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Lille 2, université droit et santé Ecole doctorale des sciences juridiques, politique et sociale (n°74) Faculté des sciences juridiques politiques et sociales LE CARACTERE HYBRIDE DE LA COMPOSITION PENALE Mémoire présenté et soutenu en vue de l’obtention du Master Droit « recherche », mention « droit pénal » Droit privé Par Emilie Deschot SOUS LA DIRECTION DE FRANCOISE LOMBARD Année universitaire 2005/2006 Ce mémoire a été publié le 19 février 2007 avec l’autorisation de l’auteur et l’approbation du jury de soutenance sur http://edoctorale74.univ-lille2.fr Sommaire Remerciements..................................................................................................... 3 INTRODUCTION............................................................................................... 4 Première partie – LA COMPOSITION PENALE : UNE MESURE PROCHE DE CELLES DE LA « TROISIEME VOIE », AVEC L’APPARENCE D’UNE NEGOCIATION ...................................................... 9 Chapitre I - La composition pénale : une justice négociée ?.................................................. 9 Chapitre II – La composition pénale : une mesure alternative aux poursuites?................... 28 Deuxième partie – LA COMPOSITION PENALE : UNE MESURE PROCHE D’UNE PEINE................................................................................. 46 Chapitre I – L’aspect répressif certain de la composition pénale ........................................ 46 Chapitre II – Les caractéristiques manquantes pour faire de la composition penale une veritable peine ...................................................................................................................... 63 CONCLUSION.................................................................................................. 78 BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................ 80 2 REMERCIEMENTS Je tiens à remercier sincèrement celles et ceux qui m’ont aidée dans la préparation de ce projet. Parmi eux madame Lombard, dont les conseils, la disponibilité et l’écoute ont permis au projet de se dérouler dans les meilleures conditions. Je remercie également madame Menu pour sa réactivité dans l’échange des mails. La rapidité de ses réponses m’a ravie tout au long de cette année. Je remercie aussi ma famille pour son soutien et pour m’avoir permis d’en arriver là où je suis. Enfin, je tiens tout particulièrement à remercier Pierre, sans qui ce projet n’aurait peut-être pas vu le jour, en lui dédiant cette recherche. 3 INTRODUCTION Depuis près d’un demi-siècle nous assistons à une véritable métamorphose du rôle du Ministère public. C’est sans aucun doute l’une des institutions de procédure pénale dont le visage a le plus spectaculairement été modifié depuis le Code de procédure pénale de 1959. Si jusqu’alors, lorsqu’une infraction leur était rapportée, les membres du parquet n’avaient guère d’autre choix que de classer sans suite l’affaire ou poursuivre l’auteur, aujourd’hui leurs pouvoirs se sont considérablement étoffés. Ce sont les lois des 3 janvier 1993 et surtout 23 juin 1999 qui ont mis fin à cette vieille dualité entre poursuite et classement qui montrait ses limites face à l’accroissement des affaires. Plus précisément, le manque de souplesse de ce système faisait que les parquets et tribunaux répressifs, dont la capacité était restée identique, ne parvenaient plus à faire face à cette montée en puissance du nombre d’affaires. Parallèlement à l’augmentation du nombre d’infractions commises, c’était un nombre de plus en plus conséquent de cas qui faisait l’objet d’un classement sans suite, classement de pure nécessité et non dicté par des considérations de politique criminelle. Non seulement la justice n’apportait pas de réponse à des faits manifestement délictueux, mais en plus les victimes étaient souvent ignorées. C’est donc par souci d’apporter plus systématiquement une réponse pénale aux infractions constatées que le législateur, par le biais de ces deux lois, a mis à la disposition du Ministère public une série de possibilités moins tranchantes que le classement « sec » et l’engagement des poursuites. Ce sont les mesures alternatives aux poursuites de l’article 41-1 du Code de procédure pénale, dites aussi mesures de la « troisième voie », et, ce qui nous intéresse plus particulièrement, la composition pénale. En instaurant la composition pénale dans le droit français, les parlementaires semblent avoir répondu à la demande du Comité des ministres du Conseil de l’Europe qui, en 1987, recommandait aux pays membres de l’Union européenne le recours à la procédure du guilty- 4 plea : « Chaque fois que les traditions constitutionnelles et juridiques le permettent, il faudrait instituer soit la procédure des guilty-pleas, par laquelle l’inculpé est appelé à comparaître devant un tribunal à un stade précoce de la procédure pour déclarer publiquement s’il reconnaît ou nie les charges retenues contre lui, soit des procédures analogues »1. La loi n° 99-515 du 23 juin 1999, qui a institué la composition pénale, avait clairement pour objectif d’améliorer l’efficacité de la procédure pénale. Deux nouveaux articles, les articles 41-2 et 41-3, ont été insérés dans le code de procédure pénale dans la troisième section du chapitre 2, relatif au Ministère public, intitulée « Des attributions du procureur de la République ». En effet, la nouvelle procédure a été mise au service de ce dernier afin d’alléger les audiences correctionnelles d’un certain nombre d’infractions rencontrées régulièrement par les tribunaux, la « petite délinquance de masse qui encombre les audiences correctionnelles » comme les qualifiait Monsieur Mermaz. Si, à l’origine, les délits pouvant être traités par la composition pénale étaient strictement limités et énumérés à l’article 41-2 NCPP (à savoir, les délits prévus par les articles 222-11, 222-13 (1° à 11°), 222-16, 222-17, 222-18 (premier alinéa), 227-3 à 227-7, 227-9 à 227-11, 311-3, 313-5, 314-5, 314-6, 321-1, 322-1, 322-2, 322-12 à 322-14, 433-5 à 433-7 et 521-1 du code pénal, par les articles 28 et 32 (2°) du décret-loi du 18 avril 1939 fixant le régime des matériels de guerre, armes et munitions, par l’article L. 1er du code de la route et par l’article L. 628 du code de la santé publique) , la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 (dite loi Perben 2) est venue considérablement étendre le champ d’application de la composition pénale, la rendant applicable à tous les délits punis à titre de peine principale d’une peine d’amende ou d’une peine d’emprisonnement d’une durée inférieure ou égale à cinq ans. Mais la composition pénale ne peut pas être réduite simplement à une mesure allégeant les audiences correctionnelles. Elle est bien plus que cela. Elle améliore la qualité de la justice pénale en apportant une réponse dissuasive et plus systématique aux actes de petite et moyenne délinquance bien trop souvent classés sans suite, voire non poursuivis. En quoi consiste cette nouvelle procédure ? Dans une présentation volontairement succincte, la composition pénale est la proposition d’une ou plusieurs mesures par le procureur de la République ou son délégué à l’auteur de certains délits ou contraventions qui doit les accepter pour que la procédure puisse être mise en œuvre. Seuls les majeurs peuvent faire l’objet d’une telle proposition. L’acceptation de la procédure est entendue comme un aveu de culpabilité. 1 . Claire Saas, « De la composition pénale au plaider coupable : le pouvoir de sanction du procureur de la République », revue de science criminelle et de droit comparé, octobre-décembre 2004, n° 4, p. 827 et seq. 5 L’accord intervenu entre le procureur et le délinquant est ensuite transmis aux présidents du tribunal de grande instance pour les délits ou du tribunal d’instance pour les contraventions à fin de validation (les juges de proximité étant compétents également sur saisine du président du tribunal concerné, depuis la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002) et ceux-ci ne peuvent que l’accepter ou la rejeter purement et simplement. Ils ne peuvent en aucun cas substituer d’autres mesures à celles décidées par le procureur de la République. En cas de validation par le juge, la réussite de la composition pénale, qui dépendra de l’exécution volontaire du mis en cause, éteindra l’action publique. En ne faisant pas de la composition pénale une mesure entièrement concentrée dans les mains du procureur mais nécessitant l’intervention d’un juge pour la validation, le législateur s’est autocensuré. Il a ainsi anticipé la probable censure du Conseil constitutionnel qu’avait connu une mesure similaire créée en 1994, l’injonction pénale, qui consistait à abandonner les poursuites contre une somme à verser au Trésor public et dans laquelle seul le procureur était amené à prendre la décision, l’intervention de l’autorité de jugement n’étant à aucun moment prévue. Dans la décision n° 95-360 DC du 2 février 1995 le Conseil constitutionnel censurait la mesure car la séparation des autorités chargées de l’action publique et des autorités de jugement, garantissant la sauvegarde des libertés individuelles, faisait défaut. La composition pénale n’a pas reçu l’accueil escompté. Dès le vote de la loi l’instituant elle subissait de vives critiques, provenant tant des juges répressifs que du Ministère public. C’est pourquoi la Chancellerie a attendu dix-huit mois, le 29 janvier 2001, avant de publier son décret d’application qui fit entrer en vigueur ce nouveau dispositif. Comme nous pouvons nous en douter, si les juges et les procureurs s’harmonisaient sur le principe de la critique, ils divergeaient sur le contenu de celle-ci. En effet, les magistrats du siège reprochaient à la nouvelle mesure de les priver de la prérogative suprême de décider des mesures répressives dans bon nombre de cas, en transférant ce pouvoir au Ministère public. C’est ainsi que la composition pénale est qualifiée par certains de « justice au rabais », justice écartant la juridiction du tribunal correctionnel, et donc la solennité attachée à l’audience, la plupart du temps publique, qui pouvait intimider le délinquant et le dissuader de se retrouver un jour confronté à nouveau au circuit judiciaire. Le Ministère public, quant à lui, voyait dans la lecture du texte une mesure encore trop complexe et lourde à mettre en œuvre. Cependant, avec le temps et l’application de la composition pénale, les critiques se sont faites de plus en plus rares et aujourd’hui la justice pénale compose totalement avec elle. A la manière d’un bilan de la composition pénale après un peu plus de cinq ans d’activité il n’est 6 d’ailleurs pas péremptoire d’affirmer qu’elle a désormais rencontré le succès escompté dans les tribunaux. Son utilisation ne cesse d’augmenter, ce qu’attestent d’ailleurs les statistiques : 3500 compositions pénales enregistrées dès la première année de son entrée en vigueur, 13800 en 2002, 14788 en 2003 et plus de 25500 en 20042. En effet, les parquets, qui finalement ont découvert dans le texte une assez large liberté dans les conditions de mise en œuvre, ont très vite perçu dans la mesure un outil leur permettant non seulement de gérer le flux des contentieux, mais également d’adapter la réponse pénale à l’auteur et à la gravité de son acte. En effet, avec la composition pénale est créé un nouveau traitement de la délinquance qui permet au parquet, sans pour autant engager des poursuites, d’apporter une réponse pénale à des infractions trop souvent rencontrées mais qui bien souvent, du fait de l’encombrement des tribunaux combiné à une relative gravité, donnaient lieu dans le meilleur des cas à un rappel à la loi, et le plus souvent à un classement sans suite. Quant à la majeure partie des magistrats du siège, si la mesure ne la ravit toujours pas totalement, ils ont compris que leur rôle était primordial bien que réduit à l’acceptation ou au rejet pur et simple de la mesure. Le législateur, après avoir observé et mesuré le succès de la composition pénale au sein des tribunaux, a souhaité donner davantage d’importance et de force à celle-ci. Toutes les modifications apportées au texte original, c’est-à-dire à la loi du 23 juin 1999, ont pour point commun de renforcer la composition pénale puisqu’elles facilitent, étendent et aggravent le recours à la mesure. C’est en ce sens qu’il convient d’examiner l’évolution législative dont nous ne ferons qu’évoquer ici les différentes phases, celles-ci, ainsi que leurs conséquences, faisant l’objet de développements ultérieurs. Tout d’abord, la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 (dite loi Perben 1) est venue permettre la proposition de la composition pénale à l’auteur des faits dès le stade de la garde à vue. Puis cette même loi a instauré l’inscription au casier judiciaire du mis en cause des compositions pénales exécutées. Enfin, la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 (loi Perben 2), comme nous l’avons vu précédemment, est venue bouleverser le champ d’application de la composition pénale la rendant applicable à tous les délits encourant à titre de peine principale une peine d’emprisonnement inférieure ou égale à cinq ans ou une amende (à l’exception des délits de presse, des délits d’homicides involontaires et des délits politiques). 2 . Pour l’année 2004 : 28600 sur http://www.senat.fr/rap/r05-017/r05-0172.html, et 25777 selon la synthèse du rapport remis au Garde des Sceaux sur la politique pénale menée en 2004 sur http://www.admin-net.fr/datas/inavem/fichier/SynthRap DACGGDS1005 .pdf . 7 Lorsqu’une nouvelle mesure apparaît dans le paysage juridique, le besoin se ressent chez le juriste de la qualifier et d’en déterminer sa nature juridique. Pour cela il est parfois nécessaire d’opérer des comparaisons avec d’autres afin de voir si la mesure étudiée leur emprunte toutes leurs composantes ou si elle comporte des caractéristiques propres car, selon le résultat obtenu, la nature sera soit identique à une mesure déjà en vigueur, soit inédite. La composition pénale n’a pas échappé à la règle, et pourtant, si la mesure n’est plus tout à fait nouvelle, d’aucun n’est capable aujourd’hui d’affirmer avec précision quelle est sa nature juridique. C’est à cette question que nous tenterons d’apporter une réponse. Pour cela, nous analyserons les mesures les plus fréquemment comparées à la composition pénale afin de voir si ces rapprochements sont judicieux et légitimes. Nous nous apercevrons rapidement que le législateur est allé chercher des influences dans des mesures totalement différentes les unes des autres pour alimenter le contenu de la composition pénale, ce qui n’est pas pour rassurer les juristes, les magistrats et tout autres commentateurs de la mesure, et que c’est justement son caractère hybride qui rend la recherche de la nature juridique aussi difficile. En effet, avec la composition pénale nous nous retrouvons face à ce qui pourrait apparaître comme un paradoxe puisque nous verrons que si la composition pénale se rapproche des mesures de la « troisième voie » et fait penser à une forme de « justice négociée » (1ère partie), les mesures que peut prendre le procureur de la République dans le cadre d’une composition pénale sont aussi très proches des peines (2ème partie). 8 PREMIERE PARTIE – LA COMPOSITION PENALE : UNE MESURE PROCHE DE CELLES DE LA « TROISIEME VOIE », AVEC L’APPARENCE D’UNE NEGOCIATION Avec la composition pénale apparaissait, en France, une nouvelle image de justice pénale. L’image d’une justice qui dialogue avec le délinquant, qui lui propose de tenir un rôle actif dans le traitement judiciaire de son acte, et qui va jusqu’à lui permettre de refuser la réponse pénale envisagée à son encontre par le procureur de la République. C’est ce qui conforte une partie de la doctrine à parler de « justice négociée », voire « marchandée », pour qualifier la composition pénale. Mais, comme nous allons le voir, si elle comporte certains stigmates de la négociation, la composition pénale s’y apparente seulement (chapitre I). Plus que sa comparaison avec une certaine forme de négociation, la composition pénale a longtemps été considérée par la majeure partie de la doctrine et des juristes comme une mesure alternative aux poursuites, complétant celles énumérées à l’article 41-1 du Code de procédure pénale. Si aujourd’hui encore la composition pénale est assimilée à ces mesures de l’article 41-1, appelées également mesures de la « troisième voie », il faut admettre que c’est faire de certains points communs, certes incontestables, une généralité (chapitre II). Chapitre I - La composition pénale : une justice négociée ? La volonté du mis en cause dans l’affaire judiciaire tient une place importante dans la procédure de composition pénale. Dans un premier temps, c’est la possibilité d’avouer ou non sa culpabilité, mais c’est surtout le choix laissé à ce dernier, auteur d’une infraction pénale, 9 d’accepter ou de refuser la proposition faite par le Ministère public d’être traité par le biais d’une mesure de composition pénale (section I). L’existence du consentement permet un rapprochement avec des formes connues de justice négociée empruntées aussi bien à la matière civile qu’aux matières pénale, douanière, fiscale, administrative, forestière, de chasse ou de pêche (section II). Section I – La « dépendance » de la mesure à la volonté du mis en cause Comme nous l’avons dit précédemment, l’originalité de la composition pénale, qui fait que certaines personnes qui s’intéressent de près ou de loin à la mesure pensent que nous nous trouvons en présence d’une justice négociée, réside dans le fait que le consentement du mis en cause est obligatoire pour que les mesures de composition pénale proposées par le Ministère public puissent être mises à exécution, sachant que la proposition ne peut intervenir qu’après un aveu de culpabilité de l’auteur (sous-section I). Néanmoins, il convient de rappeler que le procureur de la République ou ses délégués n’ont pas à recueillir le consentement de l’auteur à chaque étape de la procédure. Le domaine où est recherché un accord apparaît nécessairement limité (sous-section II). Sous-section I – L’aveu et le consentement obligatoires du mis en cause Avant toute chose, pour que le procureur de la République puisse simplement proposer une mesure de composition pénale, il doit s’assurer que la personne mise en cause a reconnu être coupable des faits reprochés. L’aveu tient une grande place dans la procédure de composition pénale, ce qui contribue d’ailleurs à l’originalité de la mesure. Une fois l’aveu obtenu, le procureur de la République peut donc proposer une ou des mesures de composition pénale. La proposition devra obligatoirement être transmise à l’auteur des faits qui aura le choix entre l’accepter ou la refuser. En aucun cas le Ministère public ne pourra passer outre le consentement de l’individu pour mettre en œuvre la composition pénale. L’auteur des faits doit donc consentir aux mesures proposées pour que celles-ci produisent un effet juridique. Nous verrons les conditions dans lesquelles la proposition s’opère et constaterons de ce fait un net recul en ce qui concerne la garantie d’un consentement libre et éclairé. 