la société de la connaissance », ibid., p. 26. 2 OC, p. 443. 3 Albert EINSTEIN, « Éducation pour une pensée libre », in Comment je vois le monde, op. cit., p. 25. 29 Sinon il ressemble davantage, avec ses connaissances professionnelles, à un chien savant qu’à une créature harmonieusement développée. Il doit apprendre à comprendre les motivations des hommes, leurs chimères et leurs angoisses pour déterminer son rôle exact vis-à-vis des proches et de la communauté.1 C’est donc là que quelqu’un d’autre devra prendre la relève du savant, quelqu’un qui sache apprendre aux hommes à sentir et à reconnaître l’importance des sentiments de l’autre. Telle est la tâche qui incombe au poète, bien que sa personnalité ainsi que son apport à la société soient – nous le verrons – très controversés. 1. 2. Le poète et la société Commençons par une analyse de la façon dont le poète et la poésie sont perçus par la plupart de nos contemporains. La place du poète dans la société est loin d’être enviable. Au IVe siècle avant notre ère déjà, Platon rejetait le poète de la cité idéale parce qu’il le considérait comme un imitateur : Il semble donc que si un homme capable par son talent de se transformer de mille manières et d’imiter toutes sortes de choses venait en personne dans notre cité avec le projet d’y représenter ses compositions poétiques, nous le vénérerions comme un être sacré, merveilleux, délicieux, mais nous lui dirions qu’il n’y a pas d’homme comme lui dans notre cité, et qu’il n’est pas conforme à la loi qu’il s’y intègre. Nous l’enverrions dans une autre cité, non sans avoir oint sa tête de parfums et l’avoir couronné de tresses de laine. En ce qui nous concerne, nous exigerons un poète plus austère et moins plaisant, et un raconteur d’histoires utile, qui n’imiterait pour nous que la manière de s’exprimer de l’homme vertueux, et qui proposerait ses discours selon ces modèles que nous avons prescrits dans nos lois dès l’origine, lorsque nous avons entrepris de former nos guerriers.2 1 Ibid. 2 PLATON, La République, 398a, in Œuvres complètes, Paris, Flammarion, 2008, p. 1559. 30 Le principal grief que Platon formule à l’encontre du poète est donc celui de pratiquer la mimesis, terme grec signifiant « imitation »1. En effet, selon le philosophe grec, toute imitation est fallacieuse, car elle ne constitue qu’un reflet imparfait et, par conséquent, mensonger du réel. Aussi Platon songe-t-il à interdire aux artistes la création si leur production relève de l’imitation : Mais les poètes […] sont-ils les seuls que nous devrons soumettre à des règles et contraindre de ne présenter dans leurs compositions poétiques que les images du caractère vertueux, ou alors de s’abstenir de présenter des compositions chez nous ; ou devrons-nous soumettre aussi à des règles les autres artisans, et leur interdire de représenter dans leur production le caractère vicieux, l’intempérance, la servilité, l’absence de grâce, que ce soit dans les images des êtres vivants, dans l’architecture, ou dans tout autre genre de représentation artisanale, ou alors, s’ils ne peuvent l’éviter, ne pas permettre qu’ils produisent chez nous ?2 De nos jours, la considération que la collectivité témoigne au poète n’est guère bienveillante non plus. Bien que ce soit moins le problème de l’imitation qui fasse cliver les opinions, il s’agit plutôt de la figure même de l’artiste ainsi que de la question de l’hermétisme stylistique de la poésie et de son apport matériel à la société qui font que les hommes du XXIe siècle ne portent qu’un intérêt très limité à la création poétique. Pourquoi se fatiguer à lire des textes compliqués et elliptiques dans lesquels les auteurs soit nous chantent, entre autres, un amour idéal – donc inaccessible – ou malheureux, soit nous dépeignent un monde morbide que, de toute façon, nous sommes contraints d’éprouver au quotidien ? En 1973, Jean Kobs, dans l’un des sonnets constituant la somme poétique du Kobzar de l’Exil, définit d’une façon très pertinente le jugement que la société porte sur le poète : 1 Précisons que la mimesis n’a pas le même statut chez Platon – qui la condamne – que chez Aristote selon lequel l’imitation se trouve à la base de toute création artistique (cf. ARISTOTE, Poétique, chapitres Ier et VI) . 2 PLATON, La République, 401b, op. cit., p. 1563. 31 Le poète authentique est un être isolé D’un âge à qui ne plaît trop souvent que l’utile S’imaginant que l’art est un songe futile Et l’esprit créateur un doux crâne fêlé.1 Cette idée, certes, n’est pas nouvelle et elle a préoccupé les artistes de toutes les époques. Il n’est donc pas étonnant qu’un écrivain comme Baudelaire, considéré comme le père de la poésie moderne, compare le poète à un « albatros » torturé par les « hommes d’équipage »2. Ce sonnet est, en réalité, une métaphore de la posture de l’homme de lettres dans la société : une fois qu’il est sorti de sa chambre de travail et se mêle à la foule, il est « gauche et veule », car incompris et méprisé. Il convient désormais de s’interroger sur les raisons qui font que la poésie a mauvaise presse. S’il fallait trouver un dénominateur commun aux reproches qui sont formulés à l’encontre de l’art poétique, l’on pourrait citer, en premier lieu, celui de la futilité : la poésie ne sert à rien, sinon à divertir. Qui a besoin de poèmes à une époque où les pays sont menacés de toutes sortes de crises et de guerres, où le chômage connaît un taux jusque-là inégalé, où la criminalité s’embrase comme un toit de paille et où les hommes sont rongés plus que jamais par la maladie – bref, à une époque où « chacun la porte en soi, la peste, parce que personne […] au monde n’en est indemne »3 ? Dans un tel contexte crépusculaire, qui se caractérise par un malaise social des plus profonds, quelle solution pourrait donc apporter la poésie aux fléaux énumérés ci-dessus ? Ce ne seront pas les vers qui nous sortiront de la crise économique ou qui nous guériront de nos maladies. « Un […] fossé s’est peu à peu creusé, écrit Jean-Louis Joubert, entre les créateurs et le public potentiel »4. Autrement dit, aux yeux de la société, la poésie est inutile, car elle n’aboutit à aucun résultat concret 1 Jean KOBS, « Artiste », in Le Kobzar de l’Exil, Paris, Éditions de la Revue Moderne, coll. « Points et Contrepoints », 1973, t. 1, p. 108. 2 Cf. Charles BAUDELAIRE, « L’Albatros », in Spleen et Idéal, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 9-10. 3 Albert CAMUS, La peste, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1947, p. 228. 4 Jean-Louis JOUBERT, La Poésie, Paris, Armand Colin/Gallimard, coll. « Folio Formes », 1977, p. 12. 32 permettant d’améliorer la condition humaine. Et Saint-John Perse d’écrire dans Vents : « Je t’ai pesé, poète, et je t’ai trouvé de peu de poids »1 (VE, I, 7). Que vient donc faire la beauté, dont se réclame la poésie, dans ce monde placé sous l’étoile noire du malheur ? « Rien de ce qui est beau n’est indispensable à la vie »2, constate Théophile Gautier dans sa préface à Mademoiselle de Maupin. Et pourtant, « qui voudrait […] qu’il n’y eût plus de fleurs »3 ? Nous voilà surpris de constater que la poésie, malgré son apparente stérilité sociale et son manque de pouvoir, a pu survivre depuis l’Épopée de Gilgamesh (XVIIIe ou XVIIe siècle avant J.-Chr.) jusqu’à nos jours. Et si elle n’était pas si inutile et inefficace que certains semblent le penser ? « Le poète existait dans l’homme des cavernes, il existera dans l’homme des âges atomiques : parce qu’il est part irréductible de l’homme »4, écrit Saint-John Perse dans son Discours de Stockholm. N’oublions pas qu’au début, la poésie avait surtout une fonction mnémotechnique : les rimes ainsi que les formes rythmées permettaient de retenir plus facilement un texte, surtout dans les sociétés qui avaient une importante tradition orale5. La voix est donc indissociable de la poésie et nous comprenons mieux, à présent, la raison pour laquelle, dans la légende, les abeilles se posent, au berceau, sur les lèvres de Pindare et de Platon. Dans Anabase, le poète est représenté comme un « homme à la flûte, homme aux abeilles ; celui qui tire son plaisir du timbre de sa voix » (AN, X). Voilà donc une première utilité 1 Précisons que ce vers, tiré de son contexte, pourrait également être interprété de façon positive : Nietzsche, dans Le Cas Wagner, n’a-t-il pas écrit que « tout ce qui est bon est léger » ? Cette idée de la légèreté sera d’ailleurs développée par Saint-John Perse dans Oiseaux. Or, dans la citation de Vents que nous venons de donner, le contexte et le vocabulaire employé excluent, à notre avis, une interprétation positive : « abîme », « doute », « défaillir », « brûlure », « malheur », « bruit », etc. 2 Théophile GAUTIER, Mademoiselle Maupin, préface, in Romans, contes et nouvelles, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2002, p. 230. 3 Ibid. 4 OC, p. 444-445. 5 Jean-Louis JOUBERT mentionne à ce sujet « l’ancienne tradition malgache du hain-teny, forme de poésie dialoguée qui sert à régler des querelles par le recours au combat de mots », in La Poésie, op. cit., p. 15. 33 pratique de la poésie sur laquelle Saint-John Perse ne manquera pas de revenir à plusieurs reprises dans son œuvre : Quelqu’un au monde n’élèvera-t-il la voix ? Témoignage pour l’homme… Que le poète se fasse entendre, et qu’il dirige le jugement ! (VE, III, 4) Au fil du temps, les poètes ont cherché à affirmer la légitimité de leur art. Ainsi, dans Les Rayons et les Ombres, Victor Hugo écrit à propos du poète que C’est lui qui, malgré les épines, L’envie et la dérision, Marche, courbé dans vos ruines, Ramassant la tradition. De la tradition féconde Sort tout ce qui couvre le monde, Tout ce que le ciel peut bénir. Toute idée, humaine ou divine, Qui prend le passé pour racine, A pour feuillage l’avenir.1 Ce que l’on a le plus souvent reproché aux poètes, c’est de pratiquer « l’art pour l’art », notamment, en n’écrivant que pour leurs semblables et en se bornant à donner à leurs œuvres une portée purement autoréférentielle : ils écrivent pour le plaisir d’écrire et le poème n’a d’autre référent que lui-même. Si cela a été partiellement vrai pour les Parnassiens dont le but principal a été la recherche de la beauté, la poésie du XXe siècle – et surtout celle de Saint-John Perse – ne saurait être affublée d’une telle étiquette. Cela reviendrait à faire table rase de toute une tradition de poésie engagée, que ce soit sur le plan politique, social ou humain. Même si la poésie de Saint-John Perse ne présente aucun lien apparent avec l’actualité politique de son temps2, elle n’est pas exempte, pour autant, d’un message 1 Victor HUGO, « Fonction du poète », II, in Les Chants du crépuscule, Les Voix intérieures, Les Rayons et les Ombres, Paris, Gallimard, coll. « Poésie », 1970, p. 249. 2 Bien qu’Alexis Léger fût diplomate, il tenait à ce que sa carrière professionnelle fût strictement séparée de son activité littéraire, à tel point qu’à partir de son œuvre Anabase, il signait ses textes du pseudonyme « Saint-John Perse ». Précisons que les premiers écrits publiés (« Images à Crusoé ») furent présentés au public sous le nom de « Saint-Léger Léger » ou « SaintlégerLéger », autre nom de plume du poète plus transparent, il est vrai, que celui qu’il choisira pour signer ses œuvres postérieures. 34 précis que le poète adresse à l’humanité. Sa leçon est d’optimisme et ses textes sont marqués de la présence humaine : … Mais c’est de l’homme qu’il s’agit ! Et de l’homme lui-même quand sera-t-il question ? – Quelqu’un au monde élèvera-t-il la voix ? Car c’est de l’homme qu’il s’agit, dans sa présence humaine ; et d’un agrandissement de l’œil aux plus hautes mers intérieures. Se hâter ! se hâter ! témoignage pour l’homme ! (VE, III, 4) La pensée du poète moderne est entièrement libre, car elle est « désintéressée »1. Contrairement à la condition qui était celle des hommes de lettres des siècles précédents – ils furent tributaires du mécénat d’un souverain qui aimait à être flatté –, les poètes, de nos jours, ne vivent plus de leur plume, mais ils ont presque tous un métier qui les occupe à temps plein. Voilà pourquoi leur écriture s’est affranchie de la tutelle du bienfaiteur d’autrefois. Ceci leur permet de créer des ponts intellectuels entre les hommes, les idées et les civilisations du monde. Car, contrairement à l’opinion collective, « le poète, instinctivement, ne se sépare jamais des hommes »2, comme le souligne à juste titre René Ménard. Dans cet ordre d’idées, la poésie et, par extension, l’art en général constituent ce que J.-L. Joubert appelle un « phénomène social »3. Que veut-il dire par là ? Selon la définition du Grand Robert, on désigne par phénomène [c]e qui se manifeste à la conscience, que ce soit par l’intermédiaire des sens (phénomènes extérieurs, physiques, sensibles) ou non (phénomènes psychologiques, affectifs…). Au sens plus large, on nomme phénomène tout fait qui peut-être l’objet de connaissance rationnelle, de science.4 1 Cf. OC, p. 443 : « Mais du savant comme du poète, c’est la pensée désintéressée que l’on entend honorer ici ». 2 René MENARD, « Les incompatibilités du poète », in Le Poète et la Société – Der Lyriker und die Gesellschaft, journées de Mondorf, Luxembourg, Saint-Paul, 1962, p. 107. 3 Jean-Louis JOUBERT, La Poésie, op. cit., p. 12. 4 Le Grand Robert, Paris, Dictionnaires Le Robert, 2001, t. V, p. 588. 35 Autrement dit, si le poème constitue un « phénomène social », il doit, selon le sens que le dictionnaire attribue au substantif phénomène, être perceptible par les sens et il peut faire l’objet d’une « connaissance rationnelle, de science ». La poésie conduit à une interrogation sur le langage, c’est bien évident. Mais une poésie de pure réflexion ou manquant absolument de spontanéité nous éloigne du but dont elle voulait nous rapprocher. Notre langage ne sera pas a priori un langage au deuxième ou au troisième degré, un langage qui se dégagerait, privé de tout parfum, des choses signifiées pour n’être plus que le symbole d’une signification.1 L’interrogation que le poète porte sur le langage est en même temps une interrogation sur la société dont il est à la fois le produit et le reflet. La « spontanéité », c’est-à-dire la faculté de réagir avec promptitude dans une situation donnée, qui est l’une des principales exigences de la science, est ici revendiquée pour la création poétique. Y aurait-il donc, contre toutes attentes, un lien entre la poésie et la science ? La première serait-elle finalement devenue utile ? Et si le poète était, comme le savant, un « héros [qui] apprivoise la nature, la transforme au bénéfice de ses semblables » 2 , selon l’expression d’André Kaspi ? Pour mieux saisir la portée ontologique de la science et de la poésie, il importe d’examiner la relation entre le savant et l’homme de lettres. 1. 3. Le savant et le poète, des « frères ennemis » ? Dans son « Allocution au Banquet Nobel », Saint-John Perse est bien conscient de l’antagonisme qui oppose la science à la poésie et dont nous venons d’énoncer les raisons. Aussi précise-t-il d’emblée le projet explicite de son discours : 1 Serge BRINDEAU et Jean BRETON, Poésie pour vivre, Paris, La Table Ronde, 1964, p. 71-72. 2 André KASPI, « Trois savants dans la société : Jean Perrin, Louis Néel et Pierre Potier », in Problématique des relations entre Science et Société, p. 14 [actes du colloques consultables en ligne à l’adresse : http://www.cnrs.fr/colloques/sciences-societe/docs/colloque/1_RelationsSciencesSociete.pdf ; dernière consultation : 27.03.2012]. 36 « Qu’ici du moins ils ne soient plus considérés comme des frères ennemis »1. Dès le départ, donc, Perse cherche à concilier les deux – le savant et le poète –, car « l’interrogation est la même qu’ils tiennent sur un même abîme, et seuls leurs modes d’investigation diffèrent » 2 . L’expression « frères ennemis » peut surprendre, car elle relève, à première vue, de l’oxymore. Aussi convient-il de s’interroger d’abord sur la signification du substantif « frère ». D’après le Grand Robert, frère est « [c]elui qui est né des mêmes parents (que la personne considérée) »3. L’idée mise en évidence par les auteurs du dictionnaire est donc celle de l’origine commune : les frères sont nés du même sang. Rien, a priori, ne devrait les opposer, car ils constituent l’exemple parfait de l’union et de la solidarité. À cet égard, l’expression « frères ennemis » semble complètement absurde. Pourtant, la leçon que nous tirons des mythologies chrétienne et païenne nous apprend le contraire : l’idée des « frères ennemis » remonte au contexte biblique où, d’après la Genèse selon saint Jean, Caïn élimine son frère Abel parce qu’il est jaloux de lui4. Plus tard, l’historiographe romain Tite-Live nous raconte, dans son Histoire romaine, l’inimitié entre les frères jumeaux Romulus et Rémus : le premier tue le second et devient, selon la légende, le premier roi de Rome5. Au XVIIe siècle, Jean Racine met en scène, dans sa tragédie La Thébaïde ou les Frères ennemis, l’hostilité entre les deux frères Étéocle et Polynice. Dans les trois exemples que nous venons de citer, la fraternité est rompue par la mort violente de l’un, infligée par l’autre6. L’image de l’amour fraternel absolu est, nous le voyons, souvent démentie dans les œuvres à tel point que l’appellation « frères ennemis » a fini par devenir un topos littéraire. Examinons maintenant la raison pour laquelle Saint-John Perse y a 1 OC, p. 443. 2 Ibid. 3 Le Grand Robert, Paris, Dictionnaires Le Robert, 2001, t. III, p. 1046. 4 Cf. La Bible, « Genèse », chap. IV, 2-8. 5 Cf. TITE-LIVE, Histoire romaine, Livre Ier, chap. 6. 6 La littérature nous livre d’autres exemples de « frères ennemis ». Citons, entre autres, l’histoire de Pierre et Jean de Guy de Maupassant ou encore celle de Jules et Jim de Henri-Pierre Roché. 37 recours pour définir la relation entre le savant et le poète, en commençant par étudier ce qui les unit : Et de cette nuit originelle où tâtonnent deux aveugles-nés, l’un équipé de l’outillage scientifique, l’autre assisté des seules fulgurations de l’intuition, qui donc plus tôt remonte, et plus chargé de brève phosphorescence ? La réponse n’importe. Le mystère est commun.1 Selon Saint-John Perse, le scientifique et le poète constituent « deux aveuglesnés ». Il ajoute qu’ils sont issus tous les deux de la « nuit originelle ». Autrement formulé, ils émanent d’une même origine et peuvent ainsi être considérés comme des frères. De surcroît, ils poursuivent un même objectif, celui de la quête de la vérité ou, du moins, de son reflet le plus fidèle (« phosphorescence »). Leur point de départ est donc identique et aucun des deux ne se trouve dans une situation privilégiée par rapport à l’autre. Ils sont tous les deux « aveugles » et contraints de « tâtonner » dans le noir pour trouver quelques repères. Comme le suggère Saint-John Perse en filigrane, la connaissance n’est pas une connaissance a priori, c’est-à-dire qui repose sur des données innées qui précèdent l’expérience, mais plutôt le résultat d’une investigation expérimentale. Le savant aussi bien que le poète doivent « tâtonner » dans la « nuit originelle », errer, se heurter contre tel ou tel obstacle, revenir au point de départ et confronter leurs expériences pour construire des hypothèses : Nous avons marché seuls sur les routes lointaines ; et les mers nous portaient qui nous furent étrangères. Nous avons connu l’ombre et son spectre de jade. Nous avons vu le feu dont s’effaraient nos bêtes. Et le ciel tint courroux dans nos vases de fer. (CH, III) C’est ainsi que naît la connaissance 2 . « [U]ne même fonction, ajoute Perse, s’exerce, initialement, pour l’entreprise du savant et pour celle du poète »3. La question sousjacente qu’il pose est celle de la « brève phosphorescence ». Si la « phosphorescence » renvoie 1 OC, p. 444. 