Les scènes d`exposition

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Les scènes d`exposition
1
Objet d’étude : le théâtre, texte et représentation
Textes
A — Racine, Bérénice, acte I, scènes 1, 2 et 3, 1670.
B — Beaumarchais, Le Mariage de Figaro (1885)
C — Musset, On ne badine pas avec l’amour, acte I, scène 1, 1834.
D — Ionesco, La Cantatrice chauve, 1950.
Texte A — Racine, Bérénice
Bérénice
Tragédie
Acteurs
TITUS, empereur de Rome
BÉRÉNICE, reine de Palestine
ANTIOCHUS, roi de Comagène
PAULIN, confident de Titus
ARSACE, confident d’Antiochus
PHÉNICE, confidente de Bérénice
RUTILE, Romain
SUITE DE TITUS
La scène est à Rome, dans un cabinet qui est entre l’appartement
de Titus et celui de Bérénice
ACTE I , SCENE PREMIERE .
ANTIOCHUS.
Arrêtons un moment. La pompe1 de ces lieux,
Je le vois bien, Arsace, est nouvelle à tes yeux.
Souvent ce cabinet superbe et solitaire
Des secrets de Titus est le dépositaire.
C'est ici quelquefois qu'il se cache à sa cour,
Lorsqu'il vient à la reine expliquer son amour.
De son appartement cette porte est prochaine,
Et cette autre conduit dans celui de la reine.
Va chez elle : dis-lui qu'importun à regret
J'ose lui demander un entretien secret.
ARSACE.
Vous, seigneur, importun ? Vous, cet ami fidèle
Qu'un soin si généreux intéresse pour elle ?
Vous, cet Antiochus son amant2 autrefois ?
Vous, que l'Orient compte entre ses plus grands rois ?
Quoi ? Déjà de Titus épouse en espérance,
Ce rang entre elle et vous met-il tant de distance ?
ANTIOCHUS.
Va, dis-je ; et sans vouloir te charger d'autres soins,
Vois si je puis bientôt lui parler sans témoins.
ACTE I , SCENE II .
ANTIOCHUS, seul.
Hé bien ! Antiochus, es-tu toujours le même ?
Pourrai-je, sans trembler, lui dire : " je vous aime ? "
Mais quoi ? Déjà je tremble, et mon coeur agité
Craint autant ce moment que je l'ai souhaité.
Bérénice autrefois m'ôta toute espérance ;
Elle m'imposa même un éternel silence.
Je me suis tu cinq ans, et jusques à ce jour
D'un voile d'amitié j'ai couvert mon amour.
Dois-je croire qu'au rang où Titus la destine
Elle m'écoute mieux que dans la Palestine ?
Il l'épouse. Ai-je donc attendu ce moment
Pour me venir encor déclarer son amant ?
Quel fruit me reviendra d'un aveu téméraire ?
Ah ! Puisqu'il faut partir, partons sans lui déplaire.
Retirons-nous, sortons ; et sans nous découvrir,
Allons loin de ses yeux l'oublier, ou mourir.
Hé quoi ? Souffrir toujours un tourment qu'elle ignore ?
Toujours verser des pleurs qu'il faut que je dévore ?
Quoi ? Même en la perdant redouter son courroux 3 ?
Belle reine, et pourquoi vous offenseriez-vous ?
Viens-je vous demander que vous quittiez l'empire ?
Que vous m'aimiez ? Hélas ! Je ne viens que vous dire
Qu'après m'être longtemps flatté que mon rival
Trouveroit à ses voeux quelque obstacle fatal4,
Aujourd'hui qu'il peut tout, que votre hymen s'avance,
Exemple infortuné d'une longue constance,
Après cinq ans d'amour et d'espoir superflus,
Je pars, fidèle encor quand je n'espère plus.
Au lieu de s'offenser, elle pourra me plaindre.
Quoi qu'il en soit, parlons : c'est assez nous contraindre.
Et que peut craindre, hélas ! Un amant sans espoir
Qui peut bien se résoudre à ne la jamais voir ?
ACTE I , SCENE III .
ANTIOCHUS.
