73. Addiction au tabac

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73. Addiction au tabac
73. Addiction au tabac
Objectifs :
Repérer, diagnostiquer, évaluer le retentissement d'une addiction au tabac
Indications et principes du sevrage tabagique. Argumenter l'attitude thérapeutique
et planifier le suivi du patient.
-
La part des fumeurs quotidiens a augmenté entre 2005 et 2010 chez les 18 -75 ans,
significativement chez les femmes (en particulier entre 45 et 64 ans) mais pas chez
les hommes. Elle a baissé d’1 % entre 2010 et 2014 (32,8% des hommes et 24,5%
des femmes).
Parmi les collégiens, l’expérimentation de tabac (avoir gouté au moins une fois au
tabac) concerne un peu moins d’un tiers des élèves, avec une augmentation forte
entre les niveaux: 12,7 % en 6 e à 51,8 % en 3ème. Si avant 14 ans les
consommateurs quotidiens sont rares (moins de 2%), ils sont 15,8% en classe de
3ème et 32,4% à la fin de l'adolescence à 17 ans (31,5% des filles, 33,0% des
garçons).
13,3 millions de fumeurs réguliers (consommation quotidienne).
L’espérance de vie d’un fumeur est réduite de 20 à 25 ans par rapport à celle d’un
non-fumeur
Le tabac à rouler est plus nocif que les cigarettes vendues en paquet avec un rendement
en nicotine et en goudrons 3 à 6 fois plus élevé.
Le tabac est la 1ère cause de mortalité évitable : 78000 morts/an.
-
-
I.
Repérage, diagnostic et évaluation du retentissement de l'addiction au
tabac
I.1. Repérage
Les recommandations actuelles proposent les séquences d’entretien suivantes :
Demander : « Fumez-vous du tabac ? »
Si la réponse est oui, on propose un conseil d’arrêt et un accompagnement
(« voulez-vous un dépliant ou des conseils pour arrêter de fumer ? » ou « envisagezvous d’arrêter ? » ou « Voulez-vous en reparler lors d’une prochaine consultation ? »)
Si la réponse est non, demander : « avez-vous déjà fumé ? ». En cas de réponse
positive : « pendant combien de temps ? » puis « depuis combien de temps avezvous arrêté ? »
-
Il est possible, à cette occasion, de demander au patient ses motivations pour ce
comportement.
Une information brève peut être apportée pour rappeler les nuisances liées au
tabac et les bénéfices à l'arrêt (information orale, remise de brochures).
I.2. Diagnostic
- La fumée de cigarette contient plus de 4000 substances chimiques différentes.
- Elles peuvent être classées selon leurs toxicités: cancérigène (benzène,
benzopyrène, nitrosamines, polonium 210, arsenic, dioxines, furanes chlorés),
respiratoire (acétone, acroléine, ammoniac, formaldéhyde, propionaldéhyde),
cardio-vasculaire (acroléine, arsenic, benzène, cobalt), toxicité pour la
reproduction
- La nicotine est principalement responsable de l'addiction au tabac avec l'anabasine, et
l'acétaldéhyde
-
L'addiction au tabac est une maladie chronique dont le nombre de cigarettes
fumées ne définit pas le niveau de dépendance
-
En 2010, 35 % des fumeurs quotidiens de 18-75 ans présentaient des signes de
dépendance moyenne et 18 % de forte dépendance.
-
La proportion de fumeurs dépendants augmente avec l’âge et touche plus
fréquemment les hommes (20 %) que les femmes (17 %).
-
Les catégories d’usage (cf introduction)
-
Le syndrome de sevrage en tabac comprend une humeur dépressive, de
l’irritabilité, de la colère, de la frustration, des difficultés de concentration, de
l’anxiété, une agitation, une augmentation de l’appétit, et des troubles du sommeil
-
En pratique :
Commencer par évaluer le nombre de cigarettes consommées par jour ainsi que
la date de début de la consommation de tabac.
Evaluer ensuite la dépendance au tabac, le plus souvent à l’aide du test de
Fagerström. Il permet d'évaluer le degré de dépendance physique au tabac grâce
à 6 questions simples.
1
Le matin, combien de temps après être réveillé(e), fumez-vous
votre première cigarette ?
Dans les 5 minutes
6 - 30 minutes
31 - 60 minutes
Plus de 60 minutes
Trouvez-vous qu’il est difficile de vous abstenir de fumer dans les
endroits où c’est interdit ? (ex. : cinémas, bibliothèques)
Oui
Non
À quelle cigarette renonceriez-vous le plus difficilement ?