2 Voir à ce sujet le second chapitre de la présente étude. 3 OC, p. 444. 38 à la lumière – donc, métaphoriquement parlant, à la compréhension – que le savant et le poète projettent devant eux pour explorer la « nuit originelle », ce qui va émerger des ténèbres, ce ne seront que les fragments reflétés d’une réalité en mouvement, « cet autre mouvement plus vaste que notre âge » (VE, I, 6) tel qu’il est évoqué dans Vents. Sans doute est-ce pour cette raison que Saint-John Perse fait précéder le substantif « phosphorescence » de l’adjectif « brève » : la réalité – et, par conséquent, la vérité – évolue en permanence et l’éclairement que les deux « frères » y apportent n’est que provisoire et passager ; en d’autres termes, l’objet d’investigation commun à la science et à la poésie est la vie en train de se faire. Le seul aspect qui les différencie, c’est « l’outillage » dont ils sont pourvus : le premier dispose d’instruments scientifiques alors que le second s’appuie sur les « fulgurations de l’intuition ». C’est de cette différence, précisément, au niveau de l’équipement, permettant à chacun d’explorer le « mystère commun », que naît l’opposition qui s’est ancrée dans la mentalité collective et dont ils ont, à présent, du mal à se défaire. À la rigueur, à la nécessité et à l’objectivité de la science – nous l’avons montré –, les hommes opposent la subjectivité de la poésie qu’ils qualifient souvent, à tort, d’« activité de dilettante, aussi inutile que distrayante »1. Peter Medawar, prix Nobel de médecine en 1960 – qui est aussi, rappelons-le, l’année de la nobélisation de Saint-John Perse –, écrit dans The Hope of Progress : A Scientist looks at problems in Philosophy, Literature and Science2 : De façon dont les choses se présentent aujourd’hui, il n’est simplement pas bon de prétendre que la science et la littérature représentent des entreprises complémentaires et qui se soutiennent mutuellement en vue d’un but commun. Au contraire, là où l’on pourrait s’attendre à ce qu’elles coopèrent, elles 1 Pierre MACHEREY, « Une poétique de la science », in Méthodes, n°6, 2006, p. 3 [revue en ligne : http://methodos.revues.org/473 ; dernière consultation : 09.04.2012] 2 Peter MEDAWAR, The Hope of Progress : A Scientist looks at problems in Philosophy, Literature and Science, New-York, Anchor Press, 1972. 39 rivalisent. Je le regrette beaucoup, je pense que cela n’est pas nécessaire et je voudrais qu’il en soit autrement.1 Ce que les détracteurs de la création poétique ne voient pas, c’est que toute activité scientifique s’inscrit, d’abord, dans une démarche poétique. Loin d’être des « machines à calculer », les scientifiques vivent dans un milieu déterminé par la culture auquel ils ne sauraient être entièrement insensibles. La science et l’imagination poétique ont notamment en commun cet étonnement sur lequel insiste, par exemple, André Du Bouchet2 ; cette curiosité pure et cette admiration motrice qui constituent autant de points de départ à toute entreprise de l’esprit dont le propos est quête de la vérité, quelle qu’en soit la nature. Albert Einstein y revient lui aussi en mettant l’accent sur le sentiment qui amorce la recherche scientifique : Seul, celui qui peut évaluer les gigantesques efforts et, avant tout, la passion sans lesquels les créations intellectuelles scientifiques novatrices n’existeraient pas, peut évaluer la force du sentiment qui seul a créé un travail absolument détaché de la vie pratique. Quelle confiance profonde en l’intelligibilité de l’architecture du monde et quelle volonté de comprendre, ne serait-ce qu’une parcelle minuscule de l’intelligence se dévoilant dans le monde, devait animer Kepler et Newton pour qu’ils aient pu éclairer les rouages de la mécanique céleste dans un travail solitaire de nombreuses années. Celui qui ne connaît la recherche scientifique que par ses effets pratiques conçoit trop vite et incomplètement la mentalité des hommes qui, entourés de contemporains sceptiques, ont montré les routes aux individus qui pensaient comme eux.3 Un travail détaché de la « vie pratique » – c’est-à-dire de son application concrète –, mais non de l’homme. Pour défendre une idée semblable dans son Discours de Stockholm, Saint-John Perse cite, sans le nommer, Einstein qui va jusqu’à revendiquer, pour la démarche scientifique, une « vision artistique » : Quand on mesure le drame de la science moderne découvrant jusque dans l’absolu mathématique ses limites rationnelles ; quand on voit, en physique, 1 Cité et traduit par Paul BRAFFORT, Science et littérature : les deux cultures, dialogues et controverses pour l’an 2000, op. cit., p. 255. 2 André DU BOUCHET, Carnets (1952-1956), Paris, Plon, 1990, p. 48 : « La poésie n’est qu’un certain étonnement et les moyens de cet étonnement ». 3 Albert EINSTEIN, Comment je vois le monde, op. cit., p. 19. 40 deux grandes doctrines maîtresses poser, l’une un principe général de relativité, l’autre un principe « quantique » d’incertitude et d’indéterminisme qui limiterait à jamais l’exactitude même des mesures physiques ; quand on a entendu le plus grand novateur scientifique de ce siècle, initiateur de la cosmologie moderne et répondant de la plus vaste synthèse intellectuelle en termes d’équations, invoquer l’intuition au secours de la raison et proclamer que « l’imagination est le vrai terrain de germination scientifique », allant même jusqu’à réclamer pour le savant le bénéfice d’une véritable « vision artistique » – n’est-on pas en droit de tenir l’instrument poétique pour aussi légitime que l’instrument logique ?1 Et Peter Medawar d’insister, lui aussi, sur l’importance de l’imagination dans le domaine scientifique : [T]outes les avancées dans la compréhension scientifique, à tous les niveaux, commencent avec une aventure spéculative, une préconception imaginative de ce qui pourrait être vrai – une préconception qui toujours, et nécessairement, va un petit peu (et parfois beaucoup) au-delà de ce pour quoi nous disposons d’une autorité logique ou factuelle qui nous permette d’y croire.2 Certains objecteront qu’en poésie, tout est permis alors qu’en science, les idées doivent sortir du cadre de l’imaginaire ; à défaut, il s’agirait d’une discipline incertaine, privée de la faculté de valider ses moyens d’investigation ainsi que ses résultats. Autrement dit, là où le savant s’impose des méthodes et des règles fixes, le poète n’obéit qu’à son intuition. Or, l’épistémologue Paul Karl Feyerabend nous met précisément en garde contre le danger que présentent ces règles : L’idée que la science peut, et doit, être organisée selon des règles fixes et universelles est à la fois utopique et pernicieuse. Elle est utopique, car elle implique une conception trop simple des aptitudes de l’homme et des circonstances qui encouragent, ou causent, leur développement. Elle est pernicieuse en ce que la tentative d’imposer de telles règles ne peut manquer de n’augmenter nos qualifications professionnelles qu’aux dépens de notre humanité. En outre, une telle idée est préjudiciable à la science, car elle néglige les conditions physiques et historiques complexes qui influencent en réalité le changement scientifique. Elle rend notre science moins facilement adaptable et 1 OC, p. 443-444. 2 Cité et traduit par Paul BRAFFORT, Science et littérature : les deux cultures, dialogues et controverses pour l’an 2000, op. cit., p. 255. 41 plus dogmatique. […] Toutes les méthodologies ont leurs limites, et la seule « règle » qui survit, c’est : « Tout est bon ».1 Ainsi, ce que l’on reproche d’un côté à la poésie, on le revendique de l’autre pour la science. L’abîme qui s’est creusé, au fil du temps, entre les hommes de science et les hommes de lettres est donc moins la conséquence d’une mésentente hypothétique entre les premiers et les seconds que le résultat d’une conception erronée provenant de l’extérieur. Ce ne sont ni les scientifiques ni les poètes – les exemples que nous empruntons aux uns et aux autres l’illustrent abondamment – qui cherchent à donner la primauté de leur domaine sur celui des autres, mais c’est l’opinion de ceux qui ne sont ni savants ni poètes qui a discrédité l’art au profit de la science. Une telle attitude est d’autant plus inquiétante que le progrès scientifique – nous l’avons dit – a connu un tel essor au cours des dernières décennies qu’il lui est devenu indispensable de se soumettre au regard philosophique et moralisateur de l’artiste. Nous pouvons donc affirmer, avec Rabelais, que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme »2. Et Einstein d’ajouter : Je crois même que l’exagération de l’attitude férocement intellectuelle, sévèrement orientée sur le concret et le réel, fruit de notre éducation, représente un danger pour les valeurs morales. […] Le perfectionnement moral et esthétique, l’art plus que la Science, peut le vouloir et peut s’efforcer de l’atteindre. La compréhension d’autrui ne progressera qu’avec le partage des joies et des souffrances.3 Dans cet ordre d’idées, la poésie devient – pour reprendre le jugement de Saint-John Perse à propos d’un écrit reçu de la part de Dag Hammarskjöld – une « saisissante synthèse de notre temps, en cours vers l’expansion en même temps que vers l’unité. 1 Paul Karl FEYERABEND, Contre la méthode. Esquisse d’une théorie anarchiste de la connaissance, Paris, Seuil, 1979, p. 332-333. 2 François RABELAIS, Pantagruel, chap. VIII, in Œuvres complètes, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1994, p. 245. 3 Albert EINSTEIN, Comment je vois le monde, op. cit., p. 21-22. 42 […] [Des] méditations [qui] battent, de haut, le rythme d’une époque, et j’aime vous rejoindre là »1. L’expansion qu’il évoque est double : Des astronomes ont pu s’affoler d’une théorie de l’univers en expansion ; il n’est pas moins d’expansion dans l’infini moral de l’homme – cet univers.2 Cette analogie entre l’univers cosmique et l’univers mental n’est pas sans nous rappeler la réflexion de Pascal sur l’étroite relation entre l’infiniment grand et l’infiniment petit : Tout le monde visible n’est qu’un trait imperceptible dans l’ample sein de la nature. Nulle idée n’en approche ; nous avons beau enfler nos conceptions audelà des espaces imaginables, nous n’enfantons que des atomes, au prix de la réalité des choses. C’est une sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part.3 Comme la science, la poésie peut seulement exister si elle ne se coupe pas du monde extérieur, c’est-à-dire si elle ne s’enferme pas dans une posture purement autoréférentielle. Jean-Pierre Lemaire l’a bien dit : L’expression de soi que permet le poème n’est vraiment libératrice, on le voit, que si elle n’est pas étrangère à la réalité du monde. Ici, on haussera peut-être les épaules ou le sourcil : réalistes, les poètes ? Mais oui, si l’on veut bien se rappeler que la réalité excède parfois nos mesures et si l’on croit que les poètes essaient d’être attentifs à ce que René Char appelait « le grand réel ».4 Précisons que, dans l’œuvre de Char, le terme de « réel » renvoie, comme le souligne Isabelle Ville, « aux lectures de la réalité proposées par le poète »5, acception qui pourrait également s’appliquer à la poésie de Saint-John Perse. Des réflexions qui précèdent, nous pouvons déduire, avec Pierre Macherey, l’idée que le savant et le poète se partagent la tâche : 1 SAINT-JOHN PERSE, Correspondance avec Dag Hammarskjöld, op. cit., p. 149-150. 2 OC, p. 444. 3 Blaise PASCAL, Pensées, frag. 185, Paris, Gallimard, coll. « Folio Classique », 2004, p. 154. 4 Jean-Pierre LEMAIRE, Marcher dans la neige. Un parcours en poésie, Montrouge, Bayard, 2008, p. 20. 5 Isabelle VILLE, René Char, une poétique de résistance : Être et Faire dans les Feuillets d’Hypnos, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2006, p. 330. 43 à la poésie, il revient de cultiver [l]es schèmes imaginaires et d’en entretenir la mémoire en en effectuant la retraduction de façons indéfiniment variées et affinées, alors que la science, qui, pour devenir science, aura dû apprendre à s’en détacher en pratiquant ce que Bachelard appelle une « philosophie du non », s’installe sur un tout autre terrain, où elle peut inventer, et non seulement découvrir, ses formes propres de rationalité, formes qui sont non pas rencontrées mais produites au cours de processus qui en déterminent au fur et à mesure la nécessité.1 Le scientifique analyse et dépouille alors que le poète compose et embellit, comme le souligne d’Alembert dans le Discours préliminaire de l’Encyclopédie. Outre les applications pratiques auxquelles aboutissent, généralement, les découvertes scientifiques, il s’agit, en l’occurrence, de deux procédures d’opération éminemment distinctes sur un même objet. L’univers imaginaire donne aux pensées scientifiques leurs formes spécifiques, en ayant recours à un système de métaphores comme traduction idéelle de la pensée scientifique2. Dans le contexte de la relation entre l’homme de science et l’artiste, le poème « Amitié du Prince », qui constitue le second des cinq volets du recueil La Gloire des rois, pourrait nous offrir, en filigrane, quelques pistes de réflexion. Ce texte, qui a probablement été conçu entre 1917 et 1921 alors que le poète était en Chine, mais dont la finalisation n’a été accomplie qu’après le retour d’Alexis Léger en France entre 1921 et 19233, est subdivisé en quatre fragments. Il décrit la rencontre de deux hommes de rangs différents : le Prince et le sage, le second étant l’alter ego du premier. Une lecture attentive du texte nous montre que certains passages de cette œuvre annoncent des idées qui seront reprises et développées, quelque quarante ans plus tard, dans le Discours de Stockholm. Ainsi, le sage évoque la figure du Prince, « vêtu de [s]es sentences » et « docile aux souffles de la terre » (GR, « Amitié du Prince », I), en insistant sur la gloire qui est la sienne : 1 Pierre MACHEREY, « Une poétique de la science », in Méthodes, n°6, op. cit., p. 5. 2 Cf. ibid., p. 7. 3 Cf. Joëlle GARDES-TAMINE (dir.), Saint-John Perse sans masque. Lecture philologique de l’œuvre, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, coll. « La Licorne », 2006, p. 194-195. 44 [A]ux soirs de grande sécheresse sur la terre, lorsque les hommes en voyage disputent des choses de l’esprit adossés en chemin à de très grandes jarres, j’ai entendu parler de toi de ce côté du monde, et la louange n’était point maigre : « … Nourri des souffles de la terre, environné des signes les plus fastes et devisant de telles prémisses, de tels schismes, ô Prince […] » (GR, « Amitié du prince », I) Il n’y a pas de doute : derrière le personnage du Prince se cache celui du poète. Cela permet notamment à Perse de s’interroger sur la triple fonction du poète dans la société : « Tu es le Guérisseur et l’Assesseur et l’Enchanteur aux sources de l’esprit ! Car ton pouvoir au cœur de l’homme est une chose étrange et ton aisance est grande parmi nous. J’ai vu le signe sur ton front et j’ai considéré ton rôle parmi nous. » (Ibid.) Le fait que Saint-John Perse mette une majuscule aux trois avatars du Prince nous oblige à nous lancer dans une analyse plus poussée. Désigner le Prince par le terme de « Guérisseur », n’est-ce pas lui attribuer des qualités de savant dans la mesure où il doit disposer d’un savoir scientifique indispensable à la guérison des souffrants ? En outre, le « Guérisseur » est nécessairement au service d’autrui et s’inscrit donc parfaitement dans la conception collective des applications utiles de la science. De l’autre côté, nous avons l’« Enchanteur », c’est-à-dire le mage ou le chamane, dont les pouvoirs sont souvent rapprochés, dans la poésie de Saint-John Perse, de ceux du poète1. D’ailleurs, l’« Enchanteur » n’est-il pas celui qui « enchante » le monde, c’est-à-dire qui le transpose en chant ou en poème ? Il est à l’écoute de la voix cachée de la nature, manipule les forces occultes de la terre, influe sur la réalité des choses par la seule puissance évocatoire du langage et, par conséquent, tient 1 Cette idée apparaît de façon plus ou moins régulière à partir du poème Anabase. Cf., par exemple, EX, « Pluies », VII : « Tel s’abreuve au divin dont la lèvre est d’argile ». 45 commerce avec la surréalité. Perse ne manquera pas de revenir sur cette idée dans le Discours de Stockholm : Par la pensée analogique et symbolique, par l’illumination lointaine de l’image médiatrice, et par le jeu de ses correspondances, sur mille chaînes de réactions et d’associations étrangères, par la grâce enfin d’un langage où se transmet le mouvement même de l’Être, le poète s’investit d’une surréalité qui ne peut être celle de la science.1 Le poète, chez Saint-John Perse, est généralement présenté comme un « … [h]omme très simple parmi nous ; le plus secret dans ses desseins ; dur à soi-même, et se taisant, et ne concluant point de paix avec soi-même, mais pressant, errant aux salles de chaux vive, et fomentant au plus haut point de l’âme une grande querelle… » (GR, « Amitié du prince », II) Cette réserve est peut-être responsable, elle aussi, de la déconsidération qui menace le poète dans la société. La « querelle » auquel il fait allusion doit être comprise au sens héraclitéen du terme : de la confrontation des contraires naît l’action2. Et le sage conclut : « … Tel sous le signe de ton front, les cils hantés d’ombrages immortels et la barbe poudrée d’un pollen de sagesse, Prince flairé d’abeilles sur sa chaise d’un bois violet très odorant, il veille. Et c’est là sa fonction. Et il n’en a point d’autre parmi nous. » (GR, « Amitié du prince », II) Le poète agit donc par sa seule présence ; sa tâche consiste à « veiller » dans la double acception du terme : se priver de somme, mais aussi faire preuve de vigilance. C’est à cet endroit qu’il convient d’étudier la fonction du troisième attribut du Prince, à savoir l’« Assesseur ». Ce n’est certainement pas un hasard qu’il soit placé au milieu du vers et relié au « Guérisseur » et à l’« Enchanteur » par la double répétition de la conjonction de coordination « et », comme s’il était le pivot de deux éléments 1 OC, p. 444. 2 Cf. à ce sujet l’ouvrage de Colette CAMELIN, Éclat des contraires. La poétique de Saint-John Perse, Paris, CNRS, coll. « CNRS Littérature », 2006. 46 qui devraient être en équilibre. L’« Assesseur » apparaît comme l’intermédiaire et le médiateur, en quelque sorte, entre le savant et le mage. Il siège aux côtés de chacun, assiste l’un et l’autre dans ses activités respectives, mais, en même temps, il n’appartient à aucun des deux. Son regard externe lui permet d’assurer la fonction de juge qui veille à maintenir l’équilibre entre le progrès scientifique et les interrogations morales que celui-ci suscite1. Il est, en quelque sorte, la « mauvaise conscience de son temps »2 sur laquelle s’achève le Discours de Stockholm3. Et le sage d’ajouter : et un très grand besoin de toi nous tient aux lieux où tu respires, et de plus grand bien-être qu’avec toi nous n’en connaissons point… (GR, « Amitié du prince », I) Le moment clé du poème est certainement la rencontre du Prince et du sage qui a lieu après le long voyage du second pour rejoindre le premier. Dans sa réponse, le Prince y fait directement allusion : La guerre, le négoce, les règlements de dettes religieuses sont d’ordinaire la cause des déplacements lointains : toi, tu te plais aux longs déplacements sans cause. (GR, « Amitié du prince », III) Par les « longs déplacements sans cause », faut-il entendre la « pensée désintéressée » de l’un et de l’autre ? Ils discutent « des choses de l’esprit » (III), « [c]hoses probantes et peu sûres » (III), et le Prince désire vérifier si la « science » du sage « encore s’est accrue » (III). Ce passage n’annonce-t-il pas la question que soulèvera Saint-John Perse dans son « Allocution au Banquet Nobel » en 1960 : « qui donc plus tôt remonte, et plus chargé de brève phosphorescence ? »4. La réponse est, nous l’avons vu, sans intérêt et dès le départ, « l’amitié est agréée » (III). Sachant que la « condition de l’homme est obscure » (III), leur 1 À propos du regard externe, voir la figure de l’Étranger dans l’œuvre de Saint-John Perse et surtout dans Anabase. 