10 1 – L’aveu pour l’ouverture de la procédure Jusqu’à l’instauration de la composition pénale dans le droit français, l’aveu d’une personne soupçonnée ou poursuivie, devant la police ou l’autorité judiciaire, ne constituait qu’un élément de preuve parmi d’autres laissé à l’appréciation du juge. Le juge n’était pas lié par cet aveu. Désormais, et ceci constitue d’ailleurs une révolution pour le spécialiste de la matière pénale, l’aveu n’est plus uniquement une simple preuve, il peut aussi produire des effets juridiques. En effet, sans l’aveu de culpabilité la procédure de la composition pénale ne pourrait être mise en mouvement par le Ministère public. C’est une fois la culpabilité reconnue par le mis en cause que le procureur de la République pourra lui proposer les mesures de composition pénale qu’il souhaite voir exécutées. C’est en sachant que le mis en cause ne pourra pas revenir sur son aveu que celui-ci prend toute sa dimension et sa gravité. L’aveu, qui ouvre la voie à la composition pénale, peut aussi bien être reçu par un magistrat que par un membre de la police lors de la garde à vue or, comme chacun le sait, le gardé à vue est « une personne fragile » en « situation de vulnérabilité », d’autant plus s’il n’y est pas habitué3. La fragilité et la vulnérabilité sont reconnues comme des facteurs susceptibles d’altérer le jugement, et donc, la prise de décision. Nous pouvons dès lors douter de la sincérité de l’aveu sur lequel repose pourtant toute la mesure de composition pénale. Il est important de connaître la portée que peut prendre l’aveu, même si pour cela nous nous égarons un peu de notre sujet. L’aveu fait peser sur l’individu le risque de se voir privé du débat sur la culpabilité en cas d’échec de la composition pénale, car dans une telle situation le procureur de la République doit engager l’action publique. En effet, en cas de comparution traditionnelle devant l’autorité de jugement l’aveu risque de remplacer tout débat sur la culpabilité. Un danger de partialité de l’autorité de jugement planera sur l’affaire car, même s’il y a peu de risque que la personne poursuivie se retrouve confrontée lors de son procès au même juge que celui qui avait homologué sa composition pénale, dans le cas où ça arriverait la circulaire du 11 juillet 2001 précise qu’il n’y a pas d’incompatibilité entre le cumul de ces deux fonctions du juge du siège4. Il est difficile d’imaginer que l’impartialité de la juridiction puisse être préservée puisque l’article 41-2 du Code de procédure pénale prévoit 3 . P. Poncela, « Quand le procureur compose avec la peine », RSC 2003, p. 140. 4 . P. Poncela, « Quand le procureur compose avec la peine », RSC 2003, p. 644. 11 expressément qu’il « est tenu compte, le cas échéant, du travail déjà accompli et des sommes déjà versées par la personne ». Il ne faudrait pas que les raisons d’être de la composition pénale, à savoir l’allègement des audiences correctionnelles et une plus grande rapidité dans la réaction judiciaire, priment sur les garanties procédurales. Et pourtant cela semble bien être le cas si l’on examine également les conditions dans lesquelles le Ministère public peut faire sa proposition et les effets sur le consentement du mis en cause. 2 – Le consentement pour l’exécution des mesures proposées Une fois l’existence de l’aveu constatée, le procureur de la République peut choisir de proposer à l’auteur une ou des mesures de composition pénale afin de résoudre l’affaire qui le concerne. Le procureur a alors le choix parmi quatorze mesures, toutes énumérées à l’article 41-2 du Code de procédure pénale. En faire la liste exhaustive serait trop long, mais on peut citer à titre d’exemples le versement d’une amende de composition au Trésor public, le dessaisissement au profit de l’Etat de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction ou qui en est le produit, et l’accomplissement d’un stage de citoyenneté. Si les treize mesures sont susceptibles d’être proposées lorsque l’infraction constatée est un délit, certaines sont obligatoirement écartées lorsque nous nous trouvons en présence d’une contravention. C’est au moment de la proposition que l’individu connaît exactement les mesures de composition pénale envisagées à son encontre car le Ministère public doit préciser dans sa proposition les faits concernés, la nature et le quantum des mesures. La proposition de composition pénale du procureur de la République peut être effectuée « tant que l’action publique n’a pas été mise en mouvement », pour reprendre les termes exacts du premier alinéa de l’article 41-2 du Code de procédure pénale. Le parquet n’a pas de délai minimum à respecter avant de proposer une composition pénale, soit directement soit par l’intermédiaire d’une personne habilitée, sauf à attendre l’aveu. En effet, le législateur est venu abroger, par la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002, la disposition de l’article 41-2 du Code de procédure pénale relative à la nullité de toutes propositions de composition pénale intervenant pendant la durée de la garde à vue de l’auteur des faits. La proposition de 12 composition pénale peut donc désormais avoir lieu dès le stade de la garde à vue, avant même que le temps de celle-ci soit expiré. Le fait que le Ministère public ne puisse faire sa proposition de composition pénale qu’une fois la garde à vue terminée était considéré comme une protection nécessaire de l’individu, pour les mêmes raisons que celles évoquées précédemment, à savoir que le gardé à vue est une personne fragile et vulnérable dont le jugement et la prise de décision peuvent être altérés. C’est pourquoi la volte-face opérée en 2002 apparaît choquante, d’autant plus que les conditions de garde à vue n’ont pas été modifiées entre janvier 2001, date d’entrée en vigueur de la mesure, et septembre 2002, au point de comprendre un changement radical d’idées à son sujet. Tout comme c’est le cas pour l’aveu, dont nous doutions de la véracité, nous pouvons émettre une réserve quant au respect de l’exigence d’un consentement libre et éclairé, exigence exprimée à l’article R. 15-33-40 du Code de procédure pénale. En effet, même si la loi prévoit que la personne peut se faire assister par un avocat et s’accorder de ce fait, comme le prévoit expressément l’article R. 15-33-39 du Code de procédure pénale, un temps de réflexion de dix jours5 avant de faire connaître sa réponse, il n’est pas rare qu’elle se passe de l’avocat et accepte rapidement la proposition, tentée par l’absence de comparution devant le juge pénal. Nous comprenons alors, au vu et au su de cette pratique, le danger pesant sur le droit à un procès équitable lorsque la composition pénale est proposée à un gardé à vue dont la liberté du consentement apparaît contestable. Si dans une affaire Deweer contre Belgique de 19806, dans laquelle un commerçant avait accepté de verser une amende au parquet afin d’éviter la fermeture de sa boutique, les juges de la Cour européenne des droits de l’homme estimaient que « si la perspective de comparaître devant le juge pénal est assurément de nature à inciter beaucoup d’ « accusés » à se montrer accommodants, la pression qu’elle crée sur eux n’a rien d’incompatible avec la Convention », c'est-à-dire que la simple menace d’une comparution devant l’autorité de jugement ne peut être comprise comme une contrainte prohibée par l’article 6-1 de la Convention européenne des droits de l’homme, le fait de maintenir une personne en garde à vue lorsque la proposition de composition pénale lui est formulée pourrait constituer une violation de l’article 6-1. Mais la Cour européenne n’a pas eu à se 5 . Le silence à l’échéance du délai de 10 jours vaut refus de la proposition. 6 . CEDH, Deweer contre Belgique, 27 février 1980, Série A n°35. 13 prononcer sur ce point. En revanche, pour les membres du Conseil constitutionnel7, qui ne se soucient pas du problème de la garde à vue, le délai de réflexion de dix jours est une garantie suffisante du droit à un procès équitable. Malheureusement, des décisions trop hâtives peuvent produire des effets non envisagés, ni même soupçonnés. Nous ne saurions que trop conseiller les individus à se donner le temps de la réflexion pour mieux comprendre ce qui leur est proposé avant de donner leur consentement, même lorsque la proposition semble alléchante de prime abord. Effectivement, une fois le consentement exprimé la « machine » se met en route. Le procureur de la République saisit par requête le président du tribunal de grande instance en cas de délit, ou le juge d’instance lorsque l’infraction est une contravention, aux fins de validation de la composition. Le magistrat du siège a alors le choix entre valider purement et simplement la proposition du parquet ou la rejeter, en aucun cas il ne peut proposer d’autres mesures. Une fois le consentement donné, le mis en cause n’a plus son mot à dire, il sera lié par la décision du juge. Il n’est pas question pour l’auteur des faits de revenir sur son accord. Si le juge homologue la proposition, le mis en cause devra exécuter les mesures de composition pénale. Dans le cas contraire, la proposition sera réputée caduque et le parquet n’aura plus de choix, il devra poursuivre l’auteur des faits. Comme nous venons de le constater, le consentement, qui joue certes un rôle primordial dans la procédure de composition pénale, n’a pas à être recherché par le procureur de la République à chaque étape de la procédure. Sous-section II – Le domaine limité du consentement Dans la mesure où le rôle joué par le consentement dans la composition pénale fait dire à certains auteurs que les parlementaires ont consacré la première forme de justice négociée dans le droit pénal français, il semble indispensable de préciser l’étendue de son champ d’application. C’est fort naturellement que ce travail nous amènera à opérer une comparaison avec le consentement recueilli dans un contrat d’adhésion. 7 . Décision n° 2004-492 DC du 2 mars 2004. Observations du Gouvernement sur http://www.conseil Constitutionnel.fr/décision/2004/2004492/obs.htm. 14 1 – L’étendue du consentement Dire que la composition pénale est une forme de « justice négociée » c’est donner un élément sur la nature juridique de la composition pénale. C’est pourquoi cette opinion, qui se transforme en certitude chez certaines personnes, mérite d’être relevée et que le champ couvert par le consentement doit être examiné et précisé. Pour formuler ce problème sous forme de question, le consentement exprimé par l’intéressé concerne-t-il simplement le recours à une procédure judiciaire simplifiée ou également une adhésion à la mesure de composition pénale ? Nous avons vu précédemment que le consentement du mis en cause porte sur la proposition du procureur de la République et que celle-ci doit préciser les faits reprochés, la nature des mesures envisagées et le quantum retenu. L’individu est donc informé en détail des mesures qu’il aurait à exécuter s’il donnait son accord. Il possède, à ce stade de la procédure, toutes les données suffisantes pour évaluer leur faisabilité, leur adéquation avec la vie quotidienne et leur équité. Lorsque le mis en cause donne son consentement c’est qu’il a en principe estimé que les mesures étaient justifiées par rapport à l’infraction commise, mais s’il est d’accord avec celles-ci le consentement ne porte cependant que sur la proposition du parquet d’utiliser une procédure judiciaire simplifiée. Une nuance est ici à opérer. A partir du moment où l’auteur des faits donne son consentement c’est qu’il est d’accord pour être traité par le biais de la composition pénale, et dans ce cas il est seulement considéré comme ayant adhéré totalement aux mesures. En réalité, le mis en cause n’a pas d’autre choix que d’accepter les mesures proposées s’il espère échapper aux poursuites. Il donnera alors son consentement à la proposition pour ce qu’elle permet d’éviter et non pour son contenu. L’accord porte donc bien sur le type de traitement judiciaire, à savoir la procédure simplifiée de la composition pénale, et non sur le contenu de la proposition qui elle échappe totalement à sa volonté. Bien sûr que la personne a toujours la possibilité de refuser la proposition si elle estime que les mesures proposées ne sont pas équitables, en revanche, si elle souhaite bénéficier de la composition pénale elle ne peut qu’accepter la proposition dans son ensemble. A imaginer que le consentement porte également sur les mesures envisagées par le procureur de la République, il serait complètement vicié et le principe d’un consentement libre n’aurait 15 plus aucun sens. Le consentement exigé dans la composition pénale apparaît, de ce fait, très proche de celui recueilli dans les contrats d’adhésion. 2 – Un consentement proche de celui du contrat d’adhésion Tout comme nous venons de le démontrer, le consentement de l’auteur des faits est donné à un mode de traitement judiciaire et de là découle une adhésion à la proposition dans son ensemble, sans possibilité d’intervenir dans le contenu. Il est difficile de ne pas voir ici l’ombre du contrat d’adhésion En matière de composition pénale, certains auteurs qualifient d’ailleurs le consentement d’ « acte unilatéral d’adhésion »8. Le contrat d’adhésion suppose en effet que l’une des parties accepte en bloc les clauses du contrat proposées par l’autre partie. Le contenu du contrat est imposé à l’une des parties qui ne peut pas en demander la modification. Dans ce type de contrat, la liberté contractuelle de l’une des parties est réduite car elle consiste à adhérer ou non au contrat dont le contenu échappe à sa volonté. C’est ce qu’il se passe avec la composition pénale. La composition pénale a donc l’apparence d’un contrat d’adhésion. Il faut parler d’ « apparence » car, si le consentement donné dans la composition pénale est identique à celui recueilli dans le contrat d’adhésion, ça ne fait pas pour autant de la composition pénale un contrat, comme nous le verrons par la suite. Dans la composition pénale, à la manière du contrat d’adhésion, le mis en cause accepte en bloc les mesures proposées par le Ministère public lorsqu’il donne son consentement. Nous avons vu précédemment qu’il n’avait pas d’autre choix s’il voulait bénéficier du traitement judiciaire simplifié que lui propose le procureur de la République. Effectivement, et toujours à la manière du contrat qui nous préoccupe, le contenu est imposé par le parquet et ne peut être modifié par le mis en cause. C’est à se demander si le législateur ne s’est pas inspiré du contrat d’adhésion pour bâtir les bases de la composition pénale, tant la ressemblance est évidente. Comme nous venons de le voir à travers cette première section, la composition pénale, qui ne peut être proposée par le Ministère public sans un aveu de culpabilité, repose énormément sur le consentement de l’individu. Si le procédé se rencontre souvent dans le domaine du droit 8 . J. Leblois-Happe, « De la transaction pénale à la composition pénale. Loi n° 99-515 du 23 juin 1999 », JCP 2000. I.198, p. 69 citant le Rép. Pénal, Transaction par R. Gassin, n° 137. 16 civil, c’est la première fois qu’une mesure pénale de cette importance nécessite l’accord du délinquant pour pouvoir être mise en œuvre par l’autorité de poursuite. Cependant, de là à parler de « justice négociée » parce que le mis en cause peut refuser la proposition du procureur de la République de traiter son dossier par le biais de la composition pénale c’est aller un peu vite en besogne. Pour être précis dans les termes employés à propos de la composition pénale et pouvoir affirmer que nous sommes en présence d’une justice négociée il nous faut encore vérifier qu’un échange productif entre la personne concernée et le Ministère public existe tout au long de la procédure de composition pénale. Section II – Le rapprochement avec des formes de justice négociée Etant donné que nous nous sommes aperçus que la composition pénale emprunte beaucoup au contrat d’adhésion en ce qui concerne le consentement, il serait intéressant de voir si le législateur ne s’est pas inspiré également du modèle contractuel pour imaginer l’ensemble de la mesure (sous-section I). Alors que jusqu’ici nous avons limité notre recherche à la seule étape du consentement, concernant l’existence ou pas d’une « justice négociée » en matière de composition pénale, il nous faut désormais s’intéresser à l’ensemble de la mesure pour vérifier si une négociation entre le mis en cause et le procureur de la République existe. Cette comparaison avec la négociation nous amènera à un rapprochement avec une autre forme de justice négociée, la transaction (sous-section II). Sous-section I – La composition pénale et le contrat Nous savons désormais que, comme dans le contrat qui ne peut exister sans un échange de volontés, le Ministère public ne peut mettre en mouvement la composition pénale sans le consentement du mis en cause. Cependant, comme nous allons le constater, l’approche contractuelle de la composition pénale ne s’arrête pas là. 17 Encore une fois le souhait de notre démarche, et l’on peut dire son but, est d’être le plus précis sur les termes employés pour qualifier et définir la composition pénale. C’est en gardant cette ligne de conduite que nous démontrerons que les parlementaires n’ont pas créé le premier type de « contrat pénal » avec la composition pénale. 