SOUVENIRS MILITAIRES D`un ancien combattant d`Algérie, anti

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SOUVENIRS MILITAIRES D`un ancien combattant d`Algérie, anti
A mes quatre petits fils :
Nicolas, Julien,Hugo et Dorian
Octobre 2008
Il nous exposa longuement toutes les misères du Soldat,les dégoûts de la caserne,les exigences mesquines de
l’étiquette,toutes les cruautés de l’habit,l’arrogance brutale des sergents, l’humiliation des obéissances
aveugles,l’assassinat permanent de l’instinct et la volonté sous la massue du pouvoir.(fin de citation)
Extraits de “Par les champs et par les grèves“ de Gustave Flaubert :
SOUVENIRS MILITAIRES
D’un ancien combattant d’Algérie, anti-militariste viscéral
Aux lecteurs :
Puiser dans sa mémoire, et sa jeunesse pour en extraire des souvenirs, est une façon, non pas
de rajeunir, car on n’efface pas les outrages du temps et de la vie qui passent. Mais les
écrirent, c’est en laisser des traces pour la postérité et les générations futures.
Il ne sera pas difficile de convaincre, ceux qui liront ces quelques pages que celui qui les a
écrites à pour l’armée et pour la guerre une aversion indélébile. Il en a parfois payer le prix, et
s’il déplore d’avoir été obliger de le subir, il ne regrette absolument rien de ce qu’il a fait et
l’assume avec la tranquillité d’esprit de ceux qui n’on rien à se reprocher.
Le grand Georges Brassens avait bien raison d’écrire que celui qui n’écoute pas le clairon qui
sonne ne fait pas de tort à personne, et que son ancêtre qui se tapait le cul par terre en écoutant
les marches militaires était un sage.
Je vous propose donc de vous plonger avec moi dans ce que fut mon passage dans ce milieu
militaire. Soucieux de son authenticité et afin de ne rien oublier, j’ai essayer de retracer cette
histoire vécue dans son contexte politico historique. A savoir les dix années (1952-1962) qui
ont été des années charnières pour la France et son avenir.
Jean Daumas
La Conscription :
Le recrutement militaire obligatoire pour le contingent appelé conscription, a été supprimé par
le gouvernement français le 27 Juin 2004.
Depuis le 5 Septembre 1798, cette obligation était imposée pour tous les jeunes garçons à
partir de 20 ans .Durant ces 203 ans, vers 19 ans, il fallait qu’ils aillent passer une visite
médicale appelé Conseil de révision pour savoir s’ils étaient aptes ou bons pour le service
d’une durée variable au fil du temps, et qui, en 1952 était de 18 mois. C’est ainsi que notre
classe, née en 1932 fut appelée à la Mairie de Lunel le 20 Avril 1951 avec quelques ajournés
de 1931.
Après la visite ou il fallait se présenter, nus comme des vers, nous étions pratiquement tous
bons pour le service. (Même Yoyo Garcia qui pensa pouvoir se faire ajourner en déclarant avoir eu un kyste
oculaire entre l’anus et les parties !) Et nous voici revenus au village avec nos médailles dans une
insouciante allégresse, faire ce que l’on appelait traditionnellement le ‘tour des gouttes’.
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Madame Larribe dont le fils Jean né en 1952, avait été victime à 18 ans d’un accident mortel
avait insisté pour que nous passions à sa maison. Nous le fîmes avec émotion et tristesse.
La tradition voulait qu’à cette occasion les jeunes nés la même année, organisent une fête.
Pour ne pas déroger à la règle, les natifs de 1932, avions décidé dés 1950 de constituer une
cagnotte par un versement hebdomadaire. Avec l’insouciance de notre jeunesse, cette
initiative nous mis à la tête d’une somme rondelette et nous pûmes organiser des festivités
durant 3 jours, avec banquets, orchestre et bals au Café du Pavillon.
La billette et l’incorporation :
Et les jours passèrent :
Vers la fin Octobre 1952, je reçu ma convocation (La Billette qu’on disait), pour me présenter
le 9 Novembre à 9 heures à la Caserne de Tarascon. J’étais versé dans le 110ème RIC un
Régiment d’infanterie coloniale de marine, stationné en Allemagne qui faisait partie des
troupes alliée qui après l’écrasement du Reich occupaient une partie de l’Allemagne.
Je rappellerais que du 4 au 11 Février 1945 à Yalta en bordure de la Mer Noire, Anglais,
Russes et Américains (Churchill, Staline et Roosevelt) avaient partagé en trois le territoire
Allemand et avaient exclu le France de ce partage. C’est une intervention de Churchill qui
permit qu’une partie de cette RFA créé en Mai 1949 fût concédée à la France, ainsi qu’un
petit district au Nord de Berlin enclave au milieu de la zone dévolue à l’URSS, qui le 7
Octobre 1949 devint la RDA. La dénomination Troupes d’Occupation (TOA) fut rapidement
remplacée par Forces Françaises en Allemagne (FFA).Une monnaie spéciale, le Franc
d’occupation en Allemagne (FFA) fut créée : Notre maigre solde sera payée avec cette
monnaie convertible en Mark ou en Franc qui était acceptée par les commerçants locaux.
Notre service allait se dérouler avec en toile de fond, la Guerre d’Indochine.
Tout notre encadrement, officiers, sous officiers et certains hommes de troupes engagés,
avaient tous fait un ou plusieurs séjours en Asie du Sud Est, en Indo comme ils disaient.
Certains s’en faisaient une gloire et bizarrement d’autres en gardaient la nostalgie. Mais
pour beaucoup de ces derniers, au travers de leurs propos, on pouvait deviner que cette
nostalgie était en réalité un problème de solde !
J’appris rapidement que mon ami et cousin Jacques Trinquier, était affecté au même régiment
et convoqués au même endroit, le même jour. Ravis bien sur l’un et l’autre de ne pas être seul.
Plus tard, nous serons séparé malgré tout, bien que l’on ne se soit jamais réellement perdu de
vue comme nous le verrons plus loin.
Nous voici donc ce 9 Novembre 1952 en gare de Lunel, direction Tarascon. Sachant que des
gradés récupéraient les Bleus aux arrivées sur le quai, nous descendîmes à contre voie pour
échapper à ce primo contrôle et allâmes flâner en ville jusqu’au soir, ne rentrant que pour le
souper. C’est ici que se produisit un premier accrochage avec un gradé.
Un jeune soldat affecté à Tarascon,s’étant fait bousculer brutalement pour un motif anodin par
un sous officier de carrière, je provoquais un tel chahut ,que le gradillon du battre en retraite
par peur d’une émeute non sans avoir au passage relevé les noms des râleurs les plus en vue.
Le soir, avec le cousin Jacques, nous fîmes le mur, (première marque d’indiscipline), pour
aller au cinéma. On y projetait le film le Grand Caruso avec le célèbre Ténor Mario Lanza.
A l’entracte il y avait en attraction, un Fakir répondant au nom de Yanaleb. Quand il
demanda deux volontaires pour faire une expérience d’insensibilité à la douleur, nous allâmes
sur la scène nous faire traverser la peau du cou par une grosse aiguille et nous promener dans
la salle ou des femmes tournaient de l’œil. Le lendemain, il ne resta plus que la marque des
aiguilles de chaque côté du cou pour prouver à nos collègues la véracité de notre récit.
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Barre à l’est toute !
Le 10 Novembre au soir nous embarquons vers l’Allemagne dans un train spécial. Beaucoup
avaient amené des boissons alcoolisées et il y avait de l’ambiance dans les compartiments.
A l’arrêt de la gare à Lyon, avec l’indécence d’une personne avinée, je descendis du wagon
pour exhiber mes fesses en public.
Puis le train se remit en route direction la frontière Allemande via Strasbourg et Kehl.
Il était environ 2 heures du matin, l’excitation et l’ambiance étaient à leur zénith quand tout à
coup un collègue dit en plaisantant, “Si on tirait la sonnette d’alarme !“.Il n’eut pas le temps
de finir sa phrase que je l’avais déjà fait .Un grand coup de frein, et voila le convoi arrêté en
pleine nuit en rase campagne.
Un groupe de gradés fort marri passa alors pour savoir dans quel compartiment on avait
déplombé le signal, et trouva évidemment le notre. Nous reçûmes un bon savon et les noms
des occupants furent relevés comme à Tarascon.
Au petit matin, nous voici arrivés à Strasbourg et débarqués dans un grand hall où l’on nous
sert un casse croûte. Nous y sommes rassemblés en musique en attendant de connaître notre
destination définitive outre Rhin. C’est la que je rencontrais Lolotte le Razeteur et ou nous
nous payâmes une séance d’émotion et de nostalgie lorsque le préposé au platine fit jouer
l’ouverture de Carmen.
Comme à la gare de triage !
C’est alors qu’un gradé nous rassembla pour nous indiquer nos affectations respectives et
notre destination définitive. Pour moi, ce fut le Bataillon de Commandement basé à Constance
(Bodensee) en bordure du lac éponyme traversé par le Rhin, dans la compagnie de canons
d’infanterie (CCI). Jacques lui était affecté au bataillon des transmissions stationné à Lindaü
(Bavière). Il finira cependant son temps a Fribourg (Bade-Wurtemberg) dans un bataillon qui
tout en appartenant au 110ème RIC, n’était pas une unité de marine. Dans le langage militaire
on les appelait les Biffins. On pouvait les identifier par le milieu de leur calot rouge, par
rapport a ceux tout bleu au liseré rouge des Marsouins qui arboraient une ancre de marine.
Notre Caserne était le Quartier Maujean en bordure d’une voix ferrée et notre Commandant
du Bataillon se nommait Peyre. Nous surnommâmes plus tard ‘Punaise de bois’, son
expression favorite.
J’étais donc Artilleur dans un régiment de Fantassins de Marine !
Dans cette même enceinte étaient également casernées, la compagnie des transmissions ainsi
que la musique du Régiment qui tous les samedis accompagnait les exercices de défilés. Ces
derniers se déroulaient dans la cour aux accents de Sambre et Meuse et du Chant du départ
entre autres. Il y avait aussi un grand foyer, ou l’on trouvait de quoi boire, casser la croûte et
acheter divers objets.
Un mat était planté au milieu de la cour, et chaque jour le drapeau français était levé le matin
et baissé le soir au son du clairon sous la responsabilité du chef du poste de garde.
Le 2ème Bataillon de marine de ce 110ème RIC était logé dans une autre caserne du centre ville.
La caserne Driant, du nom de l’inventeur des baraques mobiles de la guerre de 1914-18.
Notre Compagnie, (Bureaux, chambres, armurerie, etc.) était située dans l’aile d’un grand
bâtiment de trois étages avec une cave à charbon .Un symbolique canon datant de Napoléon
trônait à l’entrée. A coté dans un grand gymnase étaient remisés sous leurs housses les 6
canons de 105 courts de la compagnie.
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Quand aux véhicules, les 6 Dodges 4x4 pour tracter les canons, un Camion GMC,
4 Jeeps et une Moto ils étaient parqués à part dans un autre bâtiment. Les chauffeurs pour tous
ces véhicules étaient formés au fur et à mesure des libérations et des incorporations.
Notre chef de compagnie, était un Lieutenant breton, quand à l’Adjudant tradition oblige
c’était un corse. Le comportement de cet insulaire, vis-à-vis des ses subordonnés justifiera le
célèbre vocable bien connu de Chien de Quartier. Nous sommes répartis dans les chambres
baptisées du nom des faits d’armes du régiment. Pendant presque tout mon séjour, ce sera la
Chambre Tahiti : 12 places avec 6 lits superposés, une armoire pour chacun, un poêle à
charbon dans un coin, une grande table commune,quelques chaises et un banc en bois avec
vue sur la cour.
L’un d’entre nous était désigné chaque jour à tour de rôle pour balayer la chambre. Mais pour
notre malheur il y avait un parquet en bois qu’il fallait souvent passer à la paille de fer et
même cirer lors des revues.
Au cours de ces inspections les chambres devaient être impeccables : Lits au carré et chefs
passant la main sur les armoires pour déceler la moindre poussière avec des gants blancs.
Pour l’hygiène, il y avait à chaque étage, les chiottes, un lavabo d’eau froide en bout de
couloir avec des glaces pour se raser obligatoirement tous les jours. Les douches collectives
qui étaient prises deux fois par semaine étaient dans un autre bâtiment.
Nous recevons ensuite notre volumineux paquetage (uniformes, treillis, capote, casque
ceinturons, godasses etc.) ainsi que les insignes à coudre sur les manches de nos uniformes.
Un lion des Flandres encadré de deux traits rouges signifiant que le régiment est disciplinaire
avec une ancre de marine indiquant 110ème RIC. La médaille avec le slogan du régiment “Qui
s’y frotte, s’y pique“ avec support en cuir pour la pendre à une poche. S’y ajouteras la
fourragère jaune et verte qu’il faudra la porter sur l’épaule gauche après sa remise solennelle
quelques mois plus tard après la fin des ‘classes’. Quand à l’armement nous recevons des
fusils américains Garants et des Pistolets mitrailleurs (PM) attribués nominativement. Les
fusils mitrailleurs ou les mitrailleuses sont affectés par section. Toutes ces armes sont gardées
en armurerie, et ne sont distribuées qu’au fur et à mesure des besoins (Maniements d’armes,
défilés, séances de tir, ou manœuvres). Des revues fréquentes et tatillonnent obligent à un
entretien sévère que chacun doit assumer régulièrement.