À la première de la journée
À une autre
Combien de cigarettes fumez-vous par jour, en moyenne ?
10 ou moins
11 à 20
21 à 30
31 ou plus
Fumez-vous à intervalles plus rapprochés durant les premières
heures de la matinée que durant le reste de la journée?
Oui
Non
Fumez-vous lorsque vous êtes malade au point de devoir rester
au lit presque toute la journée ?
Oui
Non
2
4
5
6
-
Interprétation du test de Fagerström :
o 0-2 : pas de dépendance ;
o 3-4 : dépendance faible ;
o 5-6 : dépendance moyenne ;
3
2
1
0
1
0
1
0
0
1
2
3
1
0
1
0
o
-
7-10 : dépendance forte ou très forte
Il est également possible de réaliser un mini-test de Fagerström en se limitant aux
items 1 et 4. L'interprétation devient:
o 0-1 : pas de dépendance ;
o 2-3 : dépendance modérée ;
o 4-6 : dépendance forte.
I.3. Evaluation
I.3.1. Evaluation de la motivation
- Pour accompagner une personne dans son désir de changement, il faut avoir une
attitude empathique, non jugeante, soutenante, valorisante
- Il faut essayer de susciter la motivation du patient par l'entretien motivationnel et partir
de sa demande et de ses objectifs sans essayer de lui imposer les nôtres
- Une évaluation analogique de la motivation peut également être utile. Elle s'obtient
en posant la question: "À quel point est-il important pour vous d’arrêter de fumer
?" et en lui demandant de noter sa réponse sur une échelle de 0 ("ce n’est pas du
tout important") à 10 ("c’est extrêmement important").
I.3.2. Tests biologiques
Ils ne sont pas systématiques
I.3.2.1. Dosage du monoxyde de carbone (CO) dans l’air expiré
- Le CO est formé lors de la combustion et se fixe sur l'hémoglobine avec une affinité
très supérieure à celle de l'oxygène créant une hypoxie cellulaire.
- Le dosage s'effectue, idéalement au moins 30 minutes après la dernière cigarette,
avec un testeur ambulatoire, après 10 secondes de blocage respiratoire en
inspiration suivi d'une expiration.
- La mesure est exprimée en ppm (partie par million) et reflète l’intoxication au CO
de l’individu.
- Schématiquement, la consommation d’une cigarette correspond à 1 ppm. Un taux
de 20 ppm traduit donc une consommation d’un paquet par jour.
I.3.2.2. Dosage de la cotinine urinaire.
- Ce métabolite de la nicotine est éliminé lentement dans les urines.
- Son dosage peut être utilisé pour objectiver l’arrêt d’une consommation.
- N’étant pas distinguable de celui provenant de la dégradation de la nicotine
thérapeutique, il apporte peu d’information chez les patients sous substituts
nicotiniques.
I.3.2.3. Phénotypage du cytochrome P450 2A6
- Il se fait par la mesure plasmatique de la cotinine (CT) et de la 3’-hydroxycotinine
(3HC) (métabolites de la nicotine)
- Il permet d’estimer les capacités métaboliques individuelles.
- Un patient ayant un rapport de concentrations 3HC/CT élevé traduit une forte
capacité à dégrader la nicotine en raison d’un métabolisme important. Traité avec
des substituts nicotiniques, il nécessitera probablement des posologies plus
élevées.
I.3.3. Conséquences et comorbidités
I.3.3.1. Conséquences somatiques
- Pathologies cardiovasculaires (AVC, HTA, artériopathies des membres inférieurs,
syndrome coronarien aigu, anévrisme de l’aorte abdominale, mort subite). Dépister un
anévrysme de l’aorte abdominale chez tout homme entre 65 et 75 ans ayant un
tabagisme chronique actuel ou passé par un écho-doppler réalisé une seule fois.
- Pathologies pulmonaires (bronchite aigue, bronchopneumopathie chronique
obstructive, aggravation de certaines pathologies comme l’asthme)
-
-
-
Cancers (poumon, ORL (larynx, pharynx, cavité buccale, VADS), œsophage,
vessie, pancréas, rein, foie, col de l’utérus)
o Dans le cas du cancer du poumon, le risque dépend de la dose mais surtout
de la durée d’exposition. Ainsi doubler la dose entraîne un doublement du
risque alors que doubler la durée du tabagisme le multiplie par un facteur 16
à 32.