2 OC, p. 447. 3 Cf. troisième chapitre de la présente étude. 4 OC, p. 444. 47 entretien est comparé aux « abeilles [qui] quittent les cavernes à la recherche des plus hauts arbres dans la lumière » (IV). Le poème s’achève sur une constatation à la fois encourageante et décevante : Et il n’est plus question d’agir ni de compter, mais la faiblesse gagne les membres du plus fort ; et d’heure plus vaste que cette heure, nous n’en connûmes point… (GR, « Amitié du prince », IV) Encourageante, parce que les deux ne se considèrent pas comme des « frères ennemis » – l’homme de science et le poète se trouvent réunis dans le personnage du Prince – ; et décevante, étant donné que la recherche qu’ils mènent de front – quelles que soient les méthodes d’investigation mises à l’œuvre – se heurte contre ses propres limites : « Et la nuit vient avant que nous n’ayons coutume de ces lieux » (IV). Qui, donc, est le « plus fort » dont les membres deviennent faibles ? Nul ne le sait. L’essentiel, c’est que la « lampe » (IV), qui réapparaîtra dans le Discours de Stockholm sous la forme d’une « lampe d’argile »1, continue d’éclairer le « [s]euil de la connaissance » (AM, « Strophe », II). La création poétique peut-elle donc servir la connaissance et, le cas échéant, peut-elle être investie d’une fonction épistémologique ? 1 OC, p. 447. 48 Chapitre II La poésie comme mode de connaissance « Une heure en nous se lève que nous n’avions prévue. » AM, « Strophe », V Comme nous avons essayé de le montrer dans le chapitre qui précède, l’être humain éprouve le désir constant de contrôler la nature dans le but d’améliorer sa propre condition de vie. Dans cet ordre d’idées, les savants bénéficient d’un statut privilégié dans la société, étant donné que leurs recherches aboutissent souvent à des fins pratiques et donc utiles. Or, dans son Discours de Stockholm, Saint-John Perse attire notre attention sur le fait que la fonction qui incombe à l’homme de lettres n’est pas moins importante que celle du scientifique et que son œuvre peut, elle aussi, servir la connaissance que nous considérons trop souvent comme l’apanage exclusif de la science et de son progrès. Plus les savants réussissent à repousser les limites du savoir, plus on estime que la connaissance de l’humanité s’accroît. Or, une telle conception ne relève-t-elle pas d’une confusion entre connaître et savoir ? 2. 1. Connaître et savoir Selon la définition que propose Le Grand Robert du verbe « connaître », il s’agirait d’« [a]voir présent à l’esprit un objet (réel ou vrai, concret ou abstrait ; physique ou mental) » ou encore « [d’]être capable de former l’idée, le concept, l’image de [l’objet en 49 question] »1. Les auteurs ajoutent, pour l’expression « connaître une chose » : « [s]e faire une idée, soit par l’expérience, soit par des informations, de manière précise ou imprécise (mais toujours de manière pertinente) »2. Cette définition, bien qu’elle soit relativement vague, a le mérite de mettre en évidence une idée importante : la connaissance est une représentation « précise ou imprécise », mais toujours « pertinente » d’un objet dont on va former « l’idée, le concept, l’image ». Conceptualiser le réel, c’est établir des structures sémantiques dont l’expression se fera par le biais d’un langage déterminé. Il peut s’agir, notamment, d’un langage elliptique (en science comme en poésie), narratif, pictural, musical ou autre. Toutefois, ne commet-on pas un paradoxe si l’on rapproche les adjectifs « imprécis » et « pertinent » ? La pertinence ne devrait-elle pas être la conséquence logique d’une réflexion scrupuleuse qui, par conséquent, relève de la précision ? Et la représentation du réel qui en découle, ne devrait-elle pas être la plus fidèle possible ? Voyons, pour comparer, comment le dictionnaire définit le verbe « savoir » dont est dérivé le substantif « savant » et que l’on donne souvent comme synonyme du verbe « connaître » : « Avoir présent à l’esprit un objet de pensée (qu’on identifie et qu’on tient pour réel) ; pouvoir affirmer l’existence de… » 3 . Cette définition introduit un nouvel élément important, à savoir la question du réel : savant est celui qui est dépositaire d’un « objet de pensée […] qu’[il] tient pour réel ». Or, tenir quelque chose pour réel, n’est-ce pas formuler l’hypothèse de son existence sans pour autant la prouver de façon irréfutable ? Même si l’on « identifie » son « objet de pensée », c’est-à-dire si on lui confère une identité propre qui permette de le distinguer de tous les autres, il n’est pas certain que cette identification soit la même pour tous les êtres pensants. À titre d’exemple, nous pourrions mentionner les couleurs : en parlant du rouge, tout le monde perçoit-il cette couleur exactement de la même façon ? Certains y verraient 1 Le Grand Robert, Paris, Dictionnaires Le Robert, 2001, t. II, p. 455. 2 Ibid. 3 Le Grand Robert, op. cit., t. VI, p. 222. 50 peut-être des nuances de brun (lorsqu’il s’agit d’un rouge foncé) ou d’orange (dans le cas d’un rouge clair). Le réel – le seul prétendu référent unique et fiable en matière de savoir – ne serait-il donc pas le même pour chacun d’entre nous, car tributaire de notre sensibilité ? Finalement, le réel sur lequel s’appuie la science serait-il différent de celui de la poésie, le premier étant plus tangible et le second relevant plutôt de l’abstraction ? En tout cas, la subjectivité du sujet ne peut jamais être complètement exclue du processus d’identification du réel, fût-il concret ou abstrait, scientifique ou poétique. C’est cette idée, sans doute, qui a amené Émile Zola à affirmer – en parlant du roman réaliste – qu’« une œuvre d’art est un coin de la création vu à travers un tempérament »1. De ce qui précède, nous pouvons déduire les propriétés suivantes de la connaissance et du savoir : – la connaissance permet de forger l’idée2 ou l’image d’un objet de pensée ; autrement dit, elle constitue le vecteur conceptualisant du processus cognitif en assurant la liaison entre le référent concret ou abstrait et sa forme de représentation tangible ou mentale. Elle met à la disposition du sujet les outils sémiotiques qui lui permettent de traduire dans un système codifié – quel qu’en soit le support – les structures de la réalité qui ont été déterminées. Par conséquent, la connaissance est toujours en devenir, car elle relève de la vie en train de se faire : celle à laquelle s’intéressent, notamment, les hommes de science et les poètes et à laquelle renvoie, peut-être, ce vers de Chronique : « Et nos actes s’éloignent dans leurs vergers d’éclairs… » (CH, VIII) ; – le savoir, quant à lui, est le résultat de l’appréhension subjective du réel permettant d’identifier les objets (concrets ou abstraits). Il représente les 1 Émile ZOLA, « M. H. Taine, artiste », in Mes haines : Causeries littéraires et artistiques, Paris, Charpentier, 1893, p. 229. 2 À noter que le substantif « idée » dérive étymologiquement du grec « eidos » dont le premier sens est « l’aspect extérieur », mais aussi « la forme du corps ou d’une chose ». 51 données de base qui viennent nourrir le processus cognitif et qui aboutissent – une fois confrontées avec d’autres données – à la connaissance. Mais le savoir ne peut devenir connaissance que s’il s’affranchit de l’utopie d’une objectivité absolue tant au niveau des perceptions qu’à celui de leur représentation. Toute expérience – qu’elle soit de nature scientifique ou artistique – ainsi que sa représentation sont sujettes à une certaine forme de subjectivité sans laquelle le processus cognitif serait stagnant et intellectuellement stérile : il s’agirait, le cas échéant, d’un savoir figé et passif, et qui serait le même pour l’homme de science que pour le poète. La richesse intellectuelle de l’être humain se verrait réduite à un simple inventaire de savoirs passifs divers. Nous comprenons mieux, à présent, l’importance de la « vision artistique » et de l’« imagination » sur lesquelles insiste Saint-John Perse lorsqu’il cite Einstein. En somme, la différence entre le savoir et la connaissance pourrait être résumée de la façon suivante : le premier est le résultat de l’appréhension externe du monde, qu’elle relève de l’expérience sensorielle ou de l’analyse scientifique. Nous savons, par exemple, que la lumière rend visibles les choses qui nous entourent et nous sommes même en mesure de l’analyser d’un point de vue scientifique (c’est l’ensemble des ondes électromagnétiques dont la longueur est comprise entre 380 780 nm, perceptibles par l’œil humain, etc.). La connaissance, en revanche, pourrait être considérée comme la somme des savoirs une fois qu’ils auront été mis en relation les uns avec les autres, mais aussi avec le contexte culturel et humain. Ainsi, la lumière qui, nous venons de le voir, peut faire l’objet d’une analyse scientifique, est susceptible – outre son rôle premier qui est celui d’éclairer et de chauffer – de donner lieu à une perception différente de la réalité : en fonction de la façon dont nous projetons la lumière sur tel objet, nous le verrons de façons différentes. Il nous apparaîtra sous une autre lumière. À cela s’ajoute que la lumière joue un rôle 52 prépondérant dans certaines cultures qui vont jusqu’à voir en elle l’origine de la vie ou la manifestation d’une divinité. C’est dans la confrontation des savoirs scientifiques, culturels et, dans certains cas, métaphysiques que la connaissance puise son originalité et sa puissance. Autrement dit, l’intérêt du seul savoir est limité. Il ne commence à prendre toute son importance et une autre valeur – polyvalente – que s’il est mis en relation avec d’autres données scientifiques, culturelles et humaines. C’est aussi ce que souligne Moritz Schlinck dans sa Théorie générale de la connaissance : dans le cas de la connaissance, l’essentiel consiste précisément en ce que celui qui connaît établit une relation entre plusieurs objets. Le fait de parler de la connaissance comme d’une saisie est donc en général une image trompeuse. Elle n’est justifiée qu’à condition d’entendre par là qu’il s’agit de capturer ou de cerner l’objet connu par des concepts, et de lui assigner ainsi une place univoque en leur sein.1 Pour les francs-maçons – auxquels la critique a tendance à associer SaintJohn Perse, sans qu’elle soit toutefois en mesure d’en livrer des preuves irréfutables, alors que l’œuvre poétique contient un nombre impressionnant d’allusions à des symboles franc-maçonniques2 : même s’il n’est pas certain que Saint-John Perse ait appartenu à une obédience, il a toutefois manifesté un intérêt particulier pour les symboles et les rites des francs-maçons –, la différence entre savoir et connaissance se définit ainsi : Les savoirs sont constitués de concepts, de procédures ou de méthodes qui existent hors du sujet connaissant et qui sont généralement codifiés dans des ouvrages de référence, manuels, encyclopédies, dictionnaires… Les connaissances, par contre, sont indissociables du sujet connaissant. Ce n’est que lorsqu’une personne intériorise un savoir, en en prenant connaissance que précisément elle transforme ce savoir en connaissance. L’acteur de cette construction en devient le possesseur unique, car un savoir identique construit par une autre personne ne sera jamais tout à fait le même.3 1 Moritz SCHLINCK, Théorie générale de la connaissance, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de Philosophie », 2009, p. 141. 2 Une étude d’ensemble mériterait d’être consacrée à ce sujet. 3 Planche de G. D. publiée sur le site L’Édifice – La Bibliothèque maçonnique du net. Voir http://www.ledifice.net/7007-2.html [dernière consultation : 05.05.2012]. 53 Il reste à préciser que le critère – contrairement à ce que l’on aurait pu imaginer – n’est pas celui de la précision de la représentation, voire de sa rigueur scientifique, mais plutôt celui la « pertinence ». Or, comment la définir s’il n’existe pas de critère de validité universel ? Certes, une expérience physique ou chimique peut être refaite partout dans le monde et les observations seront probablement les mêmes dans les grandes lignes, mais la façon dont ces expériences seront perçues et vécues restera tributaire de l’environnement culturel et spirituel. C’est là, précisément, que le travail de l’artiste prend toute son importance. Si le scientifique définit avec rigueur les structures du réel, l’artiste, de son côté, va s’appuyer sur le travail de son « frère » et essaiera d’arranger ces structures d’une façon plus souple (ou « imprécise », pour reprendre l’adjectif que nous trouvons dans la définition du dictionnaire, quoiqu’il soit, à notre avis, mal approprié : la vision que propose l’artiste du réel n’est pas moins précise que celle du scientifique ; elle est tout simplement de nature différente) en proposant d’autres combinaisons possibles, car ce sont elles qui procurent à l’existence humaine toute sa richesse et toute sa beauté. N’oublions pas que ce sont avant tout l’étonnement et la surprise qui – Einstein et Du Bouchet nous l’ont rappelé – constituent le moteur de toute démarche intellectuelle. Il s’agit là d’un point important qui est souvent négligé : outre les résultats concrets et démontrables auxquels aboutissent les investigations scientifiques, l’on n’est pas toujours conscient de l’importance que peut revêtir une découverte scientifique au niveau de la culture alors que toute entreprise de l’esprit, qu’elle soit d’ordre scientifique ou artistique, est nécessairement ancrée dans un environnement culturel et humain déterminé. Ainsi, comme le note Pierre Della Faille, « [l]a Connaissance ne consiste pas seulement à conquérir l’Univers, mais, avant lui, l’HOMME »1 . « Conquérir l’homme », cela signifie ne pas faire abstraction de l’être humain, mais tenir compte du bagage culturel et de la personnalité qui lui sont propres. Il nous semble percevoir un écho de cette idée dans le passage suivant de Vents : 1 Pierre DELLA FAILLE, Poésie et Connaissance, Bruxelles, Le Cormier, 1985, p. 21. 54 Et si un homme auprès de nous vient à manquer à son visage de vivant, qu’on lui tienne de force la face dans le vent ! (VE, I, 6) Les découvertes en science se trouvent considérablement enrichies sous l’effet du rapprochement entre le savoir et la culture, prolégomènes indispensables à la naissance de la connaissance. C’est précisément cette prise de conscience qui est à l’origine d’une réflexion sur ce qu’Auguste Comte définit comme la « marche progressive de l’esprit humain »1 et que nous avons tendance à appeler de nos jours l’épistémologie. 2. 2. L’épistémologie Le terme « épistémologie » dérive du grec epistêmê dont le premier sens est, selon Anatole Bailly, celui de « science ; art, habileté ; connaissance, savoir acquis par l’étude » alors que la seconde acception met l’accent sur l’« application de l’esprit »2. Nous voyons que le substantif grec met sur un même plan la connaissance et le savoir, en précisant toutefois que le dernier constitue le fruit d’une étude préalable. Le deuxième sens que donne le dictionnaire présente une ouverture intéressante : faut-il entendre le substantif « application » au sens d’« appliquer », c’est-à-dire d’« étendre » son esprit sur un objet déterminé ou s’agit-il plutôt du sens de « zèle » ou d’« acharnement » qui doit être déployé dans toute entreprise intellectuelle ? La réponse importe peu, au fond, car le premier apparaît comme la suite logique du second : une interrogation poussée qui se veut fructueuse exige toujours une certaine persévérance de l’esprit. Dans le mot « épistémologie », nous retrouvons également la notion de « logos » que l’on a coutume de traduire par « discours, langage, jugement ». Autrement dit, l’épistémologie apparaît d’un côté comme un discours tenu sur la science et, de l’autre côté, comme une étude de la connaissance. Toutefois, l’idée de « jugement » 1 Auguste COMTE, Cours de philosophie positive, Paris, Hermann, 1975, 1re Leçon, t. 1, p. 21. 2 Anatole BAILLY, Abrégé du dictionnaire grec-français, Paris, Hachette, 1901, p. 345. 55 n’est pas à négliger : jugement de validité des énoncés, certes, mais aussi jugement moral. L’épistémologie s’inscrit donc clairement dans le domaine de la philosophie de la connaissance. Le terme – un néologisme à l’époque – apparaît pour la première fois dans sa forme anglaise d’« epistemology » sous la plume du métaphysicien écossais James Frederick Ferrier (1808-1864) dans les Institutes of metaphysics (1854) 1 . Il faudra attendre le XXe siècle et la traduction française de l’Essai sur les fondements de la géométrie 2 de Bertrand Russell (1872-1970) pour que le mot apparaisse pour la première fois dans la version française d’« épistémologie ». Bien que les interrogations philosophiques et morales que suscite le défi scientifique aient préexisté à l’étiquette dont elles se trouvent affublées depuis lors, l’épistémologie apparaît comme un véritable « champ disciplinaire spécifique »3 seulement au début du XXe siècle. Dans sa monographie qu’elle a consacrée à ce sujet, Léna Soler définit les caractéristiques de l’épistémologie en ces termes : – Elle est un discours réflexif, c’est-à-dire un discours faisant retour sur les sciences. L’épistémologie présuppose donc la science et vient forcément après elle. – Elle est un discours critique : elle ne se contente pas de décrire les sciences sans les juger : elle s’emploie de surcroît à discuter du bien-fondé et de la portée des propositions et des méthodes scientifiques. L’épistémologie étant un discours sur les sciences, il conviendra : – De spécifier la nature du discours considéré (est-il philosophique ? scientifique ? quels sont ses moyens ?). – De caractériser l’objet de ce discours (que faut-il entendre par « science » ? Quelles disciplines concrètes range-t-on dans la catégorie de science ?).4 Quatre notions clés ressortent de cet aperçu : le discours que l’épistémologie tient sur les sciences est à la fois « réflexif » et « critique » (il reflète donc la portée des sciences de façon objective) et elle se propose d’en définir la « nature » ainsi que 1 Cf. Dominique LECOURT, La philosophie des sciences, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2010, p. 16. 2 Bertrand RUSSELL, An essay on the foundations of geometry, traduction française : Essai sur les fondements de la géométrie, Paris, Gauthier-Villars, 1901. 3 Léna SOLER, Introduction à l’épistémologie, Paris, Ellipses, coll. « Philo », 2009, p. 16. 4 Ibid., p. 16-17. 