Nous héritons aussi collectivement d’un magnifique Berger Allemand, qui, depuis plusieurs
années est la mascotte de la Compagnie et qui répond au nom de RIC. (Régiment d’Infanterie
Coloniale).
Formation et début du bourrage de crânes !
Le responsable de notre formation était un sous Lieutenant Alsacien formé à l’école militaire
d’infanterie de St-Maixant-l’Ecole. Raide, hautain, sévère, et surtout imbu de sa personne
j’eus vite compris, et surtout sentis que le courant ne passerait pas entre nous et que notre
entente ne serait jamais normale à défaut d’être cordiale. Son Adjoint était un Sergent de
métier, pas mauvais bougre, mais porté sur la bouteille. Tapeur toujours fauché il escroquera
par la suite quelques imprudents fayots qui lui avaient prêté de l’argent. Un Sergent et un
Caporal appelés du contingent complétaient cette équipe de formateurs.
De cette instruction …. Parlons en ! Nous étions fin Novembre en Allemagne, avec
évidemment beaucoup de neige et de froid. Chaque matin à l’aube avant même de boire le jus,
il y avait une séance obligatoire dite de décrassage. En short et en chemisette nous sortions de
la caserne par derrière pour courir à travers les champs et les vignes palissées, en gravissant
une colline sur laquelle était édifiée une grosse tour qui dominait la ville. Tour baptisée
Bismarck, du nom du vainqueur de Napoléon III à Sedan en 1870.
Nous faisions environ 3 à 4 km chaque matin.
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Puis après le déjeuner aux cris de rassemblement de la compagnie, c’était les séances
d’entraînement pour la marche au pas cadencé en chantant et le maniement d’armes. “Une,
deux une deux, armes sur l’épaule droite, présentez armes en attendant l’ordre de repos et du
rompez les rangs ou il fallait crier ‘Marsouin’.
Tout cela étaient notre lot quotidien. Dans le froid et la neige, avec des souliers de cuir non
fourrés et le port des gants interdit ça tournait parfois au calvaire pour simplement tenir nos
fusils car en prime, il y avait une punition si par malheur on le faisait tomber.
Voulez-vous du galon ?
Un beau jour nous sommes rassemblés au réfectoire .On nous distribue un Bic et plusieurs
imprimés couverts de questions et de croquis auquel il faut répondre pour mesurer notre
niveau intellectuel. C’est un véritable jeu et c’est même distrayant.
Ce que j’ignore,par contre et que je n’apprend malheureusement qu’après coup, c’est qu’il
s’agit en fait de tests pour mesurer le coefficient intellectuel (Q.I) de chacun afin de connaître
les niveaux pour savoir qui peut accéder au grade de Sergent,Caporal Chef ou Caporal.
Ne voulant pas entendre parler d’un quelconque galon, je me suis donc fait piéger comme un
bleu sans jeu de mot, car au vu des résultats de ces tests, je me retrouvais versé dans le
peloton N° 2 qui était celui de la formation spécifique pour le grade de Sergent. Je dus avec
armes et bagages émigrer dans un autre bâtiment pour y suivre une instruction spéciale.
Me voici donc avec le gratin intellectuel de la classe, composé certes de braves types, mais au
niveau d’instruction largement supérieur au mien. Mais cela ne ma jamais complexé.
J’intercède auprès de la hiérarchie pour quitter ce peloton et retourner dans la Compagnie en
indiquant fermement que je ne veux pas entendre parler de galons. Mais ma demande est
catégoriquement rejetée. C’était comme ça, et pas autre autrement !
Que faire pour sortir de cette élite ? J’ai alors une idée qui au bout du compte, s’avérera la
bonne. En juin 52 au cours d’une course de nuit en voulant écarter une vache de Reynaud,
j’avais pris un sale coup sur le côté de la jambe qui m’avait laissé une petite excroissance sur
l’os du genou gauche. Je décidais que désormais ce genou me ferait mal et me mis à boiter
bas. Lors des appels du piquets d’incendie ou on devaient courir jusqu’au poste de garde, je
croisais en claudicant les collègues qui en revenaient déjà au milieu de la cour. Je refusais de
faire les exercices ou les défilés en restant dans la chambrée. Tout ceci, jusqu'à ce que l’on
décide à me faire faire des examens. Me voila parti avec un ordre de mission à l’hôpital civil
de Ravensbrük (Ville au camp de sinistre mémoire) pour passer une radioscopie qui ne put
pas déceler la cause du mal. On me dirige alors sur celui plus important et moderne, de
Donaueschingen. Après l’examen le diagnostic tombe. « Handicap classé i3, équivalant à une
exemption de marche de plus de 10 Km ». C’était gagné car le chef de stage estimant que je
ne pouvait pas normalement suivre tous les exercices du peloton, me signifia enfin mon
renvoi dans la compagnie.
J’allais y retrouvais ceux que l’armée considérait comme les moins doués intellectuellement
à apprendre les rudiments pour manoeuvrer les canons avec l’équipe de base de formateurs.
Quand le piston joue, et que la partition finit par un cuir !
Un beau jour de Décembre, je suis convoqué par le Chef de Compagnie, qui me demande à
brûle pourpoint si j’ai un Ministre dans ma famille ou parmi mes connaissance.
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Il vient de recevoir des instructions d’en haut lieu pour une mutation dans un autre corps
basait dans le Midi. Il me dit qu’il aller entreprendre les démarches nécessaires. J’en tombe
des nues et lui fais part de ma surprise, car je n’ais jamais rien demandé de pareil a
quiconque. Ce n’est que bien plus tard que je sus que c’était mon Camarade de classe Tellou
(M.Trévier) qui sans m’en faire part avait demandé à René Daumas le Petit Maître,
d’intervenir auprès de Jules Moch qui à l’époque fut plusieurs fois Ministre pour me faire
rapprocher. Parti un an avant dans l’aviation à Nancy, il avait été muté à Nîmes grâce au coup
de piston de cette filière.
En Décembre 1952, c’était une tradition, la Municipalité Communiste envoyait chaque année
à tous les soldats de Marsillargues un colis pour les fêtes de Noël.
Je le recevais évidemment avec le plus grand plaisir et pris alors ma plus belle plume pour
remercier le Conseil Municipal en leur signalant au passage, qu’à ma connaissance aucune
autre Commune n’avait eu un pareil geste vis-à-vis de leurs soldats.
Ces derniers, publièrent alors dans l’hebdo communiste Le Travailleur du Languedoc en
chronique de Marsillargues l’intégralité de ma lettre sous le titre “Nos soldats nous écrivent“.
Croyez le ou pas, je n’ai plus jamais entendu parler de cette mutation qui semblait à priori en
bonne voie. La SFIO locale avait remis les choses en ordre et mon compte avait été réglé. J’ai
toujours pensé bien sur que c’était une conséquence de la guerre froide. D’ailleurs, quelques
mois plus tard en Mars 53 ,a l’issue d’une campagne de calomnies, d’insultes et de
mensonges, une entente arc en ciel contre nature dites d’intérêts communaux chassait
haineusement F.Brémond, les communistes et ses sympathisants de la Mairie de Marsillargues
en place depuis 1938 . (Hors période de Vichy).
Bourrages de crânes !
Après la sélection pour les formations de gradés, et les stages de chauffeurs, de transmission,
d’infirmiers, de cuisiniers, etc.….. il ne restait plus grand monde à la compagnie.
Dans le lot il y avait un petit breton illettré. Je lisais et écrivais ses lettres. Un autre fort
comme un boeuf m’avouait n’avoir jamais vu, ni pris un train avant de venir au service. Me
voici donc avec ceux que l’armée, selon ses critères, considérait comme étant les moins doués
à conforter notre instruction de base.
Tous étaient des bons camarades que je respectais et m’entendais aussi bien avec eux, qu’avec
les futurs gradés du Peloton 2 avec qui j’avais cohabité au début.
Mais c’est ensemble que nous subissions le programme d’intoxication et de bourrage de
crânes obligatoirement et ostensiblement distillé ou l’on nous martelait la célèbre formule :
“La discipline faisant la force principale des armées, il importe que tout supérieurs
obtiennent de ses subordonnés une obéissance entière et une soumission de tous les instants.
Que les ordres soient exécutés sans hésitation, ni murmures. L’autorité qui les donne en est
responsable. La réclamation n’est permise au subordonné que lorsqu’il a obéi“ (sic)
Je ne sais pas si vous analysez la portée réelle d’une telle tirade, mais, ceux qui me
connaissent comprendront qu’elle ne pouvait en aucun cas s’accorder avec ma philosophie et
encore moins avec mon caractère. D’autant que ce bourrage des crânes était complétée par
l’apprentissage de chants guerriers à la gloire de l’armée et de la coloniale. Dont voici un
aperçu :
“Dans la bataille ou la tempête,aux refrains de mâles chansons, notre âme au danger toujours
prête, brave la foudre et les canons,hommes de fer que rien ne lassent,nous regardons la mort
en face,et l’orage qui gronde dans les rudes combats. Pour faire un soldat de marine, il faut
avoir dans la poitrine le cœur d’un matelot et celui d’un soldat“.
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Pour bien nous mettre en tête, toutes ces inepties, on devait les chanter en marchant au pas
cadencé autour de la cour ou en rentrant des exercices hors Caserne quand on arrivaient dans
la partie de la ville habitée sous l’œil goguenard des passants.
Cela me rappelait les tristes années 1943-44 après la suppression de la ligne de démarcation
quand les verts de gris bottés défilaient en chantant ‘aïli-aïlo’ dans les rues de nos villages du
Midi pendant une occupation, qui elle, était véritable.
Ne pouvant pas concevoir cette soumission aveugle, je commençais à faire de la résistance en
défiant la hiérarchie. C’était à la foi physique et moral .En effet je n’ai jamais accepter que
l’on m’oblige à dire que quelque chose était noir lorsque c’était blanc.
Je n’ai jamais hésité non plus à dire en face leurs quatre vérités aux gradés de métier sur leurs
comportements ou à contester et même refuser leurs ordres quand ils me paraissaient
inadaptés, farfelus et parfois dangereux.
En affirmant publiquement mon aversion pour l’armés et mon anti-militarisme, je fut
rapidement catalogué comme une forte tête, indiscipliné chronique .De plus, pour avoir oser
fustiger ouvertement l’armée et son encadrement, je fut considéré comme un sale meneur
rouge anarchisant sapant le moral des troupes .J’en eu la confirmation beaucoup plus tard le
17 Mars 1954 au Conseil de discipline. Malheureusement, pendant ces 18 mois ce fut la lutte
du pot de terre contre le pot de fer, et la source de toutes mes emmerdes.
Cinq mois de présence, et déjà plus d’un mois et demi de taule !
Et c’est ainsi que commencèrent les séjours en taule, les boules à zéro et les nombreux jours
de consignes, que souvent je bravais en faisant le mur sans permission.
La consigne était certes une sanction légère, mais elle vous clouez sur place car il fallait se
présenter au chef de poste a l’appel d’une sonnerie spécifique que l’on traduisait par “Caporal
con, caporal con, appel des cons appel des cons appel des consignés“ qui rythmait avec les
notes du clairon.
Quand à la taule, c’était une cave aménagée en face le poste de garde avec une cellule plus
obscure. Mais être taulard n’avait pas que des inconvénients. Malgré l’absence de matelas je
dormais tant bien que mal la nuit sur le grabat en planches.
Le jour, j’échappais aux marches et aux maniements d’armes. Bien sur il fallait aller parfois
décharger des wagons de charbon à la gare proche ou déboucher des chiottes et ce n’était pas
toujours très agréable.
Mais j’allais aussi aux corvées de cuisines faire la plonge ou éplucher les patates. Là les
cuistots me préparaient des beefsteaks dans les meilleurs morceaux accompagnés de gros
rouge qui n’était pas baptisé.
Je n’en suivait pas moins par épisodes l’instruction .Montage et démontage des armes,et
fonctionnement du canon ou je fus bombardé tireur parmi l’équipe nécessaire au
fonctionnement de chaque pièce ,à savoir cinq servants et un chef de pièce .
Le rare rayon de soleil !
Le seul endroit où je pris une revanche sur ces galonnés, ce fut au stand de tir au fusil ou sans
me vanter je n’étais pas maladroit. Chasseur et familiarisé avec les armes, c’était pour moi un
amusement et surtout un délassement car ces champs de tirs étaient situés en pleine forêt et
l’on pouvait y prendre un bol d’air en rencontrant des biches, des sangliers et des lièvres.
Enfin quelque chose que je ne faisais pas à contre cœur !
Sur des cibles à 200 mètres, en tir de précision, sans lunette, je réalisais chaque fois des scores
qui faisaient pâlir de jalousie beaucoup de mes chefaillons qui ne pouvaient pas me battre.
Bien que parfois je fasse exprès de tirer sur la cible a coté pour les faire râler.
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Fin 1953, lors du challenge sportif inter armes dit des 50 épreuves, je fus désigné pour faire
parti de l’équipe de tir. Avec un fusil Garant automatique à 8 coups, dont j’avais assurer le
réglage. Le jour J, j’y réalisais la meilleure performance de tous les régiments du secteur sur
une cible à 200 mètres avec un score de 188 points sur 200, (20 balles à tirer. 10 ou l’on
pouvait prendre son temps et 10 autres à tirer un 1 minute). Je battis ce jour là certains de mes
professionnels de chefs qui étaient engagés. Le soir, au lieu de rentrer pédibus, j’eu droit pour
le retour à la voiture du Lieutenant.