Facteur favorisant d'ostéoporose, d’infections bactériennes ou virales sévères, de
maladie de Crohn
Urologiques : trouble de l’érection, diminution de la spermatogénèse
Gynécologiques et obstétricales : fertilité diminuée chez les femmes, allongement
du délai de début de grossesse à l’arrêt des contraceptifs, risque de fausse(s)
couche(s) spontanée(s), de GEU augmenté, risques de prématurité et de retard de
croissance intra-utérin (altérations placentaires et effets du CO).
Le tabagisme, à l'origine d'interactions médicamenteuses, diminue l’efficacité de
certains anti-infectieux, antidiabétiques, antihypertenseurs.
De façon générale, il est recommandé de rechercher des signes fonctionnels d’une
pathologie liée au tabac
I.3.3.2. Comorbidités psychiatriques et addictologiques
- Troubles anxieux: agoraphobie, trouble panique, phobie sociale, trouble anxieux
généralisé, état de stress post traumatique
- Dépression avec en cas d’antécédent dépressif, arrêt plus difficile et échecs plus
fréquents
- Schizophrénie
- Consommation d’alcool fréquemment associée
- Consommation associée de cannabis chez les jeunes
- Co-addictions (cocaïne, opiacés comme l’héroïne, tranquillisants…)
I.3.3.3. Conséquences du tabagisme passif
- Augmentation ou aggravation de pathologies préexistantes chez l’adulte (syndrome
coronarien aigu par exemple)
- Cancer du poumon, ORL
- Chez l’enfant : asthme, bronchite, otites, pneumopathie
- Hypotrophie chez l’enfant exposé in utero
- Mort subite du nourrisson
II.
Prise en charge thérapeutique
II.1. Traitements pharmacologiques
Plusieurs traitements pharmacologiques sont aujourd’hui disponibles en France : les
substituts nicotiniques, la varénicline et le bupropion.
II.1.1. Traitements de substitution nicotinique (TSN)
- L’objectif thérapeutique est essentiellement de diminuer voire de supprimer les
symptômes liés au sevrage en nicotine et de diminuer les envies de cigarette
(craving).
- La difficulté d’utilisation réside dans la bonne adhésion du patient, la compréhension
des modalités d’administration afin d’éviter les effets indésirables et le choix de la
dose. Une titration individuelle est nécessaire pour trouver la dose optimale pour un
patient même s’il est possible de se baser sur des recommandations simples.
- De nombreuses formes galéniques existent: timbres transdermiques (patchs) (A
porter 24 heures (dosés à 7, 14 ou 21 mg) ou 16 heures (dosés à 10, 15 ou 25 mg)),
gommes à mâcher (2 et 4 mg), comprimés à sucer (dosés à 1 ; 1,5 ; 2 ; 2,5 et 4 mg),
inhaleurs (10 mg de nicotine par cartouche) et sprays buccaux (1 mg de n icotine par
pulvérisation, avec une absorption rapide)
- Il a été démontré que toutes les formes galéniques présentaient une efficacité
équivalente isolément mais que leur association renforçait l’efficacité.
- Les effets indésirables dépendent de la forme utilisée: céphalées, dysgueusie,
hoquets, nausées, dyspepsie, douleurs et paresthésie au niveau des tissus mous de
la cavité buccale, stomatite, hypersécrétion salivaire, brûlure des lèvres, sécheresse
buccale et/ou de la gorge.
- La dose initiale peut se baser sur le principe "1 cigarette = 1 mg de nicotine", à adapter
à chaque patient.
o Exemple: chez un patient fumant 20 cigarettes par jour, on commencera avec un
patch de 21 mg/jour.
o S’il fume encore 7 cigarettes/jour avec ce patch, on pourra ajouter un patch de 7
mg ou associer des formes orales à la demande pour atteindre le niveau de
nicotine suffisant.
o La durée d’administration des substituts nicotiniques est variable selon les
patients : de 6 semaines à 6 mois (Accord professionnel).
II.1.2. Varénicline (Champix®)
- Il s’agit d’un agoniste partiel des récepteurs nicotiniques cérébraux à
l’acétylcholine.
- Compte tenu de sa balance bénéfice/effets indésirables, il ne doit être uti lisé dans
le sevrage tabagique de l’adulte qu'en seconde intention, après échec des TSN.
- Il a une efficacité supérieure au placebo pour l’arrêt du tabagisme à 6 mois et au
bupropion pour l’arrêt du tabagisme à 12 semaines.
