à PSA PoiSSy, PrécArité à lA chAîne

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à PSA PoiSSy, PrécArité à lA chAîne
CHAQUE SEMAINE, LISEZ NOTRE REVUE DE PRESSE MILITANTE,
N°82. 01 Janv. 2017
diffusion militante
Revue de presse militante d’information et de mobilisation anti capitaliste - n °41 - 08/01/2017
Publié par MATÉRIALISMES avec le Comité NPA Reims
hebdo
materialismes.wordpress.com
SOMMAIRE :
A PSA Poissy, précarité à la chaîne
2017
solidarité internationale entre
les travailleurs et les peuples
à PSA Poissy, précarité à la chaîne
Depuis le 5 Décembre, 16 salariés en CDI et 6 intérimaires du sous-traitant de PSA Poissy MC
Syncro sont en grève. Interviewé par Révolution Permanente, Rolland Ruiz, Délégué CGT de PSA
Poissy nous parle des conditions de travail et de la pression sur les salariés, notamment avec l’utilisation d’une part toujours plus importante d’intérimaires. Nous publions ici la première partie d’un
témoignage en deux volets. A lire dans les jours qui viennent : « Aliénation à PSA Poissy : Tout est
fait pour que les ouvriers ne puissent pas se parler.1
PARTIE I
« Pour Peugeot, il y a toujours trop de CDI », raconte Rolland, délégué CGT
-Parle-nous de l’augmentation des intérimaires au sein de PSA Poissy.
« A Poissy, début 2014 on était 6 000, et il y avait beaucoup moins d’intérimaires. Là, on a dû
passer en dessous de 5 000, avec environ 700 intérimaires. Pour PSA il y a toujours trop de CDI
dans les usines. Pour se débarrasser des CDI, ils ont fait des plans de départ qui ont été signés
par les autres syndicats. Le premier plan, c’est le Congés-Sénior, la pré-retraite, 5 ans avant l’âge
légal de départ à la retraite. Fin juin 2017, ils vont le repasser à 3 ans. C’est comme ça que PSA
gère ses effectifs. Il y a aussi les plans de départs volontaires, pour faire un autre métier avec une
formation payée par PSA. Il y a des bureaux, des structures prévues pour accompagner les salariés vers les départs volontaires. Les gens qui ont des restrictions médicales, suite à des accidents
ou maladies professionnelles, PSA ne veut pas créer de postes adaptés pour eux. Moins il y en a
et mieux c’est. Donc, ils les orientent vers la sortie, congés sénior, plan de départ, comme pour les
gens valides, ils procèdent pareil. Tout ça pour vider les usines de CDI, et les remplacer avec des
intérimaires. C’est le contraire des plans d’embauche en réalité ».
-Quelle est selon toi la stratégie de PSA ?
« Il y a plusieurs boites d’intérim différentes carrément attitrées à PSA, et qui sont en concurrence
entre elles. Du coup, il faut que les boites d’intérim se tiennent bien sinon elles se font dégager
par PSA, et les intérimaires avec. Donc, ils ont une certaine ligne de conduite à avoir : de pas faire
grève, de ne pas écouter les syndicats, de n’écouter que les chefs. Il y a un rituel qui est fait de
préparation des intérimaires de la part de ces boites qui sont directement et exclusivement en lien
avec PSA. Quand on discute avec les intérimaires ils nous le disent : les consignes, c’est de ne
pas nous parler (aux syndiqués). Les portables doivent être fonctionnels en permanence pour que
les boites d’intérims puissent éventuellement envoyer des consignes à leurs employés par SMS,
par exemple « ne suivez pas la grève », etc... C’est PSA qui donne ces directives à la base, et
1. Propos recueillis par Flora Carpentier et Dam Morrison source : http://www.revolutionpermanente.fr/ publié le 19 et le 29/12/2016. (NPA)
si les boites d’intérim ne les suivent pas, elles
sont exclues. A Aulnay, quelques années avant
que ça ferme, on avait des lignes complètes
d’intérimaires, le seul employé, c’était le chef.