1 – Les similitudes avec le contrat Il peut apparaître surprenant de chercher un modèle pour la composition pénale dans des mesures appartenant au droit civil des obligations tant la finalité et les procédés sont différents. En effet, sans aller dans les détails tant le sujet est vaste, au risque de faire des généralités, le droit des obligations met en relation des personnes qui s’obligent elles-mêmes à donner, à faire ou ne pas faire quelque chose (article 1126 du code civil). En d’autres termes, les parties ont mesuré les conséquences de leur acte et c’est ce qui les a poussées à contracter. Alors qu’en matière pénale, quand le délinquant commet une infraction, quand bien même elle est volontaire et qu’il a conscience de violer la loi, il souhaite rarement les suites judiciaires. L’auteur des faits espère généralement échapper à la police et aux magistrats, et lorsqu’il se retrouve face à eux ce n’est plus sur un pied d’égalité comme ça l’est le plus souvent dans les relations contractuelles, mais dans une situation de soumission aux autorités judiciaire et de police. Pourtant, des points communs entre la composition pénale et le contrat peuvent être relevés. L’article 1109 du code civil qui dispose qu’ « il n’y a pas de consentement valable, si le consentement n’a été donné que par erreur, ou s’il a été extorqué par violence ou surpris par dol » rappelle certaines dispositions de l’article R 15-33-40 du Code de procédure pénale, déjà cité. En effet, cet article, relatif au contenu du procès- verbal, rappelle que ce dernier doit indiquer « que la personne a été informée de son droit de se faire assister d’un avocat avant de donner son accord (…) et de son droit de demander à bénéficier d’un délai de dix jours avant de faire connaître sa réponse », puis également « que la personne a été informée que la proposition de composition pénale va être adressée pour validation au président du tribunal de grande instance ou au juge d’instance ». Ainsi, cet article, qui insiste sur le fait que le mis en cause doit toujours être tenu informé de la procédure et des conséquences de ses actes, sans jamais cependant être forcé de donner son accord, rappelle l’exigence d’un consentement libre et éclairé de l’article 1109. L’exigence d’un consentement libre et éclairé dans la composition pénale ayant été déjà largement traité dans notre recherche, il convient de s’intéresser plutôt, ici, au rapprochement 18 avec la notion de capacité contractuelle. L’article 1123 du code civil dispose que « toute personne peut contracter, si elle n’en est pas déclarée incapable par la loi », sachant que selon l’article 1124 de ce même code « sont incapables de contracter, dans la mesure définie par la loi », les mineurs non émancipés et les majeurs protégés. Si l’article 41-2 du Code de procédure pénale est silencieux concernant les incapables majeurs, tel n’est pas le cas pour les mineurs. En effet, l’article prévoit expressément, aux termes de son avant-dernier alinéa, que la composition pénale ne peut pas être proposée aux mineurs de dix-huit ans. Evidemment, une procédure pénale spéciale est prévue pour les moins de dix-huit ans avec l’ordonnance du 2 février 1945 notamment, mais le fait que la composition pénale ne la leur soit pas applicable nous fait tout de même nous poser des questions quant à la nature profonde de la mesure. La composition pénale est-elle aussi avantageuse qu’elle ne paraît ? A regarder la liste des similitudes avec le contrat, certes très importantes, mais bien trop minces, nous ne pouvons sincèrement prétendre à une nature contractuelle de la composition pénale. D’ailleurs, les différences avec le contrat, tout aussi importantes, restent quantitativement supérieures. 2 – Les différences essentielles avec le contrat La plupart des grands principes contractuels que connaît notre droit ne se retrouvent pas dans la composition pénale. Nous pouvons dire fort heureusement pour certains sinon, comme nous allons le voir, le délinquant serait sur un pied d’égalité avec son magistrat et la réponse pénale n’aurait plus aucune efficacité ni utilité. Pour commencer par le plus illustre d’entre eux, que nous retrouvons au premier alinéa de l’article 1134 du code civil et qui consiste à ce que « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites », il est clair que le législateur ne s’en est pas inspiré pour la composition pénale. En effet, ce principe a pour conséquence de permettre à la partie lésée de faire exécuter le contrat de force, ce qui n’est pas le cas avec la composition pénale. Dans la situation où le délinquant n’honore volontairement pas les mesures, le procureur de la République ne peut pas forcer l’exécution. Aucune solution n’est laissée au Ministère public, sinon de mettre fin au traitement judiciaire de l’individu par la composition pénale et de le poursuivre. Un autre principe contractuel qui ne se retrouve pas dans la composition pénale est celui du deuxième alinéa de l’article 1134 du code civil, à savoir que les conventions ne peuvent être révoquées que du consentement mutuel des parties. Effectivement, dans la composition 19 pénale il n’est pas question de mettre fin à la mesure par un accord entre le délinquant et le parquet. Soit le mis en cause exécute les mesures et l’action publique est éteinte, soit il ne les exécute pas et le procureur de la République met en mouvement la procédure classique dans laquelle l’individu comparaît devant l’autorité de jugement. A la différence du le contrat qui continue d’exister malgré une absence ou une mauvaise exécution, lorsque la composition pénale n’est pas intégralement exécutée la mesure cesse pour donner place à un autre traitement judiciaire. Enfin, et même si celui-ci est plus une protection à laquelle veillent les juges lorsqu’ils ont à examiner l’affaire qu’un véritable principe contractuel, la nécessité d’un équilibre entre les parties lors de la formation du contrat n’a aucun sens dans la composition pénale puisque le droit pénal repose justement sur la soumission du délinquant aux décisions de l’autorité judiciaire. Laissons nous aller à un raisonnement par l’absurde afin de mieux comprendre l’étendue du désastre que provoquerait le calquage de ce « principe » sur la composition pénale, les décisions du délinquant auraient alors le même poids que celles du procureur de la République : le parquet, ne souhaitant pas laisser l’infraction sans réponse, serait confronté à un individu ne voyant pas d’autre issue que le classement sans suite de l’affaire. Une réponse pénale émergerait-elle ? Oui, le parquet pourra toujours poursuivre l’individu mais il devra renoncer à voir une infraction traitée par le biais de la composition pénale, un accord n’étant jamais possible. C’est donc logiquement que le droit pénal repose sur un rapport de forces inégales et que la composition pénale n’y fait pas exception. C’est le droit de la contrainte. Nous l’avons dit, et nous l’avons démontré, la composition pénale n’est pas de nature contractuelle, elle a seulement quelques points communs avec le contrat. Pour autant, nous ne pouvons pas en conclure que nous ne sommes pas en présence d’une « justice négociée », il faut encore vérifier que la composition pénale n’est pas construite sur le modèle d’autres formes de ce type de justice. Sous-section II – La composition pénale, la négociation et la transaction Puisque certaines personnes parlent de « justice négociée » pour décrire la composition pénale, il nous faut à présent comparer cette dernière avec l’expression la plus absolue de cette forme de justice, c’est-à-dire la négociation, pour rétablir la vérité et chasser les éventuelles mauvaises qualifications. 20 Sans anéantir le mystère, nous verrons que c’est à tort que ces personnes parlent de négociation dans la composition pénale et qu’il est plus juste de parler de transaction pour expliquer le rapport original entre le délinquant et l’autorité de poursuite. 1 – L’absence de négociation avec le mis en cause La mesure, telle qu’elle avait été désignée par le projet gouvernemental, aurait du s’appeler « compensation judiciaire ». C’est sous l’impulsion du Parlement, plus précisément des sénateurs, que la mesure a été baptisée « composition pénale », comme le rappelle madame Jocelyne Leblois-Happe dans son article intitulé « De la transaction à la composition pénale »9. Ce changement de nom a pu contribuer à ce que certaines personnes voient dans la mesure une négociation. Effectivement, a priori nous pourrions le penser puisque le nom même de « composition » provient du latin « compositio » qui signifie l’arrangement, l’accommodement10. Or, tel n’est pas le cas comme nous allons le voir. La composition pénale ne donne lieu à aucune négociation entre le délinquant et ses magistrats. La négociation suppose que le mis en cause soit consulté lors des prises de décisions et que le procureur de la République tienne compte de ses éventuelles propositions pour arrêter la décision finale. Le délinquant aurait alors son mot à dire et participerait activement à l’élaboration des mesures de composition pénale. Nous nous sommes déjà intéressés à l’étendue du consentement lors de la proposition du parquet et avions perçu que, lorsque l’individu le donnait, c’était à la proposition dans son ensemble et qu’il ne pouvait pas influer sur le contenu. En d’autres termes, si le procureur de la République a besoin du consentement du délinquant pour que celui-ci puisse être traité par le biais de la composition pénale, ce n’est cependant pas une négociation, ce dernier n’ayant alors que la possibilité de rejeter ou d’accepter en bloc la proposition de composition pénale du parquet. Il nous faut désormais rechercher si le mis en cause peut négocier les mesures avec le procureur de la République une fois le consentement donné. Du fait du silence du législateur, la manière dont est faite la proposition de composition pénale est laissée à la volonté de chaque parquet. C’est ainsi que, si la plupart opte pour une proposition individuelle, celle-ci peut avoir lieu lors d’audiences collectives, comme c’est le 9 . Leblois-Happe J., « De la transaction à la composition pénale. Loi n° 99-515 du 23 juin 1999 », La semaine juridique, Ed. Générale n° 3, 19 janvier 2000, pp. 63-69. 10 . Volff J., « La composition pénale : un essai manqué », Gazette du Palais, 26-28 mars 2000, pp. 559-563. 21 cas à Cambrai11 ou Colmar12 par exemple. Dans ce cas, comme nous l’indiquent Sylvie Grunvald et Jean Danet13, après qu’un délégué ait préparé la totalité des imprimés et que le parquet ait signé l’ordre de mission et le procès verbal de proposition, un magistrat du parquet présente la composition pénale aux mis en cause dans différentes affaires, tous réunis dans une même salle. Cependant, même lorsque sont organisées des audiences collectives, la personne bénéficie d’un entretien individuel avec un délégué du procureur de la République qui lui porte à sa connaissance les mesures proposées. C’est lors de ces entretiens individuels, une fois qu’il a donné son consentement, que le mis en cause pourrait éventuellement, par le biais d’une négociation avec le procureur de la République ou le délégué, intervenir afin de modifier les mesures envisagées. En effet, rien n’est définitif tant qu’un juge n’a pas validé la composition pénale. Mais, toujours pour reprendre des propos de Sylvie Grunvald et Jean Danet14, à regarder de plus près le fonctionnement des tribunaux on s’aperçoit d’une forte volonté de normalisation du traitement qui ajoute à la systématisation des mesures constatées un peu partout. Non seulement des mesures sont proposées systématiquement lors de certaines infractions (la remise du permis de conduire en matière de conduite en état alcoolique ou le dessaisissement de l’arme en cas d’infraction de port d’arme par exemple), mais les mesures sont fixées à partir de grilles préétablies avec le siège, ce qui ne laisse guère de place à la discussion. D’ailleurs, les délégués ne s’estiment pas là pour négocier avec le délinquant, mais pour s’assurer qu’il a bien compris le but des mesures. C’est l’aspect pédagogique qui justifie l’entretien individuel et non pas la possibilité d’une quelconque négociation. Puisque nous savons désormais que depuis la proposition jusqu’à la validation de la composition pénale il n’y a pas de négociation entre le délinquant et le parquet, il ne nous reste plus qu’à s’intéresser à l’étape de la validation et à expliquer pourquoi toute idée de négociation dans la composition pénale est veine. Il est clair que dans le cas où le mis en cause obtiendrait un entretien avec le juge, tout espoir de négocier les mesures envisagées par le procureur de la République serait inutile. En effet, même si le juge le désirait il ne le 11 . J-D Régnault, « Composition pénale : l’exemple du tribunal de Cambrai », Actualité juridique pénal, Dalloz, n°2, p.55. 12 . C. Schittenhenhelm, La composition pénale, essai d’un bilan, Mémoire de D.E.A de sciences criminelles, Université R. Schuman, Strasbourg, 2003. 13 . S. Grunvald et J. Danet, « La composition pénale. Une première évaluation », Bibliothèques de droit, Ed. L’Harmattan, p. 60-61. 14 . Ibid, p. 107. 22 pourrait pas puisque son pouvoir se résume à refuser ou à valider la proposition telle qu’elle lui est parvenue. Le magistrat du siège ne pouvant substituer ses propres mesures à celles du parquet, c’est d’une logique implacable qu’aucune négociation ne peut exister avec le délinquant. Finalement, la seule négociation qui existe dans la composition pénale est réalisée, non pas entre le mis en cause et ses magistrats, mais entre les magistrats eux-mêmes. Monsieur Hederer l’expose d’ailleurs clairement lorsqu’il écrit que la négociation entre dans notre procédure pénale ici non pas à l’attention du prévenu ou du mis en cause, mais à l’attention des magistrats du parquet et du siège15. Pour que la composition pénale fonctionne bien, une concertation a lieu entre l’autorité de jugement et le Ministère public en amont de sa mise en œuvre pour savoir quelles infractions seront susceptibles de faire l’objet d’une composition pénale. Sans cet accord, en effet, le procureur de la République serait sans cesse soumis au doute d’obtenir la validation des mesures qu’il propose. Les magistrats du siège, qui voyaient leurs pouvoirs s’amoindrir avec la composition pénale au profit du parquet, auraient là l’occasion de protester leur mécontentement en refusant systématiquement de valider les mesures. Contrairement à ce que la mesure laisse croire, le juge ne pouvant qu’accepter ou rejeter la proposition du parquet dans son ensemble, les magistrats du siège tiennent un grand rôle car sans leur accord en amont de la procédure la composition pénale serait vouée à l’échec. Le procureur de la République est lié par la volonté du juge du siège puisque s’il désire aller à l’encontre de celle-ci et proposer la composition pénale à l’auteur d’une infraction pour laquelle le siège a entendu garder la mainmise, l’excluant de la liste des infractions entrant dans le champ de compétence de la mesure, il n’aurait aucune chance de la voir validée. Nous avons écarté la négociation pour expliquer la mesure. Cependant, nous ne pouvons nier l’originalité de la composition pénale qui fait dépendre la mesure envisagée par le procureur de la République au consentement du délinquant. Nous recherchions un modèle dans le contrat ou dans la négociation pour mettre un mot sur ce que nous ne parvenions pas à expliquer alors que la composition pénale est plus proche, dans sa nature, de la transaction pénale. 15 . J. Hederer, « Un an d’expérimentation de la composition pénale dans un tribunal de grande instance », AJP, n°2, 2003, p.54. 23 2 – Une mesure proche de la transaction pénale Il ne s’agit pas ici de comparer la composition pénale à la transaction des articles 2044 et suivants du code civil, définie comme un contrat par lequel les parties à un litige, déjà porté devant un tribunal ou seulement né entre elles, y mettent fin à l’amiable en se faisant des concessions réciproques16, mais de la rapprocher de la transaction spécifique au droit pénal qui, elle, n’est pas un contrat. En effet, nous avons vu que la composition pénale ne relève pas de la nature contractuelle, la comparer à la « transaction civile » n’aurait donc aucun sens et serait une perte de temps. Il est important de se rappeler que le droit français ne fait de la transaction une cause d’extinction de l’action publique que lorsqu’une disposition de la loi le prévoit expressément. Le principe en droit pénal est l’interdiction de transiger. Ceci s’explique par le principe d’indisponibilité de cette action, c’est-à-dire que seule la société peut disposer de l’action publique car celle-ci lui appartient. Le parquet a seulement la mission de l’exercer au nom de la société, il ne peut donc ni renoncer aux poursuites, ni transiger avec le mis en cause. Lorsque le législateur habilite une administration à recourir à la transaction pénale, pour certaines matières expressément prévues par la loi, il entend lui permettre de proposer au délinquant un abandon des poursuites en échange de lui payer une indemnité forfaitaire, et d’éteindre l’action publique en cas de succès. Les ressemblances avec la composition pénale sont effectivement frappantes. Toutes les fois où il y a transaction avec l’auteur des faits reprochés, nous nous trouvons donc en présence d’une exception au principe d’indisponibilité de l’action publique. Ce qui est le plus troublant c’est que, tout comme la transaction, la composition pénale est tout d’abord réservée à un domaine limité par la loi, bien qu’assez large (tous les délits punis à titre de peine principale d’une peine d’amende ou d’une peine d’emprisonnement d’une durée inférieure ou égale à cinq ans et les contraventions des cinq classes), ensuite elle est proposée en lieu et place des poursuites, et enfin, elle est une cause d’extinction des poursuites en cas de succès. Cependant, si dans le cas d’une transaction c’est l’administration qui transige avec l’auteur des faits, c’est le procureur de la République (ou une personne déléguée par lui) qui propose la composition pénale au délinquant. Il fait lui-même le choix de ne pas poursuivre, tandis qu’avec la transaction il s’y voit parfois contraint, par exemple 16 . G. Cornu, « Vocabulaire juridique », Association Henri Capitant, Quadrige/PUF. 24 lorsque la personne a exécuté la mesure et que de ce fait l’action publique est éteinte. De plus, l’autorité de poursuite tient les rennes dans la composition pénale alors qu’elle ne joue aucun rôle lorsque l’administration et le mis en cause transigent. Aussi bien la transaction que la composition pénale exigent l’exécution d’une ou de plusieurs mesures par le délinquant en contrepartie de l’abandon des poursuites. Il est intéressant de noter que dans le premier cas le mis en cause doit quasi systématiquement payer une indemnité forfaitaire en guise de contrepartie, à tel point d’ailleurs que monsieur Cornu, dans son dictionnaire juridique, réduit les mesures de la transaction au seul « versement d’une somme destinée à tenir lieu de pénalité »17, et doit toujours payer l’amende de composition dans la composition pénale. En effet, lorsque nous évoquions, lors de débats précédents, la systématisation dans la proposition des mesures (la remise du permis de conduire en matière de conduite en état alcoolique ou le dessaisissement de l’arme en cas d’infraction de port d’arme par exemple), nous avions omis de relever que la proposition de l’amende de composition se retrouve dans chaque dossier. Ainsi pouvons-nous constater que ce que l’on pourrait appeler la « base de la composition pénale », à savoir la proposition au délinquant par