Cela me valu d’être classé “tireur d’élite au fusil“ sur mon livret militaire .Mais croyez bien
que je n’en ais jamais éprouvé aucune fierté.
On tourne une première page !
Nous nous approchions de l’époque où bientôt nos anciens allaient nous quitter. Malgré
quelques accrocs sans importance du début avec quelques uns, j’avais lié beaucoup d’amitiés
avec certains d’entre eux.
Lorsque fin Janvier, ils fêtèrent avec beaucoup de tapage le fameux Père Cent (100 jours à
tirer avant la Quille), je n’eu aucune peine pour m’associer à leur liesse.
La tradition voulait que ce Père Cent en réalité une quille dans un cercueil donne lieu à un
simulacre d’enterrement,avec l’envoi d’un faire part aux familles ainsi que l’organisation d’un
défilé autour de la cour avec Quille géante en tête, suivit d’un repas au foyer et de grandes
beuveries. Où l’on pouvait entendre le cœur des traditionnelles chansons de troufions.
Celles de la Quille qui disaient :
“Une famille de bleus bites, n’ayant rien pour se chauffer, ils chièrent sur la table et se
chauffèrent à la fumée. Tiens voila la quille, c’est pas pour les Bleus non de dieu, tiens voila
la quille c’est pour les anciens non d’un chien“ et qui finissait par “ La quille viendra, les
Bleus resterons pour laver les gamelles, la quille viendra les bleus resterons pour laver les
bidons“.
Suivit du répertoire des chansons paillardes du folklore militaire ou il était question des
testicules d’un Curé de Camaret qui pendaient, du Duc de Bordeaux qui ressemblait à mon
Cul ou entre Nantes et Montaigu il fallait qu’Alice lève la cuisse pour que ça glisse entre
autre. Ou encore les testicules du Grand Père qui se desséchaient pendues dans l’escalier au
grand désespoir de la Grand-mère,etc,etc…. Nous eûmes droit le soir à la sonnerie du couvre
feu en fantaisie par les anciens de la musique, ce qui était absolument interdit.
Mais ce départ qui pour eux approchait, en signifiait un autre pour nous. Après avoir été les
bleus nous allions dans quelques temps être les Pierrots (6 mois d’armée) et accueillir une
nouvelle vague avec ses angoisses et ses interrogations
Entre temps nous avions changé de chef de Compagnie. Un Lieutenant bigleux et arriviste
marié à une Héraultaise avait pris la relève. Parfois dans pareil cas, il arrive que l’on constate
qu’on a échangé une pute pour un voleur.
Par contre, je ne sais pas ce qu’il faut dire, lorsque celui qui part n’est ni l’un ni l’autre mais
que celui qui arrive est les deux à la fois. Bref ! Ça ne présageait rien de bon pour la suite.
Heureusement que le départ des anciens avait libéré des postes, et qu’il fallait les remplacer.
Le Sergent chef responsable de l’administration et de l’intendance, m’appela un jour et me
demanda si je voulais travailler avec lui au bureau en qualité de Planton chargé de la liaison
avec les autres compagnies y compris celles du 1er Bataillon qui était en ville à l’autre
caserne et de tenir à jour le registre départ ou arrivé du courrier. Je serais doté d’un vélo et
pourrait circuler librement pour remplir mes missions. Comme ça ne coûtait rien d’essayer
j’acceptais, et me voici en bureaucrate a sillonner les rues de la ville sans personne pour me
contrôler. Plus de corvées, moins de gardes et d’obligations sauf pour le piquet d’incendie. Ce
travail m’allait comme un gant et pendant quelques temps, je me fis un peu oublier.
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Cela ne m’empêcha pas de continuer de faire du sport et d’organiser avec les collègues des
tournois de foot.
Ce qui me valut d’ailleurs l’annulation de mon interdiction de marche de plus de 10 kms.
Chassez le naturel….il revient au galop !
Tout allait pour le mieux, et je me la coulais douce, jusqu’au jour ou un collègue me demanda
un service que je rendais régulièrement. Sa permission de minuit avait été refusé, alors qu’il
avait un rendez vous. Possédant les clefs, j’avais accès aux imprimés et aux tampons.
Suivant une technique dite de la transparence, enseignée par mon propre chef de Bureau,
j’imitais la signature du Lieutenant et lui refilais une permission de minuit avec le cachet de la
Compagnie plus vrai que nature. Mais voila que cet abruti au lieu de rentrer à l’heure, se fait
contrôler par la patrouille à plus de 2 heures du matin. Or, pris pour pris, alors qu’il aurait du
assumer une sortie sans permission, il exhiba la fausse qui lui fut confisquée.
Quand le rapport arriva sur le bureau du Lieutenant, ce dernier s’aperçu qu’elle ne figurait pas
sur la liste des permissions qu’il avait accordé et signé.
Ce fut l’enquête et le scandale ! Mais comme nous n’étions que deux à avoir accès aux clefs
du bureau et ne voulant pas faire porter le chapeau à mon collègue, j’avouais spontanément
être l’auteur de cette fausse permission.
Ma carrière de bureaucrate militaire s’acheva ainsi et je me retrouvais en prison pour 30 jours
dont 15 de cellule.
C’était reparti mon Kiki.
Et la sexualité dans tous ça !
Bien sur que l’on y pense, surtout au sortir de l’adolescence période de la vie ou la
testostérone provoquent naturellement des érections qui vous pousse vers le désir.
Il y a plus de 50 ans, les moeurs et la sexualité n’étaient pas aussi avancés, et les filles pas
aussi libres et averties que celles d’aujourd’hui. La peur du ballon comme on disait incitait les
mères a veiller. Cela n’empêchait pas certaines de se faire avoir, mais si elles étaient épousées
ce n’était que demi mal .On flirtait certes mais pour le passage à l’acte, on rencontrait
beaucoup de réticences. Contraception et préservatifs n’étaient pas à la mode. Bien sur il y
avait quelques exceptions, mais en général il fallait aller se soulager dans des établissements
spécialisés à savoir les bordels à condition d’avoir de l’argent.
Avant la guerre,il y avait “Mon rêve“ en bordure du Vidourle .Le bombardement du Pont de
Lunel le 24 Avril 1944 le détruisit avant que Marthe Richard les fassent tous fermer en 1947.
Mais il en existait encore dans des cafés clandestins. Le plus prés et le plus connu de la région
était le sordide café de la Gare d’Aigues Mortes de la Mère Tapedur et quelques uns à Nimes.
A 20 ans, on est à un tournant où l’on croit tout savoir sur le sujet et où il est difficile
d’avouer son inexpérience. Je n’étais plus puceau mais je dois reconnaître sans honte que mon
expérience sexuelle était relativement limitée. Le désir et l’envie n’en étaient pas moins là.
Cependant, quand on est 2ème classe sans le sou, et dans un pays étranger dont on ignore la
langue, il n’est pas facile de trouver une femme ou une fille qui acceptera de se faire sauter
sur un banc ou contre un arbre a la sauvette.
Je cherchais bien l’oiseau rare en fréquentant les petits bals de la ville ou celui du foyer, au
cours de mes rares permissions de minuit, mais la plupart des filles étaient déjà prises.
Il y avait bien celles qui venaient roder autour de la caserne, mais malgré que le SIDA ne soit
pas connu, il y avait quand même de grands risques de blennorragie (chaudes pisses). Comme
elles acceptaient difficilement de faire des fellations ou alors hors de portée de nos bourses.
9
On devait se contentait de masturbations négociées au rabais. Sinon on devait se servir soi
même dans un coin tranquille, si l’on ne voulait pas se retrouver avec des cartes de France
dans les sacs de couchage ou les slips.
Quand on bloque le naturel……il ressort au galop !
Dans le contingent, il y avait un Parisien dessinateur de mode très efféminé qui était homo et
le revendiquait.
Le pauvre souffrit pendant 6 mois au milieu de tous ces jeunes mâles qui ne voulaient pas de
lui. Mais il était tellement gentil et serviable que l’on pardonnait ses manières féminines lors
des exercices physiques et chacun l’aidait. Pour les longues marches, ou il souffrait il y avait
toujours une âme charitable pour prendre son fusil et le soulager. En échange il proposait
spontanément de repasser des pantalons ou des chemises. Son calvaire sexuel s’arrêta avec
l’arrivée des bleus car dans le lot, il y avait un charmant blondinet qui était pianiste. Ils se
reconnurent du premier coup d’œil et formèrent un couple inséparable.
Quand les grands esprits se rencontrent en taule !
Avec le cousin Jacques Trinquier, nous nous écrivions de temps en temps. Un jour qu’une de
mes lettre commençait par. Tu ne devineras pas d’où je l’écris ? de la taule ! Je recevais une
réponse quelques jours après avec en tête : Tu devinera pas d’où je te réponds ? de la taule !
Ainsi donc, lui, aussi avait des emmerdes avec sa hiérarchie. Un beau jour, oh ! Surprise, je le
vois arriver dans notre chambre.
Il était venu à Constance pour un stage de perfectionnement pour les transmissions. Nous
passâmes plusieurs semaines ensembles à hanter le foyer.
Je pu constater au passage que sa passion pour le poker et autres jeux d’argent n’avait pas été
éteinte par le service militaire. Il continuait à taper le carton ! C’est d’ailleurs une des rares
choses sur laquelle nous avons toujours eu des divergences mais qui n’ont jamais altéré notre
grande amitié.
La vie militaire étant devenue routine, continuer de la raconter en détail
m’exposerais aux redites .J’ais donc extrait pêle-mêle de mes souvenirs,
quelques anecdotes qui m’on parut le plus dignes d’être narrées.
La mort de Joseph Staline :
Le 5 Mai 1953 en fin d’après midi avec 5 camarades, un chef de poste et un clairon, nous
avions, suivant un rite journalier, relevé la garde à l’entrée de la caserne. Le lendemain 6 Mai
je me trouvais de bon matin devant le poste d’entrée à la chaîne du passage des véhicules au
pied du bureau du Chef de Bataillon. Notre chef de poste avait ce jour là reçu l’ordre de hisser
le drapeau en berne, c’est à dire à moitié mât en signe de deuil national. Arrive alors à pied le
Capitaine Chef de musique que la sentinelle salue en lui présentant les armes.
En face, une fenêtre s’ouvre et je vois apparaître la tête de l’Adjudant-chef de bataillon un
Catalan qui roulait les R.
Ce Capitaine s’arrête et d’un ton goguenard lui demande : “Mon Adjudant Chef, le drapeau là
en berne, c’est pour Joseph ? De sa voie rocailleuse ce dernier lui répond : “Et oui mon
Capitaine ! Mais vous savez bien que nous sommes à une époque ou l’hypocrisie règne ! “
Je n’ai jamais oublié cette phrase, qui me fera comprendre plus tard, pourquoi il n’était pas
bon d’affirmer des idées Communistes ou simplement d’être soupçonné de sympathie pendant
cette période d’après guerre dans l’armée française.
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2 Juin 1953 ou l’enfer de ma dent de sagesse :
Vers la mi Mai 1953, je me lève un beau matin avec un joue gauche énorme,qui me déforme
le visage et qui m’empêche de desserrer les dents, donc d’ouvrir la bouche. C’est une fluxion
dentaire provoquée pas ma dent de sagesse.
Ca ne me fait pas mal, mais il m’est impossible de manger. Dans la caserne il y a un dentiste
allemand qui a un cabinet. Je vais le consulter, et il me dit qu’il faudra enlever cette dent de
sagesse, mais qu’il faut attendre la réduction de la fluxion. Il me préconise des rayons.
Chaque matin je me rends à son cabinet ou son assistante me branche une lampe sur la joue.
La fluxion diminue très,très lentement. Au bout de 15 jours, mes dents commencent à se
desserrer et il décide alors de me l’enlever.
Nous sommes le 2 Juin 1952, jour de ma majorité (21 ans) et jour également ou l’actuelle
Reine d’Angleterre reçoit sa couronne. Piqûre pour endormir la partie et première tentative.
Ma bouche qui s’ouvre à peine gêne le passage de la pince.
Il doit prendre appui sur la grosse molaire, mais il force tellement en faisant levier, qu’il la
casse ras de la gencive. Il réussi quand même à extirper la dent de sagesse mais il me dit qu’il
ne peut pas laisser le chicot de la molaire. L’effet de l’anesthésie initiale s’étant atténué il faut
une autre piqûre et finit quand même par l’enlever.
Résultat, deux énormes trous sanguinolents côte à côte qui m’obligeront à des bains de
bouches journaliers pendant au moins un Mois.
Où la manoeuvre à tirs réels manque de tourner au drame.
Nous avions embarqué les canons sur un train, pour aller faire des exercices de tirs réels sur le
petit champ de tir de Münsingen (Bade-wurtemberg). Notre batterie s’était installée à l’orée
d’une forêt. Mais au départ,seule notre pièce N° 1 ,baptisée directrice tirait pour régler les
coordonnées,en liaison avec le PC ou se tenait le Lieutenant qui donnait les ordres pour le
réglage afin de toucher la cible (un vieux char) située à environ 2 kilomètres. Il faut savoir que
la charge d’un obus de 105 pour un maximum de portée est constituée de cinq sachets de
poudre. Ce jour là, vu la distance de la cible, trois sachets (charge 3) y suffisait. Il fallait donc
qu’a chaque obus tiré, l’artificier retire deux sachets qui seraient comptabilisés à la fin du tir
et détruits.