Les intérimaires sont en réalité des ouvriers à
plein temps qui, à cause de la précarité de leur
situation, font leur boulot sans broncher. »
-Comme à Aulnay et maintenant Caen
et Valenciennes, PSA Poissy est dans une
période de compactage de ses usines.
Quels en sont les impacts sur les conditions de travail ?
« Il y a eu une montée de cadence très rapide
de la 208. En 15 jours, elle est passée d’une à
deux centaines. Et là, il y a une semaine, elle
est passée à 250, par équipe et par jour, avec
le même nombre de personnes. Ils ont été obligés de descendre les cadences de la C3 et de
la DS3 pour accélérer les 208, vu qu’ils sont
passés en mono-ligne. Toutes les voitures différentes sur la même chaine. Beaucoup plus
compliqué pour les employés. Il y a plus de
fatigue physique et psychologique. Ça génère
des erreurs, par la fatigue et les cadences. Là,
les cadences sont passées de 350 à 370. Si on
n’y arrive pas, parce qu’il y a eu une panne ou
un autre problème, ça donne automatiquement
des H-, et donc des samedis travaillés. Alors
que cette année, les bénéfices ont doublé par
rapport à 2015 sur les 6 premiers mois de
2016, il y a moins d’effectifs, avec une cadence
plus rapide. Si la cadence ne suffit pas, il y a les
week-ends et les heures supplémentaires. Évidemment, ça donne des problèmes de santé.
Des fatigues, des tendinites, beaucoup d’hernies discales, canal carpien, canal de guillon...
N°82/ MATéRIALISMES
C’est la charge, les mouvements répétitifs. Un
gars qui monte 350 vitres de voitures dans la
journée, faut bien comprendre qu’à la fin il peut
plus soulever ses bras. »
-Il y a une grève chez le sous-traitant de
PSA MC Syncro, qui implique des intérimaires. Peux-tu nous en parler ?
« Ça fait 16 ans que les intérimaires touchent
le même salaire, 1100-1200 euros. Depuis l’entrée en vigueur de l’euro, ça n’a pas augmenté.
Les grèves d’intérimaires, c’est très rare. Ils ont
le problème du 13ème mois non payé, des heures supplémentaires, qui ne sont pas comptées
comme les nôtres, le problème de l’avance des
jours de chômage et les jours fériés qui ne sont
pas payés. Ça fait beaucoup de choses. Les
intérimaires sont tellement formés pour ne pas
faire grève, arriver à l’heure et faire leur travail comme des soldats que du côté de leurs
droits, ils ne sont pas du tout informés. C’est
à nous de leur expliquer parce que les boites
d’intérim ne le font pas. Je leur dit « sur l’usine
vous êtes 700, vous avez une force incroyable,
on est prêt à vous aider ». Mais ils nous disent
souvent qu’ils ne vont pas faire grève si les CDI
ne font pas grève, sauf que l’inverse est vrai
aussi. Les CDI disent la même chose. Donc à
un moment, il va falloir se coordonner. Mais ils
jouent toujours à se renvoyer la balle entre la
direction de PSA et la boite d’intérim. Et puis,
dès qu’il y a des intérimaires qui ont un peu
compris comment fonctionnait la boite et quels
étaient leurs droits, ils font tourner les effectifs,
ils font un grand turn-over. Et on repart toujours
de zéro. PSA calcule tout, ils ont une vraie stratégie de fonctionnement. »
-Quelles sont les revendications de la
CGT ?
« La base, c’est de revendiquer la retraite à
55 ans, l’embauche des intérimaires et les augmentations de salaires. Mais au fur et à mesure
que le temps passe, on est obligé de se battre
sur d’autres revendications comme les heures
de travail des intérimaires non payées, etc.
Pour ça, c’est important de bien comprendre
la stratégie de l’entreprise pour pouvoir l’expliquer.
Mais il n’y a que la CGT qui parle des intérimaires, des augmentations de salaires… les
autres syndicats parlent comme le patronat. »
-Quel impact pourrait avoir sur le monde
ouvrier la probable victoire de Fillon aux
prochaines présidentielles ?