l’autorité poursuivante de verser une somme d’argent au Trésor public en l’échange de l’abandon des poursuites, constitue en réalité rien de moins que la transaction pénale, aux différences près que la proposition n’émane pas de la même autorité et que la somme est versée à l’administration elle-même. La manière dont le parquet français utilise la composition pénale, puisque nul ne l’oblige à proposer systématiquement l’amende de composition, fait que celle-ci ressemble étrangement à la transaction. Nul ne songeait à étendre le domaine d’application de la transaction. Le principe d’indisponibilité de l’action publique paraissait solidement ancré dans le paysage juridique français, et pourtant, il semble bien que la composition pénale puisse être qualifiée de « transaction pénale élargie ». Peut-être le législateur n’avait-il pas évalué tous les effets de la mesure, mais en créant la composition pénale il a fait entrer dans le droit français une forme de transaction entre le délinquant et le parquet alors que jusque là l’autorité de poursuite y était étrangère. Désormais, c’est le procureur de la République même qui peut proposer la transaction à l’auteur des faits. Le principe d’indisponibilité de l’action publique a reçu un important coup puisque, s’il avait déjà été chahuté avec la transaction pénale qui provoquait l’extinction des poursuites en dehors de toute intervention du parquet, aujourd’hui c’est l’autorité de poursuite elle-même qui peut proposer des mesures ayant pour conséquence, 17 . G. Cornu, « Vocabulaire juridique », Association Henri Capitant, Quadrige/PUF. 25 lorsqu’elles sont exécutées convenablement par l’auteur des faits, d’éteindre l’action publique. Avec la composition pénale, le Ministère public sort de la mission qui est la sienne, celle d’exercer l’action au nom de la société. En effet, jusqu’ici seule la société pouvait disposer de l’action publique, celle-ci lui appartenant, et le parquet ne pouvait ni renoncer aux poursuites, ni transiger avec le mis en cause. De toutes les mesures examinées jusqu’ici, c’est bien de la transaction que la composition pénale est par nature la plus proche. Elle en est en partie le reflet dans le contenu et les effets (versement d’une somme d’argent et extinction de l’action publique). Mais le fait d’être une mesure proposée par l’autorité de poursuite fait de la composition pénale une mesure d’une nature juridique autonome. En d’autres termes, c’est parce que la transaction est proposée et exécutée hors du cadre judiciaire, contrairement à la composition pénale qui, justement, ne peut se passer de ce cadre, que l’on ne peut pas attribuer à la composition pénale la nature juridique de la transaction. Maintenant que nous avons vu que c’est de la transaction que la composition pénale est la plus similaire, il ne nous reste plus qu’à nous intéresser à l’existence ou non d’une quelconque forme de négociation dans la transaction pénale afin de voir s’il est possible de parler de « justice négociée » avec la composition pénale. Dans la transaction nous ne parlons également que de proposition, en aucun cas l’administration ne peut passer outre le consentement du mis en cause et imposer son choix. Le délinquant a toujours la possibilité d’être traité par le biais de la procédure judiciaire classique. A priori, tout comme nous avons vu que c’est le cas avec la composition pénale, on peut douter de la liberté d’adhésion à la transaction, le délinquant n’ayant d’autre choix que d’accepter la proposition de transiger s’il souhaite échapper aux poursuites, mais il est admis de manière constante que la menace d’exercer les voies de droit n’est pas constitutive de contrainte ou de violence dès lors que les moyens employés et le but poursuivi sont légitimes18. Le même problème que celui que nous avions soulevé pour la composition pénale se pose ici, à savoir l’étendue du consentement. A la même question nous pouvons apporter la même réponse : le consentement dans la transaction pénale est donné, non pas aux mesures proposées par l’administration, mais au mode de traitement de l’affaire. Nous pouvons reprendre l’expression de madame LebloisHappe et dire que nous sommes en présence, aussi bien dans la composition pénale que dans la transaction, d’un acte unilatéral d’adhésion par le contrevenant à un mode de répression 18 . En ce sens, voir les articles 1111 et suivants du code civil. 26 simplifié proposé par la loi19. L’auteur des faits ne peut négocier le contenu de la proposition. Nous remarquons donc que les deux mesures ne laissent pas de place à la négociation. Il est temps pour nous de conclure ce premier chapitre après avoir passé en revue l’aveu et le consentement dans la composition pénale, et d’avoir comparé la mesure au contrat, à la négociation et à la transaction pénale. En intitulant le chapitre « La composition pénale : une justice négociée ? », nous émettions l’hypothèse que le législateur ait fait entrer dans le droit pénal français une justice où le procureur de la République doit tenir compte, dans sa décision, des propositions de mesures émanant du délinquant, mesures que ce dernier estime proportionnées et justes pour les exécuter. Or, si nous avons vu que le délinquant peut refuser la proposition du parquet de le traiter par le biais de la composition pénale, nous avons aussi constaté qu’une fois la mesure acceptée il n’y a pas de rapport de forces égales entre eux, le procureur de la République gardant la maîtrise de la mesure et le mis en cause n’ayant plus la possibilité d’interférer dans le processus pénal. Pour répondre à la question posée dans ce premier chapitre, parler de « justice négociée » dans la composition pénale c’est commettre l’erreur de l’imprécision, c’est se laisser prendre au jeu de l’apparence et des a priori. Certes, le parquet doit recevoir l’autorisation du délinquant pour mettre en œuvre la composition pénale, mais en aucun cas le parquet ne négocie la réponse pénale avec le délinquant. Parler de « justice négociée » dans la composition pénale c’est donc confondre la négociation de la réponse pénale avec le délinquant avec le choix laissé à ce dernier entre le mode de traitement pénal simplifié (la composition pénale) et le mode de traitement pénal classique (les poursuites et le jugement) qui amèneront tous deux à une réponse pénale imposée au délinquant. Lors de notre recherche relative à l’étendue du consentement dans la composition pénale, nous avons constaté qu’en réalité, lorsque le délinquant souhaite échapper aux poursuites, quand bien même il ne serait pas d’accord avec les mesures prévues à son encontre par le parquet, il n’avait d’autre choix que d’accepter la proposition de composition pénale. En effet, 19 . Leblois-Happe J., « De la transaction à la composition pénale. Loi n° 99-515 du 23 juin 1999 », La semaine juridique, Ed. Générale n° 3, 19 janvier 2000. 27 la composition pénale est proposée au délinquant par le procureur de la République ou un de ses délégués avant l’engagement des poursuites et à la place de celles-ci. En décrivant ainsi la composition pénale, nous ne pouvons pas ne pas penser aux mesures alternatives aux poursuites de l’article 41-1 du Code de procédure pénale citées en introduction lorsque nous annoncions l’élargissement des pouvoirs du Ministère public. D’autant plus que la composition pénale a longtemps été perçue par la majeure partie de la doctrine et des juristes comme une nouvelle mesure alternative aux poursuites complétant celles énumérées à l’article 41-1 et qu’aujourd’hui encore, certaines personnes la classent parmi celles-ci. Il serait intéressant de voir ce qu’il en est exactement en procédant à une comparaison entre ces mesures. C’est à cette nouvelle tâche que nous allons nous atteler dès à présent. Chapitre II – La composition pénale : une mesure alternative aux poursuites? Il s’agit ici de réfléchir sur l’identité de la composition pénale afin de confirmer ou non son appartenance aux mesures alternatives aux poursuites, appelées également mesures de la « troisième voie ». Nous nous intéresserons aux caractéristiques qui permettent de dire que nous nous trouvons en présence d’une mesure de l’article 41-1 du Code de procédure pénale (section I). Après avoir expliqué ce que sont les mesures alternatives aux poursuites, nous constaterons qu’il existe des points communs entre ces mesures et la composition pénale. A tel point, d’ailleurs, qu’a priori nous pourrions penser que la composition pénale n’est effectivement rien d’autre qu’une nouvelle mesure de la « troisième voie » (section II). 28 Section I – Les caractéristiques des mesures de la « troisième voie » Nous allons présenter les mesures alternatives aux poursuites afin de comprendre d’où elles viennent et ce qu’elles signifient (sous-section I). Une fois cette présentation réalisée, nous nous pencherons sur les effets de ces mesures regroupées à l’article 41-1 du Code de procédure pénale (sous-section II). C’est à l’issue de ce travail que nous tenterons d’expliquer ce qu’est la « troisième voie » puisque, si tout le monde emploie l’expression, il semble bien que personne ne sait la définir précisément. C’est en quelque sorte une expression facile pour décrire ce que l’on ne sait pas définir. Sous-section I – La présentation des mesures de la « troisième voie » Les mesures de la « troisième voie » sont des mesures issues de la pratique parquetière afin de faire face aux différents problèmes qui pouvaient empêcher le Ministère public d’apporter une réponse pénale cohérente et satisfaisante. Toutes ces mesures, regroupées sous le vocable d’ « alternatives aux poursuites » ou de « mesures de la « troisième voie », bien que faisant appel à des procédés totalement distincts, ont des objectifs communs à atteindre. 29 1 – Des mesures issues d’initiatives parquetières Il faut attendre 1993 pour que soit consacrée, au plan législatif, la première mesure alternative aux poursuites. En effet, la mesure de médiation pour les majeurs a été instituée par la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale. En ce qui concerne les autres mesures, que sont le rappel à la loi, l’orientation vers une structure sanitaire et sociale ou professionnelle, la demande de régularisation de la situation et la demande de réparation du dommage, c’est la loi n° 99-515 du 23 juin 1999 renforçant l’efficacité de la procédure pénale qui les a consacrées, cette loi même qui a institué la composition pénale. Cependant, ces textes législatifs sont venus consacrer, préciser et étendre des pratiques qui s’étaient instaurées de manière prétorienne sous l’égide des parquets dans les années 1980. Les parquets espéraient ainsi lutter contre l’accroissement des classements sans suite de pure opportunité causé par un manque de temps, en apportant des réponses pénales rapides et diversifiées aux actes de petite et moyenne délinquance. En effet, les procureurs de la République étaient confrontés à un tel nombre de cas à traiter dans le même temps qu’ils ne pouvaient toutes les satisfaire et étaient souvent contraints d’opter pour un classement sans suite dans des affaires auxquelles une réponse pénale aurait été nécessaire. Lorsque les procureurs de la République se voyaient chargés d’une affaire, et jusqu’à ce qu’ils prennent à bras le corps ce problème, ils n’avaient que le choix entre déclencher les poursuites pour que le délinquant soit jugé pénalement ou classer l’affaire purement et simplement. C’est parce qu’ils ne se contentaient plus de cette situation et sentaient que dans certains cas une réponse pénale pouvait être apportée sans qu’il soit nécessaire de mettre en mouvement l’action publique, que les parquets ont créé des réponses alternatives à celles existantes. 2 – Des alternatives aux poursuites Comme nous l’avons dit, les mesures alternatives aux poursuites ont été consacrées par les textes législatifs à la suite d’une pratique parquetière afin de faire face à l’accroissement du nombre d’affaires et à l’engorgement des tribunaux qui s’en suit. Le nombre d’affaires ayant donné lieu à une mesure alternative aux poursuites au cours de l’année 2000 témoigne 30 d’ailleurs du succès de ces mesures auprès de ceux qui les ont largement inspirées, les parquets20. Aujourd’hui, l’article 41-1 du Nouveau code de procédure pénale en compte cinq qui sont, rappelons-les, le rappel auprès de l’auteur des faits des obligations résultant de la loi, l’orientation de l’auteur des faits vers une structure sanitaire, sociale ou professionnelle, la demande de régularisation de la situation au regard de la loi ou des règlements, la demande à l’auteur des faits de réparer le dommage résultant de ceux-ci et, enfin, lorsque les parties sont d’accord, la médiation entre l’auteur des faits et la victime. Pourtant bien distinctes les unes des autres, elles visent toutes les mêmes objectifs, objectifs que ne pourrait oublier le procureur de la République lorsqu’il opte pour une de ces mesures. En effet, l’article 41-1 énonce clairement que le parquet peut avoir recours aux mesures alternatives aux poursuites « s’il lui apparaît qu’une telle mesure est susceptible d’assurer la réparation du dommage causé à la victime, de mettre fin au trouble résultant de l’infraction ou de contribuer au reclassement de l’auteur des faits ». Ce sont donc des dispositifs auxquels peut recourir le parquet dans le cas d’infractions de faible gravité et sans que soient nécessaires des poursuites devant la juridiction répressive. Lorsque le procureur de la République prend la décision de recourir aux mesures alternatives aux poursuites, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un officier de police judiciaire, d’un délégué ou d’un médiateur, il entend en principe ne pas engager l’action publique. Les mesures, comme le rappelle clairement leur intitulé, sont des alternatives à la poursuite. En ce sens, elles sont prises par le procureur de la République « préalablement à sa décision sur l’action publique » (article 41-1) et sont exécutées par l’auteur des faits en dehors de toute poursuite. Le parquet apporte ainsi une réponse pénale qui prend en compte les intérêts des victimes éventuelles et qui donne tout de même de l’importance à l’acte commis par le délinquant, au lieu de classer l’affaire purement et simplement et de laisser l’auteur des faits dans l’ignorance de la gravité de son acte et les victimes dans l’idée que la justice ne prend pas en compte leurs souffrances. Une mesure comme la médiation, en permettant à la victime et à l'auteur de l'infraction de se côtoyer, peut en outre être un facteur de rétablissement de la paix sociale. 20 . 250.051 en l'an 2000, soit un chiffre représentant plus du triple de celui de l'année 1995, à comparer avec les 628.065 affaires ayant donné lieu à poursuite. Ont été ainsi enregistrés : 116.694 rappels à la loi, 33.491 classements après médiation, 37.424 mesures conduisant au désintéressement du plaignant ou à la régularisation de la situation de l'auteur de l'infraction ainsi que 4.772 classements après réparation par un mineur. 31 Le fait que les mesures soient déclenchées par le procureur de la République avant que les poursuites ne soient mises en mouvement produit des effets sur l’action publique qui contribuent à l’originalité des mesures de la « troisième voie » et en font des mesures de nature particulière. Sous-section II – Les effets des mesures de « troisième voie » Les mesures alternatives aux poursuites ont des conséquences sur l’action publique qui permettent de mieux appréhender l’expression de « troisième voie ». De plus, le fait que les mesures soient prises en dehors de toute poursuite et produisent sur l’action publique les effets que nous verrons en fait des mesures exclusivement réparatrices. 1 – Les effets sur l’action publique Comme nous l’avons vu, le terme d’ « alternative aux poursuites » signifie que les mesures sont prises par le procureur de la République et exécutées par l’auteur des faits en dehors de toute poursuite. Ce qui nous intéresse alors est de voir les conséquences sur la prescription de l’action publique et les effets par rapport à l’action selon le résultat obtenu par la mesure. Nous savons que le déclenchement des poursuites, que ce soit par le Ministère public ou par la partie civile, interrompt la prescription de l’action publique. Le problème, c’est qu’avec les mesures alternatives aux poursuites le parquet apporte une réponse pénale à l’infraction constatée tout en ne déclenchant pas les poursuites et donc nous ne connaissons pas ce qu’il advient du délai de prescription de l’action publique. La mise en œuvre des mesures alternatives aux poursuites produit-elle le même effet que le déclenchement des poursuites ou la prescription de l’action publique est-elle simplement suspendue ? C’est l’article 41-1 du Code de procédure pénale qui nous donne la réponse puisque le législateur y a inséré un alinéa précisant que la procédure relative aux mesures alternatives aux poursuites « suspend la 32 prescription de l’action publique ». Ceci signifie que ces mesures provoquent un arrêt temporaire du cours de la prescription qui, à la différence de l’interruption, n’en anéantit pas les effets accomplis, notamment le temps déjà couru, et se traduit par un allongement du délai correspondant au temps de suspension. Il faut donc comprendre que le délai de prescription de l’action publique recommence à courir à partir de où il s’était arrêté, du fait de la mise en œuvre par la parquet d’une mesure alternative aux poursuites, et ce dès que la mesure prend fin. Il nous reste donc à savoir comment les mesures de l’article 41-1 du Code de procédure pénale prennent fin et quels en sont les effets sur l’action publique. A l’inverse de la composition pénale, qui nécessite le consentement du délinquant pour pouvoir être mise en œuvre par l’autorité de poursuite, les mesures alternatives aux poursuites sont imposées par le procureur de la République à l’auteur des faits. En revanche, ce dernier reste toujours libre d’honorer ou non les mesures prises à son encontre et de son comportement lors de l’exécution de celles-ci résultera des effets différents. Selon que l’auteur des faits exécute ou non les mesures nous parlerons de succès ou d’échec, cependant, dans les deux cas les mesures alternatives aux poursuites prennent fin. Puisque le procureur de la République a recours aux mesures de l’article 41-1 lorsqu’il estime qu’elles sont suffisantes pour réparer le dommage causé à la victime, de mettre fin au trouble résultant de l’infraction ou d’aider au reclassement de l’auteur des faits, il apparaît peu probable qu’en cas de succès de la mesure il souhaite engager des poursuites. Et ce quand bien même il le pourrait, le délai de prescription de l’action publique n’étant pas écoulé et l’article 