Parcours d`obstacle vers les particules - Irfu

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Parcours d`obstacle vers les particules - Irfu
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MARDI 14 AOÛT 2001
Sciences et médecine
CREUTZFELDT-JAKOB Le découvreur du prion publie une étude sur le cocktail de médicaments sans doute testés avec succès sur la jeune Rachel
La recette prometteuse du P Prusiner
r
Le mystérieux cocktail de médicaments qui
aurait amélioré de façon spectaculaire la santé
de Rachel, cette jeune anglaise de 20 ans, probablement atteinte de la forme humaine de la
maladie de la vache folle (nos éditions d’hier,
lundi 13 août 2001) est aujourd’hui connu.
Deux « vieilles » molécules ont été probablement données à la jeune malade par l’équipe
du Pr Stanley Prusiner : le Largactil, antipsychotique mis au point en 1952 par le biologiste
Jean-Michel Bader
Sommes-nous les témoins
d’un événement aussi important,
pour les maladies à prions, que
l’apparition en 1945 de la pénicilline dans la lutte contre le staphylocoque ? C’est la question
grave que se pose le monde savant, et le public, en apprenant
dimanche l’histoire bouleversante de Rachel. Cette jeune
femme anglaise de Newton-leWillows (Lancashire), après six
mois de maux divers (dépres-
français Henri Laborit, et la quinacrine, un antipaludéen et antiparasitaire au très large
spectre d’utilisation. Les comptes rendus de
l’Académie américaine des sciences (1) publient aujourd’hui les travaux effectués par
Prusiner sur des cellules de souris. L’article ne
donne aucun détail, même préliminaire sur le
cas de Rachel. Mais un essai clinique de plus
grande envergure est d’ores et déjà prévu par
les chercheurs.
sion, anxiété), puis une franche
maladie neurologique (paralysies, contractions musculaires,
photophobie) a, en juin dernier,
été diagnostiquée atteinte du
nouveau variant de la maladie de
Creutzfeldt-Jakob.
La sentence de mort annoncée est alors refusée par le père,
Stephen. Il fait le tour d’Europe
des professeurs de neurologie et
des spécialistes des maladies à
prions, entre autres français
(nos éditions d’hier). Enfin, fin
juin, un espoir vient de San
Fransisco. L’équipe de cliniciens
collaborant avec le Pr Stanley
Prusiner, spécialiste des prions à
l’Institut des maladies neurodégénératives de l’université de
Californie, accepte d’enrôler Rachel dans un protocole « compassionnel » basé sur un cocktail
de
médicaments
expérimentaux.
Pendant 18 jours en juillet, Rachel va recevoir ce traitement, et
son état clinique va s’améliorer
de façon surprenante. Bien entendu, les questions abondent :
Rachel a-t-elle vraiment la maladie ? Un cerveau déjà tellement
infecté de prions peut-il être nettoyé par un simple comprimé ?
drogues. L’astuce double de
Stanley Prusiner a consisté à répertorier les médicaments actifs
dans le cerveau, passant donc
facilement la barrière hématoencéphalique, et surtout les médicaments déjà utilisés chez
l’homme. On évite ainsi d’avoir à
refaire toutes les études de biodisponibilité, de toxicité, de
pharmaco-cinétique, qui sont
mazine mise au point en 1952
par Henri Laborit comme agent
neuroleptique, utilisé dans de
très nombreuses indications
neuropsychiatriques, et toujours
commercialisé après cinquante
ans de bons et loyaux services.
Son nom (Largactil) avait été
trouvé par les psychiatres français Jean Delay et Pierre Deniker
pour rendre compte de son
champ large
d’action. Le
Pr Prusiner a
également
sorti de l’oubli
la quinacrine,
un médicament antiparasitaire sexagénaire, utilisé
contre le paludisme, la leishmaniose, la giardiase, les amibes,
les vers intestinaux et les trichomonas. La structure moléculaire
des deux produits est certainement importante pour rendre
compte de leur effet sur les cel-
Le professeur américain
a utilisé un antipsychotique
mis au point en 1952
par le Français Laborit
d’habitude réclamées par les autorités sanitaires pour la mise
sur le marché d’un nouveau médicament.