« Fillon avait augmenté les heures supplémentaires. Il les avait passées de 130 à 150
par an, par salarié. Il faut rappeler ça. Il y a des
ouvriers qui se disent que ça ne sert à rien de
voter, qu’ils sont tous pareils. Il n’y a qu’à voir
les candidats. Il n’y en a pas un qui conteste
la loi El Khomri. Que ça soit les candidats aux
primaires ou la Le Pen, personne n’envisage de
retirer la loi travail. Alors Le Pen donne parfois
l’impression de sortir du lot mais en fait pas du
tout. Pourtant si on regarde les programmes
des différents candidats à la présidentielle,
c’est bien simple, il n’y a que le NPA et LO qui
sont contre les licenciements. Donc, c’est vite
vu.
PARTIE II
Aliénation à PSA Poissy : « Tout est
fait pour que les ouvriers ne puissent
pas se parler »
Nous publions ici le deuxième volet du témoi-
gnage de Rolland Ruiz, ouvrier à l’usine Peugeot-Citroën de Poissy, après avoir travaillé 24 ans
à PSA Aulnay et lutté contre sa fermeture lors de la grève de 2013. Dans la première partie de
l’interview, Rolland revenait sur la précarité toujours plus grande imposée aux travailleurs par ce
géant français de l’automobile. Ici, celui-ci dévoile les méthodes odieuses de PSA pour éviter que
les ouvriers mettent sur pied les résistances à même de mettre un frein à cette dictature patronale. Il explique notamment les différences flagrantes entre les conditions de travail à Poissy, où
l’aliénation atteint des sommets dignes des Temps modernes, par rapport à l’usine d’Aulnay, où
la longue tradition de lutte avait permis aux travailleurs d’imposer un certain rapport de force face
au patronat.
« Entre Aulnay et Poissy, bien qu’il s’agisse de deux usines PSA, on a l’impression que ce sont
deux entreprises différentes. A Poissy, les horaires ne sont pas du tout les mêmes, et c’est plus loin
de Paris, donc plus compliqué au niveau des transports. Quand on est de l’équipe du matin, pour
qu’on puisse commencer à 5h30, PSA met en place un transport par des cars privés. Mais pour
certaines lignes de car, le retour n’est pas assuré, donc on est obligé de prendre les transports en
commun. Pour d’autres secteurs, il n’y a carrément plus de transport en car, donc chacun doit se
débrouiller comme il peut. Pour PSA, il n’y a pas de petite économie ! Mais pour nous, ça change
beaucoup de choses quand on doit galérer dans les transports. En plus, les cars, c’est un endroit
où les ouvriers peuvent discuter entre eux. Ils cherchent aussi à éviter ça.
Par rapport à ce qu’était Aulnay, à PSA Poissy, l’organisation d’usine est faite pour que les
employés ne se voient jamais, aussi bien dans les relais d’équipes, dans les transports que dans
le self de l’usine. Il y a plein d’exemples comme ça, sur la stratégie de PSA pour éviter que les
travailleurs se parlent et s’organisent. Par exemple à Poissy, l’usine fonctionne avec une équipe de
nuit fixe, qui travaille de 22h à 5h30. Mais il y a un creux de 2 heures entre l’équipe du soir, qui finit
à 20 heures, et l’équipe de nuit. Donc pour militer auprès de l’équipe de nuit, en tant que délégué
syndical, il faut être de l’équipe du soir et rester à la pause, attendre pour pouvoir les voir. Autant
dire qu’il faut être motivé ! Mais c’est important parce qu’il y a peu de syndiqués dans l’équipe de
nuit. L’autre chose c’est qu’on n’a pas de pause repas, vu que le matin commence très tôt et que
la relève est à 13h. Donc, les gens déjeunent avant ou après le boulot, en dehors des horaires de
travail. On enchaîne 7 heures d’affilée avec 2 pauses de moins de 10 minutes. On dirait que tout
est fait pour qu’on ne se voit pas. Pour voir les copains des autres équipes, il faut déborder sur son
horaire, mais pour ça il faut avoir un mandat syndical, sinon on n’a pas le droit de rester dans une
autre équipe, ça peut engendrer des sanctions. En plus, on a intérêt à être ponctuels à la prise de
poste : avec le travail à la chaîne, si ça sonne et que la ligne de montage part, il faut être au poste,
sinon des voitures passent et ne sont pas traitées, et là ça peut entrainer très vite des sanctions.