Tout allait pour le mieux, car après une vingtaine d’obus tirés, par notre pièce directrice la
cible avait été touchée, et tous les autres canons pouvaient s’aligner sur les mêmes
coordonnées pour le tir en batterie. Pendant la salve, malgré le bruit d’enfer, il me sembla
qu’un départ était anormal. Une détonation beaucoup plus forte, et surtout la glissière de recul
anormalement positionnée. Après l’exercice, à l’inventaire des charges, il nous manquait deux
sachets par rapport aux douilles tirées. Mais le tir global ayant été une réussite nos chefs
étaient contents et nous avions eu droit aux félicitations.
Mais le soir, il y eu un autre son de cloche qui aurait pu être un glas. Le bourgmestre d’un
petit village en limite du champ de tir avait saisi les autorités militaires, car un obus avait
éclaté à une cinquantaine de mètres d’une famille de paysans qui ramassait son foin dans un
champ.
Nous comprîmes vite que c’était notre artificier qui s’était trompé et que le fameux obus qui
avait dépassé les limites du champ de tir était le résultat des deux sachets manquants. Le tir
incriminé avait été effectué avec une charge 5 au lieu de 3 venait bien de notre canon.
Tous les sachets de poudre excédentaires ayant été détruits, la hiérarchie fut dans
l’impossibilité de cibler la pièce responsable et l’affaire en resta là.
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Deux permissions en trois mois. Je peux respirer !
Le temps passait, et cela faisait presque 1 an que j’étais là. Tous les copains de la classe
avaient eu déjà au moins une permission que l’on me refusait obstinément.
Les vendanges et surtout la fête de Marsillargues approchant, je fis demander par mon Père
une attestation de la Mairie pour une permission agricole au mois d’Octobre. Je débarquais
enfin en pleine nuit ou au bout de la rue j’entendis un miaulement. C’était la chatte de la
maison qui malgré 11 mois d’absence avait reconnu mon pas et était venue m’accueillir la
première .C’est cette fameuse année ou l’on enleva au coin des halles des amphithéâtres pour
faire échapper les taureaux de Reynaud et de la fameuse galère du Pont Boulet avec la police
municipale ou les képis volèrent.
Notre bande fut convoquée et tancée par le Maire L Diot qui nous demanda de nous calmer,et
ou l’Adjoint René Fériaud le Tambour me déclara qu’il regrettait d’avoir signé l’attestation
pour l’obtention de ma pseudo permission agricole.
Je restais donc 20 jours au Pays, ou chasseur, je pu me rendre compte des dégâts de la
myxomatose qui avait au Printemps anéanti la quasi totalité des lapins de garenne. Mais
franchement cette coupure me fit du bien.
Les choses n’avaient guère évolué dans ce merdier militaire lorsque je rentrais fin Octobre !
Toujours le même traintrain, sauf que bientôt une deuxième page allait se tourner. Ceux qui
nous précédaient allaient avoir à leur tour la quille, avec toujours la même joie et la même
fête.
Fin Novembre, nous voilà Anciens. C’est le moment ou la hiérarchie militaire choisi de
remplacer les canons de 105 par des mortiers lourds motorisés. Le 24 Novembre 53 la
Compagnie de Canons d’infanterie (CCI) deviens la Compagnie de mortiers lourds (CML)
En prévision de grandes manœuvres inter alliés début 1954, les ordres supérieurs sont donnés
pour solder toutes les permissions avant le 1er Janvier. Comme il me reste mes 27 jours
normaux, je repasse donc la frontière pour Marsillargues vers le 3 Décembre. Ce qui me
permet de passer les fêtes de Noël au pays et d’aller aider Gérard Lacroix, mon beau frère à
rentrer les sacs de riz de sa récolte en bordure du Vistres à St Laurent d’Aïgouze vers
Portviel.
Lorsque je rentre fin 1953, il ne reste en principe que quelques mois à tirer pour la
classe 52/2.
Quand l’exercice de mobilisation foire lamentablement !
Notre Lieutenant à la recherche de sa troisième barrette (et même plus car les bruits couraient
qu’il visait l’école de guerre) proposa à la hiérarchie de faire avec sa compagnie un exercice
de mobilisation. Proposition acceptée ! Nous assistâmes alors à du jamais vu dans le contrôle
des éléments des paquetages et du matériel, (sacs, couvertures, tentes etc.) pas un bouton de
guêtre ne devait manquer. C’était vraiment chiant ! Quand au parc motorisé, tous les
véhicules furent lavés et astiqués pour être alignés autour de la caserne, et prêts à partir pour
être inspectés.
Le jour J, le Général et son aréopage arrivèrent. Le moindre détail ayant été traqué,notre
Lieutenant l’invita à faire une inspection sur les hommes. Malheureusement pour lui , ce
dernier lui répondit que ce n’était pas cela qui l’intéressait et que le plus important était l’état
de marche du matériel et du parc de véhicules. Il lui demanda de les faire mettre en route,de
les sortir de la caserne et de les aligner sur l’avenue.
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Mais comme pour beaucoup il avait fallu les pousser pour les sortir du garage et les amener
sur place, une petite moitié seulement put se mettre en marche. Ce fut pour notre Chef un
véritable camouflet ! Nous apprîmes le lendemain par la bande que son fayotage avait été la
risée de toute la hiérarchie au mess des officiers.
Au rassemblement quotidien du lendemain, je lui posais une perfide question, en lui
demandant s’il avait été content de nous ? Cette question déclancha sa colère .
Quand la religion et l’armée font bon ménage !
Un beau jour au cours d’un rassemblement une trentaine d’entre nous, sont sélectionnés pour
une mission particulière. L’Archevêque de Paris qui est aussi celui des armées un certain
Cardinal Feltin, était venu en visite et devait dire une messe à la cathédrale de Constance. Il
fallait une garde d’honneur pour le recevoir et le saluer.
On nous donna des gants, des ceinturons et des guêtres blancs et nous nous payâmes un pas
cadencé jusqu’au parvis de la cathédrale, ou nous attendîmes qu’il arrive pour les honneurs
avec la musique qui était aussi présente. Le tout se termina par un défilé en ville, un jour de
quartier libre et un repas amélioré.
Foncièrement athée et anti- clérical c’est une corvée dont je me serais bien passée.
Quand une marche disciplinaire se termine en autobus !
Tous les anciens, pour avoir oser chanter l’Internationale, sommes condamnés à effectuer une
marche disciplinaire de nuit avec le paquetage complet sous le contrôle d’un Sous Lieutenant
champenois de notre classe qui lui bénéficie d’une jeep. Mais ça l’emmerde tellement de
passer sa nuit, qu’il nous insulte et même nous menace copieusement avant le départ.
Sur le coup de 22 heures nous voila partis sac au dos et pédibus dans la nuit à travers les
forêts pour une cinquantaine de bornes .Vers minuit, un 4x4 nous porte du café chaud et
prenons un peu de repos. Mais sur le chemin du retour voici que la jeep de notre chef, manque
un virage et se retrouve disloquée et bloquée dans un profond fossé.
Privés de Chef et de contrôle, notre troupe de bras cassés arrive en désordre au lever du jour
dans la banlieue de la Ville. Notre colonne passablement étirée, nous étions 5 ou 6 à traîner en
queue. C’était l’heure ou les premiers bus de la ville commençaient leur service. Nous faisons
signe au chauffeur qui s’arrête, et pour quelques pièces de monnaies, nous voici embarqués.
C’est ainsi que nous arrivons triomphalement les premiers à la caserne. Quand à notre Sous
lieutenant, la justice immanente l’avait puni de nous avoir insulté et menacé .Ca lui sera
d’ailleurs rappelé dans son quatrain du Père Cent dans ces termes ! “Digne et puissant, venu
de champagne, il nous menaça de castagne, mais le bon Dieu pour le punir, dans un fossé le
fit atterrir“.
Encore cent jours à tirer
Début février, voici enfin arrivé ce fameux Père Cent. Nous préparons donc le traditionnel
faire part ou nous avons l’immense joie de signaler à nos proches la perte cruelle mais
heureusement irréparable de notre vénéré parent et ami Aymond Percent décédé à la suite
d’une longue maladie de 447 jours causée par sa déportation autre Rhin.
Le 17 Décembre 1953, René Coty ayant remplacé Vincent Auriol à la tête de la République,
en tête du faire part, nous changeons le slogan de régiment “Qui s’y frotte s’y pique“ par
“Quille vite si Coty veut“ . Ce vœu pieux ne sera pas bien sur exaucé. Pour ce qui restent, je
compose aussi quelques vers intitulé Myosotis (l’espoir dans le langage des fleurs).
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“O vous qui rester à l’Armée,avec l’âme pleine d’espoir,ne soyez donc pas alarmés, d’ici peu
de ne plus nous voir .Pierrots dans votre espérance,et Bleus dans votre souffrance,vous
devrez garder dans vos cœurs,l’image de vos prédécesseurs“.
S’y ajoutaient une liste de 24 phases de notre vie militaire comparées à des films de cinéma.
Quelques exemples : la 52/2 = Elle n’a dansé qu’un seul été. Le réfectoire = La table aux
crevés .La paye = La ruée vers l’or .La piqûre = La grande corrida. Le décrassage = Les
démons de l’aube. L’infirmerie = L’auberge rouge. L’appel des punis = Pour qui sonne le glas
.Le train de la quille = Un tramway nommé désir. Après le service =Amours délices et orgues
et évidemment pour chaque quillard un petit quatrain résumant son parcours et son caractère.
Je fus chargé de mettre en vers le plus gros de l’inventaire aidé seulement par quelques
Sergents qui se chargèrent d’en composer quelques uns et en particulier le mien.
Ils me résumèrent ainsi : “C’est en Camargue qu’on l’a vu naître, fort en gueule il à le sang
chaud, de la plume c’est lui le maître, supporte la taule avec brio“.
Bien sur, nous fîmes une grande fête avec l’enterrement, le défilé traditionnel, le banquet au
foyer, et les chansons à boire et paillardes plus un concert improvisé ou avec un groupe,
accompagné par le martiniquais Chabrol (un pierrot) à la guitare nous allâmes avec notre
youyou de bois de Miami jusqu’aux Antilles et entendîmes parler d’une corrida ou à la fin on
mangeait la bavette de la bête que le matador avait tuer comme un butor.
Je lu également aux Copains, un pamphlet de ma composition dont voici le texte :
La semaine de Daumas :
Si je suis venu à l’armée, ce n’est pas croyez moi de mon plein gré,
Et si souvent je fais le con, c’est qu’il n’y a pas d’autres distractions
Quand mon Adjudant par mégarde, un beau Lundi me met de garde,
Il s’arrangera pour que Mardi, je sois de renfort de nuit.
Si le Mercredi, par hasard,je suis pas sur ses papelards,
Ne croyez pas qu’il a fait exprès, il m’a simplement oublié.
Le Jeudi je suis pas de service, je suis content et me dit y a bon !
Mais le Lieutenant qui me visse, Permission pour Daumas ? Pas question !
Le Vendredi, un jour de chance, je sens en moi naître l’espoir,
Mais pour briser cette espérance, piquet d’incendie ce soir.
Le Samedi, oubliant mes déboires, je fais le mur sans permission,
Dans le gastauff voisin je vais boire, et me saouler comme un cochon.
Parce que je sais que le Dimanche, je prendrais la garde évidemment
Car je ne suis pas dans la manche, des gradés de mon Régiment.
A la fin de mon service je totaliserais 198 jours de prison dont 80 de cellule
Soit 6,6 mois sur 18. Pour la cellule, je n’ai fait physiquement que 10 jours réellement
enfermé.
Le tribunal du Conseil de discipline :
Le 17 Mars 1954, dans une salle de la caserne Driant, devant un aréopage d’une douzaine de
Galonnés et d’Etoilés (Officiers supérieurs et Généraux) je comparaissais pour être puni de
mon indiscipline. Mon fameux Lieutenant en était le procureur. 54 ans après ses propos
raisonnent encore dans mes oreilles.
S’adressant aux membres du Conseil disciplinaire, il déclara plein de haine : Messieurs, vous
avez devant vous un salopard ! Un communiste anarchiste, meneur qui n’a jamais cessé de
dénigrer et de cracher sur notre institution militaire et qui a récolté prés de 7 mois de prison.
Je vous demande pour lui la plus grande rigueur dans votre décision.
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Quand le Général 2 étoiles qui Présidait, me demanda si je n’avais rien à ajouter à ces propos
qui en fait était un réquisitoire, je lui répondis en haussant les épaules. “ Mon Général, faites
ce que vous voudrez ! De toute façon, sachez que quoique vous décidiez, je m’en fous (sic) “
Par décision Régimentaire N° 17 se sera 30 jours de maintien au Corps du 15 Avril au 15 Mai
Je rentrerais donc un mois après les autres. Ce ne fut pas une surprise car je m’y attendais.
Manœuvre inter allié Renard :
A cette époque nous étions soi-disant menacés par un péril rouge. Il s’agissait donc de mettre
en place des dispositifs pour éviter que les chars russes envahissent le reste de l’Europe. La
République Fédérale Allemande ayant accepté le Plan Marshal, le pays se redressait à la
vitesse grand V et en 1954, il n’y avait pratiquement plus de ruines sur son territoire.