- Il n’existe pas de supériorité par rapport aux TSN (notamment aux timbres
nicotiniques), ni à une combinaison de TSN
- Les effets indésirables sont des troubles du sommeil (insomnie, rêves anormaux),
des céphalées, des troubles gastro-intestinaux (nausées, constipation, flatulences)
et
possiblement
cardiovasculaires,
neuropsychiatriques
(dépression,
comportements suicidaires, changements comportementaux, hostilité, agitation)
II.1.3. Bupropion (Zyban®)
- Il est indiqué comme aide au sevrage tabagique accompagné d'un soutien
motivationnel.
- Son mécanisme d'action dans le sevrage tabagique serait dû à une inhibition
sélective de la recapture des catécholamines (noradrénaline et dopamine).
- Il faut débuter le traitement avant l'arrêt du tabagisme et décider d'une date d'arrêt
dans les deux semaines qui suivent.
- La posologie est d’un comprimé par jour pendant les 6 premiers jours puis 2
comprimés en 2 prises pendant 7 à 9 semaines.
- Il a une efficacité supérieure au placebo pour l’arrêt du tabagisme à 6 mois, mais
pas aux TSN et inférieure à la varénicline.
- Les effets indésirables sont des troubles neuropsychiatriques (insomnie très
fréquente, dépression, comportements suicidaires), des nausées, une sécheresse
buccale, des réactions cutanées ou allergiques, des troubles neurologiques
(vertiges, céphalées ou convulsions) et quelques effets cardiovasculaires à type
d’hypertension artérielle, d’angor et/ou d’infarctus du myocarde.
II.2. Attitude thérapeutique
- L’objectif thérapeutique est l’arrêt de toute consommation car il n’existe pas de
risque zéro pour la cigarette. Cependant, une phase de réduction de la
consommation avant arrêt est envisageable chez les patients.
-
La première étape consistera à évaluer le degré de motivation du patient.
o Le médecin doit utiliser la technique des entretiens motivationnels
o Il est nécessaire de développer une écoute bienveillante avec de l'empathie
sans juger ni culpabiliser le patient.
Un renforcement est souvent nécessaire qui peut aider le patient à sortir d’une
éventuelle ambivalence (« je voudrais arrêter mais… »).
o Une balance décisionnelle peut lui être proposée: le patient est conduit à
décrire les avantages qu’il voit dans une modification de ses habitudes et dans
un arrêt de toute consommation ou à l’inverse dans la persistance de sa
consommation.
o Les autres principes de l’entretien motivationnel sont : ne pas forcer la
résistance avec le patient, éviter l’affrontement avec le patient, renforcer le
sentiment de liberté de choix du patient et le sentiment d’efficacité personnelle,
lever les obstacles (symptômes de sevrage, prise de poids, absence de
volonté…)
o Cette première démarche peut nécessiter une période de réflexion où la
participation du patient est essentielle.
Quelle que soit la motivation du patient, un soutien psychologique est nécessaire
en encourageant et valorisant sa démarche.
o
-
Dans la prise en charge d'un patient désirant arrêter de fumer, les thérapies
cognitives et comportementales (TCC) vont promouvoir le changement de
comportement.
o Elles permettent de modifier les pensées élaborées pendant la dépendance
pour justifier la(les) addiction(s).
o Les changements sont cognitifs (pensées et croyances responsables des
émotions) et comportementaux (actes, réactions, attitudes).
-
L’initiation du traitement pharmacologique est marquée le plus souvent par un
substitut nicotinique avec la recherche de la dose et de(s) galénique(s) optimale(s).
o Une association timbre/comprimé ou gomme est classique mais non
obligatoire.
o Il faut expliquer au patient que la nicotine n’est pas cancérigène et que
l’association temporaire de substituts nicotiniques et de cigarettes, même si
elle est à éviter, ne doit pas faire arrêter le traitement.
En seconde intention, peuvent être envisagés la varénicline ou le bupropion
-
Des règles hygiénodiététiques et des activités sportives modérées doivent être
proposées
-
L’acupuncture et l’hypnose n’ont pas démontré une efficacité suffisante dans le
traitement de la dépendance tabagique
-
Dans l'état actuel des connaissances, la cigarette électronique ne fait pas partie des
recommandations de l'HAS (octobre 2014) pour arrêter de fumer car il n'a pas été
démontré qu'elle permette d'arrêter de fumer durablement. En revanche, son utilisation
chez un patient qui a arrêté de fumer en vapotant ne doit pas être découragée.