Arsace, entrerons-nous ?
ARSACE.
Seigneur, j'ai vu la reine ;
Mais pour me faire voir, je n'ai percé qu'à peine
Les flots toujours nouveaux d'un peuple adorateur
Qu'attire sur ses pas sa prochaine grandeur.
Titus, après huit jours d'une retraite austère,
Cesse enfin de pleurer Vespasien son père.
Cet amant se redonne aux soins de son amour ;
Et si j'en crois, seigneur, l'entretien de la cour,
Peut-être avant la nuit l'heureuse Bérénice
Change le nom de reine au nom d' impératrice.
ANTIOCHUS.
Hélas !
ARSACE.
Quoi ? Ce discours pourroit-il vous troubler ?
ANTIOCHUS.
Ainsi donc sans témoins je ne lui puis parler ?
ARSACE.
Vous la verrez, seigneur : Bérénice est instruite
Que vous voulez ici la voir seule et sans suite. […].
3
= sa colère
trouverait quelque obstacle qui serait fatal à son souhait d’être
aimé de Bérénice (vœux désigne au pluriel le souhait d’être aimé
de quelqu’un)
4
1
2
la pompe = le luxe
celui qui l’a aimée (sans que cela soit réciproque)
2
Texte C — Musset, On ne badine pas avec l’amour
On ne badine pas avec l’amour
Proverbe5
Personnages
LE BARON
PERDICAN, son fils
MAÎTRE BLAZIUS, gouverneur de Perdican
MAÎTRE BRIDAINE, curé
CAMILLE, nièce du baron
DAME PLUCHE, sa gouvernante
ROSETTE, sœur de lait6 de Camille
LE CHŒUR, villageois
UN PAYSAN
UN VALET
ACTE PREMIER
SCENE PREMIERE. Une place devant le château.
LE CHŒUR. Doucement bercé sur sa mule fringante, maître Blazius s'avance dans les bluets7 fleuris, vêtu de neuf, l'écritoire8 au côté.
Comme un poupon sur l'oreiller, il se ballotte sur son ventre rebondi, et les yeux à demi fermés, il marmotte un Pater noster dans son triple
menton. Salut, maître Blazius ; vous arrivez au temps de la vendange, pareil à une amphore antique.
MAITRE BLAZIUS. Que ceux qui veulent apprendre une nouvelle d'importance m'apportent ici premièrement un verre de vin frais.
LE CHŒUR. Voilà notre plus grande écuelle; buvez, maître Blazius; le vin est bon ; vous parlerez après.
MAITRE BLAZIUS. Vous saurez, mes enfants, que le jeune Perdican, fils de notre seigneur, vient d'atteindre à sa majorité, et qu'il est reçu
docteur9 à Paris. Il revient aujourd'hui même au château, la bouche toute pleine de façons de parler si belles et si fleuries, qu'on ne sait que lui
répondre les trois quarts du temps. Toute sa gracieuse personne est un livre d'or10 ; il ne voit pas un brin d'herbe à terre, qu'il ne vous dise
comment cela s'appelle en latin; et quand il fait du vent ou qu'il pleut, il vous dit tout clairement pourquoi. Vous ouvririez des yeux grands
comme la porte que voilà, de le voir dérouler un des parchemins qu'il a coloriés d'encres de toutes couleurs, de ses propres mains et sans rien
en dire à personne. Enfin c'est un diamant fin des pieds à la tête, et voilà ce que je viens annoncer à M. le baron. Vous sentez que cela me fait
quelque honneur, à moi, qui suis son gouverneur depuis l'âge de quatre ans ; ainsi donc, mes bons amis, apportez une chaise, que je descende
un peu de cette mule-ci sans me casser le cou ; la bête est tant soit peu rétive, et je ne serais pas fâché de boire encore une gorgée avant
d'entrer.
LE CHŒUR. Buvez, maître Blazius, et reprenez vos esprits. Nous avons vu naître le petit Perdican, et il n'était pas besoin, du moment qu'il
arrive, de nous en dire si long. Puissions-nous retrouver l'enfant dans le cœur de l'homme
MAITRE BLAZIUS. Ma foi, l'écuelle est vide ; je ne croyais pas avoir tout bu. Adieu ; j'ai préparé, en trottant sur la route, deux ou trois
phrases sans prétention qui plairont à monseigneur ; je vais tirer la cloche. (Il sort.)