56 l’« objet ». Avant de comparer cette démarche à celle de la poésie, essayons de proposer une définition de la science telle que la conçoivent les épistémologues. L’on fait, généralement, la distinction entre la science a posteriori ou descriptive et la science a priori ou normative : La première […] prend pour point de départ l’ensemble des pratiques qui, de fait, sont considérées comme des sciences, décrit le plus fidèlement possible les produits de ces pratiques, identifie leurs points communs, et élabore à partir des caractéristiques communes une définition de la science. […] La seconde […] prend pour point de départ une norme de scientificité (spécifie ce que devrait idéalement être une science), puis compare les disciplines dites scientifiques à cet idéal et décide dans chaque cas si l’on a ou non affaire à une science […].1 D’une façon générale, la science est, comme la poésie, un regard porté sur le réel. À l’intérieur de la science, les différentes disciplines sont subdivisées en deux grands groupes : les sciences formelles (mathématiques, logique) et les sciences empiriques (physique, biologie, psychologie, sociologie, économie, etc.). Les sciences formelles sont indépendantes de la réalité matérielle et de l’expérience sensible2. Elles ne s’intéressent qu’au fonctionnement et à la méthode d’un raisonnement, mais non pas à son contenu. Autrement dit, leur objet d’étude est de nature purement conceptuelle. De l’autre côté, les sciences empiriques s’intéressent à « certains aspects spécifiés de l’expérience sensible » 3 . Contrairement aux sciences formelles, leur objet d’étude n’est pas purement conceptuel, mais il se manifeste par le biais de l’observation. Parmi les sciences empiriques figurent d’un côté les sciences de la nature (physique, chimie, sciences de la vie) et de l’autre côté les sciences de l’homme et de la société (psychologie, sociologie, ethnologie, anthropologie, économie, linguistique, histoire, droit, etc.). Pour prolonger la réflexion, nous pouvons mentionner l’opposition qui existe entre le naturel et l’humain : la nature n’obéit pas à des motifs, elle n’est pas 1 Ibid., p. 24. 2 Ibid., p. 26. 3 Ibid., p. 27. 57 orientée par des valeurs morales et elle ne présente aucune faculté de symbolisation. Or, elle est le « médiateur privilégié du dialogue entre tous les domaines de la connaissance »1. L’homme, au contraire, est à même de symboliser (nous retrouvons cette idée, notamment, dans les mythes et les rituels). Par ailleurs, il peut aller contre ses intérêts personnels pour la noble cause et peut énoncer ses intentions, tout comme il peut se laisser guider dans ses actions par un questionnement moral. Maintenant que nous avons donné un bref aperçu des structures du champ scientifique, interrogeons-nous sur les étapes de l’appréhension intellectuelle du réel, c’est-à-dire sur la façon dont le savoir (scientifique) est converti en connaissance. Descartes propose une structure dualiste du problème en définissant deux pôles qui se trouvent dissociés dans un premier temps (savoir), mais qui seront bientôt mis en relation (connaissance). Ces deux pôles sont, comme le rappelle Léna Soler, le sujet de la connaissance et l’objet à connaître. Pour connaître, le sujet doit d’une manière ou d’une autre entrer en relation avec l’objet. De quels moyens dispose-t-il pour ce faire ? On sépare traditionnellement ce qui a trait au corporel ou au sensible (la constitution physique, les cinq sens, etc.) et ce qui se rapporte au spirituel ou à l’intellect (les idées et la manière dont l’homme les enchaîne, le jugement, la raison, l’entendement, etc.). Considérons le cas de la physique. L’objet visé est la nature inanimée. L’homme y accède par l’intermédiaire de ses cinq sens, en parle, et élabore des théories à son propos. On a donc d’un côté le monde sensible, de l’autre un ensemble d’énoncés proférés par un sujet à propos du monde sensible ; d’un côté une réalité existant telle quelle indépendamment de tout langage (pôle extralinguistique), de l’autre des affirmations à propos de cette réalité (pôle linguistique). Quand les énoncés du sujet décrivent fidèlement l’objet, on dit qu’ils sont vrais […].2 Par conséquent, le processus cognitif peut être subdivisé en deux étapes : 1. réceptivité du sujet qui observe et enregistre les faits sans les dénaturer. Il y a, à ce stade du processus, une séparation claire et nette entre le sujet et l’objet. C’est ainsi que naît le savoir ; 1 Suzanne MERIAUX, Science et poésie, Paris, L’Harmattan, coll. « Écologie et agronomie appliquées », 2003, p. 50. 2 Léna SOLER, Introduction à l’épistémologie, op. cit., p. 33-34. 58 2. explication et interprétation des données enregistrées : le sujet tisse des liens, forge des hypothèses, élabore des théories, etc. En un mot, il devient actif et passe de l’étape du savoir à celle de la connaissance (qui ne sera, rappelons-le, jamais figée). Le sujet et l’objet entretiennent désormais une relation très étroite. Le point de départ est donc l’observation à partir de laquelle le sujet s’approprie intellectuellement l’objet. Cette étape est avant tout contemplative. La deuxième consiste à analyser les observations dans leur contexte et de les mettre en relation avec d’autres données. Seulement, en quoi consiste le travail de la poésie dans le processus cognitif ? Le naturaliste américain John Burroughs (1837-1921) nous donne la réponse : [À] moins que la science ne soit mélangée d’émotion et ne fasse appel au cœur et à l’imagination, elle n’est que matière inorganique morte ; mais quand elle se mélange et se transforme ainsi, elle est littérature. […] [L]es intérêts des deux [le vrai poète et le vrai savant] dans l’univers sont largement différents, pourtant ils ne sont en aucune façon hostiles ou mutuellement destructeurs.1 Dans son ouvrage Literature and Science (1963), Aldous Huxley rappelle que la condition préalable à l’établissement d’une relation fructueuse entre la littérature et la science est la connaissance. […] Et, cela va sans dire, le flot du savoir et de la compréhension entre les Deux Cultures doit aller dans les deux sens – de la science vers la littérature aussi bien que de la littérature vers la science.2 S’il y a donc échange entre la science et la poésie – soulignons, au passage, l’importance du substantif « compréhension » (action de saisir ensemble) dans la réflexion de Huxley –, ce que l’épistémologie met en avant pour les sciences, cela s’applique-til également aux créations émanant du domaine de l’art ? Autrement dit, serionsnous en droit de parler d’une « épistémologie poétique » ? 1 Cité et traduit par Paul BRAFFORT, Science et littérature : les deux cultures, dialogues et controverses pour l’an 2000, op. cit., p. 18. 2 Cité et traduit par Paul BRAFFORT, ibid., p. 29. 59 2. 3. Poésie et connaissance S’il est relativement aisé de proposer une définition de la science, la poésie, quant à elle, semble résister à toute tentative qui consiste à vouloir la figer dans un moule bien défini. Ainsi, Roger Bodard souligne que « [q]ui veut la définir ne peut rien faire qu’errer au hasard dans ce no man’s land qui sépare ces deux terres mal connues : la poésie et la vérité » 1 . Car définir la poésie, c’est donner des confins à quelque chose qui, précisément, ne saurait en avoir. La poésie est toujours en mouvement et elle est mouvement elle-même. Souvenons-nous, précisément, d’un passage de la lettre du 4 août 1911 à Valery Larbaud dans laquelle Saint-John Perse écrit à propos du poète anglais Patmore : C’est surtout le « mouvement », dans l’art de Patmore, qui m’avait échappé. À vous je dis cela, car je me rappelle bien, à propos d’un Latin, l’importance que vous saviez accorder comme moi à cette chose : mouvement, qui demeure après tout, au dernier terme de l’analyse, l’intérêt le plus pur auquel on puisse réduire le goût des choses de ce monde.2 Plus tard, dans une missive (fictive ?) à sa mère 3 du 27 janvier 1917, en parlant de la Chine où il a été envoyé comme diplomate, il reviendra sur l’importance du mouvement qui, du reste, se reflète partout dans son œuvre poétique : Non, rien, dans tout cela, pour l’esthétique ni pour le pittoresque. Mais c’est le spectacle, moi, qui me passionne : celui d’une évolution, là, sous mes yeux, d’une vieille société humaine en pleine mutation. Là où s’exerce le mouvement est toujours pour moi l’intérêt.4 1 Roger BODARD, « La Connaissance Poétique », in Arts et Lettres. Revue trimestrielle, Luxembourg, Section des Arts et des Lettres de l’Institut grand-ducal, 1965, n°1, p. 21. 2 OC, p. 790. 3 La critique persienne estime que les Lettres d’Asie avaient toutes été (ré)écrites pour le volume de la Pléiade que Saint-John Perse avait constitué lui-même de son vivant. Même si elles ne sont donc pas forcément authentiques, elles nous livrent des renseignements précieux sur certains thèmes que le poète a développés dans son œuvre. Cf. Catherine MAYAUX, Les Lettres d’Asie, Paris, Gallimard, coll. « Cahiers Saint-John Perse », 1994. 4 OC, p. 833. 60 Ce passage fait écho à une idée qui sera reprise, en 1960, dans le Discours de Stockholm, à savoir que « [l’]inertie seule est menaçante. Poète est celui-là qui rompt pour nous l’accoutumance »1. Autrement dit, par opposition à la science, la poésie ne peut être saisie par l’outillage scientifique. Sans doute est-ce pour cette raison que Montaigne, dans ses Essais, parle du genre poétique comme d’un « ravissement » et d’un « ravage » de notre jugement : Voicy merveille : nous avons bien plus de poëtes, que de juges et interpretes de poësie. Il est plus aisé de la faire, que de la cognoistre. À certaine mesure basse, on la peut juger par les preceptes et par art. Mais la bonne, l’excessive, la divine est au-dessus des regles et de la raison. Quiconque en discerne la beauté d’une veuë ferme et rassise, il ne la void pas, non plus que la splendeur d’un esclair. Elle ne pratique point nostre jugement ; elle le ravit et ravage.2 Or, dire qu’il est plus facile de faire de la poésie que d’en parler, cela ne revient-il à prétendre qu’au fond, l’écriture poétique échappe à son créateur ? Autrement dit, là où la science maîtrise ses outils avec une assurance remarquable, le poète serait-il finalement dépassé par sa création qui, dans cet ordre d’idées, n’aurait alors plus aucune valeur épistémologique ? En réalité, les choses sont beaucoup plus complexes qu’elles n’en ont l’air à première vue. Bien que la poésie ne puisse être définie de la même manière ni selon les mêmes critères que la science, elle n’en a pas moins une nature et une fonction qui, elles, peuvent être clairement déterminées. Voici comment Pierre Della Faille évoque le problème : Une question cruelle saute à l’esprit : la poésie échappe-t-elle à ceux qu’encore aujourd’hui on appelle des « poètes » ? En quittant l’épopée, le récit, le mythe, s’attachant à l’analyse intérieure, à la confession, à sa description subtile des moments fugaces, les poètes actuels n’ont-ils pas changé la nature de la poésie qui, d’un acte créateur par excellence, s’est muée en technique d’analyse et, par ses sujets, rapprochée du roman psychologique ?3 1 OC, p. 446. 2 Michel de MONTAIGNE, Essais, Livre Ier, chap. XXXVII, in Œuvres complètes, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1962, p. 227-228. 3 Pierre DELLA FAILLE, Poésie et Connaissance, op. cit., p. 22-23. 61 La poésie semble donc bel et bien investie d’un pouvoir analytique. Par opposition au domaine scientifique, son travail s’opère à la fois sur le sujet et sur l’objet. Parmi toutes ces « choses sur la terre à entendre et à voir, choses vivantes parmi nous » (AN, X), la poésie est, comme le précise le mathématicien Basarab Nicolescu (*1942), « la suprême approche quantique du monde. La mécanique quantique décrit la mécanique de l’univers, tandis que la poésie révèle sa dynamique secrète »1. Et il ajoute : Les poètes sont les physiciens du sens. Ils prennent les mots pour instrument d’investigation de l’au-delà des mots – Nature universelle dont l’univers physique n’est qu’une de ses [sic] facettes. […] Le sens ne commence pas là où les mots s’arrêtent, mais là où les mots sont en équilibre avec les autres facultés de l’homme.2 Par opposition au langage scientifique, le mot poétique doit être en « équilibre avec les autres facultés de l’homme ». Il s’agit donc plus d’une forme de connaissance que d’une forme de savoir, d’après les définitions des deux notions que nous avons proposées plus haut. En outre, selon Nicolescu, « [l]a connaissance émerge de l’unité entre l’observateur et ce qui est observé »3. La poésie, en tant que moyen de connaissance, est – comme l’épistémologie – réflexive et critique : réflexive, car elle tient une interrogation non seulement sur elle-même, mais aussi sur ses moyens et son objet d’investigation ; critique parce qu’elle suscite un jugement non pas de valeur, mais de rectitude morale. En ce sens, il ne serait peut-être pas aberrant de parler d’une « poésie épistémologique » ou encore d’une « épistémologie poétique ». À partir de l’interdépendance du sujet et de l’objet dont émane la connaissance, le discours poétique propose sa vision du réel. À l’instar de la science, la poésie est – comme le précise Suzanne Mériaux – une « connaissance du Réel, de l’Être, malgré la représentation – 1 Basarab NICOLESCU, Théorèmes poétiques, Monaco, Éditions du Rocher, 1994, p. 64. 2 Ibid., p. 45. 3 Ibid., p. 36. 62 le Paraître – qui en est différente »1. Il serait désormais plus juste – et plus prudent – de s’engager dans la voie que suggère Basarab Nicolescu : Petit changement d’attitude, qui équivaut à une grande révolution : se considérer plutôt comme un participant au mouvement du sens et non comme l’unique propriétaire du sens.2 Encore faudrait-il mettre au clair la notion de réel qui est indissociable à la fois de la science et de la poésie à tel point qu’elle constitue – nous l’avons vu – le point de clivage entre les deux. « Le réel n’est jamais donné, écrit Gilles Cyr, il est toujours produit ; la littérature et la science constituent deux modes particuliers de production du réel »3. Si le réel, en tant qu’objet, n’existe donc pas a priori, c’est-à-dire s’il est « produit », cela ne veut-il pas dire qu’il est forcément tributaire de la subjectivité de tout sujet qui cherche à se l’approprier ? Dans ce cas, parler de « réel absolu », comme le fait SaintJohn Perse dans le Discours de Stockholm, ne relève-t-il pas du paradoxe ? […] si la poésie n’est pas, comme on l’a dit, « le réel absolu », elle en est bien la plus proche convoitise et la plus proche appréhension, à cette limite extrême de complicité où le réel dans le poème semble s’informer lui-même.4 Pourtant, afin que le réel ait un sens dans la connaissance que les hommes ont du monde, il importe de lui trouver un dénominateur commun sans lequel il serait impossible de l’appréhender, que ce soit d’un point de vue scientifique ou littéraire. Parfois, il y a même abus dans la mesure où, pour une raison d’intérêt collectif ou privé, une conception déterminée du réel nous est imposée. Ainsi, Philippe Sollers écrit que la notion de réalité [est] elle-même une convention et un conformisme, une sorte de contrat tacite passé entre l’individu et son groupe social : est déclaré réel, dans des circonstances historiques données, ce que le plus grand nombre à 1 Suzanne MERIAUX, Science et poésie, op. cit., p. 9. 2 Basarab NICOLESCU, Théorèmes poétiques, op. cit., p. 51. 3 Gilles CYR, « Littérature et science », in Liberté, vol. 12, n°1, 1970, p. 58. 4 OC, p. 444. 63 travers le nombre au pouvoir, et pour des raisons économiques précises, est obligé de tenir pour réel.1 Si la perception du réel se fait essentiellement par la voie sensorielle, il faudra s’interroger sur ce que Wittgenstein appelle une « donnée des sens » : Le moment est venu d’exercer notre critique sur le mot « donnée des sens ». C’est une donnée des sens que l’apparition de cet arbre, que « réellement il y a là un arbre » ou que ce soit une attrape, un mirage, une hallucination, etc. C’est une donnée des sens que l’apparition de l’arbre et ce que nous voulons dire, c’est que sa re-présentation [sic] par le langage n’est qu’une description, mais non la description essentielle.2 Cette description est le produit de la subjectivité du sujet qui, comme le souligne Arthur Schopenhauer dans Le Monde comme Volonté et comme Représentation (1819), nous empêche de voir le monde tel qu’il est réellement et indépendamment de notre volonté individuelle. Voilà pourquoi la représentation du réel est étroitement liée à la connaissance à tel point que, comme le précise Michel Foucault, [l]e signe, puisqu’il est toujours ou certain ou probable, doit trouver son espace à l’intérieur de la connaissance. […] Le signe n’attend pas silencieusement la venue de celui qui peut le reconnaître : il ne se constitue jamais que par un acte de connaissance.3 À quoi donc se fier si toute représentation du réel n’est que le produit de la subjectivité ? Finalement, « la terre livrée aux explications » (AN, VIII) ne serait-elle qu’une simple utopie ? Et le « doute [qui] s’élève sur la réalité des choses » (AN, III) ne serait-il que la conséquence de « beaucoup de choses entreprises sur les ténèbres de l’esprit – beaucoup de choses à loisir sur les frontières de l’esprit » (AN, VIII) ? Le danger consiste précisément à vouloir instituer – comme se le propose parfois la science – un seul réel et une seule vérité possibles. Sans doute est-ce pour cette raison que Saint-John 1 Philippe SOLLERS, « Le roman et l’expérience des limites », in Tel Quel, printemps 1966, n°25, p. 26. 2 Ludwig WITTGENSTEIN, Remarques philosophiques, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1975, p. 257. 3 Michel FOUCAULT, Les mots et les choses. Une archéologie des sciences humaines, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1966, p. 73. 64 Perse qualifie les « Comptables » et les « Maîtres du nombre » de « Divinités furtives et fourbes » (AM, « Strophe », II). Au lieu de vouloir limiter la richesse du monde par une conception moniste et donc réductrice, il conviendrait plutôt d’admettre la pluralité des réels et, par conséquent, des vérités. Il vaudrait mieux parler, dès lors, avec le peintre et mathématicien polonais Léon Chwistek (1884-1944) d’une « pluralité de réalités ». La vérité n’est, selon Michael Edwards, « pas une abstraction mais quelque chose qu’il faut vivre »1. Selon Roger Bodard, [i]l y a beaucoup de chemins qui mènent à la vérité. Le philosophe cherche à atteindre le vrai en établissant des rapports d’idée à idée, l’homme de science des rapports de faits, le musicien des rapports de sons, le peintre des rapports de couleurs, le poète des rapports de mots.2 Cela voudrait-il dire que, comme le suggère Basarab Nicolescu, « [l’]homme est le chaînon manquant des différents niveaux de Réalité »3 ? Une telle interprétation des choses serait pourtant très proche de la conception persienne du genre poétique : « Poésie, science de l’être ! Car toute poétique est une ontologie »4, écrit Saint-John Perse dans son « Discours pour l’inauguration du Congrès international réuni à Florence à l’occasion du 7e Centenaire de Dante (20 avril 1965) », après avoir affirmé dans l’« Allocution au Banquet Nobel » qu’il n’est rien de pythique dans une telle poésie. Rien non plus de purement esthétique. Elle n’est point art d’embaumeur ni de décorateur. Elle n’élève point des perles de culture, ne trafique point de simulacres ni d’emblèmes, et d’aucune fête musicale elle ne saurait se contenter. Elle s’allie, dans ses voies, la beauté, suprême alliance, mais n’en fait pas sa fin ni sa seule pâture. Se refusant à dissocier l’art de la vie, ni de l’amour la connaissance, elle est action, elle est passion, elle est puissance, et novation toujours qui déplace les bornes. L’amour 1 Michael EDWARDS, « Dialectique du rêve et du réel », in Vérité poétique et vérité scientifique, sous la direction d’Yves BONNEFOY, André LICHNEROWICZ et M.