6 du Nouveau code de procédure pénale ne prévoyant pas l’exécution des mesures alternatives aux poursuites parmi les causes d’extinction de l’action publique. En effet, n’oublions pas que l’objectif du législateur lorsqu’il a institué les mesures alternatives aux poursuites, et des parquets avant lui, était de trouver une solution à l’encombrement des tribunaux répressifs et de remédier aux trop nombreux classements de pure opportunité d’affaires, causés par un manque de temps, où pourtant il aurait été bénéfique d’apporter une réponse judiciaire. Si le procureur de la République poursuivait la personne malgré que celleci ait exécuté les mesures cela aurait non seulement l’effet inverse souhaité mais en plus ça viderait totalement les mesures de leur sens puisque ce serait l’aveu de l’inutilité des mesures alternatives aux poursuites. Par conséquent, lorsque les mesures sont exécutées par l’auteur des faits le procureur de la République considère que la réponse pénale était suffisante et qu’il n’a pas besoin de poursuivre. L’exécution de la mesure aboutira à une « non poursuite », pour 33 reprendre l’expression de Serge Guinchard et Jacques Buisson21. En réalité, ceci équivaut à un classement de l’affaire, mais c’est une nouvelle forme qui apparaît avec les mesures alternatives aux poursuites. Ils sont désignés classements « sous condition » pour les différencier des classements « secs » car, à la différence de ceux que connaissait notre droit jusque là, dans lesquels l’affaire était classée sans aucune contrepartie pour l’auteur des faits, le délinquant doit ici exécuter des mesures prises à son encontre par le parquet s’il espère ne pas être poursuivi. Nous avons vu que lorsque le procureur de la République traite le délinquant par le biais d’une mesure alternative aux poursuites c’est qu’il estime que les faits commis sont trop graves pour classer purement et simplement le dossier, mais pas assez pour engager des poursuites. Un cas de conscience se pose alors lorsque l’auteur des faits n’exécute pas les mesures prises à son encontre. En effet, en cas d’échec dû au comportement du délinquant, le procureur de la République doit-il considérer que l’affaire n’est pas assez grave pour y donner suite ou, au contraire, doit-il considérer que les faits sont trop graves pour laisser la personne s’en sortir aussi facilement ? Le législateur est venu soulager la conscience des parquets en indiquant la voie à suivre. L’article 41-1 du Code de procédure pénale s’est vu doté d’un nouvel alinéa issu de l’article 70 de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 qui dispose qu’ « en cas de non-exécution de la mesure en raison du comportement de l’auteur des faits, le procureur de la République, sauf élément nouveau, met en œuvre une composition pénale ou engage des poursuites ». Le mode impératif des verbes indique que, si la situation est restée inchangée, le procureur de la République a l’ordre d’engager des poursuites ou de mettre en œuvre une composition pénale. Les effets sont donc totalement différents selon que l’auteur des faits exécute ou non les mesures alternatives aux poursuites puisque, dans un cas la personne voit son affaire classée et dans l’autre elle se verra, au mieux, proposée une composition pénale et, au pire, poursuivie. Nous pouvons aisément comprendre cette interdiction de classer l’affaire quand l’auteur des faits n’a volontairement pas exécuté les mesures parce que ça laisse penser qu’il n’a pas pris conscience de la gravité de son acte et de la chance dont il a bénéficié en étant traité de cette manière et qu’un classement risquerait de le conforter dans cette idée. Les objectifs des mesures alternatives aux poursuites et les effets de leur exécution ou de leur inexécution sur la suite à donner à l’affaire révèlent la nature particulière de ce type de mesures. 21 . S. Guinchard et J. Buisson, Procédure pénale, Edition Litec, 1997. 34 2 – Des mesures réparatrices Comme nous l’avons déjà dit, lorsque le procureur de la République décide de recourir au rappel à la loi, à l’orientation de l’auteur des faits vers une structure sanitaire, sociale ou professionnelle, à la demande de régularisation de la situation, à la demande de réparation du dommage ou à la médiation entre le délinquant et sa victime, il doit sincèrement penser qu’une telle mesure a toute les chances d’aboutir à la réparation du dommage causé à la victime, au reclassement de l’auteur des faits ou à la cessation du trouble résultant de l’infraction. Le fait que ces objectifs soient expressément énoncés dans l’article 41-1 du Code de procédure pénale nous renseigne sur la nature à donner à ces mesures. Toutes ces mesures, qui pourtant n’ont rien à voir entre elles, renferment en leur sein l’idée d’un dédommagement du préjudice par l’auteur et le rétablissement de l’équilibre détruit par le dommage. Le but des mesures alternatives aux poursuites est de réparer un dommage et aider la personne à rester dans le droit chemin, non de punir un délinquant. D’ailleurs, le fait que l’exécution de la mesure par l’auteur des faits aboutisse à un classement de l’affaire malgré que le délai de prescription de l’action publique continue à courir confirme la nature réparatrice des mesures alternatives aux poursuites. Alors qu’il serait encore possible d’engager des poursuites à l’encontre de l’auteur des faits une fois les mesures appliquées, le procureur de la République estime que l’affaire a reçu la réponse pénale adéquate et qu’une mesure plus sévère n’aurait pas lieu d’être. Il estime que les objectifs visés par la mesure ont été atteints. Les mesures de l’article 41-1 du Code de procédure pénale permettent aux victimes éventuelles une réparation plus rapide que si elles se constituent parties civiles au procès pénal tout en étant aussi efficace, voire même plus efficace parce que dans ce cas là l’auteur des faits a intérêt à bien exécuter la mesure s’il espère le classement de l’affaire, et donnent une chance à l’auteur des faits de réparer son erreur sans subir de condamnation. Tout semble fait pour que la rencontre entre l’auteur de faits de faible gravité et la justice ne soit pas traumatisante, que la victime ne soit pas oubliée et que la personne quitte la sphère judiciaire avec la sensation d’avoir eu la possibilité de réparer le dommage causé par son acte sans pour autant avoir été traitée comme un délinquant. 35 Comme nous pouvons le constater, la dimension pédagogique dans les mesures alternatives aux poursuites est très présente. Le rôle de ces mesures est de faire prendre conscience à l’auteur des faits de l’erreur de sa conduite et de permettre la réparation du dommage dans des affaires de peu de gravité qui donnaient bien trop souvent lieu à un classement « sec » de la part du procureur de la République, y étant contraint par manque de temps. Pour résumer notre pensée nous pourrions rebaptiser les mesures alternatives aux poursuites, à la manière des professeurs Guinchard et Buisson, d’« alternatives réparatrices »22. Au regard de ce que nous venons de développer, nous cernons mieux pourquoi les mesures alternatives aux poursuites ont été qualifiées de mesures de « troisième voie ». Il faut se rappeler qu’avant qu’elles n’existent l’autorité de poursuite n’avait le choix qu’entre le classement « sec » ou l’engagement des poursuites. Si le procureur de la République considérait que la réparation du dommage et la remise de la situation dans l’état antérieur à celui-ci étaient suffisantes mais nécessaires, il n’avait aucune solution sinon d’engager les poursuites contre l’auteur des faits. Mais face à l’encombrement des juridictions répressives et face à la lourdeur et à la lenteur de la procédure classique, le procureur de la République se retrouvait souvent contraint d’opter pour le classement « sec », préférant logiquement voir comparaître devant le juge répressif les auteurs des infractions les plus graves. C’est pour sortir de ce dilemme que les parquets se sont aménagés une troisième voie d’action sans en attendre la consécration par le législateur, qui est intervenue à travers les lois n° 93-2 du 4 janvier 1993 et n° 99-515 du 23 juin 1999. La « troisième voie » signifie que les mesures prises par le procureur de la République à l’encontre de l’auteur des faits, aussi différentes les unes des autres que peuvent l’être le rappel à la loi ou l’orientation vers une structure sanitaire ou professionnelle par exemple, tendent à réparer le trouble à l’ordre public occasionné et le dommage causé à la victime alors même que les poursuites ne sont pas déclenchées et aboutissent au classement de l’affaire quand elles ont été exécutées par l’auteur des faits, sans jamais être une cause d’extinction de l’action publique. La « troisième voie » offre la chance à l’auteur des faits de réparer son infraction sans subir de peine et sans se constituer de passé pénal puisque les mesures alternatives aux poursuites de l’article 41-1 ne donnent pas lieu à inscription au casier 22 . S. Guinchard et J. Buisson, Procédure pénale, Edition Litec, 1997. 36 judiciaire. Finalement, la « troisième voie » est le pouvoir donné au parquet d’ordonner à l’auteur des faits d’exécuter des mesures réparatrices avant de classer l’affaire. Il convenait d’approfondir l’examen des mesures alternatives aux poursuites afin de mieux comprendre pourquoi certaines personnes considèrent que la composition pénale n’est rien d’autre qu’une nouvelle mesure de la « troisième voie ». Section II – La composition pénale, une alternative réparatrice à l’engagement des poursuites Nous ne pouvons pas ne pas avoir remarqué le lien qui existe entre la composition pénale et les mesures alternatives aux poursuites de l’article 41-1 du Code de procédure pénale. C’est ce lien qui va nous occuper à présent. Il s’agit ici d’examiner les ressemblances entre la composition pénale et les mesures alternatives aux poursuites. Le fait que les deux types de mesures soient des alternatives à l’engagement des poursuites par le parquet est certainement ce qui constitue la ressemblance la plus évidente (sous-section I). En étudiant les mesures de l’article 41-1 nous avons constaté qu’elles étaient de nature réparatrice, elles ne se soucient que de la réparation du trouble causé à l’ordre public et de celle du dommage causé à la victime. C’est pourquoi nous les avions rebaptisées « alternatives réparatrices ». Si la composition pénale n’a pas seulement une dimension réparatrice, le rôle joué par la réparation est tellement important qu’il en fait une alternative en partie réparatrice (sous-section II). Sous-section I – Une alternative à l’engagement des poursuites 37 Tout comme c’est le cas avec les mesures alternatives aux poursuites, lorsque le procureur de la République a recours à la composition pénale ça signifie qu’il ne déclenche pas les poursuites. Les mesures de l’article 41-1 du Code de procédure pénale et la composition pénale sont prises en amont des poursuites. Nous avons évoqué à plusieurs reprises les acteurs de la composition pénale sans jamais nous attarder sur les délégués du procureur de la République, pourtant ça peut nous permettre de mieux comprendre que nous nous trouvons en dehors des poursuites. 1 – Une mesure prise en amont des poursuites L’article 41-2 du Code de procédure pénale stipule clairement que le procureur de la République peut proposer une composition pénale à l’auteur d’une contravention ou d’un délit puni à titre de peine principale d’une peine d’amende ou d’une peine d’emprisonnement d’une durée inférieure ou égale à cinq ans « tant que l’action publique n’a pas été mise en mouvement ». En d’autres termes, une fois que l’action publique est mise en mouvement, que se soit par lui-même ou par la victime, le procureur de la République n’a plus le choix entre déclencher des poursuites contre le mis en cause ou lui proposer une composition pénale. Le procureur de la République a intérêt de prendre son temps avant d’engager les poursuites afin de faire le meilleur choix pour traiter l’affaire. En effet, s’il déclenche des poursuites contre l’auteur des faits et qu’il regrette son choix par la suite il sera trop tard, il ne pourra plus revenir sur sa décision. L’affaire sera alors traitée selon la procédure classique et la personne mise en cause comparaîtra devant le juge répressif pour être jugée. Le législateur aurait pu imaginer que le procureur puisse abandonner les poursuites contre une personne lorsqu’il estime que l’infraction n’est pas si grave et proposer une composition pénale à la place. L’idée ne semble pas saugrenue, surtout si on garde en tête les objectifs affichés par le législateur pour justifier l’insertion de la mesure dans le droit français. En effet, la composition pénale a été instituée dans le but d’apporter une réponse pénale satisfaisante et rapide à des infractions de peu de gravité et décharger les tribunaux répressifs. Abandonner la procédure classique pour revenir à la procédure simplifiée de la composition pénale permettrait de satisfaire les objectifs puisque les tribunaux se verraient déchargés d’une 38 affaire et la réponse apportée par la composition pénale serait beaucoup plus rapide, comme l’ont constaté Sylvie Grunvald et Jean Danet. Après avoir observé l’utilisation de la composition pénale dans plusieurs tribunaux (la Roche-sur-Yon, Angers et Nantes) durant l’année 2003, ils se sont aperçus qu’une grande majorité des compositions pénales aboutissaient en moins de quatre mois et que ces délais étaient sans commune mesure avec ceux d’audiencement devant le tribunal correctionnel (au tribunal de la Roche-sur-Yon par exemple, en 2003, 21 mois s’écoulent en moyenne entre la décision de poursuite du Ministère public et l’audience collégiale, 24 mois pour une audience à juge unique en matière de délit routier et 31 mois pour une audience à juge unique pour les autres délits)23. Parfois, lorsque l’infraction constatée est un délit, c’est la victime qui empêche le procureur de la République de proposer une composition pénale à l’auteur des faits en déposant une plainte avant la mise en mouvement de l’action publique par celui-ci. La plainte est constituée par une lettre envoyée au doyen des juges d’instruction compétents qui en désignera un pour traiter la plainte. Il doit y être obligatoirement fait mention des faits puisque ceux-ci vont permettre de délimiter la saisine du juge d’instruction. On parle de « plainte par voie d’action » car elle a pour effet de mettre en mouvement l’action publique. Le procureur de la République n’a donc plus de choix, il ne peut plus proposer une composition pénale à l’auteur des faits. La victime a donc le pouvoir de faire obstacle à la proposition de composition pénale. Nous pouvons comprendre que, dans ce cas-là, la décision du parquet de recourir à la procédure simplifiée de la composition pénale ne se substitue pas à celle de la victime d’aller jusqu’au procès pénal, parce qu’il y aurait une forte probabilité que cette dernière se sente bafouée dans ses droits et y voit l’expression d’une justice clémente envers le délinquant et ignorante de son propre préjudice. Cependant, comme nous l’avons annoncé, nous verrons que la composition pénale fait une place belle à la réparation du préjudice par l’auteur et donc que la victime ne se verrait pas écartée de la procédure. En réalité, ce qui pousse généralement la victime à mettre en mouvement l’action publique c’est moins l’attente de la réparation, celle-ci pouvant être obtenue devant les tribunaux civils, que la reconnaissance de la culpabilité de l’auteur des faits par la juridiction répressive et le désir de vengeance. Car, comme certains auteurs qui ont questionné des victimes d’infractions traitées par une composition pénale l’ont montré, dans bien des cas les victimes estiment que les mesures 23 . S. Grunvald et J. Danet, La composition pénale. Une première évaluation, bibliothèques de droit, Ed. L’Harmattan, p.89. 39 prises à l’encontre de l’auteur des faits sont insuffisantes malgré qu’elles soient majoritairement satisfaites de la réparation obtenue24. La mise en mouvement de l’action publique a donc automatiquement pour effet d’écarter la composition pénale. En ce sens, tout comme les mesures de l’article 41-1 du Code de procédure pénale, la composition pénale est une alternative à l’engagement des poursuites car dès que celles-ci sont engagées, que l’action publique est mise en mouvement, le procureur de la République ne peut plus y avoir recours. La composition pénale doit être proposée en amont des poursuites. D’ailleurs les exécutants de la composition pénale nous donnent la preuve que nous nous trouvons en dehors des poursuites. 2 – Les délégués du procureur de la République Selon l’article 41-2 du Code de procédure pénale, le procureur de la République peut proposer la composition pénale à l’auteur des faits soit directement, soit « par l’intermédiaire d’une personne habilitée ». Cependant, si le législateur ne précise pas qui sont ces personnes à qui il fait référence, c’est parce qu’elles n’ont pas encore été définies. Jusqu’à la création de la composition pénale, il n’était pas question que le parquet puisse déléguer ses fonctions. C’est le décret n° 2001-71 du 29 janvier 2001 qui va consacrer l’existence des délégués du procureur de la République qui jusqu’ici n’existaient que par la pratique prétorienne. L’article R. 15-33-30 du décret précise qu’aussi bien des personnes physiques que des associations peuvent être habilitées comme délégués du procureur de la République. L'habilitation couvre le ressort du tribunal de grande instance ou de la cour d'appel. Dans le premier cas, la demande est instruite par le procureur de la République, dans le second cas, par le procureur général. Elle est ensuite soumise soit à l'assemblée générale des magistrats du siège et du parquet du tribunal soit à celle de la cour d'appel. Dans le silence de la loi nous devons constater qu’à l’heure actuelle leur compétence n’est pas garantie par un niveau de formation minimum, ce qui semble scandaleux eu égard à l’importance de leur intervention. Il suffit de satisfaire aux conditions détaillées à l’article R. 15-33-33 pour devenir délégué du procureur de la République et intervenir lors de la procédure de composition pénale. C’est-à-dire « ne 24 . Ibid, p.100. 