Cette manœuvre était destinée à coordonner les forces militaires d’occupation de l’Ouest
l’OTAN depuis 1949 (Que De Gaulle quittera en 1966) contre celle des Pays de l’Est. (Qui
signerons le Pacte de Varsovie le 14 Mai 1955).
On jouait donc à la guéguerre et chaque camp avait un fanion de couleur .Ceux de l’ennemi
présumé étaient évidemment rouges et les nôtres verts, couleur de l’espérance. (Hum !)
Notre Compagnie était partie fin Mars en train vers le lieu qui nous avait été désigné en pleine
Forêt Noire.
Transférés dans des camions qui nous attendaient à la gare,nous longeâmes la vallée du
Danube, passâmes à côté du célèbre Château de Sigmaringen,ou se réfugièrent Pétain et sa
clique en 1944, et arrivâmes à pied d’œuvre au sein de cette magnifique forêt Noire .
En fin de matinée, nous marchions déployés, attendant de rencontrer un ennemi fictif donc
invisible.
Arrivés prés d’une sablière en bordure d’une rivière, peu profonde mais assez large, notre
chef de section nous commanda de traverser le gué à pied. Sans bottes il fallait se mouiller au
moins jusqu’au genoux et tremper chaussures en cuir, chaussettes, guêtres et bas du treillis,
puis continuer à marcher. En Mars il ne faisait pas chaud !
A 200 mètre à l’aval il y avait un Pont. N’ayant pas l’intention de me mouiller les pieds,
j’allais faire le tour et me hâtais de rejoindre les autres qui marchaient déjà dans le pré. Je
venais à peine de les rejoindre quand notre Lieutenant arriva en trombe en Jeep et nous dit :
Il faut rentrer au camp car la manoeuvre est fini pour votre section. Quand vous avez traversé
la rivière a gué au niveau du silo il y avait un bombardement, vous êtes tous morts !
Je lui dit alors : Mais moi qui suis aller faire le tour au pont je suis toujours en vie ! Qu’est ce
que je fait ? Je continue tout seul ?
Si ses yeux de vieille chouette sous ses grosses lunettes avaient été des pistolets alors là oui, je
crois que je serais mort réellement !
La leçon d’un futur curé !
Les anciens partis, on nous désigna comme chef de chambrée un Caporal frais et moulu de la
53/1 qui était Séminariste, un pur ! Chaque soir dans son coin il allumait son cierge et faisait
sa prière. Il se trouve que notre chambrée était occupée par le noyau dur des Anciens de la
compagnie. La réputation de notre groupe en matière d’indiscipline n’était plus à faire et le
nombre de jours de taules que nous totalisions était impressionnant.
Forts de notre statut d’anciens,et au nom de je ne sais quel illogisme,qui finalement s’avéra
n’être que de l’orgueil mal placé, nous avions décidé de ne pas prendre notre tour de
roulement pour le nettoyage journalier obligatoire de la chambre dont la liste était affichée sur
la porte.
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Mais il y avait des inspections fréquentes et inopinées, et, en cas de laisser aller c’était le
responsable du jour qui était sanctionné.
Pour ne pas avoir à nous dénoncer, et voir l’un de nous puni, chaque jour sans un mot, il
prenait le balai et faisait le rangement. Cela dura bien 15 jours et fini par nous mettre mal à
l’aise, car on à beau jouer les durs, il vient un moment ou l’on se pose des questions ?
C’est d’ailleurs ce que nous fîmes, et, après concertation, nous décidâmes à l’unanimité de
prendre normalement notre tour de nettoyage. Je n’ais jamais vu quelqu’un de plus heureux
que notre futur Curé,qui sans dire un mot,nous avait donné une leçon d’humilité et surtout
d’intelligence en mettant simplement ses actes en accord avec sa philosophie chrétienne.
Face à la tartuferie et l’hypocrisie qui règnent dans les milieux religieux, il est sain de
constater que dans le nombre il existe heureusement des exceptions parmi les chrétiens.
Mon cher Curé quand tu mourras, quand le croque mort t’emporteras, qu’il te conduise à
travers ciel au Père éternel.
Le grand départ :
Vers la mi Avril, notre classe 52/2, qui n’avait dansé qu’un seul été en Allemagne allait
retrouver la vie civile et chacun sa région natale.
Il s’il n’en restait qu’un, comme celui qui 78 ans av JC dans les Châtiments de Victor
Hugo,avait braver le Général Sylla ,seul de la Compagnie à ne pas avoir reçu le Certificat de
bonne conduite,seul à se morfondre encore un mois , j’étais bien sur, celui là !. Dire que je
n’ais rien ressenti, lorsque mes collègues en civil franchirent le portail de la Caserne serait
mentir car j’avais la gorge bien serrée.
Mais les images de camaraderie et d’amitié défilaient devant mes yeux et je repensais à ces
rassemblements amicaux dans les chambrées ou au foyer et à tous ces échanges en sirotant
une bière, qui nous avaient fait connaître la France profonde, les coutumes et les traditions de
ses diverses régions.
Comment ne pas avoir aimer les histoires de ces mineurs Chtimis ou Cévenols, travaillant au
fond de la mine depuis l’âge de 14 ans quand ils nous parlaient de la bataille du charbon, des
grandes grèves de l’après guerre et de la solidarité de la profession. Ceux du Nord et de cette
vie conviviale dans les corons popularisés plus tard par Bachelet. Quand ils nous chantaient
ces airs ou ils prenaient sbarett ,sapik et shache (barrette,Pic et hache)pour aller faire du
carbon (charbon),ou quand ils demandaient a leur gros lapin de Ptit Quiquin en chagrin de
dormir.
Celles de ces Normands fiers de leurs vaches laitières, de leur cidre et de leurs fromages, qui
attendaient de voir reverdir leurs bocages et leurs vertes prairies pour aller revoir leur pays
lorsque l’hiver serait loin d’eux.
Celles des Bretons, rois du beurre salé et du calvas avec leurs légendes de farfadets sur les
landes, leurs falaises sauvages et qui prétendaient dans leur chanson que leur province était
plus belle que l’Espagne et que Venise. Sans oublier le courage de leurs rudes pêcheurs sur
l’océan. Bien loin de l’image désuète de Bécassine.
Celles des Auvergnats,leurs montagnes et leurs Puys ou ils avaient laissé leurs cœurs parmi
les bois les vallées fleuris et qui nous dansaient leur bourrée en nous faisant manger des cèpes
et des châtaignes
Celles des Alsaciens, amateurs de choucroute ,buveurs de bière ,de Riesling et mangeurs de
bretzels qui saluaient chaque année le retour des cigognes sur leurs cheminées et dont la
province avait souvent provoqué des conflits territoriaux et des problèmes de choix souvent
dramatiques pour ses ressortissants.
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Celles des Parisiens qui nous racontaient Montmartre, la Place du Tertre, ses peintres et ses
cabarets .Saint Germain des Prés ses poètes, ses existentialistes et ses travellos.
Qui nous chantaient les coquelicots de Mouloudji ,les chansons de Boris Vian de Prévert et de
Juliette Gréco. Sans oublier Pigalle et le Moulin rouge.
Celles de la côte d’Azur, de son soleil, de la Grande bleue et des flambeurs dans les casinos.
Le Massif des Maures et ses garrigues avec ses grives, ses gluaux et ses tendelles sans oublier
le Pastis et le ratafia.
Celles de l’Occitanie, de mon Languedoc avec ses océans de vignes et ses caves. La Grande et
Petite Camargue, ses taureaux sauvages, ses petits chevaux blancs, ses flamants roses, ses
lagunes, ses plages, ses champs de riz et sa Coupo Santo.
Celles de la Martinique enfin, ou il ne restait que des pleurs quand l’amour s’en était allé.
Tout au long de ces 18 mois, tous ces récits épiques et nécessairement enjolivés, toutes ces
chansons et ces conversations dans lesquels nous avions baigné, nous avaient permis de
mieux connaître notre pays et les moeurs et traditions de presque toutes les régions.
Oui ! Je pense sincèrement que ce sont ces rencontres et ces échanges qui
furent les seuls et rares rayons de soleil de mon expérience militaire.
Ultime protection contre la haine !
Le commandant de Bataillon, ayant pris la mesure du degré de haine qu’éprouvait à mon visà-vis mon Lieutenant, me fit convoquer pour me dire sans détours : Daumas, si je vous laisse
dans votre compagnie, dans 6 mois vous serez encore là ! C’est pourquoi j’ai décidé de vous
prendre sous ma responsabilité directe.
Chaque jour après le lever, présentez vous au bureau de l’Adjudant-chef de Bataillon qui vous
donnera une occupation pour la journée. Vous dépendrez de lui pendant tout votre mois de
maintiens au corps. Si vous voulez, même chaque jour des permissions de sortie de Minuit, il
vous les signera ! Enfin un gradé intelligent qui avait été capable d’analyser une situation !
Tout se passa donc pour le mieux en tondant les pelouses, peignant des bordures et faisant
quelques trous pour planter des arbres dans la cour de la caserne. Quelques temps après,
quand les nouveaux bleus arrivèrent, j’eu le privilège d’être le super ancien de la caserne,
regardé un peu comme une bête curieuse.
Je recevais bon nombre d’invitations pour des pots au foyer ou je répondais aux interrogations
de ces nouveaux et les mettais en garde des pièges à éviter. J’avais l’impression, pas du tout
désagréable d’être un patriarche racontant des histoires à ses petits enfants.
Mais tout ayant une fin, j’arrivais sans nouvelle embûche au terme de mon mois de rabiot.
Je récupérais mes habits civils,et le 15 Mai 1954,avec ma valise en bois (héritée de mon
cousin Gustave)je sortais de cette caserne pour aller prendre le train non sans m’être retourné
devant le poste de garde, pour faire un bras d’honneur dérisoire, en criant je vous emmerdes !
Ce dernier salut pouvait paraître risible et désuet, mais il m’avait soulagé.
Au travers de ce séjour forcé, je pu méditer plus tard sur la justesse de la citation d’Yves
Gibaud qui dans la préface de son célèbre pamphlet anti- militariste Allons Enfants affirmait
que l’Armée avait toujours été le refuge des esprits de troisième ordre.
Quelques heures plus tard, je passais la frontière à Kehl et rentrais en France sans me douter
de ce qui m’attendais quelques mois plus tard.
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Deux années passèrent. Avec du travail précaire, une vague de froid sans
précédent, la maladie de mon Père et ma rencontre avec ma future épouse.
Après l’Indochine le monde politique était cependant agité par de grands
bouleversements en Algérie.
Quand la colonisation nous rattrape !
Un peu d’histoire s’impose :
Depuis 1946, la France s’était embourbé dans une guerre en Indochine avec un corps
expéditionnaire de prés de 240.000 Hommes. Après le désastre de Dien Bien Phu, le
gouvernement avait du signer en 1954 les Accords de Genève, consacrant l’indépendance du
Laos et du Combodge et créant la République du Viet Nam. En 1955, nos troupes furent
retirées avec un bilan de 40.000 tués, 70.000 blessés et 9.000 disparus.
Les français partis, suite à une élection tronquée avec la complicité des Américains, une partie
de la population vietnamienne se souleva et ce combat déboucha sur la partition du pays suivit
de l’entrée en guerre de l’Amérique. Jusqu’en 1973, ce conflit meurtrier et ses atrocités
commises sur les civils laisseront des traces aux USA dans la tête des combattants. Car
contrairement à la France des appelés de la conscription y avaient été engagés.
Les Américains partis, les Vietnamiens dans un ultime combat réunifieront le pays en 1975.
Sitôt sortie de ce bourbier Sud Est asiatique, c’est en Afrique du Nord que tout commença.
Depuis 1830, la France ayant conquise par la force l’Afrique du Nord, occupe militairement
l’Algérie, le Maroc et la Tunisie qui sont ses colonies.
A partir de 1947, l’Algérie devient un Département Français. La Tunisie et le Maroc eux, ont
un statut de Protectorat sous domination étrangère : Française pour La Tunisie, Française et
Espagnole pour le Maroc. (En fait un colonialisme qui ne dit pas son nom !.)
Le 2 Mars 1956, pour le Maroc, des accords mettent fin au Protectorat Français et le 7 Avril
1956 à celui de l’Espagne.
L’indépendance de Tanger, jusqu’alors sous statut international, sera donnée le 21 Octobre
1956. Par ce fait, tous le Maroc sera définitivement indépendant.
Le 20 Mars 1956, c’est au tour de la Tunisie d’accéder à cette indépendance.
Ces décisions pourtant logiques vont contribuer à envenimer la situation en Algérie qui est
resté un Département Français, ou de surcroît on a trouvé du Gaz et du pétrole dans le soussol. La France veut profiter de cette manne et ne souhaite pas la voir tomber entre les mains
des Américains ou des Anglais et encore moins des Algériens eux-mêmes.
Il faut savoir que ces derniers, pourtant ultra majoritaires ne sont pas égaux en droits civiques
et leur grande majorité est exploitée et traitée comme moins que rien.
C’est un sous-prolétariat d’ouvriers pour les quelques industries et surtout pour les immenses
domaines, propriétés de colons dont la plupart ne viennent pas de France mais d’Espagne,
d’Italie, de Malte etc.
Les Algériennes elles, sont un réservoir de boniches, qui pour quatre sous, travaillent pour
leurs femmes qui se font servir comme des princesses.