En puisant au plus profond du
grand bocal de la pharmacopée,
Prusiner a trouvé la chlorpro-
lules. A la concentration de
0,3 millionième de moles, la
chlopromazine permet de diminuer de 50 % la concentration
de prions pathologiques dans les
cellules. Et la quinacrine semble
au moins dix fois plus efficace
que la chlorpromazine. L’équipe
de Prusiner a mis au point une
série d’analogues des deux familles et sont en train de les tester in vitro.
Pour le Pr Dominique Dormont, spécialiste des prions
(CEA, Fontenay-aux-Roses),
« c’est du bon travail, avec un
modèle connu et validé. Mais ce
n’est qu’une souche de tremblante dans une seule cellule de
souris. On n’a pas encore de travaux sur le prion humain dans
des cellules humaines. Et il
manque encore des travaux sur
l’animal vivant. »
(1) Proceedings of the National
Academy of Science, PNAS, du 14
août 2001.
Les autres pistes de traitement
Un remède pour les vaches ?
S’il s’avère possible, comme semble l’indiquer
les expériences du Pr Stanley Prusiner, d’empêcher la formation de nouveaux prions pathologiques dans les cellules infectées, c’est
tout un nouveau champ thérapeutique qui serait né. Peut-on déjà envisager d’administrer
le nouveau cocktail de molécules aux
« vaches folles » ou aux moutons atteints de
tremblante ?
Les seules expériences chez l’animal ont
consisté à administrer de la chlorpromazine
(la molécule testée par Prusiner) à des souris,
qui recevaient ensuite des prions de tremblante en injection intracérébrale. La période
Ne s’agit-il pas d’une de ces rémissions bien connues dans ces
maladies neurodégénératives ?
A ces questions, il n’est pas encore possible de répondre. Rachel a-t-elle bien reçu les médicaments candidats testés sur des
cellules animales que décrit aujourd’hui Stanley Prusiner dans
une revue savante (1) ? Le fait
que la jeune malade a eu une coloration jaune de la peau, un effet
secondaire connu de la quinacrine, ne suffit pas à démontrer
qu’elle a pris cette molécule.
Hier, le service de presse de
l’université de Californie a simplement admis que deux malades avaient reçu de la quinacrine.
Une chose est certaine :
l’équipe de chercheurs a étudié,
dans des cellules immortelles de
souris (des neuroblastomes)
comment variait l’infection
chronique par le prion responsable de la tremblante du mouton, sous l’effet de multiples
d’incubation a été prolongée d’un mois, mais
la maladie est finalement toujours apparue.
Par ailleurs, ce neuroleptique pourrait bien
n’atténuer que les symptômes neuropsychiatriques du nouveau variant de Creutzfeldt-Jakob, sans modifier aucunement la progression de l’infection. Si c’est le cas, observe le
Pr Dominique Dormont, l’un des meilleurs
spécialistes français des encéphalopathies
spongiformes, la médecine vétérinaire et les
autorités sanitaires seraient certainement réticentes à donner aux vaches un traitement
qui n’aurait aucune incidence sur l’infectivité
de la viande et des abats.
De nombreuses pistes thérapeutiques ont été envisagées par
les chercheurs, dans les maladies
à prions. Certaines ont déjà été
testées chez l’animal, avec
quelque succès. Mais jamais des
résultats
expérimentaux
n’avaient permis d’oser essayer
quelque médicament que ce soit
chez l’homme.
L’amphotéricine B, un antifongique déjà utilisé chez l’homme,
s’était avéré assez efficace dans
le modèle du hamster (infecté par
le prion de la tremblante de mouton) pour allonger la durée de la
maladie expérimentale. Mais les
doses requises chez l’homme ont
fait reculer les médecins. Seule
une équipe italienne l’a testé sur
un malade, sans aucun effet. On
a même testé les statines anticholestérol : en effet, puisqu’il faut un
environnement riche en cholestérol au prion pour se répliquer,
des chercheurs ont voulu diminuer sa concentration : là encore,
les doses requises étaient incom-
patibles avec la vie. Autre possibilité : mouler à partir de la protéine prion, des épitopes (des
motifs apparents) pour modifier
la forme et interrompre la réplication : ils n’ont jamais été testés.
Les bêta sheet breakers ont
connu récemment leur gloire
avec la publication dans la revue britannique Nature (1) du
travail de Claudio Soto, chercheur chez Serono : il a réussi à
disperser in vitro les amas de
prions et à les désagréger avec
ces petites molécules. Là encore, aucun essai animal ni humain.