40 pas exercer d’activités judiciaires à titre professionnel », « ne pas avoir fait l’objet d’une condamnation, incapacité ou déchéance mentionnée sur le bulletin n° 2 du casier judiciaire » et « présenter des garanties de compétence, d’indépendance et d’impartialité ». Ce manque de contrôle approfondi des connaissances et compétences est d’autant plus préoccupant qu’il ne semble pas aller en s’améliorant si l’on en croit ce qui a été décidé en matière d’associations. En effet, jusqu’à l’intervention du décret n° 2002-801 du 3 mai 2002 les associations devaient soumettre à agrément individuel les personnes à qui elles désiraient confier le rôle d’intervenant à la composition pénale. Désormais, l’agrément de l’association est suffisant même si le procureur de la République, à qui l’association doit faire connaître les personnes à qui elle est susceptible de confier des missions, a toujours la possibilité de refuser celles qui ne répondraient pas aux conditions posées par le texte. La seule lecture de l’article 41-2 du Code de procédure pénale nous conduirait dans l’erreur puisque nous pourrions croire que le rôle des délégués du procureur de la République est limité à la seule proposition de la composition pénale. Or le décret d’application de la mesure étend leur intervention bien au-delà. L’article R. 15-33-49 dispose qu’une fois la composition pénale validée par le juge, le procureur de la République peut désigner un délégué afin de « mettre en œuvre les mesures décidées et de contrôler les conditions de leur exécution ». La plupart des juridictions s’appuient largement sur les délégués du procureur et leur confient bien souvent l’entière gestion de la procédure, c’est-à-dire de la proposition de la composition pénale à la clôture du dossier25. Lorsque le procureur de la République le souhaite, le délégué devient ainsi l’exécutant de la composition pénale. C’est en ce sens que l’existence de cette fonction constitue la preuve qu’avec la composition pénale nous nous trouvons en dehors des poursuites. Effectivement, il apparaît inconcevable qu’une personne n’ayant pas reçu de formation spécifique et dont on ne connaît pas les compétences juridiques puisse occuper un rôle aussi important que celui de décider si une personne doit être jugée pénalement. C’est bien de cela dont il s’agit lorsque le procureur de la République décide de poursuivre. Sous-section II – Une alternative en partie réparatrice 25 . Vu sur http://www.senat.fr/rap/r05-017/r05-0172;html. 41 Il s’agit ici de nous intéresser à la dimension réparatrice de la composition pénale. Bien que, contrairement aux mesures alternatives aux poursuites de l’article 41-1 du Code de procédure pénale, la composition pénale n’est pas uniquement axée sur la réparation, celle-ci n’en conserve pas moins une place importante. Le fait que la réparation soit exigée dans la composition montre que les intérêts de la victime, lorsqu’il y en a une, ne sont pas passés sous silence. 1 – L’obligatoire proposition de réparation La réparation du dommage causé à la victime doit être exigée de la part du délinquant dans la composition pénale. Toute proposition de composition pénale doit être accompagnée de l’obligation de réparer le préjudice causé à la victime dans tous les cas où l’auteur des faits ne l’a pas déjà fait de lui-même26. Cependant, même si c’est une évidence, il faut préciser que cette exigence dépend de l’existence d’une victime. Ainsi, on trouve à l’article 41-2 alinéa 2 que « lorsque la victime est identifiée, et sauf si l’auteur des faits justifie de la réparation du préjudice commis, le procureur de la République doit également proposer à ce dernier de réparer les dommages causés par l’infraction dans un délai qui ne peut être supérieur à six mois. Il informe la victime de cette proposition ». Alors que les mesures alternatives aux poursuites de l’article 41-1 du Code de procédure pénale sont par essence même réparatrices, la composition pénale offre un panel de mesures 26 . Voir en ce sens, P. Poncela, « Quand le procureur compose avec la peine », Rev. SC. Crim. 2002, p. 638 à 644 : « quelles que soient la (ou les) sanctions choisie(s) par le procureur, elles devront obligatoirement être accompagnées d’une proposition de réparation du dommage causé, à effectuer dans un délai de six mois maximum, dès lors que la victime est identifiée et n’a pas déjà été indemnisée. La victime doit évaluer les dommages subis. Toutefois, le procureur peut prévoir une réparation prévisionnelle en cas de difficulté d’évaluation. L’importance de la prise en considération de la victime se traduit aussi par la possibilité pour le procureur de faire une offre de composition pénale sous condition préalable d’indemnisation de la victime ». 42 qui n’ont pas seulement pour vocation de réparer, comme nous le verrons plus tard. C’est le souci de ne pas oublier la victime ni nier ses droits qui explique l’ordre donné au procureur de la République d’accompagner systématiquement la proposition de composition pénale faite à l’auteur des faits de la proposition de réparer le préjudice causé à la victime. La proposition de réparation du préjudice par le procureur de la République a une importance considérable puisque, lorsque celle-ci fait défaut, la composition pénale ne peut pas être validée par le juge judiciaire. Contrairement aux autres mesures de composition pénale, où le procureur de la République a le pouvoir de décider laquelle il proposera à l’auteur des faits, l’alinéa 2 de l’article 42-2 du Code de procédure pénale fait de la réparation du dommage causé à la victime la seule mesure obligatoirement proposée. Nous constatons que si la réparation n’est pas la seule mesure que peut prendre le procureur de la République dans la composition pénale, le législateur n’a pas entendu qu’elle soit uniquement un objectif à poursuivre mais il en a fait une condition d’exercice de la mesure dès lors que peut être identifiée une victime27. Pour éviter l’exercice difficile de l’évaluation de la réparation, particulièrement lorsque la victime demande une réparation d’un montant trop élevé, certains parquets font le choix d’écarter de la composition pénale les affaires dans lesquelles se rencontre une victime, préférant réserver la composition pénale pour les procédures simples. Comme l’a souligné monsieur Domenech, directeur de l’institut national d’aide aux victimes et de médiation (INAVEM), il ne peut s’agir en pratique que d’un dédommagement limité dont le montant doit rester « raisonnable »28 : il ne doit pas dépasser l’équivalent d’une provision. Cependant, lorsque la décision est prise par le procureur de la République de proposer la composition pénale dans une affaire où une victime est identifiée, cette dernière se voit offrir toutes les garanties pour obtenir la juste réparation de son préjudice. Non seulement la réparation doit obligatoirement être proposée, comme nous venons de le voir, mais tout est mis en œuvre pour qu’elle soit effective. 27 . Voir en ce sens, Claire Saas, « De la composition pénale au plaider-coupable : le pouvoir de sanction du procureur », Revue de science criminelle et de droit comparé, octobre-décembre 2004, p. 827 et seq. 28 . Terme employé dans la directive générale de mise en œuvre de la procédure de composition pénale diffusée par le parquet de Bourg-en-Bresse. 43 2 – Les garanties autour de la réparation Une fois que la composition pénale a été validée par le juge judiciaire, après que l’auteur des faits ait accepté la proposition faite par le procureur de la République, son succès dépend de la bonne exécution des mesures de composition pénale prises à son encontre. Ainsi, puisque quand est identifiée une victime le procureur de la République doit obligatoirement proposer la réparation du préjudice, l’exécution de celle-ci est une condition du succès de la mesure. La mesure de réparation prend le plus souvent la forme d’un versement d’une somme d’argent. Le législateur ne se contente pas de faire de la proposition de réparation une condition d’exercice de la composition pénale, il entoure la victime de garanties pour que sa réparation soit réelle et juste. Alors même que l’action publique est éteinte du fait de la bonne exécution de la composition pénale, et alors que l’auteur des faits a achevé la réparation, la victime a toujours la possibilité de saisir le tribunal correctionnel afin qu’il statue sur la réparation lorsqu’elle estime que celle obtenue par la composition pénale est insuffisante. Dans ce cas, l’alinéa 9 de l’article 41-2 du Code de procédure pénale dispose que c’est par la voie de la citation directe que la victime saisit le tribunal qui statue sur les seuls intérêts civils. L’article 71-1 de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 est venu apporter un élément nouveau car, désormais, le tribunal qui statue est composé « d’un seul magistrat exerçant les pouvoirs conférés au président ». Nous sommes là en présence d’une dérogation au principe selon lequel l’action civile ne peut être exercée devant une juridiction pénale indépendamment de l’action publique car, rappelons-le, la composition pénale est proposée et exécutée en dehors de la mise en mouvement de l’action publique. Il faut voir cette concession importante et dérogatoire au droit commun comme la garantie pour la victime d’être indemnisée rapidement puisque la citation directe, mode de saisine des seuls tribunaux de police et correctionnels, consiste ici à saisir directement le tribunal correctionnel aux seules fins de statuer sur les intérêts civils. Cependant, il faut reconnaître que cette faculté est rarement mise en œuvre en pratique. La réussite de la composition pénale étant liée à l’indemnisation de la victime par l’auteur des faits, on comprendrait mal que cette dernière utilise souvent ce procédé. D’autant plus que la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004, toujours dans son article 71-1, permet désormais à la victime de demander le recouvrement des dommages et intérêts que le mis en cause s’est engagé à lui verser suivant la procédure d’injonction de payer, conformément aux règles prévues par le 44 nouveau code de procédure civile. Dans ce cas, l’ordre est donné par le juge à l’auteur des faits de s’acquitter de sa dette envers la victime. Comme nous pouvons le constater, la victime n’est nullement délaissée dans la procédure de composition pénale. Les dispositions du législateur mises en place pour garantir la réparation du préjudice subi par la victime font que sur ce point encore la composition pénale se rapproche fortement des mesures alternatives aux poursuites. Cependant, si dans les mesures de l’article 41-1 du Code de procédure pénale la réparation est le pourquoi de leur existence, c’est pour cela d’ailleurs que nous les appelons « alternatives réparatrices », dans la composition pénale elle ne semble être qu’une mesure imposée lorsqu’une victime est identifiée pour ne pas léser cette dernière dans ces droits et non le souci premier du législateur lorsqu’il a institué la mesure. C’est en ce sens que nous parlions de mesure « en partie réparatrice » pour décrire la composition pénale, car contrairement aux mesures alternatives aux poursuites la composition pénale ne se contente pas de la réparation. Elle apparaît plus répressive que ces dernières. En passant en revue ce que nous avons étudié jusqu’ici, le moins que l’on puisse dire c’est que la composition pénale nous laisse perplexe. Notre dessein était de rattacher la composition pénale à une forme connue de mesure afin de la classer et de cerner sa nature, tout en recherchant une éventuelle forme de « justice négociée », cependant, force est de constater que non seulement elle n’a que l’apparence d’une « justice négociée », mais en plus elle tient de plusieurs formes à la fois dont la somme en fait une mesure totalement originale. En effet, nous avons rapproché la composition pénale du contrat, de la négociation et de la transaction pénale pour finir par s’apercevoir qu’elle ne pouvait être réduite à ces formes là. Puis nous pensions voir une mesure calquée sur les mesures alternatives aux poursuites or, si tout comme elles la composition pénale est une mesure alternative à l’engagement des poursuites par le procureur de la République qui a une dimension réparatrice forte, la composition pénale s’en écarte sur plusieurs points essentiels comme nous allons le voir à présent. 45 DEUXIEME PARTIE – LA COMPOSITION PENALE : UNE MESURE PROCHE D’UNE PEINE En étudiant la dimension réparatrice de la composition pénale, nous avions tout de suite précisé que ce n’était qu’une facette de la mesure. Contrairement aux mesures alternatives aux poursuites de l’article 41-1 du Code de procédure pénale, qui elles ne se soucient que de la réparation, la composition pénale pourrait être qualifiée de « Janus aux deux visages » puisqu’en l’examinant dans son ensemble on se rend compte qu’elle porte en elle un aspect répressif indéniable (chapitre I). Alors que la sévérité dans les mesures distingue la composition pénale des « alternatives réparatrices », cette même sévérité la rapproche davantage des peines que pourrait prononcer le magistrat du siège si l’action civile avait été mise en mouvement et qu’il avait eu à juger l’affaire. Toutefois, des caractéristiques essentielles manquent à la composition pénale pour faire de celle-ci une véritable peine à l’instar de celles prononcées par le juge judiciaire (chapitre II). Chapitre I – L’aspect répressif certain de la composition pénale La composition pénale est une alternative à l’exercice de l’action publique puisque tendant au prononcé de mesures en amont de l’engagement des poursuites. C’est pour cela que nous la qualifions, par facilité de langage, d’alternative aux poursuites. Mais il est important de bien comprendre que nous faisons une nuance entre les mesures alternatives aux poursuites de l’article 41-1 du Code de procédure pénale, « alternatives réparatrices », et la composition pénale qui n’est une alternative aux poursuites que parce qu’elle est proposée et exécutée en dehors de celles-ci. La composition pénale ne saurait être considérée comme une mesure 46 alternative aux poursuites supplémentaire tant les différences qui existent entre ces deux types de mesures sont essentielles. Le titre du chapitre premier de la loi du 23 juin 1999, intitulé « Dispositions relatives aux alternatives aux poursuites et à la composition pénale », montre d’ailleurs que le législateur n’entend pas les mettre sur le même plan et qu’il a conscience que la composition pénale est une alternative originale à l’engagement des poursuites (section I). Nous verrons par la suite que les mesures proposées à l’auteur des faits par le procureur de la République dans le cadre d’une composition pénale sont de véritables sanctions qui ressemblent étrangement à des peines (section II). Section I – Une alternative particulière à l’engagement des poursuites Tel le « Janus à deux visages », la composition pénale possède deux facettes. Nous avons vu l’importance donnée à la réparation par l’auteur des faits quand une victime est identifiée, il nous reste à constater la dimension répressive de la composition pénale qui en fait une alternative aux poursuites originale (sous-section I). Alternative aux poursuites d’autant plus originale que le rapport qu’entretient la composition pénale avec l’action publique n’est en rien comparable à ce que nous avions vu lorsque nous avons étudié les caractéristiques des mesures de la « troisième voie » (sous-section II). Sous-section I – Une dimension « sanctionnalisante » dans la composition pénale C’est cet aspect de la composition pénale qui constitue la plus grande rupture avec les mesures de la « troisième voie ». En effet, si les mesures alternatives aux poursuites ne sont que des « alternatives réparatrices », comme nous nous étions plus à les qualifier, la composition pénale est la rencontre, en dehors de toutes poursuites, de la réparation et de la sanction. Nous insistons beaucoup sur le fait que la composition pénale existe en dehors de l’exercice des poursuites afin d’attirer l’attention sur le rôle joué par le procureur de la République dans cette mesure qui met en œuvre de véritables sanctions pour l’auteur des faits. 47 1 – Entre alternative réparatrice et alternative « sanctionnatrice » Ainsi que nous l’avions relevé, nous retrouvons dans la composition pénale, lorsqu’une victime est identifiée, la base des mesures de la « troisième voie ». Ce que les américains appellent la « restorative justice ». C'est-à-dire une justice sans procès, puisque l’action publique n’est pas mise en mouvement, qui répare et apaise les conflits nés de l’infraction entre l’auteur des faits et la victime. Comme l’explique Jean Pradel, cette manière de rendre la justice pénale va de pair avec la justice traditionnelle « douce », celle qui exclut la détention provisoire et qui assure la promotion des alternatives à l’emprisonnement29. Cependant, réduire la composition pénale à cette seule idée c’est passer à côté de sa mission punitive qui en fait une mesure alternative à l’engagement des poursuites tout à fait originale. Avant de voir que les mesures énumérées à l’article 41-2 du Code de procédure pénale sont de véritables sanctions, il convient de bien saisir le sens que nous donnons à cette notion afin de ne pas la confondre avec celle de peine. Si la peine est un châtiment infligé en matière pénale par le juge répressif, la sanction est une punition destinée à faire subir au coupable une souffrance dans sa personne ou dans ses biens infligée par une autorité quelconque. Dans la composition pénale, cette autorité qui prend la mesure répressive n’est pas un magistrat du siège mais un magistrat du parquet. Comme le soulignent tous les parquets, les mesures que le procureur prend à l’encontre du délinquant dans le cadre de la composition pénale sont de véritables sanctions. Un examen de ces mesures nous permet d’en juger par nous-mêmes. Ainsi en va-t-il, par exemple, du versement d’une amende de composition au Trésor public, de la remise du véhicule à des fins d’immobilisation, de la remise au greffe du tribunal de grande instance du permis de conduire ou de la consigne de ne pas paraître dans le ou les lieux dans lesquels l’infraction a été commise. De plus, le fait que la sanction porte le plus souvent directement sur l’objet qui a permis la commission de l’infraction ou sur le lieu où elle a été commise dénote la volonté du procureur de la République, qui est libre de choisir parmi les mesures de composition pénale 29 . J. Pradel, « Le Ministère public. Brèves remarques sur son évolution depuis 1959 », Revue pénitentiaire et de droit pénal. 48 énumérées à l’article 41-2, de gêner la personne et d’éviter qu’elle commette à nouveau la même infraction. La composition pénale est donc plus flexible que les mesures de la « troisième voie » puisqu’elle permet de réparer et de sanctionner en même temps. Si la spécificité de la composition pénale est son caractère cœrcitif30, l’originalité de la mesure est de donner au Ministère public le pouvoir de sanctionner le délinquant. 