LE CHŒUR. Durement cahotée sur son âne essoufflé, dame Pluche gravit la colline ; son écuyer transi gourdine11 à tour de bras le pauvre
animal, qui hoche la tête, un chardon entre les dents. Ses longues jambes maigres trépignent de colère, tandis que, de ses mains osseuses, elle
égratigne son chapelet. Bonjour donc, dame Pluche, vous arrivez comme la fièvre, avec le vent qui fait jaunir les bois.
DAME PLUCHE. Un verre d'eau, canaille que vous êtes ! un verre d'eau et un peu de vinaigre !
LE CHŒUR. D'où venez-vous, Pluche, ma mie ? vos faux cheveux sont couverts de poussière; voilà un toupet12 de gâté, et votre chaste robe
est retroussée jusqu'à vos vénérables jarretières.
DAME PLUCHE. Sachez, manants, que la belle Camille, la nièce de votre maître, arrive aujourd'hui au château. Elle a quitté le couvent sur
l'ordre exprès de monseigneur, pour venir en son temps et lieu recueillir, comme faire se doit, le bon bien qu'elle a de sa mère. Son éducation,
Dieu merci, est terminée ; et ceux qui la verront auront la joie de respirer une glorieuse fleur de sagesse et de dévotion. Jamais il n'y a rien eu
de si pur, de si ange, de si agneau et de si colombe que cette chère nonnain 13 , que le Seigneur Dieu du ciel la conduise ! Ainsi soit-il.
Rangez-vous, canaille ; il me semble que j'ai les jambes enflées.
LE CHŒUR. Défripez-vous, honnête Pluche, et quand vous prierez Dieu, demandez de la pluie ; nos blés sont secs comme vos tibias.
DAME PLUCHE. Vous m'avez apporté de l'eau dans une écuelle qui sent la cuisine ; donnez-moi la main pour descendre ; vous êtes des
butors et des malappris. (Elle sort).
LE CHŒUR. Mettons nos habits du dimanche, et attendons que le baron nous fasse appeler. Ou je me trompe fort, ou quelque joyeuse
bombance est dans l'air d'aujourd'hui. (Ils sortent).
5
petite comédie facile et amusante qui se propose d’illustrer une vérité morale passé en proverbe et qui en est le titre.
Fille de la nourrice qui a aussi élevé Camille
7
autre orthographe de « bluets »
8
sacoche contenant le nécessaire pour écrire
9
= il vient juste de soutenir sa thèse de Doctorat
10
à l’origine, désigne le registre vénitien sur lequel étaient consignés en lettres d’or, les noms des familles nobles de la cité. Par extension,
livre rare et précieux par son contenu.
11
Frappe à coups de gourdin (néologisme créé par Musset)
12
petite perruque de cheveux artificiels destinée à augmenter le volume de la coiffure naturelle.
13
Terme plaisant pour désigne une religieuse plutôt jeune.
6
3
Texte D —Ionesco, La Cantatrice chauve
La Cantatrice chauve
Anti - Pièce
Personnages
M. SMITH
Mme SMITH
M. MARTIN
Mme MARTIN
MARY, la bonne
LE CAPITAINE DES POMPIERS
SCÉNE I
Intérieur bourgeois anglais, avec des fauteuils anglais. Soirée anglaise. M. Smith, Anglais, dans son fauteuil et ses pantoufles anglais, près d’un
fauteuil anglais. Il a des lunettes anglaises, une petite moustache grise, anglaise. À côté de lui, dans un autre fauteuil anglais, Mme Smith, Anglaise,
raccommode des chaussettes anglaises. Un long moment de silence anglais. La pendule anglaise frappe dix-sept coups anglais.
Mme SMITH
Tiens, il est neuf heures. Nous avons mangé de la soupe, du poisson, des pommes de terre au lard, de la salade anglaise. Les enfants ont bu de
l’eau anglaise. Nous avons bien mangé ce soir. C’est parce que nous habitons dans les environs de Londres et que notre nom est Smith.