-P. SCHÜTZENBERGER, Paris, PUF, 1989, p. 96. 2 Roger BODARD, « La Connaissance Poétique », op. cit., p. 23. 3 Basarab NICOLESCU, Théorèmes poétiques, op. cit., p. 8. 4 OC, p. 453. 65 est son foyer, l’insoumission sa loi, et son lieu est partout, dans l’anticipation. Elle ne se veut jamais absence ni refus.1 Dans cet ordre d’idées, la poésie n’est pas artificielle (elle ne relève pas de l’art pour l’art). Comment expliquer alors le grief qui est souvent formulé à l’égard des poètes, à savoir que leur art est abstrait et, par conséquent, hermétique ? À ses détracteurs, Saint-John Perse répond dans un passage d’Amers, tout en faisant allusion à Héraclite : « Ils m’ont appelé l’Obscur et j’habitais l’éclat »2 (AM, « Strophe », II). La comparaison qu’il fait, dans Oiseaux, avec la peinture est éloquente à ce sujet : la peinture moderne – tout comme la poésie – n’est pas le résultat d’une « abstraction » ou d’une « ellipse » voulue, mais plutôt le fruit d’une « synthèse » : … Toutes choses connues du peintre dans l’instant même de son rapt, mais dont il doit faire abstraction pour rapporter d’un trait, sur l’aplat de sa toile, la somme vraie d’une mince tache de couleur. Tache frappée comme d’un sceau, elle n’est pourtant chiffre ni sceau, n’étant ni signe ni symbole, mais la chose même dans son fait et sa fatalité – chose vive, en tout cas, et prise au vif de son tissu natal : greffon plutôt qu’extrait, synthèse plutôt qu’ellipse. (OI, III) Il reviendra d’ailleurs sur le problème de l’obscurité dans le Discours de Stockholm : L’obscurité qu’on lui [à la poésie] reproche ne tient pas à sa nature propre, qui est d’éclairer, mais à la nuit même qu’elle explore, et qu’elle se doit d’explorer : celle de l’âme elle-même et du mystère où baigne l’être humain. Son expression toujours s’est interdit l’obscur, et cette expression n’est pas moins exigeante que celle de la science.3 Puis, dans une interview accordée à Pierre Mazars, publiée dans Le Figaro littéraire du 5 novembre 1960 sous le titre « Une journée à la villa Les Vigneaux » et 1 OC, p. 445. C’est d’ailleurs le propos d’Anabase. Cf. à ce sujet notre étude Quête ésotérique et création poétique dans Anabase de Saint-John Perse, Bruxelles, Bern, Francfort…, Peter Lang, 2009. 2 Cette affirmation est répétée deux fois dans AM, « Strophe », II, en alternance avec la suivante : « Ils m’ont appelé l’Obscur, et mon propos était de Mer ». À noter que dans la deuxième occurrence, Saint-John Perse supprime la virgule après « l’Obscur ». 3 OC, p. 445-446. 66 reprise, en partie, dans la Pléiade en 1972, il se prononce – visiblement préoccupé par la question – en ces termes à propos de l’obscurité en poésie : Le poète a parfaitement le droit, et même le devoir, d’aller explorer les domaines et les plus obscurs ; mais plus il va loin dans cette direction, plus il doit user de moyens d’expression concrets. Aussi loin qu’il pénètre dans l’audelà irrationnel ou mystique, il est tenu de s’exprimer par des moyens réels, même tirés de sa vie expérimentale. Gardez votre emprise au sol et bâtissez avec tout cela une œuvre hors du temps, hors du lieu, édifiée dans cette recréation.1 Il n’est donc pas surprenant que les poètes apparaissent, sous la plume de Saint-John Perse, comme des « suiveurs de pistes » (AN, I) à qui « tous les chemins du monde […] mangent dans la main » (AN, VIII). Ils savent que « la terre enfante des merveilles » (AN, VII) et qu’« en ses graines ailées, [la terre] comme un poète en ses propos, voyage… » (AN, V). Comparons cette idée à celle du philosophe allemand Hegel (1770-1831) qui affirme que [c]e que les œuvres d’art provoquent maintenant en nous, ce n’est pas seulement du plaisir immédiat, mais aussi le jugement, car nous soumettons à notre méditation le contenu et les moyens de la manifestation de l’œuvre d’art, ainsi que leur adéquation ou inadéquation mutuelle. […] L’art nous convie à la méditation, non pas dans le but de recréer l’art, mais pour le connaître scientifiquement.2 Connaître scientifiquement le monde, voilà ce qui était considéré comme l’apanage exclusif de la science. Conférer un tel objectif à la poésie, c’est reconnaître que la poésie seule est capable de rendre compte des « mille chaînes de réactions et d’associations étrangères »3 et que « le poète s’investit d’une surréalité qui ne peut être celle de la science »4 ; bref, c’est s’ouvrir enfin – comme le dit Jean-Pierre Luminet en citant le 1 OC, p. 576. 2 G. W. F. HEGEL, Esthétique, Paris, Le Livre de Poche, coll. « Classiques de la Philosophie », 1997, p. 62. 3 OC, p. 444. 4 Ibid. 67 poète et mathématicien persan Omar Khayyâm (1048-1131) – à « toutes les voies qui s’offrent au cheminement vers la connaissance, car toute voie à sens unique menait à l’impasse »1. Lisons, pour prolonger la réflexion, quelques vers extraits de l’Art poétique de Guillevic : Si j’écris, c’est disons Pour ouvrir une porte. Le plus curieux : J’ignore À quel moment se fait Cette ouverture. – D’ailleurs, ce qui se lève C’est peut-être un rideau. Quand j’écris, C’est comme si les choses, Toutes, pas seulement Celles dont j’écris, Venaient vers moi Et l’on dirait et je crois Que c’est Pour se connaître.2 Cette idée rejoint les propos de l’algébriste Jacob Bronowski (1908-1974) dans The Creative Process (1958). Il insiste notamment sur le rapprochement entre l’homme de lettres et le scientifique : […] la façon qu’a l’artiste de regarder le monde est devenue proche de celle du savant. Par exemple, la science telle que je l’ai décrite se préoccupe moins de faits que de relations, moins de nombres que d’arrangements. Cette vision 1 Jean-Pierre LUMINET, « Les doubles profondeurs », préface à l’ouvrage de Maurice COUQUIAUD, L’horizon poétique de la connaissance, Paris, L’Harmattan, coll. « Critiques Littéraires », 2003, p. 7. 2 GUILLEVIC, Art poétique précédé de Paroi et suivi de Le Chant, Paris, Gallimard, coll. « Poésie », 2001, p. 148-149. 68 nouvelle, cette recherche de structures est également marquée dans l’art moderne.1 En matière d’art, il convient de ce citer, à cet endroit, quelques passages du « Testament » qu’Auguste Rodin a dicté, en 1911, à Paul Gsell à l’intention des générations futures d’artistes et dans lequel il soutient que [t]out est beau pour l’artiste, car en tout être et en toute chose, son regard pénétrant découvre le caractère, c’est-à-dire la vérité intérieure qui transparaît sous la forme. Et cette vérité, c’est la beauté même. Étudiez religieusement : vous ne pourrez manquer de trouver la beauté, parce que vous rencontrerez la vérité. […] L’art n’est que sentiment. Mais sans la science des volumes, des proportions, des couleurs, sans l’adresse de la main, le sentiment le plus vif est paralysé. Que deviendrait le plus grand poète dans un pays étranger dont il ignorerait la langue ? Dans la nouvelle génération d’artistes, il y a nombre de poètes qui, malheureusement, refusent d’apprendre à parler. Aussi ne font-ils que balbutier. […] Soyez vrais, jeunes gens. Mais cela ne signifie pas : soyez platement exacts. Il y a une basse exactitude : celle de la photographie et du moulage. L’art ne commence qu’avec la vérité intérieure. Que toutes vos formes, toutes vos couleurs traduisent des sentiments. L’artiste qui se contente du trompe-l’œil et qui reproduit servilement des détails sans valeur ne sera jamais un maître. Si vous avez visité quelque campo santo d’Italie, sans doute avez-vous remarqué avec quelle puérilité les artistes chargés de décorer les tombeaux s’attachent à copier, dans leurs statues, des broderies, des dentelles, des nattes de cheveux. Ils sont peut-être exacts. Ils ne sont pas vrais, puisqu’ils ne s’adressent pas à l’âme. […] Soyez profondément, farouchement véridiques. N’hésitez jamais à exprimer ce que vous sentez, même quand vous vous trouvez en opposition avec les idées reçues. Peut-être ne serez-vous pas compris tout d’abord. Mais votre isolement sera de courte durée. Des amis viendront bientôt à vous : car ce qui est profondément vrai pour un homme l’est pour tous. […] L’art est encore une magnifique leçon de sincérité. Le véritable artiste exprime toujours ce qu’il pense au risque de bousculer tous les préjugés établis. Il enseigne ainsi la franchise à ses semblables.2 1 Cité et traduit par Paul BRAFFORT, Science et littérature : les deux cultures, dialogues et controverses pour l’an 2000, op. cit., p. 27. 2 Auguste RODIN, « Testament », in L’Art, entretiens réunis par Paul GSELL, Paris, Grasset, coll. « Les Cahiers Rouges », 1911, p. 201-207 passim [c’est nous qui soulignons]. 69 Voilà une belle définition de cette « saisissante dialectique […] qui de l’homme engage plus »1, évoquée par Saint-John Perse dans son « Discours Nobel ». L’être humain, qui est capable de la plus grande précision extérieure dans le domaine de la science, va s’appuyer plus que jamais sur l’expression artistique afin de réussir une représentation vraie et sincère, c’est-à-dire qui repose entièrement sur la « vérité intérieure ». Nous rejoignons là le propos de Confucius qui propose de puiser en soimême l’idée de ce qu’on peut faire pour autrui2. C’est ainsi que l’être partiel peut aspirer à devenir un homme complet. Pour Pierre Emmanuel, l’œuvre poétique apparaît dès lors comme une interrogation sur soi-même : Et quelqu’un, là-derrière, ne l’a pas écrite simplement pour mettre en forme des idées ; il l’a écrite, cette œuvre – on peut conjecturer, en tout cas, dans beaucoup de cas – qu’il l’a écrite, poussé par un certain besoin, animé par une force intérieure, et que cette œuvre, en formulant ce qu’on peut appeler des pensées, mais qui n’est pas nécessairement de l’ordre de la pensée, lui permettait de se voir lui-même, de s’interroger lui-même, de se libérer.3 Le poète va s’exprimer dans un « langage où se transmet le mouvement même de l’Être »4. Or, que Saint-John Perse entend-il par « l’Être » ? Qu’est-ce que l’Être d’un objet ? Pour le philosophe Marcel Conche (*1922), c’est surtout le fait d’exister et de se distinguer de toute autre objet : Que signifie « être » pour la pierre, la clé, la bougie, etc. ? Cela signifie, pour une pierre, peser, faire obstacle, etc., pour une clé, permettre l’ouvrir, etc., pour une bougie, permettre d’éclairer, etc., soit se comporter en pierre, fonctionner comme clé, comme bougie, bref exister pierre, exister clé, exister bougie. Et que signifie « exister clé », « exister bougie » ? Cela signifie, parmi tous les existants, dont l’ensemble est ce qui se montre comme « monde », jouer son rôle de « clé », son rôle de « bougie ». Autrement dit, c’est, dans le monde, 1 OC, p. 444. 2 Cf. Entretiens de Confucius, traduit du chinois par Anne CHENG, Paris, Seuil, coll. « Points Sagesses », 2004, Livre VI, 28. À noter que Saint-John Perse était un lecteur attentif des sages d’Asie. 3 Pierre EMMANUEL, La poésie comme forme de la connaissance, première conférence, Strasbourg, Association des Publications près les Universités de Strasbourg, 1984, p. 8. 4 Ibid. 70 prendre place, avoir sa place, compter pour quelque chose. Pour être, il faut être quelque chose ; si l’on n’est rien, on n’est pas. […] L’être signifie donc l’essence – l’essence existante, l’ousia, mot qui n’est bien traduit ni par « essence », ni par « substance », et qu’il vaut mieux ne pas traduire, tout comme Dasein.1 Si l’essence ne peut être traduite linguistiquement ni sémantiquement, il n’est donc possible que rendre compte de son « mouvement ». Tel est, selon Saint-John Perse, l’objectif de l’art : « Ô mouvement vers l’Être et renaissance à l’Être ! »2. Autrement dit, c’est la recherche de l’unité du langage qui est visée ici. Et ce langage, ce n’est pas celui de la science – précis, certes, mais humainement infécond –, mais bien celui de la poésie. Il serait aberrant, de toute façon, de vouloir exprimer dans un langage figé un réel qui, lui, est toujours en mouvement. Voilà pourquoi le vrai savant a recours au langage de la poésie pour décrire et expliquer ses découvertes scientifiques. Cette idée ressort clairement du dialogue entre le physicien allemand Werner Heisenberg (1901-1976) et son collègue danois Niels Bohr (1885-1962) : W. Heisenberg : Mais que signifient alors les images d’atomes que vous nous avez montrées tous ces derniers jours au cours de vos conférences, en les discutant et en allant jusqu’à les justifier ? Que vouliez-vous dire vraiment ? Niels Bohr : Ces images ont été déduites ou, si vous préférez, « devinées » à partir de faits expérimentaux ; elles ne sont pas le fruit de quelconques calculs théoriques. J’espère que ces images décrivent la structure des atomes aussi bien – mais seulement aussi bien – que cela est possible dans le langage visuel de la physique classique. Nous devons nous rendre compte que nous ne pouvons nous servir ici du langage qu’à la manière des poètes qui, eux aussi, ne cherchent pas à représenter les faits de façon précise, mais seulement à créer des images dans l’esprit de leur public, et à établir des connexions sur le plan des idées.3 1 Marcel CONCHE, Quelle philosophie pour demain ?, Paris, PUF, coll. « Perspectives critiques », 2003, p. 95. 2 « Sécheresse », in OC, p. 1398 [édition de 1982]. 3 Werner HEISENBERG, La partie et le tout : le monde de la physique atomique, souvenirs 1920-1965, Paris, Albin Michel, coll. « Les Savants et le monde », 1972, p. 65. 71 Cette question du recours au langage poétique en science a également préoccupé le poète français Paul Éluard qui insiste, lui aussi, sur l’importance des mots dans la manière d’appréhender scientifiquement le monde : On a dit que partir des mots et de leurs rapports pour étudier scientifiquement le monde, ce n’est pas notre droit, c’est notre devoir. Il aurait fallu ajouter que ce devoir est celui même de vivre […] en faisant corps avec l’univers, avec l’univers en mouvement, en devenir.1 Dans le poème Cohorte qu’il joint à une missive adressée à Jacques Rivière le 21 décembre 1910, Saint-John Perse mentionne la puissance évocatoire du langage et du nom. Dire le monde, c’est à la fois le rendre présent et l’appréhender ; bref, en faire l’expérience et le faire sien : […] nous vous hélions, Passants, et vous nommions ! vous appelions tout haut de vos noms de toujours et de vos noms d’ailleurs. Ou vous nommions, soudain ! d’un nom nouveau, plus vrai que chez les Doctes. Dix noms, vingt noms jetés par-dessus bord […]. Ah çà ! nous direz-vous le vrai de votre appellation ? parcelles vives arrachées au tout de l’Innomé… […] Nommer, créer ! Qui donc en nous créait, criant le nom nouveau ? Langage aux fourches du langage… montées d’abîme pétillant parmi les poches de sel bleu…2 La question de la connaissance ne concerne donc pas seulement le domaine de la science, mais elle est également – et surtout – liée à la création poétique. Selon Gaston Bachelard, « c’est par un échange sans fin, et dans les deux sens, entre l’objet et le sujet que s’accroît la connaissance. [C’est] un tissu où réalité et pensée s’impliquent et se soutiennent »3. 1 Paul ÉLUARD, « Avenir de la poésie », in Œuvres complètes, t. 1, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1968, p. 523. 2 OC, p. 683. Renée Ventresque a toutefois montré que le poème Cohorte, tel qu’il figure dans les OC, n’a pas été écrit en 1907, mais plutôt en vue de l’édition de la Pléiade, l’écriture du texte ne correspondant pas à l’écriture de jeunesse d’Alexis Léger. Cf. « Décidément, Cohorte n’a pas été écrit en 1907 », in Souffle de Perse, Revue de l’Association des Amis de la Fondation Saint-John Perse, Aix-en-Provence, janvier 2000, n°9, p. 47-51. 3 Gaston BACHELARD, Essai sur la connaissance approchée, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 1981, p. 267-268. 72 D’après ce qui précède, il apparaît que la poésie est à la fois connaissance et création ; une création qui s’appuie sur la connaissance, mais aussi une connaissance qui devient créatrice. En poésie, la preuve se trouve dans le sujet lui-même alors qu’en science, elle est à chercher à l’extérieur. Chacune des deux – poésie est science – essaie d’« objectiver l’idée de base »1, c’est-à-dire de la rendre accessible à l’autre. C’est là que « réalité et pensée » se rejoignent, la pensée étant, selon Pierre Della Faille, le « fruit de l’intelligence fécondée par la sensibilité, c’est un fruit de l’homme total »2. Dans une telle optique, « un poème, c’est toujours un regard jeté sur la vie »3. Et Bodard d’ajouter : La connaissance poétique est une connaissance totale, de l’intelligence et du cœur, du corps et de l’âme. On peut même dire que la connaissance n’est poétique que dans la mesure où elle est totale, où elle est connaissance de l’être tout entier par l’être tout entier. La connaissance scientifique n’est valable que dans la mesure où elle ne procède que de la raison et de l’observation. La connaissance poétique, elle, au contraire, procède de toutes les facultés qui permettent à l’homme d’appréhender la vie.4 À lire ces lignes, nous remarquons que l’auteur met, avant tout, l’accent sur la relation entre la poésie et la vie. La poésie serait-elle, finalement, un « mode de vie »5 indispensable à la vie elle-même ? 1 Pierre DELLA FAILLE, Poésie et Connaissance, op. cit., p. 60. 2 Ibid., p. 33. 3 Roger BODARD, « La Connaissance Poétique », op. cit., p. 26. 4 Ibid. 5 OC, p. 444. 73 Chapitre III La poésie comme mode de vie « De la violence sur la terre il nous est fait si large mesure… » EX, « Poème à l’Étrangère », II Si Saint-John Perse, dans son « Allocution au Banquet Nobel », évoque la fonction épistémologique de la poésie telle que nous avons essayé de la définir au chapitre précédent, il insiste également sur le fait qu’elle est « d’abord mode de vie – et de vie intégrale »1. Considérer la poésie comme « mode de vie », c’est poser la question sous-jacente du rapport du poète au monde, tout en affirmant le triomphe de la vie sur la mort. Là où l’homme de science est contraint de s’en tenir au réel, c’est-à-dire à ce qui est extérieur et, par conséquent, scientifiquement démontrable, le poète, quant à lui, « s’investit d’une surréalité qui ne peut être celle de la science »2. Évoquer la surréalité de la poésie, c’est mettre l’accent sur sa capacité d’aller au-delà des apparences et de s’intéresser à ce qui résiste à l’explication rationnelle ; bref, c’est lui permettre d’habiter le monde dans la mesure où elle est dans le monde (« Dasein ») et non seulement à sa surface, comme c’est généralement le cas de la science. Cela voudraitil dire que l’homme, malgré ses innovations scientifiques et technologiques, aurait besoin, somme toute, de poètes pour habiter le monde ? Quels seraient, le cas échéant, le devoir et la responsabilité du poète face à l’Histoire ? 1 OC, p. 444. 2 Ibid. 75 3. 