Témoignage de Akira Kurosawa sur Mikio Naruse

Transcription

Témoignage de Akira Kurosawa sur Mikio Naruse
MIKIO NARUSE PAR AKIRA KUROSAWA
Mes expériences comme assistant d’autres réalisateurs ont été extrêmement rares. J’ai
travaillé deux fois pour Eisuke Takizawa, une fois pour Shu Fushimuzu et une autre pour
Mikio Naruse.
De ces expériences (…) ce qui m’a le plus impressionné, ce fut la façon de travailler de
Mikio Naruse. Il possédait une expertise extraordinaire. Je l’ai assisté sur un film
aujourd’hui perdu qui s’intitulait Nadare, Avalanche (1938) inspiré par une histoire de Jiro
Osaragi…
La méthode de Naruse consiste à ajouter un plan bref à un autre, mais quand vous les
découvrez montés ensemble dans le film, ils vous donnent l’impression de ne former
qu’une seul longue prise. Le flux est tel que les collures sont invisibles. Ce flot de plans
courts semble calme et ordinaire au premier regard et il se révèle ensuite être une fleuve
profond avec sous sa surface tranquille, une lame de fond rageuse. La sureté de sa main
dans cet exercice était incomparable.
Durant le tournage, Naruse était très sur de lui. Dans tout ce qu’il faisait il n’y avait
absolument aucun gâchis. Il s'occupait même de la durée des pauses repas… Je me
plaignais seulement qu’ainsi il ne laissait rien à faire à ses assistants.
Un jour, je me trouvais sur le plateau sans rien avoir à faire comme d’habitude. J’allai
derrière un décor, une toile peinte représentant des nuages et j’y trouvais un grand rideau
de velours qui était utilisé pour faire les fonds des scènes nocturnes. Il était bien plié, je
m’y allongeais et très vite je m’endormis. Ce dont je me souviens ensuite c’est d'un
éclairagiste qui me réveilla brusquement: « Cours! », me dit il, « Naruse est fou de colère."
Paniqué, je traversai à quatre pattes un trou de ventilation dans la partie arrière du décor.
J’entendis crier l’assistant: « Il est derrière les nuages! ». Quand j’arrivai avec nonchalance
à l’entrée du plateau, Naruse en sortit.
« Quelque chose ne va pas ? », demandai-je et il me répondit « quelqu’un ronfle sur le
plateau. Ma journée de tournage est foutue. Je rentre chez moi. »
A ma grande honte, je fus incapable d’avouer que j’étais le coupable. De fait, je n’ai pas
osé dire la vérité à Naruse avant que dix ans ne passent. Et quand je lui ai raconté
l'histoire, il l'a trouvé très drôle.
AKIRA KUROSAWA extrait de Like an Autobiography, New York, Alfred Knopf
1982, traduit par Edouard Waintrop

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