Il y a aussi des anticorps antifragments de prion, des polyanions du sulfate de dextran, du
pentosane sulfate, des polyamines. Personne ne connaît leur
mode d’action. Et toutes ces substances ont été testées sur des cellules de culture.
(1) Nature du 14 juin 2001,
Le Figaro du 15 juin 2001.
Un Prix Nobel
pour le prion
Stanley B. Prusiner a été récompensé en 1997 par le prix
Nobel de médecine pour avoir,
le premier, isolé la protéine
prion. La communauté scientifique était sceptique. Et pour
cause, pour la première fois, ce
professeur en neurologie et
biochimie de l’Université de Californie (San Francisco) établissait qu’une protéine, et non un
gène déficient, une bactérie ou
un virus, était à l’origine d’une
maladie dégénérative.
Né en 1942, Stanley Prusiner
commence dès 1972 à travailler sur ces maladies neurodégénératives après la mort
d’une de ses patientes atteinte
de démence résultant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob
(MCJ). En 1982, le docteur Prusiner isole une protéine qu’il
appelle prion. En 1984, son
équipe découvre non seulement le gène PrP qui code le
prion, présent chez l’homme et
l’animal, mais aussi les deux
formes distinctes que cette protéine peut prendre : l’une normale et l’autre pathogène. Ce
flamboyant chercheur, qui a
organisé de très nombreuses
collaborations avec l’industrie
pharmaceutique, a été le premier à découvrir que cette protéine infectieuse contamine
toute protéine saine quand
elles sont en contact. Mais son
goût immodéré du secret gêne
désormais les échanges scientifiques avec ses collègues.
RECHERCHE Tribulations d’un physicien français en Virginie
Parcours d’obstacle
vers les particules
Pendant trois jours, Le Figaro suit un physicien et un ingénieur français invités à travailler dans l’impressionnant accélérateur de Newport News en Virginie sur les mystères du
proton. Première étape : le parcours d’obstacle pour être admis dans le saint des saints.
MARYLAND
DEL.
Washington
VIRGINIE
OCC.
Richmond
Newport News (Virginie) :
de notre envoyé spécial
Cyrille Vanlerberghe
Newport News
VIRGINIE
50 km
CAROLINE
DU NORD
est à la fois théorique (pour tout
savoir sur tous les types de radioactivité) et pratique, afin de
savoir ce qu’il ne faut pas faire
dans le bâtiment de l’accélérateur. Bizarrement, ce genre de
formation n’existe pas dans les
accélérateurs européens, qui
présentent pourtant les mêmes
risques.
Le principal danger de radiations est lié à l’intense faisceau
d’électrons qui sont accélérés à
une vitesse très proche de celle
de la lumière.
Lorsque l’accélérateur
fonctionne,
personne ne
peut entrer
dans l’enceinte de la
machine, là
où passent les
faisceaux de particules. Pour
éviter toute interaction avec la
matière, ce qui projetterait des
gerbes de particules dans
toutes les directions, les électrons voyagent dans des tubes
dans lesquels un vide poussé a
été fait. « A la différence d’une
centrale nucléaire dont le cœur
reste radioactif en permanence, la radioactivité d’un ac-
Pour accéder au laboratoire,
il faut passer des tests
sur les procédures
de sécurité à respecter
avec la sécurité. Aspect le plus
surprenant, le « Jlab » est
classé comme une installation
nucléaire. Les personnes qui y
travaillent doivent passer une
formation assez poussée sur les
dangers liés à la radioactivité,
et porter en permanence des
badges dosimètres qui cumulent la radioactivité reçue par
chaque employé. La formation
Jefferson
Laboratory
© PROCHAIN ARTICLE
LES CAPRICES
DE LA MACHINE
:
P
ASSAGE DE TÉMOIN EN ORBITE Le cosmonaute russe Youri Oussatchev (en haut), qui commande la station
spatiale internationale ISS depuis le mois de mars, a accueilli hier l’équipage de la navette Discovery, dirigé par l’Américain
Scott Horowitz (lire nos éditions d’hier). Oussatchev et ses deux colocataires américains redescendront sur Terre
à bord de la navette le 20 août. Ils seront remplacés par un nouveau trio, un Américain et deux Russes
qui occuperont le laboratoire orbital, à 380 km d’altitude, jusqu’au mois de décembre. (Photo Nasa-AFP.)
