Déserts - aurore dal mas website

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Déserts
Ce moment si particulier où l’on rentre en relation
avec l’autre, physiquement, pourtant sans encore se
toucher.
C’est le début, l’étonnement, le moment d’un choix.
Qui se réitère pour nous rappeler qu’il a déjà été fait il
y a longtemps, et qu’il est vain de s’en défendre.
Il a demandé une chambre avec vue sur l’autoroute, c’est
plus romantique. On nous a donné la chambre 11. Je me suis
déshabillée tout de suite, il a allumé la télévision.
A l’écran, des étrangers meurent. Ça doit être le sud
de l’Italie. Ils dorment dans des abris, travaillent et
meurent dans les champs. Sans égards. Comme des bêtes,
dont on se fout, et qu’on enterre n’importe où.
Je me laisse caresser pendant que je mange un peu d’agneau
cru sur le lit. Il vient plus près de moi et passe ses
mains partout sur ma peau puis il enfonce ses doigts
avec insistance entre mes jambes. Il s’agenouille derrière moi. Ses doigts ressortent. Alors il m’attire vers
lui, me maintient fermement et son sexe glisse tout seul
jusqu’au fond de mon corps. Je me laisse prendre. Pendant
ce temps des gens (ukrainiens ou russes) nous observent à
travers les rideaux pas suffisamment fermés, éclairés par
le spectre des morts de la télévision.
Le visage fixe, plantés derrière la vitre, ils mattent et
parlent entre eux. Il y a une femme aussi. La paroi n’est
pas épaisse; la porte, une planche tout au plus. Peutêtre pas fermée à clé.
Je ne comprends pas ce qu’ils se disent. Ils sont devant
la porte maintenant.
Il m’a pénétrée lentement et fort et il a joui sur mes
fesses.
Ils en veulent encore. Ce n’était pas prévu. Ils sont devant la porte et on ne peut plus sortir.
Après plusieurs minutes d’insistance, ils finissent par
remonter dans leur 4x4. Je m’approche de la fenêtre. Je
vois la femme et un homme au front luisant. Je ne vois
aucun désir dans leur regard.
C’est un hôtel quatre étoiles, il n’y a rien à dire. Je
préférerais être avec quelqu’un d’autre, c’est tout.
Il est vingt-deux heures, il a réservé. L’hôtel dort, on
monte au 1er. Il dit qu’il devrait prendre une douche.
Toujours les mêmes rituels.
Il ne veut pas que je le prenne en photo, il ressort acheter à manger. Je suis seule avec une grande fenêtre qui
donne sur un mur, une télévision qui n’affiche que de la
neige et un lit trop mou. Je pourrais aussi bien partir.
Mais il revient et mange ; je bois sans oublier. Il me
déshabille, enfile une capote, lubrifie plus que nécessaire
et voilà. Il me dit que quand je jouis, on dirait que je
pleure. Et il ressort, la capote pleine. Finalement, il
prend une douche.
J’enfile une fine robe pas chère qui donne toujours bien.
On discute 10 minutes du boulot. Puis il bande de nouveau.
Il rentre de nouveau. Sans pudeur, sans saveur, inutile.
Pour finir il me fait lui lécher les couilles, j’avale sa
transpiration froide. Le goût des hommes, c’est la peau
qui sent le sel et la viande crue tiède. Toujours ce même
goût. Peu importe qui j’ai en bouche.
« Je veux rester avec toi
t’es jolie.»
Le lendemain matin, on est sortis déjeuner. J’ai glissé
ma main dans la sienne. Avant d’être arrivés en haut de
la rue, il l’avait déjà assez discrètement relâchée.
Je n’ai rien attendu de plus les six mois suivants.
On a fait l’amour puis je lui ai demandé s’il avait une
copine.
Il m’a dit « c’est un peu le chaos dans ma tête ».
Je suis rentrée chez moi au milieu de la nuit.
Je lui ai demandé si je pouvais passer chez lui.
Il m’a dit «c’est un peu le bordel dans mon appart».
Je n’étais pas la première aujourd’hui.
Il ouvrait toujours les yeux en souriant, allongé à côté
de moi.
Un jour, il a juste ouvert les yeux.
Je savais que c’était fini.
Une nuit, il ne m’a pas fait l’amour, il m’a vulgairement sautée. J’ai su que c’était fini.
Il m’a fait venir chez lui pour me dire que c’était fini.
Ça faisait deux semaines que c’était fini.
J’avais compris que c’était fini.
© Aurore Dal Mas
Déserts, 2012 (extraits)