Avec toute cette stratégie pour éviter qu’on s’organise, on voit bien que tout est fait pour éviter
qu’il y ait un côté militant aussi fort qu’à Aulnay. Là-bas, on mangeait 3 fois par jour, ça sociabilise.
Après 24 ans passés à Aulnay, le choc pour moi en arrivant à Poissy, ça a été de croiser pas mal
d’ouvriers qui avaient 20 à 25 ans d’ancienneté et qui ne se connaissaient pas entre eux. Des gens
de la même équipe ! Alors qu’à Aulnay tout le monde se connaissait.
PSA ce sont des champions de la sous-traitance. Il y en a pour tout, il y a au moins une centaine
de sous-traitants : ceux qui font les pots d’échappements, ceux qui font les réservoirs d’essence… beaucoup d’entre eux sont directement intégrés à l’usine. Vers 98-99, peu avant les accords
sur les 35 heures, c’était la folie de la sous-traitance à PSA. Je me souviens d’un responsable à
Aulnay, qui avait dit en réunion « L’avenir de Citroën, c’est la sous-traitance ». Après ils ont vendu
l’emboutissage et développé la sous-traitance. Ça change beaucoup de choses parce que les
conventions de métier peuvent être différentes. Par exemple, ceux qui fabriquent les pneus, ils
ne dépendent plus de la métallurgie mais de la chimie, donc ils ont des droits différents en ce
qui concerne les salaires, les primes d’ancienneté, etc. Ça limite considérablement le nombre de
salariés de la boite principale et ça divise les ouvriers entre eux.
Jérôme, un délégué CGT qui travaille à l’emboutissage, a reçu sa lettre de licenciement il y a un
mois. Soi-disant, il aurait mal positionné un outil de presse, un truc qui pèse 10 tonnes. Ils lui reprochent aussi une intervention sur un meuble qui était bancal et risquait de tomber sur des salariés.
Donc les copains sont intervenus, dont Jérôme, pour reculer le meuble à la main et isoler le danger.
Tous les copains qui sont intervenus ont eu des sanctions, des journées de mise à pied. D’après
la direction, il ne fallait pas intervenir comme ça, ça a dérangé PSA. Pour Jérôme, ils ont cumulé
les deux problèmes pour prétexter son licenciement. Mais en réalité, c’est parce qu’il était délégué
CGT. Avec les élections syndicales qui approchent, en mars 2017, on sent qu’il y a une sérieuse
attaque de la direction. Dès qu’il y a la moindre erreur, on reçoit automatiquement un courrier
recommandé dans les heures qui suivent. Alors pour Jérôme, on va faire toutes les démarches
auprès du tribunal, mais le problème c’est que ça peut prendre des années, et d’ici là il est licencié.
Pourtant, l’inspection du travail a refusé le licenciement, mais PSA persiste. Ils sont complètement
hors-la-loi. On a débrayé à plus d’une centaine, 120-130, pour le soutenir. On a aussi fait signer
une pétition à l’usine, on a eu énormément de signatures, dans les 1 300. Et on l’a aussi fait signer
en dehors de l’usine. Mais on sait bien que le seul moyen d’annuler le licenciement, c’est d’arrêter
l’usine, de se mettre en grève.
Ce témoignage montre bien comment PSA a tiré les leçons des luttes ouvrières à Aulnay et
ailleurs. Ce fleuron de l’industrie française, grand groupe aux bénéfices colossaux, applique donc
des stratégies de management qui aliènent toujours plus les ouvriers, afin de les empêcher de
s’organiser. Ce sont ces méthodes qui précarisent chaque fois plus, avec des conditions de travail
toujours plus dures, qui ont des conséquences néfastes sur la santé et le moral des travailleurs.
C’est contre cette aliénation que nous devons lutter, à travers la solidarité entre les travailleurs
et les exploités de tous secteurs, afin de recréer le rapport de force qui permettra de redonner
confiance et de peser dans les luttes contre les attaques du patronat.