D’autres résidents français plus modestes, sont fonctionnaires, instituteurs, docteurs,
commerçants et quelques artisans qui sont venus s’implanter .Il y a aussi des familles issues
des déportations politiques. (Notre compatriote P.G Encontre avait été déporté à Constantine
après la Révolution de 1848).
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C’est cette population européenne que l’on englobera sous le vocable Pieds
Noirs et qui plus tard deviendrons des rapatriés.
Depuis 1830, la bande côtière a été modernisée, et certains gros propriétaires fonciers y ont
fait des fortunes colossales .On y a construit des voies ferrées, des écoles, des hôpitaux, des
centrales électriques etc. Mais dans l’arrière pays, la ou la terre est plus ingrate, les fellahs
(paysans) 130 ans après y vivaient encore comme au moyen âge, avec des ânes, des
dromadaires, des fermes misérables, des maisons en torchis et des puits ou on puise l’eau avec
une corde et un seau. (Pas l’électricité évidemment !)
Le 8 Mai 1945, dans la ville de Sétif, pour fêter la fin du conflit avec l’Hitlérisme une
manifestation pacifiste se déroula comme dans le reste du pays avec la participation des partis
nationalistes malgré l’absence de leur leader emprisonné. La présence d’un drapeau algérien
mit le feu aux poudres et il s’ensuivit une émeute et une répression qui dura 14 jours.
Plus de 100 européens furent massacrés. Quand aux victimes du coté Algérien nul n’a pu
encore s’accorder sur un chiffre qui varie entre 1.000 et 2.000 (et même plus !) selon les
sources. Certains n’hésitent pas aujourd’hui à considérer que ce massacre de Sétif a été l’acte
fondateur de la future guerre d’Algérie.
Il est bien connu que, quand il y a oppression et exploitation, il y a résistance ! C’est donc tout
naturellement, qu’en 1954, après la grande manifestation de la Toussaint, un Front de
Libération Nationale (FLN) se créait et se fixait comme objectif l’indépendance de l’Algérie.
Cette indépendance que ses deux voisins Tunisie et Maroc étaient sur le point d’obtenir.
Quand elle sera concrétisée Le FLN, y trouvera une logistique et se servira de ces zones
frontalières pour approvisionner leur résistance, s’y entraîner ou s’y replier.
C’est donc à partir de 1955, qu’ils déclenchèrent sur l’Algérie une vague d’attentats qui furent
le début de la lutte armée.
Face à cette flambée de violence de nombreux renforts militaires furent envoyés de France
sur place et ce fut le début d’une guerre qui ne voulut pas dire son nom pendant longtemps.
On dit que l’on veut faire la paix….mais on fait la guerre !
Le 1er Février 1956, Guy Mollet (SFIO) devient Président du Conseil (1er ministre actuel).
Son premier travail fut de se rendre sur place à Alger. Malgré sa promesse de défendre la
présence de la France, il fut fort mal accueilli par les Européens de souche et reçu quelques
tomates. Quand il revint en France, il demanda au Parlement les Pleins Pouvoirs pour régler
cette affaire soi-disant pacifiquement.
Par 465 voix contre 49 il les obtins et mit aussitôt en place le renforcement du dispositif
militaire en prolongeant de 6 mois le temps des appelés des contingents qui feront 24 mois et
certains plus encore, et rappelant pour 6 mois certaines classes de réserve dont la 52/2
démobilisée depuis Avril 1954. Les députés Communistes et progressistes se firent piéger
comme des bleus en donnant les pleins pouvoirs à un seul homme .En désaccord avec cette
escalade, les Ministres socialistes Mendés France et Savary démissionnèrent de leurs mandats.
La version officielle fut que l’on allait remplir une mission pacificatrice. Mon cul !
De grandes manifestations eurent lieu, avec des grèves, des blocages de voies ferrées et des
pétitions qui circulaient dans tous le Pays.
Dans Marsillargues presque tout le monde la signa. Seuls quelques endoctrinés de la SFIO,
dont mon Grand Père ne voulurent pas aller contre la décision de Guy Mollet et lui gardèrent
leur confiance en refusant de voir la réalité.
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Mais rien n’y fit et un beau jour de Mai 1956, avec 4 Marsillarguois dont Max Sauvery et
Jacques Trinquier de notre classe 1952/2 plus les assimilés Serge Bouisseren,(Sursitaire de la
classe 1950 marié)et André Geneste,(Ajournée de la classe 1951) nous fûmes convoqués à la
caserne Lepic de Montpellier,pour être incorporés dans le 3ème Régiment d’Infanterie Alpine
(RIA).
Pour quelques temps, je fais de la résistance !
Mon premier réflexe, fut l’intention de ne pas répondre à cette convocation qui aurait été
assimilée à une insoumission. Mais mon Père ayant eu de graves ennuis de santé et ne voulant
pas le faire inquiéter et décidais après maintes hésitations de partir avec les autres.
Arrivé à la caserne de Montpellier, je découvris que le contingent de rappelés de ce régiment,
été composé presque exclusivement de jeunes du Midi. Marseillais, Niçois, Varois, Gardois,
Héraultais etc.Des anciens copains d’Allemagne, mineurs des Cévennes étaient dans le lot.
Mais à la dotation du paquetage, des tas de mauvais souvenirs refirent surface! Je laissais
alors mes affaires militaires (bardas et fusil) dans un coin et je me tirais. Quelques jours après
les Gendarmes vinrent me conseiller fermement de rejoindre mon régiment. J’obtempérais et
me rendis à la caserne ou sans détour notre Capitaine, me fit mettre en taule. C’en est
vraiment trop ! Je demandais au chef de poste d’aller faire ma toilette dans ma chambre.
Il accepta et me fit accompagner par un jeune soldat que je m’empressais de semer dans les
couloirs. Je sautais le mur et allais faire du stop sur la route de Nîmes ou une voiture s’arrêta
aussitôt. C’est un couple qui allait à Châteaurenard voir courir le Gandar qui me déposa au
Pont de Vesse à Lunel. Me voici à nouveau à Marsillargues ou je pu le 2 Juin, fêter mes
24 ans en famille. Plusieurs jours passèrent, et comme je m’y attendais les gendarmes
revinrent en m’intimant de rentrer au plus vite, car dans deux jours nous devions embarquer à
Marseille .A moins de déserter je fus dans l’obligation de rejoindre la caserne en refusant
d’aller rendre visite à mon Grand Père en réaction d’avoir refuser de signer la pétition contre
la guerre. Il viendra cependant m’embrasser à domicile avec les larmes aux yeux. Malgré cela
par représailles, je ne lui enverrais aucune lettre pendant mon séjour.
L’enfer d’une traversée !
Effectivement le lendemain on nous entassa dans des GMC, direction Marseille ou nous
attendait le Sidi Ferruch,un raffiot qui était un cargo transformé pour la circonstance en
transport de troupe avec des chaises longues dans les cales.
Avant d’embarquer nous apprenions que André Geneste et Max Sauverie étaient affectés dans
un autre bataillon. Mais que Serge Bouisseren, Jacques Trinquier et moi même serions
ensemble dans la même compagnie.
Après ces formalités d’embarquement, et un bref recensement, nous voici sur une Mer calme
à respirer et savourer l’air iodé du large sur le Pont.
Sur le coup de 19 heures environ, l’ordre est donné par le commandant du bord de descendre
dans les cales car la météo annonce une tempête. C’est ce que nous faisons. Le bateau
commence à tanguer et à rouler. Rapidement je ressens une insoutenable nausée qui n’est
autre que le mal de mer. C’est absolument épouvantable et j’admire ceux qui comme Serge,
Jacques et André cassent la croûte et ne ressentent rien. Dans la cale, les chaises longues
glissent tantôt d’un côté tantôt de l’autre et cognent contre les parois. On entend que des
gémissements dans une abominable odeur de vomi. C’est l’enfer !
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Brusquement aussi vite qu’elle était venue, la tempête se calme, et quand le jour se lève c’est
une Mer d’huile qui nous portera jusqu’à Bône (aujourd’hui Annaba) notre destination. Nos
avions mis plus de deux heures que le temps prévu pour une traversée habituelle.
Rassemblement et embarquement ferroviaire jusqu'à Souk Ahras, ou des GMC nous
transportent jusqu'à une caserne de Tebessa. Ville où l’on trouve aux alentours de nombreuses
ruines romaines. Nous y passons la nuit.
Le lendemain, direction le petit village frontalier de Békaria situé au terme du barrage
électrifié, où l’on monte pour plusieurs jours un camp de tentes. Geneste et Sauvery ont pris
une autre Direction .Je suis vacciné avec quelques retardataires qui ne l’on pas été à
Montpellier, et nous n’avons d’autre chose à faire que jouer aux cartes ou au football en
attendant la suite.
La partie de cartes…..mais pas de Pagnol !
C’est au cours de l’une de ces parties de carte que se produisit un incident cocasse.
A notre trio, s’était joint André Fabre (dit Fabrou) de St Just qui était Sergent et nous jouions
à la belote. En cours de partie, une envie irrépressible de déféquer me pris. (Ce qui arrivera
souvent par la suite sous forme de diarrhées) Je m’éloignais,mais sans papier, et sans avoir le
temps comme le Prisonnier de la Tour de Londres d’attendre que ça sèche,je ne trouvais rien
de mieux que de me frotter le cul avec des feuilles de figuiers. Surtout n’essayez jamais cela !
Car pour que la brûlure s’apaise, je dû passer presque une heure le postérieur trempé dans un
petit ruisseau qui heureusement se trouvait là. J’aurais dû penser qu’au début de notre puberté
les plus âgés nous disait que pour faire pousser nos poils pubiens il fallait se frotter avec du
lait de figues. Ce qui avait pour effet d’irriter fortement la peau autour du zizi pour les naïfs
qui suivaient ce conseil.
Début de la valse des déplacements ! Et crime de Guerre !
Quelques jours après, il faudra démonter le camp pour nous déplacer à Chéria dans un espace
vert arboré en bordure d’un Oued ou nous restons plusieurs jours. Nous y vivrons pourtant ce
que je considère comme un drame.
Par un bel après-midi, on nous embarque dans des camions avec nos armes, et nous
retournons à Békaria. A notre grande surprise, nous franchissons de nuit la nouvelle frontière
Tunisienne pour une opération, car on a signalé à l’Etat Major la présence d’une bande de
rebelles dans ce secteur.
Nous marchons dans la nuit jusqu'à l’aube ou nous nous arrêtons en lisière d’un bois qui
domine une vaste plaine. Tout à coup, on aperçoit un homme en djellaba qui court dans cette
plaine, sûrement effrayé par ce déploiement de soldats. Aussitôt l’hystérique Sergent Bellot
(Instituteur à Montpellier) et Chef de Section, s’empare d’un fusil et ouvre le feu en criant un
fuyard ! Un fuyard ! Mais voila que deux ou trois imbéciles s’y mettent aussi et c’est une
véritable salve qui s’abat sur le bonhomme. Et ce qui devait arriver arriva, le pauvre bougre
s’écroula mort.
Lorsque l’on ira le constater, on s’apercevra que ce n’était qu’un pauvre fellah tunisien
désarmé et innocent qui avait payé de sa vie la lâcheté et la bêtise de certains hommes.
Ce Sergent avait fait tuer pour rien un être humain dans un pays indépendant. En droit
international, on appelle cela un crime de guerre.
Cet incident, me donna la nausée, et je me défoulais en disant sans détours à ce fou de guerre
ce que je pensais de son attitude indigne d’un chef. Mais j’étais outré aussi de voir que 3 ou 4
rappelés s’étaient fait les complices de ce qu’ils avaient pris pour un amusement. De quoi se
poser des questions sur la nature humaine !
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Sur le soir nous voyons des avions qui piquent et entendons des rafales au loin. Ce sont les
paras qui ont accroché la bande. L’opération en territoire Tunisien cesse à la tombée de la nuit
et il fait noir totalement pour regagner les camions.
Nous marchons depuis plus d’une heure, et j’ai comme l’impression que nous ne sommes pas
sur le bon chemin.
Je vais voir l’officier qui commande l’ensemble de l’opération. Je lui fait part de mon
sentiment et lui demande de refaire le point avec sa boussole. Il s’avère qu’il s’était trompé au
départ et que depuis une heure nous marchions à l’opposé des camions.
Ce retard n’eu pas de conséquences graves si ce n’est une dizaine de kilomètres pour rien.
Nous retournons à notre camp de toile de Chéria et c’est là que nous revoyons Geneste et
Sauvery le temps de prendre ensemble quelques photos souvenirs.
Mais ni eux, ni nous ne connaissons pas encore le lieu ou nous devons nous fixer. Ce que l’on
sait c’est que nous devons aller assurer des relèves dans des forts construits par la Légion dans
le massif du Némentcha dans une zone à risques ou en 1955 ses sont déroulés de rudes
affrontements.
Située au sud du barrage frontalier électrifié, la région est un lieu de passage pour les hommes
de l’armée de libération nationale (A.L.N). Notre mission est de surveiller le territoire.
Nous rejoignons notre première Bastille !
Nous passâmes notre temps comme l’on pu, jusqu’au jour ou l’on nous embarqua pour le Fort
de Al Télidgène, situé au bord d’un oued verdoyant bordé par de grands peupliers ou
nichaient des cigognes dont on entendait claquer les becs. Cet oued était aussi notre salle de
bain .Un jour, après un gros orage nous y ramassâmes des pleurotes de peuplier. Quand à
l’eau potable, il fallait aller à deux kilomètres en amont avec une citerne pour la puiser avec
une pompe sous la protection d’une section. L’enceinte du fort était en torchis (Paille et boue
tassée et séchée) avec deux entrées et un miradors.