2 – La « prépotence » du parquet Le pouvoir de sanction reconnu au parquet, en plus de constituer une nouveauté en matière de procédure pénale, occasionne un bouleversement de cette dernière. La loi n° 99-515 du 23 juin 1999, instituant la composition pénale, a brouillé la ligne de partage des compétences entre les magistrats du siège et les magistrats du parquet puisqu jusqu’ici ce pouvoir était entre les mains des seuls juges répressifs. C’est d’ailleurs ce qui a expliqué la mauvaise réception de la mesure par les juges judiciaires qui y voyaient une perte de pouvoirs au profit du Ministère public. D’autant plus que dans la composition pénale l’humiliation suprême pour les juges est qu’ils interviennent tout de même à la procédure mais sont cantonnés à refuser ou valider la proposition émanant du procureur de la République. Ils ne peuvent pas substituer leurs mesures à celles prises par le parquet quand bien même elles leur sembleraient plus appropriées. Il convient cependant de relativiser ce propos en rappelant que s’ils ne peuvent décider des mesures de composition pénale que l’auteur des faits devra exécuter, pouvoir reservé aux seuls procureurs de la République, les magistrats du siège ne sont pas dépourvus de toute influence. En effet, pour que la composition pénale fonctionne bien, une concertation a lieu entre l’autorité de jugement et le Ministère public en amont de sa mise en œuvre pour savoir quelles infractions seront susceptibles de faire l’objet d’une composition pénale. Sans cet accord, en effet, le procureur de la République serait sans cesse soumis au risque de ne pas voir ses propositions de composition pénale validées. Le procureur de la République est donc lié par la volonté du juge du siège puisque s’il désire aller à l’encontre de celle-ci et proposer la composition pénale à l’auteur d’une infraction pour laquelle le siège a entendu garder la 30 . En ce sens, voir S. Guinchard et J. Buisson, Procédure pénale, Litec, n° 912 : « La particularité de la composition pénale est d’être une alternative punitive mettant en œuvre la coercition ». 49 mainmise, l’excluant de la liste des infractions entrant dans le champ de compétence de la mesure, il n’aurait aucune chance de la voir validée. Même si, contrairement aux apparences, l’autorité de jugement garde une certaine influence sur les mesures prises par le procureur de la République, c’est tout de même la première fois que dans le droit pénal français des sanctions peuvent être prononcées par le parquet et en dehors de la mise en mouvement de l’action publique. En principe, quand le procureur de la République estime ne pas avoir à engager de poursuites contre une personne c’est qu’il considère qu’elle n’a pas à être punie et dans ce cas, soit il classe purement et simplement l’affaire, soit il classe l’affaire sous la condition que l’auteur des faits répare le dommage, c'est-à-dire qu’il exécute une mesure de la « troisième voie ». Désormais, le fait que le procureur de la République n’engage pas les poursuites ne signifie plus forcément pour l’auteur des faits qu’il échappe à une punition. La composition pénale permet ainsi d’apporter une sanction pénale dans des affaires relativement peu graves qui dans le meilleur des cas, faute de temps et d’encombrement des juridictions répressives, ne donnaient lieu qu’à réparation. En constatant que les mesures de composition pénale sont de véritables sanctions infligées à l’auteur des faits par le procureur de la République malgré que celui-ci ne mette pas en mouvement l’action publique, nous venons de voir ce qui constitue l’élément fondamental de la distinction entre la composition pénale et les mesures alternatives de la « troisième voie ». Néanmoins, affirmer que la particularité de la composition pénale parmi les mesures alternatives à l’engagement des poursuites repose sur ce seul élément serait incomplet. Le rapport qu’entretient la composition pénale avec l’action publique en fait également une alternative particulière. Sous-section II – Le rapport ambigu de la composition pénale avec l’action publique Alors que le procureur de la République a un choix à faire entre classer l’affaire, poursuivre la personne ou proposer une composition pénale à l’auteur des faits (lorsque l’infraction constatée est une contravention ou un délit puni à titre de peine principale d’une peine d’amende ou d’une peine d’emprisonnement d’une durée inférieure ou égale à cinq ans), une fois la proposition de composition pénale effectuée il peut se voir parfois contraint de mettre en mouvement l’action publique. 50 Nous avons vu que la procédure des mesures de la « troisième voie » suspend la prescription de l’action publique. Si à l’origine c’était également le cas pour la procédure de composition pénale, la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 est venue modifier les conséquences de la composition pénale sur la prescription de l’action publique. Nous terminerons par ce qui constitue sûrement la plus grande ambiguïté dans ce rapport, à savoir que l’exécution de la composition pénale par l’auteur des faits est une cause d’extinction de l’action publique. 1 – L’obligation de poursuivre dans certains cas La justification donnée le plus souvent au recours à la composition pénale, qui reste un choix du procureur de la République, est la possibilité d’apporter une réponse rapide aux infractions de peu de gravité et par conséquent de ne pas encombrer davantage les juridictions répressives. C’est pourquoi il apparaît étonnant que le procureur de la République soit parfois contraint de mettre en mouvement l’action publique pour des affaires qu’il estimait ne pas justifier le passage devant le juge. Il existe deux situations dans lesquelles, depuis la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004, le parquet se retrouve obligé d’engager les poursuites une fois la composition pénale proposée au mis en cause. Si le procureur de la République appréciait la suite à donner à la procédure lorsque le mis en cause n’acceptait pas la composition pénale, et pouvait ainsi classer l’affaire purement et simplement, recourir aux mesures alternatives aux poursuites de l’article 41-1 du Nouveau code de procédure pénale ou engager des poursuites, il se voit aujourd’hui contraint de mettre en mouvement l’action publique. La loi du 9 mars 2004 est venue transformer en obligation ce qui n’était jusque là qu’une possibilité pour le parquet. Le procureur doit avoir conscience qu’à partir du moment où il propose une composition pénale à l’auteur des faits et que celui-ci la refuse, il ne pourra plus revenir à un classement de l’affaire. La proposition de composition pénale est en quelque sorte devenue un risque pour le procureur de la République d’être forcé de mettre en mouvement l’action publique dans des affaires pour lesquelles il souhaitait sanctionner l’auteur des faits sans pour autant déclencher la procédure classique, beaucoup plus lourde et lente. 51 C’est plus logiquement, en revanche, que la loi du 9 mars 2004 est venue mettre fin à la liberté d’appréciation du parquet sur la suite à donner à la procédure lorsque la personne n’exécute pas entièrement les mesures décidées. Ici aussi le procureur de la République doit engager les poursuites. En effet, les mesures de composition pénale étant de véritables sanctions, il serait étrange que le refus du mis en cause d’exécuter les mesures prises par le procureur de la République, alors même qu’il avait accepté le principe de la composition pénale, puisse lui être bénéfique. Il est logique que ce mauvais comportement soit réprimé plutôt que donner lieu à un traitement moins sévère. Alors qu’en cas d’échec des mesures alternatives aux poursuites il reste pour le procureur de la République le choix entre poursuivre la personne ou lui proposer une composition pénale, en cas d’échec de la composition pénale le procureur de la République n’a plus d’autre possibilité que de mettre en mouvement l’action publique. Cependant, ce changement opéré par la loi de 2004 n’est pas le seul à appuyer le caractère particulier de la composition pénale au sein des mesures alternatives à l’engagement des poursuites. 2 – De la suspension à l’interruption de la prescription de l’action publique Une fois n’est pas coutume, c’est la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 qui a modifié les effets de la mise en œuvre de la composition pénale sur la prescription de l’action publique. Jusqu’à l’intervention du législateur en 2004, les actes tendant à la mise en œuvre ou à l’exécution de la composition pénale avaient pour conséquence, tout comme c’est le cas des mesures de la « troisième voie », de suspendre le délai de prescription de l’action publique. Une fois la composition pénale terminée, que se soit à la suite d’un échec ou d’un succès, le délai de prescription recommençait à courir à partir du moment où il avait été interrompu pour laisser place à la mesure alternative à l’engagement des poursuites. Aujourd’hui, les effets de la composition pénale sur la prescription la rapprochent davantage de la mise en mouvement de l’action publique. Désormais, nous pouvons lire à l’alinéa 8 de l’article 41-2 du Code de procédure pénale que « les actes tendant à la mise en œuvre ou à l’exécution de la composition pénale sont interruptifs de la prescription de l’action publique ». L’interruption du délai de prescription signifie son entière « restauration ». Ainsi, le temps écoulé entre la commission de l’infraction et le premier acte relatif à la composition pénale disparaît et un nouveau délai commence sa course au lendemain du jour où la mesure a pris fin. Le législateur a entendu faire produire 52 aux actes de composition pénale les mêmes effets sur la prescription que les actes de poursuite. Si au regard de ce que nous venons d’étudier, nous ne pouvons nier l’insistance du législateur sur le caractère répressif de la mesure et l’accentuation du rapprochement avec la mise en mouvement de l’action publique plutôt qu’avec les mesures de la « troisième voie », il nous faut à présent s’attarder sur la conséquence du succès de la composition pénale sur l’action publique. 3 – Une cause d’extinction de l’action publique Nous avons vu que la composition pénale est une alternative à l’engagement des poursuites par le procureur de la République, ce qui signifie qu’il y a absence de poursuite. De ce fait, nous pourrions nous attendre à ce que le succès de la mesure aboutisse, comme c’est le cas avec les mesures de la « troisième voie », à un classement de l’affaire qui pourrait être remis en cause par le parquet tant que la prescription n’est pas acquise. Cependant, le législateur a clairement différencié la composition pénale des mesures alternatives aux poursuites de l’article 41-1 du Code de procédure pénale puisqu’en cas de réussite de celle-ci l’action publique est éteinte. Nous savons que le but de la mesure est de désengorger les tribunaux répressifs tout en diminuant le nombre d’affaires classées. Le fait que la composition pénale réussie provoque l’extinction de l’action publique n’en fait pas seulement une mesure alternative à l’engagement des poursuites, mais également une mesure alternative au classement de l’affaire. A la différence des mesures de la « troisième voie », une fois la composition pénale exécutée par l’auteur, le parquet ne peut plus engager des poursuites contre l’auteur des faits. Il convient de remarquer ici que l’action publique est éteinte avant même d’avoir été mise en mouvement puisque dès lors que le parquet fait une proposition de composition pénale à l’auteur des faits ça implique qu’il renonce aux poursuites. Le procureur de la République se voit attribuer un important pouvoir par le législateur puisqu’il dispose d’une mesure « sanctionnatrice » à l’égard de l’auteur des faits qui, de plus, en cas de succès, produit les mêmes effets sur l’action publique que produiraient la prescription ou le jugement de l’affaire puisqu’elle éteint également l’action publique. Alors que jusqu’à l’existence de la composition pénale le parquet avait seulement une influence sur l’exercice de l’action publique, il peut désormais provoquer son extinction. L’action publique sera éteinte par 53 l’exécution d’une mesure décidée par le procureur de la République alors même que la prescription n’était pas échue et que l’affaire n’a pas été jugée. Ce pouvoir du parquet était inimaginable puisqu’en droit français l’exercice de l’action publique est régi par le principe d’indisponibilité qui implique que le Ministère public ne peut renoncer à l’action publique, cette dernière ne lui appartenant pas mais appartenant à la société dont il a seulement la mission de représenter dans l’exercice de son action, et que son extinction ne peut provenir que des juridictions. Ainsi, en faisant de la composition pénale une nouvelle cause d’extinction de l’action publique, l’inscrivant à l’ article 6 du Nouveau code de procédure pénale, le législateur égratigne le principe d’indisponibilité de l’action publique. Non seulement la société n’est plus la seule à pouvoir disposer de l’action publique et le procureur de la République sort de la simple mission de représentant qui lui était conférée, mais aussi les magistrats du siège ne sont plus les seuls à pouvoir éteindre l’action publique. Avec la composition pénale, l’autorité de poursuite peut également disposer de l’action publique et peut être, elle aussi, à l’origine de l’extinction de l’action publique. Si nous l’avons déjà relevé, il convient de rappeler que lorsque l’action publique est éteinte par le succès de la composition pénale rien n’empêche la partie civile de délivrer citation directe devant le tribunal correctionnel qui ne statuera, dans ce cas, que sur les seuls intérêts civils. Le fait que l’exécution de la composition pénale aboutisse à l’extinction de l’action publique rapproche davantage la mesure d’une mise en mouvement des poursuites que des autres mesures alternatives aux poursuites. Le procureur de la République apparaît comme le véritable juge de l’affaire puisque nous avons vu qu’il prend de véritables sanctions à l’égard du mis en cause qui, lorsqu’elles sont exécutées, éteignent l’action publique. D’ailleurs, certains membres du Ministère public perçoivent dans la composition pénale un « mode de poursuite autonome »31. Nous venons de voir que la composition pénale est une alternative à l’engagement des poursuites à différencier des mesures réparatrices de la « troisième voie » puisqu’elle comporte une forte dimension « sanctionnalisante » et que le rapport qu’elle entretient avec l’action publique est ambigu. Le fait que la composition pénale mette en œuvre de véritables sanctions décidées par le parquet et que l’exécution par le mis en cause éteigne l’action publique est tellement différent de ce qu’il se passe avec les mesures de la « troisième voie », 31 . Aurore Bureau, « Les premières applications de la composition pénale dans le ressort de la cour d’appel de Poitiers », Mémoire de D.E.A de droit pénal et sciences criminelles, Université de Poitiers, EPRED, 2003. 54 uniquement réparatrices et aboutissant au classement des affaires, que nous devons admettre que la composition pénale n’est pas une nouvelle forme de mesure alternative aux poursuites, comme certaines personnes le pensent. Elle est bien plus que cela. Au regard de ce que nous venons de constater, nous remarquons que bien plus qu’une alternative aux poursuites, la composition pénale se révèle être une véritable « alternative au jugement traditionnel ». Ceci étant d’autant plus vrai que la composition pénale met en œuvre des sanctions qui ressemblent étrangement à des peines. Section II – Des sanctions proches des peines Après avoir démontré que les mesures prises par le procureur de la République dans le cadre de la composition pénale sont de véritables sanctions pour l’auteur des faits, il convient à présent d’examiner ces dernières de plus près. Nous allons voir que le législateur s’est largement inspiré des peines existantes pour déterminer la liste des mesures applicables au mis en cause dans le cadre de la composition pénale (sous-section I). Nous remarquerons ensuite que la composition pénale ne ressemble pas seulement aux peines pour les sanctions qu’elle met en œuvre, mais également pour les effets qu’elle produit (soussection II). Sous-section I – Des mesures calquées sur des peines existantes Nous avions déjà insisté sur la distinction à opérer entre la sanction, qui est une punition destinée à faire subir au coupable une souffrance dans sa personne ou dans ses biens infligée par une autorité quelconque, et la peine qui est un châtiment infligé en matière pénale par la seule autorité de jugement, mais un rappel n’est pas inutile pour bien limiter notre recherche. Que se soit pour les mesures originelles ou celles issues de lois postérieures, le législateur semble s’être toujours inspiré des peines que peut prendre le juge répressif pour déterminer le type de sanctions offertes au parquet lorsqu’il met en œuvre la composition pénale. Puisque le législateur n’indique que les quantum maximaux des sanctions, il revient alors aux principaux acteurs de la composition pénale d’établir les barèmes applicables aux différentes infractions. Nous verrons que ceux-ci varient d’un tribunal à l’autre puisque étant calqués sur la jurisprudence pénale locale. 55 1 – Une ressemblance dans le type des sanctions Pas une mesure de composition pénale n’apparaît comme une pure innovation du législateur, que ce soit les mesures originelles ou celles ajoutées par la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004. Il est certain que le contenu des mesures proposées a des liens de parenté avec les peines prévues par les textes répressifs. Chacune d’entre elles ressemble effectivement à des peines pouvant être prononcées par le juge répressif, que ce soit devant le tribunal de police ou le tribunal correctionnel. La composition pénale ne pouvant donner lieu à l’emprisonnement du délinquant, il convient de rechercher des similitudes avec des peines non privatives de liberté. Si les mesures de composition pénale rappellent des peines prononcées à titre principal, elles se rapprochent également de peines prononcées en complément de la peine principale et ou en lieu et place de l’emprisonnement. Le procureur de la République a le choix parmi quatorze mesures, toutes énumérées à l’article 41-2 du Code de procédure pénale. Ce sont le versement de l’amende de composition au Trésor public, le dessaisissement au profit de l’Etat de la chose qui a servi ou été destinée à commettre l’infraction ou qui en est le produit, la remise du véhicule à des fins d’immobilisation, la remise du permis de conduire au greffe du tribunal de grande instance, la remise du permis de chasse au greffe de ce même tribunal, l’accomplissement d’un travail non rémunéré au profit de la collectivité, le suivi d’un stage ou d’une formation dans un service ou un organisme sanitaire, social ou professionnel, l’interdiction d’émettre certains chèques et utiliser des cartes de paiement, l’interdiction de paraître dans le ou les lieux désignés par le parquet dans lesquels l’infraction a été commise, l’interdiction de rencontrer ou recevoir la ou les victimes désignées ou d’entrer en relation avec elles, l’interdiction de rencontrer ou recevoir le ou les coauteurs ou complices éventuels ou ne pas rentrer en contact avec eux, l’interdiction de quitter le territoire national et la remise du passeport, l’accomplissement d’un stage de citoyenneté, et enfin, depuis la loi n° 2005-1549 du 12 décembre 2005 complétée par la loi n° 2006-399 du 4 avril 2006, l’obligation de résider or de la résidence ou du domicile du couple et s’abstenir de paraître dans ce domicile ou cette résidence ou aux abords immédiats de celui-ci lorsqu’une infraction est commise contre son conjoint ou son ex-conjoint, son concubin ou son ex-concubin, son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son expartenaire, ses enfants ou ceux de son conjoint, concubin ou partenaire. Cependant, si elles sont toutes applicables lorsque l’infraction est un délit, certaines sont à exclure en cas de contravention. Ainsi en va-t-il de l’interdiction de paraître dans les lieux où l’infraction a été commise et l’interdiction de quitter le territoire national avec remise du passeport. 