1. Habiter le monde en poète « Ainsi, par son adhésion totale à ce qui est, écrit Saint-John Perse, le poète tient pour nous liaison avec la permanence et l’unité de l’Être » 1. Le poète est celui qui « habite poétiquement le monde », expression que nous devons au poète et philosophe allemand Friedrich Hölderlin qui, dans son poème « En bleu adorable » (1823), écrit que « Telle est la mesure de l’homme. / Riche en mérites, mais poétiquement toujours, / Sur terre habite l’homme ». Or, que Saint-John Perse et Hölderlin veulent-ils dire par-là ? Même à travers les siècles qui les séparent, les deux affirmations semblent se faire mystérieusement écho. Pour le poète, adhérer totalement « à ce qui est », c’est « flair[er] le monde entier des choses » (VE, I, 1)2 et s’attacher physiquement, mais aussi mentalement à « toutes choses périssables, [à] toutes choses saisissables » (ibid.). L’expérience est loin d’être négative et la leçon du poète est d’optimisme : « Appelant toute chose, je récitai qu’elle était grande, / appelant toute bête, qu’elle était belle et bonne » (EL, « Pour fêter une enfance », II). Saint-John Perse rejoint donc l’idée de son aîné – Hölderlin – pour lequel le verbe « habiter » n’est pas seulement synonyme d’occuper un endroit déterminé, mais plutôt de vivre pleinement (dans) le monde entier, c’est-à-dire nourrir sa vie et son expérience de tout ce qui l’entoure. On pourrait dire, avec Guillevic, poète contemporain de Perse, qu’il s’agit notamment de [t]rouver à la vie – sa vie – une certaine tonalité, un certain prolongement, une certaine exaltation ; vivre tout événement quotidien dans les coordonnées de l’éternité, c’est pour moi la poésie.3 Pour l’auteur de Terraqué, habiter le monde et produire de la poésie vont donc de pair. Or, quelle différence y a-t-il entre habiter poétiquement et habiter tout court ? Selon le philosophe Jean-Claude Pinson, l’adverbe « poétiquement », devient, dans le 1 Ibid., p. 446. 2 L’expression « le monde entier des choses » est aussi reprise dans le Discours de Stockholm (cf. OC, p. 446). 3 GUILLEVIC, Vivre en poésie ou l’épopée du réel, entretien avec Lucie ALBERTINI et Alain VIRCONDELET, Pantin, Le Temps des Cerises, 2007, p. 11. 76 contexte, synonyme d’« authentiquement » ou d’« intégralement ». N’oublions pas que Saint-John Perse, dans le Discours de Stockholm, précise que « la poésie est d’abord mode de vie – et de vie intégrale »1 : l’idée de « vie intégrale » semble très importante à ses yeux, puisqu’il la détache du reste de la phrase par un tiret2. Pour approfondir sa réflexion, Pinson s’appuie sur Être et temps de Martin Heidegger : Habiter, en effet, n’est pas un comportement de l’homme parmi d’autres. C’est le trait fondamental de l’existence du Dasein, comme le souligne déjà Être et temps. […] Habiter « authentiquement », c’est à la fois : « sauver » la terre (et non s’en faire le maître absolu) ; « accueillir » le ciel, c’est-à-dire laisser être librement le cours des saisons et l’alternance des jours et des nuits qui rythment l’existence (et non s’en éloigner toujours davantage dans l’artificialité croissante d’un univers technique) ; c’est demeurer attentif aux signes du divin (et non s’enfermer dans l’orgueil d’une raison positiviste évinçant toute possibilité d’un sacré) ; c’est enfin s’assumer comme mortel (et non fuir le souci de la mort).3 Le lecteur attentif aura remarqué les cinq notions clés qui définissent, selon Pinson, l’idée d’« habiter poétiquement le monde » : c’est le « trait fondamental de l’existence » qui consiste à « “sauver” la terre », à « “accueillir” le ciel », à « demeurer attentif aux signes du divin » et, au bout du compte, à « s’assumer comme mortel ». Ainsi la vision de Pinson renvoie-t-elle directement à la naissance et à la fonction des mythes et des religions dans les sociétés humaines. Beaucoup de définitions du mythe ont été proposées ; certaines sont plus convaincantes que d’autres. L’une parmi celles qui paraissent satisfaisantes à nos yeux a été donnée par l’historien, mythologue et philosophe Mircea Eliade (19071986). Elle est la fois assez précise pour cerner efficacement la fonction du mythe et assez vague pour ne pas l’enfermer dans un cadre figé, car ce serait en réduire considérablement la portée : 1 OC, p. 444. 2 Qu’il se trouve en tête de vers ou au milieu d’une phrase, le tiret, chez Saint-John Perse, marque toujours une mise en évidence. 3 Jean-Claude PINSON, Habiter en poète. Essai sur la poésie contemporaine, Seyssel, Champ Vallon, 1995, p. 67. 77 Personnellement, la définition qui me semble la moins imparfaite, parce que la plus large, est la suivante : le mythe raconte une histoire sacrée ; il relate un événement qui a eu lieu dans le temps primordial, le temps fabuleux des « commencements ». Autrement dit, le mythe raconte comment, grâce aux exploits des Êtres Surnaturels, une réalité est venue à l’existence, que ce soit la réalité totale, le Cosmos, ou seulement un fragment : une île, une espèce végétale, un comportement humain, une institution. C’est donc toujours le récit d’une « création » : on rapporte comment quelque chose a été produit, a commencé à être. Le mythe ne parle que de ce qui est arrivé réellement, de ce qui s’est pleinement manifesté. Les personnages des mythes sont des Êtres Surnaturels. Ils sont connus surtout par ce qu’ils ont fait dans le temps prestigieux des « commencements ». Les mythes révèlent donc leur activité créatrice et dévoilent la sacralité (ou simplement la « sur-naturalité ») de leurs œuvres. En somme, les mythes décrivent les diverses, et parfois dramatiques, irruptions du sacré (ou du « sur-naturel » [sic]) dans le Monde. C’est cette irruption du sacré qui fonde réellement le Monde et qui le fait tel qu’il est aujourd’hui.1 Dans son essai Le sacré et le profane, Eliade ajoute l’idée suivante : En narrant comment les choses sont venues à l’existence, on les explique et on répond indirectement à une autre question : pourquoi sont-elles venues à l’existence ?2 On pourrait désormais se poser la question si, d’après la définition proposée par Mircea Eliade, le mythe ne serait pas une sorte de dénominateur commun entre l’investigation scientifique et l’écriture poétique, la première cherchant à construire des savoirs et la seconde visant à connaître le monde. Autrement dit, si les mythes expriment – souvent de façon hyperbolique – la genèse du monde tout comme les vertus et les défauts humains, cela ne témoigne-t-il pas de la volonté de l’homme de se mettre à la recherche de ses propres origines et de les exprimer en se servant du langage métaphorique « à la manière des poètes »3, pour reprendre l’expression de Niels Bohr ? Dans chaque mythe, Eliade l’a souligné, se cache une parcelle du divin. Même si la notion de divin ne renvoie pas forcément à une divinité au sens religieux 1 Mircea ELIADE, Aspects du mythe, Paris, Gallimard, coll. « Folio/Essais », 1963, p. 16-17. 2 Mircea ELIADE, Le sacré et le profane, Paris, Gallimard, coll. « Folio/Essais », 1965, p. 86. 3 Werner HEISENBERG, La partie et le tout : le monde de la physique atomique, souvenirs 1920-1965, Paris, Albin Michel, coll. « Les Savants et le monde », 1972, p. 65. 78 du terme, elle traduit, pour le moins, une réalité qui échappe à l’entendement. Là où le savoir et même la connaissance – donc le fait de nommer le réel – rencontrent leurs limites, l’être humain éprouve le besoin de compenser ce manque en affublant ce qui résiste à sa compréhension du nom d’une divinité ou d’un principe créateur. Nous voyons que le fait d’appréhender linguistiquement le monde est pour lui de prime importance, à tel point que là où « [s]a parole n’a point cours et [s]on or est sans titre » (EX, « Exil », VI) – bref, dans un monde qui n’est pas fait pour lui et qui, par conséquent, lui échappe – le narrateur d’« Exil », derrière lequel nous devinons aisément l’avatar du poète, répond aux « questionnaires du port » : « J’habiterai mon nom » (ibid.), ce qui n’est pas sans nous rappeler le livre de l’Exode où Dieu – d’une façon tautologique en apparence – dit à Moïse : « Je suis celui qui est »1. Celui qui habite son nom, c’est celui qui est. Il est l’homme de partout et de nulle part, l’« homme d’absence et de présence »2 à la fois. Une telle conception des choses fait dépendre l’existence intégralement de l’acte performatif du dire : dire (nommer), c’est faire exister et rendre présent ; ne pas dire équivaudrait, le cas échéant, à ne pas donner vie. Ainsi, il n’est pas surprenant que le substantif latin nomen (« nom ») soit souvent rapproché de numen (« puissance agissante »)3. Pour l’homme, par opposition aux règnes animal et végétal, l’existence dépend donc intégralement du fait d’être dépositaire d’un nom4. L’origine des religions remonte d’ailleurs à cette même idée de départ : pour les croyants, il y a nécessairement un être surnaturel qui soit à l’origine de toute création. Einstein s’est prononcé lui aussi sur la question : Des hommes reconnaissent […] quelque chose d’impénétrable à leur intelligence mais connaissent les manifestations de cet ordre suprême et de 1 Ex., 3,14 : « «( » אֶ ֽ ְה ֶי֑ה ֲא ֶ ֣שׁר אֶ ֽ ְה ֶי֖הEhyéh Acher Ehyéh »). 2 « Pour Dante », in OC, p. 454. 3 Cf. ibid., p. 450 : « Il y a, dans l’histoire d’un grand nom, quelque chose qui s’accroît au-delà de l’humain : “Nomen, numen…” imminence sacrée – frémissement d’âme dans le bronze et comme un son d’éternité… ». 4 Nous renvoyons le lecteur désireux d’approfondir la question au remarquable livre de Claude HAGEGE, L’homme de paroles. Contribution linguistique aux sciences humaines, Paris, Gallimard, coll. « Folio/Essais », 1985. 79 cette Beauté inaltérable. Des hommes s’avouent limités dans leur esprit pour appréhender cette perfection. Et cette connaissance et cet aveu prennent le nom de religion.1 Pour les chrétiens, c’est Dieu qui a créé le monde ex nihilo en nommant les différentes parties qui devaient le constituer. Nous voilà dans ce temps primordial auquel font allusion Jean-Claude Pinson et Mircea Eliade. C’est à ce temps-là que renvoient les idées créationnistes (pour ne pas dire poétiques, au sens étymologique du terme). Saint-John Perse, lorsqu’il dit que le poète était déjà présent dans l’homme des cavernes, ne fait-il pas allusion précisément à cet âge lointain et pourtant très proche : De l’exigence poétique, exigence spirituelle, sont nées les religions elles-mêmes, et par la grâce poétique, l’étincelle du divin vit à jamais dans le silex humain. Quand les mythologies s’effondrent, c’est dans la poésie que trouve refuge le divin ; peut-être même son relais.2 L’on comprend mieux désormais pourquoi le poète est celui qui « habite la gorge d’un dieu » (EL, « Éloges », IX). Même si les « mythologies »3 – c’est-à-dire le métadiscours que l’on tient sur les mythes – s’effondrent, les mythes eux-mêmes ne sauraient disparaître, car, selon Eliade, « [o]n est toujours contemporain d’un mythe dès lors qu’on le récite ou qu’on imite les gestes des personnages mythiques »4. Cette idée trouve son écho et, peut-être, sa confirmation ainsi que son prolongement dans les élucubrations de Pinson : Ainsi, toute habitation est fondamentalement tributaire de la poésie. L’habitation poétique elle-même, qui survient avec l’excès de calcul et la 1 Albert EINSTEIN, Comment je vois le monde, Paris, Flammarion, coll. « Champs », 1979, p. 10. 2 OC, p. 445. 3 On lira avec profit la monographie de Gilberte AIGRISSE, Saint-John Perse et ses mythologies, Paris, Imago, 1992 ; mais aussi le livre de Roger CAILLOIS, ami et critique de Saint-John Perse : Le mythe et l’homme, Paris, Gallimard, coll. « Les Essais », VI, 1938. 4 Mircea ELIADE, Mythes, rêves et mystères, Paris, Gallimard, coll. « Folio/Essais », 1957, p. 30 [c’est l’auteur qui souligne]. 80 démesure propres à la rationalité technique, est toujours sur fond de cet « habiter » poétique primordial.1 En réalité, l’objectif commun aux mythes et aux religions est de « montr[er] peut-être au jour la place où fut moulée de nuit la face du dieu qui couchait là… »2. Or, comment cela se fait-il que le mythe soit souvent associé à la poésie ? De par son étymologie – muthos, en grec, signifie « récit » –, ne s’attendrait-on pas plutôt à ce qu’il soit rapproché de la prose ? Certes, mais c’est la poésie, comme le rappelle JeanLouis Joubert, qui procure au mythe sa « véracité transcendante » : Paradoxe du mythe : qu’il relate les aventures de Zeus ou de Don Juan, il est une histoire inventée et partout il dit une vérité, reconnue comme telle, sur laquelle se fonde l’ordre d’une culture. Le mythe n’exige pas d’être produit par une forme poétique, puisqu’il semble se définir d’abord comme récit. Mais, dès l’origine, la formalisation poétique lui a prêté sa puissance de nomination, sa richesse d’organisation et surtout son autorité. Rythme devenant rite, image s’épanouissant en symbole, la parole poétique magnifie le récit mythique et lui confère sa véracité transcendante.3 Habiter le monde, c’est donc faire pleinement l’expérience de l’existence humaine, aussi bien sur le plan physique que spirituel, avec tous les aléas qui la déterminent ; c’est accepter, selon Saint-John Perse, l’« adhésion totale à ce qui est »4. Pourquoi le poète est-il prêt à courir ce risque ? « Car c’est dans la souffrance – comme dans la jouissance –, écrit Jean-Michel Longneaux, qu’on se tient au plus près de la vie »5. Ainsi, le poète est celui qui, toujours se tenant sur le seuil entre deux extrêmes (deux abîmes) – la vie et le trépas, l’être et le non-être –, définit son projet en ces termes : « – Nous qui mourrons peut-être un jour disons l’homme immortel au foyer de l’instant » (AM, « Dédicace »), car c’est là toute la « [f]ierté de l’homme en marche sous son fardeau d’éternité » 1 Jean-Claude PINSON, Habiter en poète. Essai sur la poésie contemporaine, op. cit., p. 68. 2 « Sécheresse », in OC, p. 1398 [édition de 1982]. 3 Jean-Louis JOUBERT, La Poésie, Paris, Armand Colin/Gallimard, coll. « Folio Formes », 1977, p. 18. 4 OC, p. 446. 5 Jean-Michel LONGNEAUX, L’expérience du mal, Namur, Les Éditions namuroises, coll. « Tous comptes faits », 2004, p. 43. 81 et « d’humanité »1. Le rôle du poète dans la société a donc changé : sa tâche consiste aujourd’hui plus que jamais à créer de l’espoir, à revaloriser la condition humaine là où elle se trouve stigmatisée par les affres causées par les guerres, les épidémies ainsi que les crises sociales et économiques. Dès lors, comme le souligne Jean-Michel Maulpoix, lecteur attentif et auteur de plusieurs études consacrées à Saint-John Perse, il incombe au poète de rassembler ce qui est épars, c’est-à-dire de proposer une vision du monde qui repose pleinement sur l’habitation authentique et intégrale : Le poète d’aujourd’hui n’est évidemment plus ce prince spirituel ou ce prélat laïque, initié aux vérités du monde invisible, qu’il fut à l’âge romantique. S’il continue d’œuvrer dans l’univers naguère mystique des correspondances, c’est simplement pour avoir compris que la poésie dit les choses les unes à travers les autres, et travaille obstinément à conjoindre cela qui dans la réalité apparaît séparé. La moindre lecture en témoigne : le texte est réseau, jointures, plans et étagements ; il ouvre au vif du langage des perspectives intellectuelles et sensibles qui semblent celles d’un arrière-monde. Procédant par affinités électives, il œuvre à maintenir l’idée d’une propriété ou d’une habitation spécifiquement humaine dans un monde que l’histoire paraît avoir vidé des promesses que les œuvres des hommes y avaient inscrites.2 Plus loin, il ajoute : Parce qu’il demeure cet objet du langage qui sans relâche défait et réinvente des réseaux singuliers de significations, le poème réaffirme nos désirs et nos raisons d’être.3 On essaie donc de ramener à la poésie ce qui, jadis, relevait du domaine de la mythologie et de la religion : l’espoir que l’on puisait dans les croyances, on va désormais le chercher dans la poésie qui semble avoir pris la relève. Nous retrouvons cette idée aussi chez Yves Bonnefoy qui s’est toujours montré un grand admirateur de Saint-John Perse : 1 OC, p. 445. 2 Jean-Michel MAULPOIX, La poésie comme l’amour. Essai sur la relation lyrique, Paris, Mercure de France, 1998, p. 131. 3 Ibid., p. 132. 82 Il faut […] réinventer un espoir. Dans l’espace secret de notre approche de l’être, je ne crois pas que soit de poésie vraie qui ne cherche aujourd’hui, et ne veuille chercher jusqu’au dernier souffle, à fonder un nouvel espoir.1 Toutefois, si le poète se trouve investi d’une tâche aussi noble et lourde à la fois, cela veut dire que sa responsabilité envers l’humanité est de taille et que « rien du drame de son temps ne lui est étranger »2. 3. 2. L’écrivain et l’Histoire Dans L’image du monde dans la physique moderne, le savant allemand Max Planck (1858-1947) définit l’époque contemporaine : C’est un monde singulier où nous vivons. Où que nous portions nos regards dans les domaines matériels et spirituels de la culture, nous sommes entrés dans une époque de crises graves qui marquent du sceau de l’inquiétude et de l’insécurité notre existence privée aussi bien que notre vie publique. Certains voient dans ce phénomène le présage d’une ère de progrès grandioses, d’autres l’amorce d’un destin inéluctable.3 D’aucuns voient même dans les XXe et XXIe siècles le prolongement de l’« âge de fer » tel qu’il nous est dépeint par Hésiode dans la Les Travaux et les Jours. En résumé, il s’agit d’une époque obscure se caractérisant par une menace constante qui plane au-dessus de l’existence humaine et qui risque de l’anéantir complètement. Tout est voué à disparaître sous la puissance destructrice des éléments. Le destin des hommes semble donc sérieusement compromis, de sorte que l’on pourrait se demander si la vie vaut réellement la peine d’être vécue. Or, une telle vision pessimiste de l’existence ne conduirait-elle pas inévitablement à l’inertie que SaintJohn Perse a toujours condamnée ? Autrement dit, à quoi serviraient les innovations 1 Yves BONNEFOY, L’acte et le lieu de la poésie, in L’Improbable, Paris, Mercure de France, 1971, p. 170. 2 OC, p. 446. 3 Max PLANCK, « Positivisme et monde extérieur réel », in L’image du monde dans la physique moderne, Paris, Gonthier, coll. « Médiations », 1963, p. 95. 83 de l’esprit – les grandes découvertes scientifiques tout comme les œuvres d’art les plus sublimes – si, de toute façon, elles vont être réduites à néant ? Nous avons vu que Saint-John Perse cherche toujours à transmettre un message d’optimisme qui se reflète également dans sa conception de l’Histoire. Bien qu’il ne nie pas le côté obscur de la condition humaine – son œuvre poétique et sa correspondance en témoignent –, il est persuadé que tout, dans l’univers, repose sur un vaste mouvement harmonieux : Une même loi d’harmonie régit pour lui [le poète] le monde entier des choses. Rien n’y peut advenir qui par nature excède la mesure de l’homme. Les pires bouleversements de l’histoire [sic] ne sont que rythmes saisonniers dans un plus vaste cycle d’enchaînements et de renouvellements. Et les Furies qui traversent la scène, torche haute, n’éclairent qu’un instant du très long thème en cours. Les civilisations mûrissantes ne meurent point des affres d’un automne, elles ne font que muer. L’inertie seule est menaçante.1 Envisager les choses sous l’angle du changement et du renouvellement, certes, n’est pas nouveau. Il suffit de se rappeler la maxime d’Anaxagore de Clazomènes : « Rien ne naît ni ne périt, mais des choses déjà existantes se combinent, puis se séparent de nouveau », idée qui trouvera d’ailleurs son écho dans une phrase que l’on attribue au chimiste français Antoine Laurent de Lavoisier (1743-1794), à savoir que « [r]ien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». Si tout est en mouvement, à quoi cela sert-il alors de s’intéresser à l’Histoire : la guerre d’aujourd’hui fera peut-être la paix de demain… Et pourtant, le poète n’est-il pas celui qui « se trouve aussi lié, malgré lui, à l’événement historique »2 ? En réalité, les choses sont beaucoup plus complexes. Pour analyser la façon dont le poète se trouve mêlé à l’Histoire, il est intéressant de se reporter à un ouvrage qui figurait dans la bibliothèque personnelle de Saint-John Perse et qui présente des marques de lecture manifestes3. Il s’agit, en l’occurrence, de l’essai du philosophe Manuel De Diéguez (*1922), Chateaubriand ou 1 OC, p. 446. 