En bref
BALLON
Fossett proche
du Chili
L’aérostier américain Steve
Fossett, à bord du ballon Solo
Spirit, était hier soir à moins
de 1 600 km du Chili, qu’il
devrait atteindre demain matin, selon Bob Rice, le météorologue du centre de
contrôle. Il a déjà accompli
41 % de son périple, commencé il y a dix jours. L’arrivée du milliardaire au-dessus
de l’Amérique du Sud marquera la moitié de son
voyage. Parti d’Australie le
4 août, Fossett devrait boucler son tour du monde en 15
à 18 jours. Mais, s’il conserve
sa vitesse actuelle, le voyage
pourrait « excéder cette durée », a indiqué son centre de
contrôle.
BIOLOGIE
Des cellules
souche dans la peau
Des chercheurs canadiens
ont réussi à isoler des cellules souches dans la peau
de rongeurs adultes, capables de se transformer en
cellules nerveuses, musculaires et graisseuses. Ces
cellules présentent l’avan-
tage d’être facilement accessibles, sur des animaux
adultes et non sur des embryons. Les thérapies cellulaires de remplacement sont
particulièrement prometteuses pour le système nerveux, notent les chercheurs
de l’Institut neurologique de
l’université McGill à Montréal (Édition Internet de Nature Cell Biology).
B
Neuf heures du matin,
Thierry Pussieux, physicien du
CEA (Commissariat à l’énergie
atomique), arrive sur son lieu
de travail. Loin de son bureau
de Saclay, il vient passer une
semaine au Jefferson Laboratory, en Virginie, l’un des gros
accélérateurs de particules
américains. Comme de nombreux autres chercheurs français dans son domaine de physique nucléaire, Thierry
Pussieux n’a d’autre choix que
de venir faire ses expériences
dans des laboratoires étrangers
qui disposent, eux, des machines adéquates.
Au premier abord, rien ne
distingue ce laboratoire du
siège commercial d’une entreprise quelconque. Le large bâtiment moderne de l’administration est installé au milieu
d’un parc aux pelouses impeccables. L’anneau de l’accélérateur est enfoui à une dizaine de
mètres sous terre et reste à
peu près invisible. D’ailleurs,
avant d’y entrer, de nombreuses démarches administratives doivent être remplies
afin de recevoir le précieux
badge qui permet de franchir
le contrôle du poste de sécurité.
Même pour Thierry Pussieux, qui vient presque une
fois par mois dans ce laboratoire, ce parcours administratif
occupe au moins une demijournée. Pour Nathalie Colombel, l’ingénieur du CEA qui
voyage cette fois avec le physicien et qui n’est pas revenue au
« Jlab » depuis deux ans, la démarche prend plutôt l’allure
d’un parcours d’obstacles de
presque deux jours.
En plus de l’inscription administrative, il lui faut repasser
presque tous les tests sur les
procédures de sécurité en vigueur dans le laboratoire. Le
département de l’énergie (DOE)
américain, qui gère l’installation, ne plaisante pas du tout
célérateur disparaît toutefois
presque totalement dès que
l’on arrête le faisceau de particules », explique un jeune instructeur blond dont le fort accent nasillard complique
encore la compréhension d’un
sujet ardu. Seuls quelques
« points chauds », comme les
environs de la cible frappée par
les électrons ou la décharge du
faisceau, restent activés même
après l’arrêt de la machine.
Après avoir appris les
soixante-dix pages du manuel
sur la radioactivité et passé le
long questionnaire, Nathalie Colombel doit ensuite convaincre
les responsables du test que
l’ordinateur qui a corrigé son
épreuve a dû se tromper, et
qu’elle a en fait réussi le test ! Ce
qui paraît au départ inimaginable pour les fonctionnaires
américains se confirme : l’ordinateur n’a corrigé que la moitié
des réponses de la Française ; et
lui a donc attribué un pourcentage de réussite absolument erroné. Les fonctionnaires reconnaissent finalement l’erreur et
décernent son si convoité dosimètre à Nathalie Colombel. Plus
qu’une affaire d’amour-propre,
il s’agit pour l’ingénieur de ne
pas perdre plus de temps, puisqu’en cas d’échec il lui aurait
fallu attendre le lendemain pour
repasser le test. Ou, encore plus
contraignant, être à chaque
fois accompagnée par une personne autorisée pour entrer
dans l’enceinte de l’accélérateur.

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