Au milieu, il y avait un bâtiment en dur avec autour 7 grandes tentes. Une pour chaque section
et une pour l’école avec bancs et tableau qui faisait aussi office d’infirmerie. Une autre enfin
servait de foyer et l’on pouvait à prix coûtant y siroter du Pastis, des bières en boite, et aller le
soir se délasser en chantant.
Avec Jacques et Serge on ne se privait pas d’y participer, et certains soirs, il y avait de
véritables concerts.
Les chœurs voulaient aller revoir leurs blondes qu’ils avaient laissé au pays ou rêvaient au
vent qui frissonnait dans le ville endormie sous la Lune Rousse, quand aux solistes ils nous
plongeaient dans les arènes gonflées d’une foule en délire pour une corrida, ou dans les
démons qui brûlaient le cœur de Jézabel. Le clou de ces concerts était une composition
satirique composée avec Serge sur la compagnie et son Capitaine sur l’air de la Tantine de
Burgos. La classe pour les petits arabes du secteur, pacification oblige, était assuré par Serge
Bouisseren l’instituteur. Un repas quotidien leur était servi. Je m’installais d’autorité dans
l’école sur un brancard aménagé en guise de lit. Jacques Trinquier, préposé aux transmissions
était logé à part. Avec son poste 300, il assurait les liaisons avec le quartier général pour les
consignes et avec les hélicoptères qui venaient nous ravitailler ou les avions qui venaient
parachuter des vivres ou nous jeter le sac du courrier.
Mis à part quelques patrouilles de surveillance sur le secteur, le temps s’écoulait monotone
avec les traditionnels tours de garde. La chambre de commerce de Nimes qui parrainait notre
régiment nous avait fait parvenir des ballons de foot et des boules de pétanque nous
permettant de passer le temps.
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Certains jouaient aux cartes,à la Belote ,au Rami mais aussi au Poker .Pour améliorer notre
ordinaire,nous achetions des œufs et des poulets aux élèves pour des modestes bouffes entre
amis et nous écrivions beaucoup. Pratiquement chaque jour.
Nous avions même adopté deux jeunes chiens pour nous tenir compagnie.
Bien mal acquis ne profite jamais ou la vengeance des volatiles !
Il y avait dans les tentes des sections une bonne douzaine de Coqs. Au cours des diverses
patrouilles dans le coin, certainement volées, ces bestioles avaient été ramenées au fort.
C’est bien connu, le coq chante naturellement le matin. Ce qui n’est pas gênant quand on se
lève tôt. Mais attention ! Si vous réveillez un coq en pleine nuit, à coup sur, il se mettra à
chanter. Un nuit sous le coup de Minuit ou j’étais de garde et le fort endormi, me vint
l’idée d’imiter le chant des volatiles et je poussais tant bien que mal un grand cocorico.
Aussitôt aux quatre coins des tentes tout les coqs se mirent à se répondre, réveillant tout le
monde et déclanchant des poursuites cocasses en pleine nuit pour les faire taire et les
enfermer. Le lendemain ça sentait le poulet rôti dans tout le fort. On s’amusait comme on
pouvait !
Ainsi allait notre train train, et on avait jamais vu l’ombre d’un ennemi, jusqu’au jour ou
patatras !
Nous sommes harcelés…. Et c’est la panique !
Un beau soir, vers minuit, tout le monde dormait sauf bien sur les sentinelles. Quoique !
Tout à coup des coups de feu crépitent et les balles sifflent. Certains impacts frappent sur la
toile des tentes. Cette technique de harcèlement que l’on retrouvera plusieurs fois durant notre
séjour, était destinée à montrer que malgré nos rondes et nos ratissages, ils étaient bien là
présents et qu’ils nous emmerdaient.
Tout le monde courait de droite à gauche en pleine nuit pour se précipiter aux créneaux .Dans
cet affolement quelqu’un broncha a un tendeur et une tente s’effondra sur les lits.
Mais il y eu mieux dans la cocasserie. La compagnie chargée du mortier l’ayant mis en
batterie, l’ordre fut donné d’envoyer une fusée éclairante en direction des tirs. Le préposé à la
fusée se précipita vers le mur et chargea le pistolet lanceur. Pour le faire percuter il fallait
frapper un coup sec sur le rebord d’un mur.
Mais il manqua son coup, le pistolet ripant sur le haut du mur l’effet de recul frappa sur le
casque de celui qui était accroupi juste en dessous, l’assommant à moitié.
La fusée partit quand même, mais au lieu d’aller éclairer dans la bonne direction, elle
descendit lentement pendue à son parachute en éclairant le fort comme en plein jour. Puis tout
à coup, ce fut la panique, car la trajectoire descendante de la fusée enflammée menaçait de
tomber sur la caisse ouverte de la réserve d’obus du mortier. Finalement elle atterrit juste à
coté au grand soulagement de tous.
Ce genre de réception ne sera pas la dernière de notre séjour, mais notre baptême du feu avait
tourné à la franche rigolade !
Notre fou de guerre Bellot, fait encore des siennes !
Un beau jour notre Capitaine du provisoirement s’absenter. Cet assassin va t’en guerre était
parti en patrouille avec sa section. Avec son chapeau aux bords retournés et perché sur sa jeep
on aurait dit qu’il jouait aux Cowboys.
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Le soir, il ramena au Fort deux algériens qu’il avait raflé on ne sais ou, qu’il considérait sans
aucun motif comme des suspects. Il voulait à tout prix leur tirer des informations en les
interrogeant sèchement.
Il n’alla pas jusqu'à la torture physique, mais à un moment donné on entendit un coup de feu
dans le bâtiment central.
Il avait imaginé de séparer les deux hommes, et de faire croire à l’un deux que son collègue
avait été abattu pour être rester muet. Evidemment comme les deux hommes n’étaient que des
pauvres paysans, ils ne savaient rien.
Malgré ce il les mis dans le trou qui servait de prison et les services spéciaux de Chéria
vinrent les chercher le lendemain. Quand on sait ce qui s’est passé sur la pratique de la torture,
on peut penser qu’à cause d’un connard ils n’ont pas du être à la noce.
Notre Capitaine de retour au fort, un incident se produisit au cours de la levée des couleurs.
L’un d’entre nous ayant fait le singe imitant ses gestes dans son dos, il se retourna vit ses
grimaces.
Illico, il le fit jeter dans le trou étroit qui servait de prison. Mais il n’y restera pas longtemps,
car je pris la tête d’une délégation et devant notre colère et notre détermination il du le faire
libérer sur le champ.
On va assurer une relève en zone interdite !
Un beau jour on nous ordonne de plier armes et bagages pour aller relever la Compagnie qui
se trouvait au fort de Djeurf. Serge Bouisseren n’est pas du voyage car il doit rester à son
école de Telidgène. Ce fort construit pas la légion sur un piton escarpé, est situé en plein
massif du Némentcha, entre les Aurés et la région des grandes dunes dans un paysage lunaire.
Il domine la vallée où coule l’Oued Hallail et a été en 1955 le témoin de rudes affrontements.
Entouré de parois escarpées il n’y a qu’un seul chemin d’accès. Ce piton d’environ 200
mètres de long sur 50 de large est un véritable nid d’aigles. Un bâtiment central avec un
mirador et une rangée de baraques en torchis de chaque cotés, avec une aire d’atterrissage
pour les hélicoptères. Le ravitaillement se fait par parachutages, et pour la sécurité il faut
chaque fois une section en protection pour le récupérer. Comme d’ailleurs pour aller puiser
l’eau potable dans l’Oued. Quand au courrier, ce sont des avions de chasse qui viennent le
lancer. Une fois sur deux vu l’étroitesse du fort il faut aller chercher le sac du courrier dans le
ravin.
Il y a aussi un décor macabre. Juste en dessous du fort dans la plaine, il y a un cimetière où
flotte le drapeau français, résultat des affrontements de 1955. Ce sont parait il des victimes
d’une embuscade.
La topographie des alentours du fort, est désertique. C’est un endroit rêvé pour abriter la
rébellion. Des ravins, des grottes, un terrain accidenté au possible, à chaque sortie il faut faire
preuve d’une grande vigilance.
L’hygiène y est précaire, et à cause des latrines à ciel ouvert dans un espace aussi étroit, et il y
a des myriades de mouches dont on nourrit nos caméléons.
On doit dormir avec des moustiquaires .Pour boire le café ou un coup de pinard dans son
quart, il faut filtrer les mouches avec les lèvres.
La vie s’y écoule monotone, entre quelques sorties en patrouille et des parties de boules ou de
cartes. Heureusement il y a aussi un tout petit foyer ou l’on peut se retrouver le soir, grâce au
groupe électrogène pour boire un coup et écouter la radio.
J’ais cependant en mémoire certains petits faits qui ont rompus cette monotonie.
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Système D pour améliorer l’ordinaire !
Dans ma section, il y a un lozérien, qui comme moi est chasseur. Un jour à l’occasion d’une
corvée d’eau, nous repérons en bordure de l’oued plusieurs compagnies de perdreaux.
Ce sont des Perdrix Gambras oiseaux vivants dans les pays chauds qui s’apparente à nos
perdrix rouges et à ses moeurs. Le plumage est un peu différent, mais elles vivent en
compagnie. Comment les capturer quand on à rien ?
Mais notre lozérien qui est aussi un peu braconnier sur les bords, ne manque pas d’idées. Il
me dit qu’on peut les piéger avec des trappes.
Il m’explique que le perdreau lorsqu’il sent le sol se dérober sous ses pattes se repli sur lui
même contrairement aux pigeons qui eux s’envolent. De ce fait, il tombe dans le trou et on
peut le récupérer vivant .Je comprend que le filou à du l’essayer dans ses montagnes natales !
Mais il faut fabriquer ces pièges ? Les caisses d’agrumes fourniront les planchettes pour les
montants, les couvercles de boites de rations feront office de trappes, et des vieilles chambres
à air de camions fournirons les ressort. Pour aller les poser, nous attendons l’heure de la sieste
et comme des alpinistes nous descendons jusqu'à l’oued par le coté le plus abrupt.
Nous creusons deux trous assez profonds sur lesquels nous posons nos trappes, et faisons avec
des épines une sorte d’entonnoir qui débouche sur le piège. Quelques feuilles sèches pour
cacher le tout et nous attendons le lendemain pour venir visiter.
Nous aurons le bonheur de trouver deux perdrix prises, une dans chaque piège. Nous
répèterons l’opération plusieurs fois et malgré quelques bredouilles, nous mangerons plusieurs
fois du perdreau.
Ratissage et harcèlement, mamelles de la peur de notre Capitaine !
Un beau jour ou des rebelles ont été signalés par le renseignement, l’ordre est donné à deux
sections de faire une opération de ratissage dans le secteur. Notre Capitaine, qui est
bureaucrate de formation demande au plus costaud d’entre nous, talonneur de l’équipe de
Rugby à XIII d’Avignon d’être son garde du corps et de ne pas le perdre du vue.
Deux sections patrouillent et ratissent toute la journée dans un djebel accidenté, et le soir nous
rentrons sans avoir rien vu. RAS comme on dit en langage militaire .C’est ce que notre chef
télégraphie le soir au Quartier général.
On mange un morceau, et extrêmement fourbu par cette journée de marche, mis à part les
hommes de garde, tout le monde va se coucher.
Mais sur le coup de minuit, tout à coup les balles sifflent. Ceux que nous avions cherché toute
la journée sans les trouver, viennent nous faire voir qu’ils sont là et bien là, à nous canarder.
Les tirs se calment et tout le monde se rendort.
Quand tout à coup, une rafale de fusil mitrailleur venant du guet de l’entrée du fort éclate et
réveille tout le monde ! Serait-ce une prise d’assaut par ceux qui viennent de nous tirer
dessus ? L’explication est bien plus cocasse.
Quelques jours avant, au cours d’une patrouille, une section avait ramené une chèvre.
Probablement volée par quelques abrutis ! La brave bête avait pris l’habitude d’aller brouter
les maigres herbes qui poussaient aux alentours du Fort.
Cette nuit là elle était à l’entrée à une cinquantaine de mètres du poste de guet, et de temps en
temps elle faisait cogner les boites de conserves pendues aux barbelés qui étaient là pour
signaler une éventuelle intrusion.
L’homme de garde l’avait vu, n’y prêtait aucune attention. Mais notre Capitaine,
certainement traumatisé par ces tirs de harcèlement avait décidé de faire une ronde. Il
s’approcha et dit à l’homme de garde un dénommé Sanchez de Bessèges.
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Vous avez entendu ce bruit ! Oui mon Capitaine, mais je pense que c’est la chèvre ! Mais
non ! Ce sont les rebelles qui nous attaquent ! Il se précipite sur le fusil mitrailleur et tire une
salve en direction du bruit.
Un cri de bête blessée et un bêlement d’agonie ! C’était la pauvre chèvre qui avait passé de
vie à trépas .Le lendemain au rassemblement il nous annonça, sans rire, que nous mangerions
de la viande fraîche.
Il ne voulu jamais avouer qu’il avait perdu les pédales et surtout son sang froid.
On peut être Militaire et garder sa conscience !