2 Ibid. [c’est nous qui soulignons]. 3 Le livre peut être consulté à la Fondation Saint-John Perse à Aix-en-Provence. 84 le poète face à l’Histoire (1963). Bien que le Discours de Stockholm soit antérieur à la publication du livre de De Diéguez, Saint-John Perse semble y trouver la confirmation de quelques idées qu’il a évoquées lui-même de façon plus elliptique dans son « Allocution au Banquet Nobel ». Ce que Manuel De Diéguez écrit à propos de l’auteur des Mémoires d’outre-tombe est vrai, en même temps, pour un poète comme Saint-John Perse que le critique cite d’ailleurs explicitement 1 . Ainsi, la première tâche de l’écrivain devant l’Histoire consiste à donner un sens à notre durée. […] De quoi le poète – donc l’homme – serait-il le créateur si ce n’était d’une signification du temps ? – Car l’homme est l’étrange artisan d’un règne sur son propre écoulement.2 Qu’est-ce que l’Histoire sinon « une forme de la mémoire humaine »3, un regard porté sur le caractère éphémère de la vie et la prise de conscience de notre propre finitude ? Sans le travail du poète, la vie aurait peu de sens, comme le souligne Manuel De Diéguez : Car, dit le poète, comment la vie elle-même aurait-elle un sens si l’Histoire n’en avait pas, et si nos marées tumultueuses, renouvelées d’hécatombe en hécatombe, s’abîmaient toutes dans le néant ?4 Il semble donc y avoir une relation entre l’univers intime du poète et l’événement historique, le premier étant déterminé en grande partie par le second. Autrement dit, même l’écrivain qui essaie de se calfeutrer au plus profond de sa bibliothèque ne saurait rester complètement insensible à ce qui se passe autour de lui. Bien qu’il ait toujours manifesté la volonté de séparer rigoureusement sa carrière 1 Cf. Manuel DE DIEGUEZ, Chateaubriand ou le poète face à l’Histoire, Paris, Plon, 1963, p. 212. 2 Ibid., p. 9. 3 Marguerite YOURCENAR, L’Écrivain devant l’Histoire, « Conférence faite devant Messieurs les Recteurs, les Inspecteurs d’Académie et les Directrices et Directeurs d’Écoles normales » le 26 février 1954, Paris, Publication du Centre national de Documentation pédagogique, 1954. Le texte est également consultable en ligne sur le site du Centre International de Documentation Marguerite Yourcenar à l’adresse suivante : http://www.cidmy.be/index.php?option=com_content& view=article&id=42:conference-1&catid=4:discours-conferences&Itemid=34 18.05.2012]. 4 [dernière Manuel DE DIEGUEZ, Chateaubriand ou le poète face à l’Histoire, op. cit., p. 10. 85 consultation : diplomatique de son activité littéraire, Saint-John Perse n’a pas pu empêcher que l’action politique de son temps fasse irruption, par moments, dans sa poésie. Ainsi, le poème Exil amorce une réflexion, entre autres, sur la guerre – la Deuxième Guerre mondiale qui constitue peut-être le point de départ de la méditation, mais aussi et surtout la guerre en général – et la condition de l’exilé. Composées entre 1941 et 1944, alors que le poète était précisément en exil aux États-Unis pour des raisons politiques, les différentes parties qui constituent le recueil – « Exil », « Poème à l’Étrangère », « Pluies » et « Neiges » – dénoncent la guerre tout en témoignant de la volonté de Perse « de ne pas réduire l’œuvre aux références vite périmées à son époque, mais de leur donner une portée valable à toutes les époques »1 : Vannez, vannez, à bout de caps, les grands ossuaires de l’autre guerre, les grands ossuaires de l’homme blanc sur qui l’enfance fut fondée. Et qu’on évente sur sa chaise, sur sa chaise de fer, l’homme en proie aux visions dont s’irritent les peuples. (EX, « Pluies », V) Plutôt que de donner à son texte l’aspect d’une simple chronique qui n’a d’intérêt que par rapport à son contexte historique, Saint-John Perse se reconnaît aisément dans le regard que Manuel De Diéguez porte sur l’œuvre de Chateaubriand dont il souligne « la volonté de l’esprit de donner un sens au destin des hommes »2. Il s’agit là d’une bien noble vision de la poésie que l’auteur d’Amers ne peut que partager. L’extrait suivant de Vents en apporte la preuve : Et le Poète aussi est avec nous, sur la chaussée des hommes de son temps. Allant le train de notre temps, allant le train de ce grand vent. Son occupation parmi nous : mise en clair des messages. Et la réponse en lui donnée par illumination du cœur. Non point l’écrit, mais la chose même. Prise en son vif et dans son tout. Conservation non des copies, mais des originaux. Et l’écriture du poète suit le procès-verbal. (Et ne l’ai-je pas dit ? les écritures aussi évolueront. – Lieu du propos : toutes grèves de ce monde.) (VE, III, 6) 1 Colette CAMELIN, Saint-John Perse. L’imagination créatrice, Paris, Hermann, 2007, p. 110. 2 Manuel DE DIEGUEZ, Chateaubriand ou le poète face à l’Histoire, op. cit., p. 13. 86 Si c’est donc « la chose même », c’est-à-dire les « originaux », et non pas « l’écrit » ou les « copies », que le poète est censé conserver, cela signifie que nous ne sommes pas dans l’imitation, mais bien dans la création proprement dite. Dans cet ordre d’idées, l’artiste doit créer dans son œuvre des structures et des rythmes analogues à ceux qui scandent la vie. La poésie n’est donc pas une production artificielle destinée au seul divertissement, mais elle est, comme l’a confié Saint-John Perse à Pierre Mazars, « un objet de vie »1. Voilà pourquoi la poésie ne saurait jamais être figée ; elle est le reflet d’un monde où tout est en perpétuelle « métamorphose » : Par la poésie, l’esprit se donne du champ, écarte la fatalité qu’il se connaît, se rêve autre qu’il ne se voit, se cloue en altitude et se transfigure en « myriades de merveilles » faute d’altérer jamais le verdict qui l’attend : et ce jeu réussit, puisque ce n’est plus la chose arrêtée, mais le prodige que la mort exécute – le prodige d’un réseau instable et subtil de métamorphoses conquises avec lenteur, défendues avec passion et brandies jusqu’au supplice dans un acharnement grandiose.2 Voici qu’une nouvelle idée vient s’ajouter à ce que nous venons de dire. Puisqu’il est impossible d’échapper à la mort, il vaut mieux voir en elle le « prodige » qu’elle est réellement. Loin de constituer l’anéantissement ou le néant absolu que beaucoup d’hommes ont coutume de voir en elle, la mort est d’une importance capitale dans le cycle de la vie. C’est grâce à elle qu’il y a renouvellement et régénération. « Et ceci reste à dire, écrit Saint-John Perse, nous vivons d’outre-mort, et de mort même vivrons-nous » (CH, II). Si la mort n’existait pas, le perpétuel changement dont parlent Perse et Manuel De Diéguez ne pourrait se concrétiser : la vie serait stagnante et aucune évolution ne serait possible. Ainsi, la mort ne marque pas la disparition intégrale d’un élément, mais elle l’engage plutôt dans une transformation sans fin. Perse est très explicite à ce sujet : 1 OC, p. 576. 2 Manuel DE DIEGUEZ, Chateaubriand ou le poète face à l’Histoire, op. cit., p. 17-18. 87 Il n’est pas vrai que la vie puisse se renier elle-même. Il n’est rien de vivant qui de néant procède, ni de néant s’éprenne. Mais rien non plus ne garde forme ni mesure, sous l’incessant afflux de l’Être.1 Nous avons montré que le Discours de Stockholm reprend souvent des idées qui avaient déjà été énoncées dans les poèmes antérieurs, respectivement qui seront développées dans textes postérieurs à 1960. Ainsi, nous lisons dans Vents : … C’étaient de très grands vents sur la terre des hommes – de très grands vents à l’œuvre parmi nous, Qui nous chantaient l’horreur de vivre, et nous chantaient l’honneur de vivre, ah ! nous chantaient et nous chantaient au plus haut faîte du péril, Et sur les flûtes sauvages du malheur nous conduisaient, hommes nouveaux, à nos façons nouvelles. C’étaient de très grandes forces au travail, sur la chaussée des hommes – de très grandes forces à la peine Qui nous tenaient hors de coutume et nous tenaient hors de saison, parmi les hommes coutumiers, parmi les hommes saisonniers, Et sur la pierre sauvage du malheur nous restituaient la terre vendangée pour de nouvelles épousailles. (VE, IV, 6) Nous avons là une vision positive de l’Histoire qui repose sur une affirmation de la vie : « Et mon avis est que l’on vive ! » (VE, III, 5). Tout serait donc pour le mieux s’il n’y avait pas l’autre versant, celui des atrocités que les hommes commettent intentionnellement à l’égard de leurs prochains et des dégâts qu’ils causent à l’environnement. Désireuse de repousser les bornes, l’humanité souffre – peut-être plus que jamais – d’une hybris presque maladive qui menace aujourd’hui toute existence sur Terre. Malgré leur implication directe dans le progrès scientifique, certains intellectuels, dont le physicien Einstein, sont conscients des dangers qui menacent l’avenir des hommes et de la planète : « Et notre humanité civilisée découvre le nouveau sens du mot paix : il s’appelle survie »2. Plus loin, il nous met en 1 OC, p. 446. 2 Albert EINSTEIN, Comment je vois le monde, op. cit., p. 51. 88 garde : « Mais aujourd’hui la guerre s’appelle l’anéantissement de l’humanité »1. Préoccupé, lui aussi, par cette situation qui ne cesse de s’aggraver, Saint-John Perse constate dès la première partie de Vents : « Enlèvement de clôtures, de bornes… Apaisement au cœur du Novateur… Et sur le cercle immense de la terre, un même cri des hommes dans le vent, comme un chant de tuba… Et l’inquiétude encore de toutes parts… Ô monde entier des choses… » (VE, I, 6) L’allusion au péril que représente le nucléaire est plus ou moins directe. Le « Novateur », c’est l’« homme nouveau » qui est omniprésent dans le poème. Il est devenu le principal danger qui guette ses semblables, car il détient le pouvoir d’anéantir sa propre espèce. Ce sont les « hommes de science – physiciens, pétrographes et chimistes » qui cherchent dans « les graphites et dans l’urane […] le minuit d’or où secouer la torche du pirate » (VE, III, 2). Vents a été publié en volume en 1946 : nous ne sommes pas loin des recherches qui ont été menées pendant la Seconde Guerre mondiale sur la fission de l’uranium. En outre, le 16 juillet 1945, « [l]a première bombe atomique a explosé dans l’Ouest, près de Los Alamos (New Mexico) »2. Saint-John Perse, qui est alors aux États-Unis dont il ne reviendra qu’en 1957 pour s’installer temporairement aux Vigneaux (Presqu’Île de Giens), n’est pas insensible à ces événements, ce que prouve d’ailleurs le dossier intitulé « Ère atomique » qu’il a constitué et qui est conservé à la Fondation à Aix-en-Provence. Un autre passage de Vents est très explicite sur la nouvelle conquête : … Et voici d’un autre âge, ô Confesseurs terrestres – Et c’est un temps d’étrange confusion, lorsque les grands aventuriers de l’âme sollicitent en vain le pas sur les puissances de matière. Et voici bien d’un autre schisme, ô dissidents !… « Car notre quête n’est plus de cuivres ni d’or vierge, n’est plus de houilles ni de naphtes, mais comme aux bouges de la vie le germe même sous sa crosse, 1 Ibid., p. 52. 2 Joëlle GARDES-TAMINE (dir.), Saint-John Perse sans masque. Lecture philologique de l’œuvre, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, coll. « La Licorne », 2006, p. 311. 89 et comme aux antres du Voyant le timbre même sous l’éclair, nous cherchons, dans l’amande et l’ovule et le noyau d’espèces nouvelles, au foyer de la force l’étincelle même de son cri… » (VE, III, 2) Voilà un nouvel exemple qui montre que par moments, l’événement historique – la quête du nucléaire, mais aussi les premières grandes découvertes en génétique – fait intrusion dans l’œuvre poétique. Plus loin, l’« homme nouveau », celui qui « fait son ombre sur la chaussée des hommes » (VE, IV, 2), est même qualifié d’« Exterminateur », avec une allusion aux physiciens qui ont permis le développement de l’arme atomique, mais peut-être aussi à celui qui a ordonné l’extermination de plusieurs millions de juifs : – Et l’Exterminateur au gîte de sa veille, dans les austérités du songe et de la pierre, l’Être muré dans sa prudence au nœud des forces inédites, mûrissant en ses causses un extraordinaire génie de violence, Contemple, face à face, le sceau de sa puissance, comme un grand souci d’or aux mains de l’Officiant. (VE, III, 3) Saint-John Perse est conscient de l’extrême puissance que représente l’énergie nucléaire et l’expression qu’il emploie dans le Discours de Stockholm devient presque une affirmation à l’épreuve : « “Ne crains pas”, dit l’Histoire, levant un jour son masque de violence »1. Si l’homme est capable de commettre les pires atrocités, peut-il faire matière intégrante de la poésie ? Autrement dit, le poète, sous prétexte d’écouter le « battement rythmique » que l’Histoire « imprime, novatrice, à la grande phrase humaine en voie toujours de création »2, a-t-il le droit de montrer l’horreur dans ses œuvres, même dans un but moralisateur ? Faire entrer la cruauté dans le poème, n’est-ce pas la valoriser, voire la glorifier ? Saint-John Perse est formel à ce propos : la poésie ne peut accepter l’horreur, ni la reproduire telle quelle : « c’est démesure encore 1 OC, p. 446. 2 Ibid. 90 et mauvais goût dans la chronique du poète. – S’en aller ! s’en aller ! Parole du Prodigue » (VE, II, 4). Il rejoint par-là le point de vue de Manuel De Diéguez : Mais le refus demeure, chez le poète, de se décharger du fardeau de sa liberté. Dans cet instant où tout s’arrête pour l’élévation poétique, la poésie n’est pas une acceptation de l’horreur. Le poète ne dit pas « Je n’y suis pour rien, je ne suis que le peintre ». Sinon, le dernier mot de la poésie serait ce fatalisme qui ouvre toute grande la porte à tous les visages du crime dans l’Histoire.1 Au lieu de rendre compte directement de la cruauté, le poème se voudra plutôt une mise en garde, c’est-à-dire un regard critique porté sur l’événement historique. On pourrait citer à cet endroit un passage de l’entrée qu’Einstein fit, en 1932, dans le livre d’or de la fille de son voisin, alors que les nazis étaient sur le point de le priver de tous ses biens : « Ouvre tes yeux, ton cœur, tes mains, et évite le poison de l’Histoire que tes aïeux ont absorbé avec tant d’avidité »2. Voilà une belle définition que l’on pourrait donner de la fonction de la poésie dans la société, et Robert SchaackÉtienne parle d’une véritable « mission » du poète : Mais le poète a aussi comme mission, comme devoir, de donner l’alerte en face d’une réalité qui s’avère dangereuse ou pernicieuse. […] Donner l’alerte en poésie, n’est-ce pas le cas aussi à propos de la science née de l’intelligence pratique et je vise la technique avec son cortège de résultats meurtriers, malgré son apport au progrès (engins de guerre, pollution, manipulation génétique et d’autres réalisations) ?3 « Donner l’alerte », cela n’est possible que si le poème relève de ce « temps étranger à toute chronologie »4 dont parle Anise Koltz. Faire de la poésie événementielle, ce serait confiner l’œuvre à une époque précise en dehors de laquelle elle perdrait toute sa valeur et sa raison d’être ; bref, ce serait lui ôter son caractère intemporel. Le 1 Manuel DE DIEGUEZ, Chateaubriand ou le poète face à l’Histoire, op. cit., p. 44. 2 Albert EINSTEIN, Correspondance, présentée par Helen DUKAS et Banesh HOFFMANN, Paris, Inter Éditions, 1980, p. 43. 3 Robert SCHAACK-ÉTIENNE, « Les deux cultures », in Poëzie en Wetenschap – Poésie et Science – Poetry and Science, Kessel-Lo, sept.-déc. 1989, n°3-4, p. 42-43. 4 Anise KOLTZ, « Le poète demeure le gardien de l’imaginaire et de la mémoire », in Struga. International poetry review, 1993, vol. III, n°3, p. 23. 91 vrai problème n’est pas celui d’une conception « harmonieuse » de l’Histoire que l’on n’a d’ailleurs pas manqué de reprocher à Saint-John Perse, ni celui de l’absence d’allusions historiques dans le poème. « La tragédie n’est pas dans la métamorphose ellemême », écrit le poète, « [l]e vrai drame du siècle est dans l’écart que l’on laisse croître entre l’homme temporel et l’homme intemporel »1. Il dit bien « intemporel » et non « atemporel ». L’être humain n’est pas uniquement le produit d’une époque, mais il est la conséquence d’une évolution ininterrompue à travers les siècles et les millénaires. Or, les hommes ont tendance à penser par étapes plutôt que par continuité. La plupart des humains ne se soucient que de leur court passage sur Terre, comme si toute l’Histoire se résumait à leur existence individuelle. Tel est le « drame du siècle » dont parle Saint-John Perse et qui fait que la « maturation forcée » de l’homme « dans une communauté sans communion, ne sera […] que fausse maturité »2. Et il va même jusqu’à revendiquer pour le « poète indivis » – celui qui n’est pas atteint du schisme qu’il dénonce chez les autres – le devoir « d’attester parmi nous la double vocation de l’homme »3 ; celle qui fait précisément la « saisissante dialectique »4 de l’homme et qui vise d’un côté le moment présent et, de l’autre côté, l’homme de tous les temps : « [c]’est associer enfin plus hardiment l’âme collective à la circulation de l’énergie spirituelle dans le monde »5. Une tâche pareille s’annonce lourde et délicate, car le poète assume par-là une très grande responsabilité. Sa « lampe d’argile »6 devra rivaliser désormais avec l’énergie nucléaire. Cette image, anodine en apparence, est pleine de sens. Il s’agit de l’association de l’humain – la lampe est conçue par l’homme – et du divin : dans la Bible, c’est avec de la terre que Dieu a créé Adam. L’argile et la lampe sont deux éléments très importants qui comptent 29, respectivement 38 occurrences dans l’œuvre poétique de Saint-John Perse. Ils renvoient à l’importance de la création 1 OC, p. 446. 2 Ibid. 3 Ibid., p. 447. 4 Ibid., p. 444. 5 Ibid., p. 447. 6 Ibid. 92 artistique tout comme à la mission du poète qui consiste à éclairer ce qui demeure dans l’obscurité. Mais la leçon que nous donne l’auteur est d’optimisme : la lampe du poète peut remplir sa fonction, « si d’argile se souvient l’homme »1, c’est-à-dire si l’être humain se rappelle sa propre finitude, mais aussi la relation étroite entre l’humain et le divin, entre l’homme de maintenant et l’homme de tous les âges. 3. 