M. SMITH, continuant sa lecture, fait claquer sa langue.
Mme SMITH
Les pommes de terre sont très bonnes avec le lard, l’huile de la salade n’était pas rance. L’huile de l’épicier du coin est de bien meilleure qualité
que l’huile de l’épicier d’en face, elle est même meilleure que l’huile de l’épicier du bas de la côte. Mais je ne veux pas dire que leur huile à eux soit
mauvaise.
M. SMITH, continuant sa lecture, fait claquer sa langue.
Mme SMITH
Pourtant, c’est toujours l’huile de l’épicier du coin qui est la meilleure…
M. SMITH, continuant sa lecture, fait claquer sa langue.
Mme SMITH
Mary a bien cuit les pommes de terre, cette fois-ci. La dernière fois elles ne les avait pas bien fait cuire. Je ne les aime que lorsqu’elles sont bien
cuites.
M. SMITH, continuant sa lecture, fait claquer sa langue.
Mme SMITH
Le poisson était frais. Je m’en suis léché les babines. J’en ai pris deux fois. Non, trois fois. Ça me fait aller aux cabinets. Toi aussi tu en as pris
trois fois. Cependant la troisième fois, tu en as pris moins que les deux premières fois, tandis que moi j’en ai pris beaucoup plus. J’ai mieux mangé
que toi, ce soir. Comment ça se fait ? D’habitude, c’est toi qui manges le plus. Ce n’est pas l’appétit qui te manque.
M. SMITH, fait claquer sa langue.
Mme SMITH
Cependant, la soupe était peut-être un peu trop salée. Elle avait plus de sel que toi. Ah, ah, ah. Elle avait aussi trop de poireaux et pas assez
d’oignons. Je regrette de ne pas avoir conseillé à Mary d’y ajouter un peu d’anis étoilé. La prochaine fois, je saurai m’y prendre.
M. SMITH, continuant sa lecture, fait claquer sa langue.
Mme SMITH
Notre petit garçon aurait bien voulu boire de la bière, il aimera s’en mettre plein la lampe, il te ressemble. Tu as vu à table, comme il visait la
bouteille ? Mais moi, j’ai versé dans son verre l’eau de la carafe. Il avait soif et il l’a bue. Hélène me ressemble : elle est bonne ménagère, économe,
joue du piano. Elle ne demande jamais à boire de la bière anglaise. C’est comme notre petite fille qui ne boit que du lait et ne mange que de la
bouillie. Ça se voit qu’elle n’a que deux ans. Elle s’appelle Peggy.
La tarte aux coings et aux haricots a été formidable. On aurait bien fait peut-être de prendre, au dessert, un petit verre de vin de Bourgogne
australien mais je n’ai pas apporté le vin à table afin de ne pas donner aux enfants une mauvaise preuve de gourmandise. Il faut leur apprendre à être
sobre et mesuré dans la vie.
M. SMITH, continuant sa lecture, fait claquer sa langue. […]
Questions préparatoires
1. Pourquoi a-t-on selon vous regroupé ces quatre scènes ? À partir de vos connaissances antérieures, rappelez les enjeux de ce moment au théâtre.
2. Analysez précisément pour chaque texte la situation d’énonciation en tenant compte de la spécificité de l’énonciation théâtrale.
3. Relevez toutes les informations sur les personnages, le lieu, le temps et l’intrigue fournies au spectateur lors de la représentation de la pièce.
Comparez.
4. Comment sont apportées ces informations dans le discours des personnages ? La façon dont les personnages énoncent les informations vous
semble-t-elle vraisemblable ? Comparez entre les quatre textes.
5. Ces scènes vous semblent-elles chercher à captiver le spectateur ? Comment ?
6. Comparez l’usage des didascalies et commentez-les : que traduisent-elles sur la conception qu’ont leurs auteurs du théâtre ?
7. Qualifiez les registres de chacune de ces scènes. Quelles attentes a alors le spectateur sur le genre de la pièce qu’il va voir ?

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