C’était un petit Sergent râblé avec de grosses lunettes qui était séminariste. Il était malheureux
d’avoir à subir cette guerre absurde. Il en souffrait terriblement et ne se privait pas de nous le
dire. Chef de section, il était cependant obligé d’accompagner ses hommes lors des opérations
de ratissage à travers des gorges profondes dans un djebel inhospitalier où il y avait un réel
danger. Il voulait partir sans arme, mais sous les injonctions du capitaine il faisait suivre à
contre coeur son pistolet mitrailleur mais a toujours refusé de prendre des munitions. On avait
beau lui dire qu’il serait peut être amené à défendre sa peau, il n’a jamais voulu nous écouter.
Il considérait que la vie d’autrui était sacrée et soutenait l’idée qu’il préférait se faire tuer sur
place que d’ôter la vie d’un être humain.
Voila encore un chrétien qui mettait ses actes en accord avec sa conscience et qui mérite
comme notre Caporal d’Allemagne d’être conduit à travers ciel au Père éternel.
La jaunisse frappe le fort au mauvais moment.
On a tellement eu de diarrhées, mangé de conserves, bu de l’eau souvent croupie (malgré les
pilules de chlore) et filtrer des mouches, que beaucoup ont des foies en compotes. Un beau
jour, la jaunisse fait son apparition. Ceux qui sont le plus atteint doivent être évacuer par
hélicoptère.
- Le 26 Juillet 1956 Nasser nationalise le Canal de Suez et en interdit l’accès aux Israéliens.
Ces derniers le 29 Octobre 1956 attaquent l’Egypte et occupent une partie du désert du Sinaï.
- Le 6 Novembre 1956 ce sont les gouvernements Français et Anglais, qui privés de leur
droits de péage attaquent à leur tour en envoyant des parachutistes sauter sur Port Saïd.
Cette lamentable opération est un véritable fiasco et malgré la politique de non-alignement de
l’Egypte, elle est dénoncée à la fois par l’URSS et les USA.
- Ce jour même à Minuit le conseil de sécurité de l’ONU s’empressera d’y mettre un terme.
Cette guerre éclair avait cependant déclanché une crise au Moyen Orient débouchant sur une
pénurie d’essence, qui cloua au sol une partie de l’aviation militaire grande consommatrice de
carburant. Les évacuations par hélicoptères furent de plus en plus rares.
Entre temps une mesure de libération anticipée ayant eu lieu pour les rappelés mariés nous
nous retrouvâmes sans toubib.
Un beau matin, au lever je vais uriner comme d’habitude. A ma grande surprise mon urine à
une couleur de café et il me semble que je manque de force. Ma peau n’est pas jaune, par
contre le fond des yeux l’est nettement et je me sens fatigué. Pas besoin de diagnostic, je sais
que j’ais la jaunisse !
Je vomis tout ce que je mange .Plus de Docteur, pas de remèdes et plus de moyens
d’évacuation. Les jours passent qui me paraissent une éternité car je sens que je m’affaiblis
de plus en plus. Il me faut l’aide d’un collègue simplement pour aller pisser.
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Arrive enfin une solution : On nous informe par radio que l’on peut envoyer un piper, petit
avion de reconnaissance à 2 places qui peut se poser et décoller sur 200 mètres. Mais au
préalable il faut aller remettre en état et surtout épierrer une ancienne piste aménagée autrefois
par la légion sur un plateau situé à environ 2 Km du fort.
Deux sections sont désignées pour le travail et la protection. Quand à moi, incapable de tenir
debout plus de 10 mètres on doit m’emmener en jeep et Jacques m’accompagne. Le piper se
pose sans encombre et je fais mon baptême de l’air dans de drôles de circonstances.
En cours de route, le pilote prend de l’altitude et me dit qu’en venant son avion à essuyé des
coups de feu à cet endroit. Ca rassure !
Nous atterrissons à Tebessa ou une ambulance vient me récupérer .C’est dans une infirmerie
de fortune, que je reçois enfin mes premiers remèdes (du Boldo) dans l’attente d’un transfert à
l’hôpital de Constantine. Cette région tourmentée est propice aux embuscades. Pour la
sécurité il faut attendre qu’un convoi protégé par un blindé fasse le déplacement. Ce jour
arrive enfin et le voyage est finalement sans encombre. C’est là dans un véritable hôpital que
je reçois les premiers soins sérieux pendant quelques jours.
Comme on doit me rapatrier par les airs on me transfère a proximité du terrain d’aviation
militaire de Telergma dans des baraquements sanitaires. Mais cette pénurie d’essence
retardant tout les vols, je dois attendre encore plusieurs jours pour qu’enfin un avion soit
disponible.
C’est un quadri moteur Breguet Deux-Ponts d’Air France en service depuis 1953 sur l’Algérie
mis à la disposition de l’armée qui peut transporter a la fois du fret et des passagers qui me
ramènera finalement en France.
J’atterris sur l’Aéroport de Lyon-Bron (Celui de St Exupéry n’existe pas encore) et me
retrouve à l’hôpital militaire Desgenettes.
Toutes ces péripéties m’ont amené fin Novembre, et déjà la classe 52/2 est rentrée au pays,
alors que je suis toujours militaire. Mais la colère me gagne lorsque j’apprends qu’ils ont
l’intention de me garder et me faire observer une quarantaine. Si on prend la date de mon
hospitalisation à Lyon, j’en ai jusqu'à mi Janvier 1957, alors que j’ai la jaunisse depuis le
début Novembre.
Comme j’ai bien l’intention d’aller fêter Noël à Marsillargues, je demande une entrevue avec
le Directeur de l’hôpital que est un Lieutenant Colonel. Après une vive discussion il accepte
de me laisser partir sous réserve d’un contrôle sanguin qui s’avèrera négatif. Le cauchemar est
bien fini. Je rentre enfin à Marsillargues avec une permission libérable qui se terminera
le 8 février 1957. Jacques Trinquier était arrivé depuis une semaine ! Nous pourrons aller
réveillonner au Mas de la Fangue. Le 22 Août 1957 j’épouse Jeannine Grandet.
Mais il me faudra attendre le 6 Novembre 1957, pour qu’après une visite médicale obligatoire
à Montpellier et la restitution de mon paquetage (sauf les treillis, les pataugas et la musette
que j’ai gardé pour la chasse) je sois rayé des contrôles de l’armée portant mes 6 mois initiaux
de rappel à 17 mois de présence militaire.
L’aventure Algérienne se termine en eau de boudin et dans le drame !
Le 21 Mai 1957, Guy Mollet est débarqué du gouvernement et remplacé par Bourgés Monory.
Mais de crise en crise, les gouvernements se succèdent et s’enlisent à cause de l’Algérie
A Alger, l’Etat major de l’armée s’agite, et Massu prépare avec ses parachutistes un putsch
militaire pour prendre le pouvoir à Paris malgré des remous sérieux sur place parmi les rangs
des soldats du contingent et des rappelés qui manifestent leur désaccord.
Face à cette menace, le Président Coty se décide à nouer des contacts avec De Gaulle pour lui
demander de Présider le Conseil pour essayer de sortir de cet enlisement.
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Mais ce dernier exige les pleins pouvoirs pendant au moins un an.
Le 29 Mai 1958 l’assemblée nationale l’autorisera à gouverner par ordonnances et on
échappera de justesse au putsch militaire.
Accueillit a Alger le 4 Juin 1958, comme le sauveur de l’Algérie Française, il prononce sur le
Forum le fameux discours qui se termine par la phrase célèbre “Je vous ai compris !“ Sur sa
lancée, il accorde l’égalité des droits, civiques, économiques et sociaux aux Algériens et
élabore une nouvelle Constitution destinée à renforcer les pouvoirs de l’exécutif.
Le référendum du 28 Septembre 1958 donnera naissance à la 5ème République, et sera
approuvé par 79,29% de l’Electorat Français.
Le 21 décembre 1958, un collège de 80.000 grands Electeurs avec 79% des voix le désigne
comme Président de la République à la place de R. Coty.
Mais fin politique, il comprend vite que la solution de force n’arrivera pas à régler le conflit.
La solution qu’il cherche désormais, est une voie négociée et passe de l’Algérie Française à
l’Autodétermination.
De sauveur potentiel, il deviendra un traître aux yeux des Pieds Noirs et de certains
généraux de l’Etat Major.
Tant et si bien que le 11 Février 1961 une organisation politico-militaire clandestine, l’ OAS
se créait à Madrid et déclanche plusieurs attentats et même des assassinats.
Quatre officiers supérieurs, Challe, Salan, Jouhaud et Zeller que De Gaulle qualifiera de
quarteron de Généraux félons à la retraite prennent la tête d’une sédition.
Après le célèbre Français aidez-moi ! lancé par De Gaulle, le PSU et le PC organisent une
grande manifestation le 8 Février 1962 pour la défense de la République. Mais le Préfet un
certain Maurice Papon interdit cette manifestation et au métro Charonne les CRS chargent
sauvagement les manifestants qui se réfugient dans le métro. De la bousculade, on relèvera
huit morts et plusieurs centaines de blessés parmi les manifestants.
S’ensuit une grande confusion, avec des grèves en France, l’OAS multiplie les attentats et
dresse des barricades en Algérie. Finalement Challe se rend aux autorités mais Salan et
Jouhaud poursuivront de Madrid leur lutte dans la clandestinité. Malgré leur félonie aggravée
par leurs statuts militaires, ils serons plus tard scandaleusement réhabilités et leurs droits à
pension restitués. Certains OAS seront même amnistiés et blanchis totalement en 1968 et
1982.
Finalement le 19 Mars 1962, avec les représentants du gouvernement provisoire du
FLN, les accords d’Evian seront signés et consacreront l’indépendance de l’Algérie.
Malheureusement cette indépendance qui devait assurer la concorde entraînera des
dramatiques massacres de harkis et de pieds noirs ressemblant pour beaucoup à des
règlements de compte. Cette situation débouchera pour la plupart des européens de souche sur
l’alternative de la valise ou du cercueil.
La République et son Président pris pour cibles par des Ultras.
Au cours de cette période agitée, on dénombre une vingtaine de tentatives d’assassinats
dirigées contre De Gaulle.
La plus célèbre sera celle du Petit Clamart ou le 22 Août 1962 il échappe de peu à la mort
avec son épouse. L’organisateur du complot un dénommé Bastien Thiry sera condamné à
mort. Malgré les demandes de grâce de Pompidou et Debré, De Gaulle qui ne lui pardonne
pas d’avoir mis la vie de son épouse en danger, refuse sa grâce. Il sera fusillé le 11 Mars 1963
au Fort d’Ivry.
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(En 2008, 45 ans après, des nostalgiques de cette OAS ont fait dresser une stèle avec les
photos de ces traîtres de la République dans le cimetière de Béziers ou malgré l’interdiction
du Maire des rassemblement avec des prises de paroles ont été malgré tout organisées).
A partir de cette époque la plupart des Pieds Noirs rentrera au Pays. Par rapport aux
facilités d’installations faites parfois au détriment des autochtones et au regard de la
situation des Harkis parqués dans des camps, un accueil mitigé leur sera réservé.
S’y ajoutera l’arrogance de certains, et les attitudes de mépris vécues et rapportées par
les soldats du contingent qui gardaient les fermes n’arrangera pas leur image ! La
majorité d’entre eux (pas tous heureusement) constituera pour le futur, le fond de
commerce de l’extrême droite.
Bilan amer !
Quand on fait le triste bilan de cette guerre d’indépendance, on peut constater que :
Entre 1955 et 1962, plus de deux millions de militaires ont été envoyés en Algérie
Qu’il y a eu : Coté Français : 25.000 soldats (dont 3 jeunes Marsillarguois) et 2.000
légionnaires tués, un millier de disparus et 1.300 morts des suites de blessures.
Coté Algérien, Combattants de l’ALN, Maquisards et Population civile c’est entre 800.000 et
1.000.000 de tués, auxquels s’ajoutent 8.000 villages brûlés et 1 million d’hectares de forêt
détruits. Un véritable gâchis ! Pour cette soi disant opération de pacification.
Le 28 Octobre 1962, par 62,25 % de Oui, De Gaulle fera approuver par référendum la
constitution qui consacrera l’Election du Président de la République au suffrage universel.
Après un ballottage il sera élu le 19 Décembre 1965 avec 55,20% des voix contre 44,80 pour
Mitterrand et deviendras le premier Président de la République élu au suffrage universel.
Plus tard il déclarera “Je sais qu’on me reproche de n’avoir pas su garder
l’Algérie française, mais elle ne l’a jamais été, c’était une colonie “.
Cet aveu du grand Charles me conforte dans l’idée que les insoumis et les objecteurs de
conscience ainsi que tous les pacifistes qui avaient vu dans cette aventure Algérienne une
grande injustice et qui s’étaient élevés contre l’inutilité de cette guerre avaient eu raison.
Aujourd’hui, s’il est humain que la France pleure ses victimes, elle doit
surtout le déplorer, car ils sont morts pour rien !
Il ne faut jamais perdre de vue, que dans toute guerre, ont dresse les peuples les uns contre les
autres en les obligeant à se battre, alors qu’il n’y ont objectivement aucun intérêt. Toutes les
victimes sacrifiées le sont pour le profit de quelques uns et les visées impérialistes de
quelques autres.
Ce qui fit dire a Anatole France, prix Nobel en 1921, a propos de la boucherie de 1914-18
“On croit mourir pour la Patrie, on meurt pour les industriels“.
(Aujourd’hui, il aurait dit pour les financiers !)
Ce sera mon mot de la fin.
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