3. Le poète comme « mauvaise conscience de son temps » À l’instar de l’incipit du Discours de Stockholm, la phrase sur laquelle s’achève la réflexion de Saint-John Perse n’est constituée que de deux lignes, tout en étant détachée du reste du texte par un blanc : « Et c’est assez, pour le poète, d’être la mauvaise conscience de son temps » 2 . Cette affirmation, qui est à l’origine de nombreuses interprétations, a fait et continue de faire l’objet de citations dans les contextes les plus variés. Le lecteur pressé, il est vrai, serait tenté de voir une forme condensée de la pensée persienne dans cette maxime finale. Pourtant, la critique nous met en garde3 : le risque est grand de faire dire à Saint-John Perse ce qu’il a toujours récusé 1 Ibid. 2 Ibid. 3 Cf. Claude THIEBAUT, « Dieu que la science est jolie ! », in Saint-John Perse (1945-1960) : une poétique pour l’âge nucléaire, textes réunis et présentés par Mireille SACOTTE et Henriette LEVILLAIN, Paris, Klincksieck, coll. « Bibliothèque contemporaine », 2005, p. 166 : « Paradoxalement, la formule sur laquelle se termine le “Discours de Stockholm”, “Et c’est assez, pour le poète, d’être la mauvaise conscience de son temps”, échappe à notre propos, les scientifiques à ma connaissance ne s’y référant pas spécialement. Quand elle est citée par eux, elle illustre, ainsi que le font généralement tous ceux qui la citent, un appel à un engagement très militant des philosophes, entre autres intellectuels. Certes, Saint-John Perse venait d’affirmer que du poète, “rien du drame de son temps ne lui est étranger”, mais s’il “se trouve lié à l’événement historique”, il le précise, c’est “malgré lui”. Manifestement, ce n’est pas au niveau politique ni social que se situe son engagement. » ; et Henriette LEVILLAIN, « Une affirmation à l’épreuve : ‘Et c’est assez pour le poète d’être la mauvaise conscience de son temps’ », in Souffle de Perse, hors-série à l’occasion du « Cinquantenaire de l’attribution du Prix Nobel de Littérature à SaintJohn Perse, 10 décembre 1960 », Aix-en-Provence, Revue de l’Association des Amis de la Fondation Saint-John Perse, décembre 2010, p. 154 : « Nous serons donc amenée à examiner par quel malentendu cette clausule, à force d’être citée dans les discours officiels, donnée comme thème de dissertation aux malheureux candidats des concours d’enseignement, a fini par être considérée comme la formule qui synthétise la poétique de Saint-John Perse, voire même, à cause de l’aura du prix Nobel, comme une pensée vraie et universelle (c’est la définition de la sentence par Quintilien), et donc incontestable. Or, détachée de son contexte, il y a fort à gager qu’elle prête à toutes les interprétations, sauf à celle qu’a voulue Saint-John Perse ». 93 avec véhémence. En la détachant de son contexte, on verrait volontiers dans la formule un appel à l’engagement. Cela nous rappelle le militantisme de Jean-Paul Sartre : Longtemps j’ai pris ma plume pour une épée : à présent je connais mon impuissance. N’importe, je fais, je ferai des livres ; il en faut, cela sert tout de même. La culture ne sauve rien ni personne. Mais c’est un produit de l’homme ; il s’y projette, s’y reconnaît ; seul ce miroir critique lui offre son image.1 Pourtant, Saint-John Perse a toujours refusé de mettre sa plume au service d’une littérature « engagée ». Ainsi, dans sa missive du 3 mai 1949 à Jean Paulhan, Perse, en faisant allusion à la Lettre aux Directeurs de la Résistance, exprime sa révolte contre tout engagement politique ou philosophique en littérature : Mais de grâce, qu’avez-vous à faire d’« engager » tout cela, et vous-même (si c’est vous), sur ce plan immédiat de l’actualité politique ? N’est-ce pas exceller hors de propos, à vos dépens et contre vous-même ? Double dommage, en tout cas, de substituer à tort, aux simplifications légitimes de l’ordre public, les exigences également légitimes, mais ici fourvoyées, de l’ordre littéraire. La polémique va-t-elle vous enferrer sur le plan extra-littéraire, par le jeu même de vos exigences littéraires ? […] – en un temps où l’« œuvre » littéraire est déjà trop sacrifiée à « l’action » littéraire, comprise elle-même comme un dépendance de l’action politique.2 Mêler la littérature à l’actualité politique est donc vu comme un acte impur et indigne de l’œuvre littéraire. Henriette Levillain a montré qu’en réalité, cette dernière phrase du Discours de Stockholm constitue plutôt une critique des idées à la mode dans les milieux intellectuels « de son temps ». Il s’agit, notamment, d’une réponse d’abord et surtout au nihilisme et à l’existentialisme. Saint-John Perse n’a jamais accepté les théories aboutissant au nihilisme matérialiste et à l’existentialisme. Le personnage 1 Jean-Paul SARTRE, Les mots, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1988, p. 208. Une idée semblable est toutefois évoquée par Saint-John Perse dans une lettre à Dag Hammarskjöld du 15 mai 1958 : « Mais qu’est-ce qu’une plume littéraire – et de poète ! – pour servir, en pareil temps, même de très loin et d’infime façon, le pays qu’on porte au cœur ? », in SAINT-JOHN PERSE, Correspondance avec Dag Hammarskjöld, Paris, Gallimard, coll. « Cahiers Saint-John Perse », 1993, p. 135. 2 OC, p. 1023. Un passage de cette même lettre est également cité par Henriette Levillain dans l’article susmentionné. 94 qu’il vise tout particulièrement avec cette phrase est donc bel et bien Sartre1. Cette idée rejoint ce qu’il avait écrit dans sa lettre du 1er août 1949 à Paul Claudel où il dit clairement quel est, pour lui, le devoir du poète : La fonction même du poète, en tant que mode de connaissance, n’est pour moi qu’une règle de vie qui nous tienne plus vivant, fût-ce à vif, sur l’autre versant de l’apparence. Mais quelle amère entreprise, aux marches de l’esprit, que cette exploration sans « reconnaissance » et ces évasions sans terme, ces « issues » sans issue ! Nul recul possible, ni résignation, pour qui hait trop, de tout son être, l’abdication matérialiste. Plutôt cette fatalité, en toutes choses, d’une imprégnation « divine » sans accès ni recours. (Est-il besoin de vous dire jusqu’à quel point m’écœure toute philosophie « existentialiste » – autant qu’en art toute esthétique « naturaliste » ?)2 En même temps, la clause finale de l’« Allocution » est une réponse à Albert Camus qui, en 1957, avait proclamé dans son Discours de Suède : Du même coup, après avoir dit la noblesse du métier d’écrire, j’aurais remis l’écrivain à sa vraie place, n’ayant d’autres titres que ceux qu’il partage avec ses compagnons de lutte, vulnérable mais entêté, injuste et passionné de justice, construisant son œuvre sans honte ni orgueil à la vue de tous, toujours partagé entre la douleur et la beauté, et voué enfin à tirer de son être double les créations qu’il essaie obstinément d’édifier dans le mouvement destructeur de l’histoire [sic]. Qui, après cela, pourrait attendre de lui des solutions toutes faites et de belles morales ? La vérité est mystérieuse, fuyante, toujours à conquérir. La liberté est dangereuse, dure à vivre autant qu’exaltante. Nous devons marcher vers ces deux buts, péniblement, mais résolument, certains d’avance de nos défaillances sur un si long chemin. Quel écrivain dès lors oserait, dans la bonne conscience, se faire prêcheur de vertu ?3 Ce qui différencie surtout le discours de Camus de celui – prononcé trois ans plus tard au même endroit– de Saint-John Perse, c’est la vision que le premier a de l’écrivain et de sa mission. Si, pour Camus, l’homme de lettres, « vulnérable mais 1 Cf. Henriette LEVILLAIN, « Une affirmation à l’épreuve : ‘Et c’est assez pour le poète d’être la mauvaise conscience de son temps’ », in Souffle de Perse, hors-série, op. cit., p. 164. D’ailleurs, le 15 novembre 1960, il écrit à Dag Hammarskjöld : « Ce texte (de 12 minutes) est d’ailleurs trop abstrait ou concentré, trop peu usuel, pour de telles circonstances, et j’ai trop pensé peut-être à l’oreille des critiques littéraires français chez qui il est très attendu et très guetté », in SAINTJOHN PERSE, Correspondance avec Dag Hammarskjöld, op. cit., p. 189. 2 OC, p. 1017. 3 L’intégralité du discours est consultable en ligne à l’adresse : http://www.nobelprize.org/nobel_ prizes/literature/laureates/1957/camus-speech-f.html [dernière consultation : 20.05.2012]. 95 entêté », doit continuer sa lutte pour ériger son l’œuvre contre le « mouvement destructeur » de l’Histoire, Saint-John Perse, pour sa part, n’établit pas de rapport direct entre la création artistique et l’événement historique. Rappelons que, pour lui, le poète se trouve lié « malgré lui » à l’Histoire. Autrement dit, là où Camus voit dans la littérature le rôle d’apporter une tentative d’amélioration, aussi modeste soit-elle, à la vie des hommes – l’œuvre littéraire se trouve ainsi mise au service de la collectivité –, Saint-John Perse estime que le poème doit garder sa fonction première qui est celle de réconcilier « l’homme temporel » avec « l’homme intemporel ». En outre, si l’auteur de L’Homme révolté est conscient des « défaillances » qui vont l’accabler « sur un si long chemin », Perse, pour sa part, replace les « pires bouleversements de l’histoire [sic] »1 dans un contexte cyclique plus vaste qui, lui, est à considérer comme une véritable affirmation de la vie : Qu’à tous il [le poète] dise clairement le goût de vivre ce temps fort ! Car l’heure est grande et neuve, où se saisir à neuf. Et à qui donc céderions-nous l’honneur de notre temps ?…2 Après avoir montré que la chute du Discours de Stockholm constitue une double réponse à Sartre et à Camus, il convient aussi de l’analyser indépendamment de son rapport avec le contexte philosophique de l’époque en la replaçant dans la problématique qui se trouve au centre de la présente étude et qui, rappelons-le, fait l’objet de l’exposé de Saint-John Perse à Stockholm : la relation entre la littérature et la science. Dans une telle optique, il ne faudrait pas négliger les propos de Jean Perrin : « Il n’est pas en effet de science possible où la pensée n’est pas libre, et la pensée ne peut pas être libre sans que la conscience soit également libre »3. Nous voyons que désormais, l’expression « mauvaise conscience de son temps » sur laquelle s’achève le Discours de 1 OC, p. 446. 2 Ibid. 3 Cité par André KASPI, « Trois savants dans la société : Jean Perrin, Louis Néel et Pierre Potier », in Problématique des relations entre Science et Société, p. 15 [actes du colloques consultables en ligne à l’adresse : http://www.cnrs.fr/colloques/sciences-societe/docs/colloque/ 1_RelationsSciencesSociete.pdf ; dernière consultation : 27.03.2012]. 96 Stockholm prend une toute autre signification. Dans un contexte où le progrès scientifique devient de plus en plus menaçant pour l’humanité entière, le poète est celui qui doit redéfinir la place de l’homme là où elle semble devenue accessoire, voire superfétatoire1. C’est encore lui qui se charge de rappeler aux savants qu’ils sont, eux aussi, des hommes et que leurs découvertes doivent être ancrées dans l’humain et non pas en faire abstraction. Bref, le poète est celui qui cherche à empêcher le scientifique – mais aussi l’homme en général – d’aspirer à la démesure ; il veille à ce que la « maturation » des hommes ne soit pas « forcée » – c’est-à-dire artificielle, « fausse » et par-là dangereuse –, mais bien une « maturation » au sein d’une « communauté » qui repose sur la « communion »2 intégrale, c’est-à-dire qui se tient au plus près de l’Être. Car, comme le rappelle le physicien Charles P. Snow (1905-1979) dans son essai The Two Cultures (1963), l’enjeu est de taille : Il est dangereux d’avoir deux cultures qui ne peuvent ou ne veulent communiquer. À une époque où la science détermine en grande partie notre destin, c’est-à-dire si nous allons vivre ou mourir, cela est dangereux de la façon la plus concrète.3 Plus que jamais, la « mauvaise conscience » du poète consiste à jouer le rôle de « vigie »4. Son engagement ne sera pas d’ordre philosophique ou religieux, mais avant tout humain et cosmique. Or, ne pas faire entrer l’événement historique dans le texte, c’est attirer sur soi la suspicion des autres : 1 Cf. Jean-Michel MAULPOIX, Adieux au poème, Paris, José Corti, 2005, p. 168 : « En ce temps, le devoir du poète est de dire où se trouve l’humain : le montrer, le cerner, en établir la carte. Sa tâche n’est pas seulement, comme certains semblent le croire à présent et y insistent, de souligner durement l’inhumanité de l’Époque et de communiquer l’horreur de mourir. Il me semble en effet que nous connaissons mieux aujourd’hui ce qui nous détruit que ce qui nous garde en vie. Il ne s’agit ni d’aggraver ni d’arranger les choses, mais de retrouver nos raisons d’être. Tirer obstinément sur le papier les quelques fils sur lesquels notre voix parvient à se tenir en équilibre ». 2 OC, p. 446. 3 Cité et traduit par Paul Braffort, dans son livre Science et littérature : les deux cultures, dialogues et controverses pour l’an 2000, Paris, Diderot Éditeur, Arts et Sciences, coll. « Jardin des Sciences », 1998, p. 31. 4 Cf. Loïc CERY, « Poétique de l’écart : une lecture de Vents », in La nouvelle anabase. Revue d’études persiennes, Paris, L’Harmattan, 2006, n°2, p. 81. 97 Savoir se rendre « suspect », tel le poète rejeté de la cité par Platon au prétexte qu’il y est inutile à Athènes, plutôt que d’épouser les causes de son siècle, mais inversement s’approprier le pouvoir positif de la philosophie qui est la « fille de l’étonnement », c’est donc la posture inconfortable prescrite au poète moderne.1 L’idée de suffisance (« Et c’est assez […]2 ») contenue dans la phrase finale du Discours de Stockholm semble s’expliquer par elle-même : accomplir la tâche – telle que nous venons de la définir – qui incombe au poète est d’une complexité incommensurable. S’il échoue, Saint-John Perse devra probablement se rendre à l’évidence que ce seront les idées nihilistes – le « poids de sa gravitation » que l’homme portera « comme une meule au cou » (OI, VIII) –, et non celles qui se réclament d’un « humanisme nouveau » 3 , qui gouverneront le monde et, sans doute, anéantiront l’humanité entière. S’il réussit, en revanche, peut-être le destin de l’humanité connaîtra-t-il des heures plus propices ; peut-être les hommes s’apercevront-ils du caractère absurde de la guerre et peut-être le progrès de la science se trouvera-t-il éclairé d’une autre lumière ; bref, peut-être restituera-t-on à l’humain la place qui est la sienne, aux côtés et au regard du divin. 1 Henriette LEVILLAIN, « Une affirmation à l’épreuve : ‘Et c’est assez pour le poète d’être la mauvaise conscience de son temps’ », in Souffle de Perse, hors-série, op. cit., p. 169. 2 OC, p. 447. 3 OC, p. 445. 98 Conclusion « Une émouvante et longue méditation a retrouvé là l’immensité d’espace et d’heure où s’allonge l’oiseau nu, dans sa forme elliptique comme celle des cellules rouges de son sang. » OI, V La science et la poésie sont bien loin de constituer des disciplines opposées. Chacune, au contraire, a sa fonction dans un contexte plus vaste. Le savant et le poète essaient d’explorer, avec l’outillage qui leur est propre, un fragment parmi d’autres d’un réel toujours en mouvement. Là où le premier cherche ses preuves dans l’univers extérieur ou matériel, le second va plutôt s’appuyer sur le côté intime, cet autre univers qui, lui aussi, est en expansion. Si la science a pour vocation de repousser les limites du savoir, la poésie, quant à elle, permet d’habiter le monde dont elle vise surtout la connaissance. Les citations que nous avons données tout au long du présent travail – les unes émanant de scientifiques de renommée alors que d’autres sont empruntées à des hommes de lettres ou à des philosophes célèbres – témoignent toutes de la volonté de réconcilier les « deux cultures », car on semble avoir compris, du moins dans les milieux intellectuels, que l’avenir de l’humanité sera tributaire non seulement de l’efficacité des recherches scientifiques et de leur apport pratique à la vie, mais aussi – et, peut-être, avant tout – de la « mauvaise conscience » qui donnera l’alerte au cas où la transgression risquerait d’entraîner l’humanité entière vers sa propre perte. La solution du problème ne relève pas de la primauté qu’une discipline pourrait avoir sur l’autre : la science et la poésie ont leurs raisons d’être. Mais c’est le dialogue permanent entre le progrès et sa vigie, entre la science de la nature et celle de l’âme ; bref, entre notre désir de franchir les limites et notre « mauvaise conscience » 99 qui fera de nous des êtres équilibrés. C’est ainsi que nous incorporerons la « saisissante dialectique » dont parle Saint-John Perse dans son « Allocution au Banquet Nobel ». Si la discussion semble de nouveau dans l’air du temps, c’est certainement à Saint-John Perse en grande partie, c’est-à-dire à sa conception de l’homme intégral et de la poésie, mais aussi à la plus haute distinction littéraire dont on l’a honoré en 1960, qu’en revient le mérite. L’interrogation qu’il soulève n’est, certes, pas nouvelle. Mais le retentissement international de son Discours de Stockholm, qui a été traduit en plusieurs langues, a peut-être réactivé chez les intellectuels la prise de conscience de l’urgence d’une réflexion épistémologique et ontologique dans un siècle où l’homme risquera de décider un jour « que l’homme est superflu », selon l’expression d’Alain Bosquet, ami et critique de Saint-John Perse. Car c’est d’elle seule que dépendra le destin de la race humaine. Nous avons essayé de montrer également que le Discours de Stockholm fait écho à certaines idées que l’auteur développe dans son œuvre poétique et même dans sa correspondance. Nous pouvons en conclure que la question l’a préoccupé à tous les égards et qu’il a cherché les (ses) réponses au cours des différentes périodes qui ont marqué sa vie. Nous est-il désormais permis, d’après la tentative d’interprétation qui précède, de qualifier la poésie de Saint-John Perse ainsi que son « Allocution au Banquet Nobel » d’épistémologie ? Autrement dit, la « lampe d’argile du poète »1 réussira-t-elle à triompher à la fois de l’énergie nucléaire et des « [a]gressions de l’esprit, pirateries du cœur »2 ? La réponse que nous donne Saint-John Perse dans son tout dernier poème, Sécheresse, daté de 1974, relève encore une fois du profond optimisme à l’égard de la condition humaine qu’il semble avoir gardé jusqu’à mort : Oui, tout cela sera. Oui, les temps reviendront, qui lèvent l’interdit sur la face de la terre. Mais pour un temps encore c’est l’anathème, et l’heure encore est au 1 OC, p. 447. 2 Sécheresse, in OC, p. 1399 [édition de 1982]. 100 blasphème : la terre sous bandelettes, la source sous scellés… Arrête, ô songe, d’enseigner, et toi, mémoire, d’engendrer.1 Il reste à préciser que la présente dissertation n’est qu’une étape d’un « autre mouvement plus vaste » (VE, I, 6) et que ses aboutissements, loin de constituer des résultats définitifs, sont à considérer comme les « prédelles pour un tableau à venir »2. 1 Ibid., p. 1398-1399. 2 José ENSCH, Prédelles pour un tableau à venir, Luxembourg, Estuaires, coll. « 99 », 2006. 101 Bibliographie Œuvre poétique de Saint-John Perse1 : – Œuvre poétique, Paris, Gallimard, coll. « Soleil », 1960, 2 tomes. – Éloges suivi de La Gloire des Rois, Anabase, Exil, Paris, Gallimard, coll. « Poésie », 1967. – Vents suivi de Chronique, Paris, Gallimard, coll. « Poésie », 1968. – Amers suivi de Oiseaux, Paris, Gallimard, coll. « Poésie », 1970 [ce volume comprend aussi le Discours de Stockholm sous le titre de Poésie]. – Œuvres complètes, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1972 [l’édition posthume de 1982 est augmentée des poèmes Nocturne et Sécheresse]. 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[collectif], Honneur à Saint-John Perse : hommages et témoignages suivis d’une documentation sur Alexis Léger diplomate, Paris, Gallimard, 1965. [collectif], Magazine littéraire, numéro spécial consacré à Saint-John Perse, Paris, novembre 1975, n°106. [collectif], Hommage à Saint-John Perse (1887-1975), numéro spécial consacré à Saint-John Perse, Paris, La Nouvelle Revue française, février 1976, n°278. [collectif], Cahiers du 20e siècle, numéro spécial : Lectures de Saint-John Perse, Paris, Klincksieck, 1976, n°7. [collectif], Revue d’histoire littéraire de la France, numéro spécial consacré à Saint-John Perse, Paris, Armand Colin, mai-juin 1978, n°3. [collectif], Revue des deux Mondes, numéro spécial : Saint-John Perse, l’éternel exilé, Paris, mars 1999. [collectif], Saint-John Perse : ‘Discours de Stockholm’ (Poésie). 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