56 Tout d’abord, nous ne pouvons ignorer le lien qui existe, par exemple, entre l’ « amende de composition » et l’amende pénale, ou encore entre le « travail non rémunéré » de la composition pénale et la peine de travail d’intérêt général. Le législateur semble avoir composé de nouveaux termes pour des mesures qui au final sont les mêmes, à la différence près que les mesures de composition pénale ne sont pas des peines puisque non prononcées par l’autorité de jugement. Cependant, dans les faits, la distinction n’est pas perçue par le mis en cause qui ressentira cette sanction comme s’il s’agissait d’une véritable peine. En fin de compte, la nuance entre les mesures de composition pénale et les peines qui peuvent être prononcées à titre de peine principale ne peut être perceptible que pour le juriste tellement ces deux mesures sont similaires aux peines. Les mesures de composition pénale énoncées à l’article 41-2 ressemblent également aux peines complémentaires que peut prononcer le juge répressif. Ce sont des peines qui peuvent s’ajouter à la peine principale lorsque la loi le prévoit. Si le législateur n’a pas entendu donner au parquet le pouvoir de sanction suprême, à savoir l’emprisonnement, il lui a en revanche donné beaucoup de possibilités de sanctions jusque là réservées à la seule autorité de jugement. En effet, lorsque nous examinons les peines complémentaires prévues par les textes répressifs, nous nous apercevons que le législateur s’en est largement inspiré pour déterminer les sanctions que pourra prendre le procureur de la République lorsqu’il décide de mettre en œuvre une composition pénale. Les peines complémentaires prévues pour les contraventions de la cinquième classe à l’article 131-14 du code pénal sont d’ailleurs quasiment intégralement reprises dans la composition pénale. Ce sont, par exemple, le retrait du permis de chasse et l’interdiction d’émettre des chèques ou d’utiliser des cartes de paiement. Les autres mesures de composition pénale, qui ne se retrouvent pas dans l’article 131-14 précité, semblent tout droit imaginées à partir des peines complémentaires prévues à l’article 131-10 du code pénal en cas de délit ou de crime. Cet article prévoit en effet qu’ un crime ou un délit peut être sanctionné d’une ou de plusieurs peines complémentaires qui constituent, entre autres, une interdiction, un retrait d’un droit, une obligation de faire quelque chose ou une confiscation. Ainsi, lorsque le mis en cause doit se dessaisir au profit de l’Etat de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction, le législateur ne parle pas de « confiscation », puisque l’exécution de la mesure dépend de la volonté du mis en cause, mais c’est bien de cela qu’il s’agit. De même, quand le législateur parle de ne pas quitter le territoire national, c’est bien d’interdiction dont il s’agit ici. Cette interdiction constitue d’ailleurs, comme le souligne le deuxième alinéa de l’article 222-47 du code pénal, une des peines complémentaires prévue en cas de délit d’agression sexuelle. 57 Enfin, nous retrouvons la même inspiration du législateur avec les peines alternatives à l’emprisonnement prévues à l’article 131-6 du code pénal, qui sont pour l’essentiel les mêmes que celles prévues à l’article 131-14 du même code. En instituant la composition pénale, le législateur a donc étendu considérablement les pouvoirs du Ministère public en lui offrant un réel pouvoir de sanction que d’aucun ne saurait nier. Si les mesures de composition pénale ne constituent pas de véritables peines, la limite entre les deux n’en est pas moins brouillée, même s’il est indéniable que les barèmes applicables aux mesures de composition pénale sont nettement moins sévères que ceux applicables aux peines. Cependant, si les quanta maximaux sont toujours en deçà de ceux prévus pour les peines, les barèmes appliqués par le parquet pour chaque type d’infraction qu’il a à connaître ressemblent à ceux appliqués par l’autorité de jugement de la juridiction à laquelle il est rattaché. 2 – Une ressemblance dans les barèmes appliqués A comparer les mesures de composition pénale avec les peines, nous nous rendons compte que les premières sont tout de même beaucoup moins sévères pour le mis en cause. Pour une même infraction la peine encourue est plus lourde que ce qui est envisagé avec la composition pénale. Ceci s’explique logiquement par le fait que, si elles étaient équivalentes, la composition pénale n’aurait plus ni attrait, ni intérêt. Pour que la mesure fonctionne, il faut que le mis en cause perçoive un intérêt à exécuter les sanctions prises à son encontre par le parquet, car n’oublions pas, l’exécution des mesures dépend de sa volonté. De plus, il serait choquant que le Ministère public puisse sanctionner l’auteur d’une infraction aussi gravement que l’autorité légitime. Cependant, si les barèmes applicables ne sont pas identiques, la nécessité d’une bonne justice pousse les parquets à appliquer des barèmes proches de ceux appliqués en cas de jugement d’une infraction du même type. Certaines personnes n’hésitent pas à qualifier la composition pénale de « justice au rabais » à cause de la distorsion qui existe entre les mesures de composition et les peines encourues pour des infractions identiques. Le risque, en effet, est que s’instaure une « justice à deux vitesses » plus ou moins sévère pour le délinquant selon que le parquet engage les poursuites ou qu’il propose une composition pénale. C’est pourquoi les mesures de composition pénale ne peuvent être totalement déconnectées des peines habituellement prononcées par le tribunal. Nous avions vu qu’une « négociation » entre les magistrats du siège et du parquet, pour 58 reprendre le terme de monsieur Hederer32, existe en amont de la mise en œuvre de la composition pénale pour déterminer les infractions que le juge entend exclure du champ d’application de la mesure ou, au contraire, permettre de faire l’objet d’une mesure de composition pénale. Il en va de même pour les barèmes à appliquer à chaque type d’infraction. En effet, les magistrats vont observer la jurisprudence du tribunal, en particulier celle du tribunal correctionnel, afin de s’appuyer sur les peines généralement prononcées pour élaborer les barèmes que le procureur de la République appliquera. On pourrait se demander comment le quantum appliqué à certains types d’infractions par le juge pourrait être transposable aux mesures de composition pénale puisque le quantum maximal de ces dernières est toujours nettement inférieur au quantum maximal des peines. En effet, nous pourrions nous attendre à ce que les barèmes appliqués par le juge soient trop élevés pour les mesures de composition pénale. Cependant, comme les infractions dont le magistrat du siège a permis de faire l’objet d’un traitement par la composition pénale sont généralement celles relativement peu graves mais dont le contentieux est tellement conséquent qu’il contribue fortement à encombrer les tribunaux, non seulement une jurisprudence constante se dégage mais en plus elle s’adapte bien aux mesures de composition pénale car assez clémente pour respecter le quantum maximum exigé dans ces dernières. Le risque d’une « justice à deux vitesses » est donc écarté grâce à l’élaboration conjointe de barèmes, par les magistrats du siège et du parquet, calqués sur la jurisprudence pénale. Ceci permet aussi de rassurer ceux qui craignent un délitement de la sanction avec la composition pénale, comme c’est le cas de monsieur Di Marino33. Comme nous venons de le démontrer, le contenu des mesures de composition pénale ressemble davantage à celui des peines qu’à celui des mesures de la « troisième voie ». Cette démonstration semble confirmer que, plus qu’une alternative aux poursuites, la composition pénale est une « alternative au jugement traditionnel ». De plus, nous retrouvons dans la composition pénale la plupart des effets que produisent les décisions de condamnation. Sous-section II – Des effets proches de ceux provoqués par une décision de condamnation 32 . J. Hederer, « Un an d’expérimentation de la composition pénale dans un tribunal de grande instance », AJP, n° 2/2003, p. 54. 33 . G. Di Marino, « Violences en droit pénal », R.P.D.P, 2003, p. 327 S. 59 Nous ne reviendrons pas sur l’effet de l’exécution de la composition pénale sur l’action publique, même si un développement ici serait pertinent, puisque nous avons déjà relevé la similitude avec l’effet d’une décision de condamnation, à savoir que toutes deux sont une cause d’extinction de l’action publique. Notre recherche sera ailleurs. Nous ne pouvons pas parler de « peine » au sens stricte du terme et pourtant les sanctions prises par le parquet, si elles ne sont pas privatives de liberté, l’emprisonnement étant exclu, sont aussi restrictives de liberté et privatives de droit que pourrait l’être une peine. La perception immédiate de l’intérêt de la mesure, pourtant « sanctionnatrice », était que le délinquant était assuré que l’affaire ne serait pas reportée dans son casier judiciaire. Aujourd’hui cet attrait a disparu. 1 – Des mesures privatives de droits et restrictives de liberté Même si la personne ne sera pas présentée devant le juge répressif, aucune poursuite n’ayant été engagée, cela ne signifie pas pour autant qu’elle ne sera pas punie pour l’acte qu’elle a commis. Certes, à l’inverse du juge qui impose sa décision, le parquet ne peut pas sanctionner l’auteur des faits sans qu’il donne son accord, mais une fois le consentement donné à la procédure de composition pénale les mesures de composition pénales prises par le parquet sont aussi restrictives de liberté et privatives de droits que le sont les peines. Avec la composition pénale, le Ministère public n’a rien à envier aux pouvoirs des magistrats du siège si ce n’est que le pouvoir de sanction suprême reste de leur domaine. En effet, le Ministère public ne peut pas emprisonner une personne lorsqu’il met en œuvre une composition pénale. Cependant, comme nous le verrons, le procureur de la République n’a plus à envier ce pouvoir au juge répressif puisque s’il ne peut toujours pas priver une personne de sa liberté dans le cadre de la composition pénale, il détient ce pouvoir depuis la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 lorsque la procédure de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité est mise en oeuvre. La composition pénale permet au parquet de prendre des mesures qui privent le délinquant de certains de ses droits et portent atteinte aux libertés individuelles. Lorsque le procureur de la République interdit à la personne de paraître dans certains lieux, c’est bien une restriction à la liberté d’aller et venir dont il s’agit. De même, quand la mesure proposée est de ne pas émettre de chèque ou d’utiliser de cartes de paiement, le procureur de la République prive l’auteur de l’infraction d’un droit reconnu à chaque individu. 60 La mesure relative au versement d’une amende au Trésor public aurait été à elle seule une révolution puisque, là encore, seul le juge pouvait l’ordonner. A travers nos deux exemples, nous remarquons que le législateur a clairement entendu donner au parquet le pouvoir de sanctionner l’auteur d’une infraction par des mesures aussi contraignantes que peuvent l’être les peines. Le législateur a ainsi trouvé une solution qui remédie au problème de l’encombrement des juridictions répressives, l’affaire ne donnant plus lieu à jugement, sans pour autant laisser un sentiment d’impunité chez l’auteur. Si la composition pénale est moins traumatisante pour le délinquant qu’une comparution devant le juge, la mesure est quant à elle tout aussi contraignante que le prononcé d’une condamnation accompagné d’une peine. D’autant plus que, désormais, les compositions pénales abouties sont inscrites au casier judiciaire. 2 – L’inscription au casier judiciaire des compositions pénales exécutées Lorsque le législateur a institué la composition pénale, celle-ci suivait le même régime que les autres alternatives aux poursuites puisqu’elle ne donnait pas lieu à inscription au casier judiciaire du mis en cause. Une fois la mesure exécutée par l’auteur, aucune trace n’était donc conservée. La personne avait ainsi été sanctionnée par le parquet et avait du rendre des comptes à la justice pour l’acte commis sans que cela alimente ses éventuels antécédents judiciaires. Les auteurs étaient d’ailleurs souvent influencés, lors de l’acceptation de la mesure, par l’absence d’inscription au casier judiciaire. En l’absence d’inscription au casier, la composition pénale était comprise comme la procédure « de la seconde chance ». Ils y voyaient un moyen d’être sanctionnés, ce qu’ils estimaient justifié dans la plupart des cas, sans être stigmatisés pour autant, ce qu’ils auraient trouvé trop sévère34. A l’issue de la mesure, l’acte de la personne n’entachait pas durablement son existence, elle pouvait donc « tourner la page » plus facilement. Cependant, le législateur a creusé davantage l’écart entre la composition pénale et les mesures de la « troisième voie » et rapproché la mesure d’une décision de condamnation car, depuis la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002, les compositions pénales exécutées par l’auteur sont 34 . Voir en ce sens S. Grunvald et J. Danet, La composition pénale. Une première évaluation, Ed. L’Harmattan, p. 99 et 100. 61 inscrites au casier judiciaire de l’individu. La mesure est mentionnée uniquement au bulletin n° 1 du casier, comme le mentionne le neuvième alinéa de l’article 41-2 du Code de procédure pénale. L’article 775-14° du Code de procédure pénale écarte expressément la mention au bulletin n° 2 du casier judiciaire. C'est-à-dire que seules les autorités judiciaires peuvent y avoir accès. Le passé pénal est de ce fait moins sujet à l’oubli. Cette intervention du législateur prouve une fois de plus sa volonté de durcir la composition pénale. Ceci dit, il ne semble pas que la suppression de cet avantage ait rendu la composition pénale moins attrayante pour les auteurs puisque les chiffres révèlent que chaque année l’utilisation de la mesure augmente35. Ceci s’explique non seulement par le fait que les mesures de composition pénale sont moins sévères que les peines, nous avons vu en effet que la peine maximale encourue est toujours supérieure (sauf le montant de l’amende de composition qui peut être le même que celui de l’amende encourue), mais aussi parce que la mesure doit être exécutée dans un laps de temps généralement plus court que pour les peines. L’auteur peut ainsi, une fois de plus, tourner la page plus vite. Même si, dès le départ, la composition pénale se différenciait des autres mesures alternatives aux poursuites, mesures réparatrices, nous nous apercevons que le législateur n’a cessé d’accentuer cette distinction. Du même coup, nous avons noté que la mesure, bien que proposée à l’auteur par la parquet en dehors des poursuites, semblait se rapprocher davantage d’une décision de condamnation. La composition pénale apparaît donc véritablement comme une « alternative au jugement traditionnel ». Cependant, nous allons voir que le législateur n’a tout de même pas donné à la composition pénale la force d’un jugement. Le contraire aurait été étonnant puisque la sanction n’est pas infligée au délinquant par l’autorité de jugement, autorité légalement compétente pour déclarer coupable une personne et lui ordonner une peine, mais par l’autorité de poursuite. Donner à la composition pénale la valeur de la peine pénale signerait la mort du juge répressif, ce qui est inconcevable. Il deviendrait inutile. 35 . Voir introduction, p. 8. 62 Chapitre II – Les caractéristiques manquantes pour faire de la composition penale une veritable peine Pour que l’on puisse parler de « peine » au sens juridique du terme il faut que le châtiment soit infligé par le juge répressif, or comme nous le savons, les mesures sont choisies et proposées par le parquet. L’autorité de jugement n’intervient que pour homologuer ou non la composition pénale et ne peut en aucun cas substituer ses décisions à celles du procureur de la République. Mais la distinction entre la composition pénale et la peine ne s’explique pas seulement par l’identité des autorités compétentes pour prendre la sanction car d’autres caractéristiques essentielles de la peine ne se retrouvent pas dans la composition pénale (section I). La composition pénale étant plus proche d’une décision de condamnation que des mesures de la « troisième voie », sans pour autant pouvoir être qualifiée de véritable peine, nous ne pouvons nier que l’institution de la mesure a bouleversé considérablement l’arsenal du traitement pénal des infractions (section II). Section I – Les différences essentielles d’avec une peine Par souci de précision, pour la raison évoquée précédemment, il aurait été plus juste de parler des « autres différences essentielles d’avec une peine ». Certaines phases procédurales obligatoires pour que le prononcé d’une peine soit valide ne se retrouvent pas dans la procédure de la composition pénale (sous-section I). La distinction entre la composition pénale et la peine ne réside pas seulement dans la procédure. Nous avions vu que la composition pénale exécutée est inscrite au casier judiciaire 63 de l’individu et éteint l’action publique. Cependant, en conclure pour autant que les effets de l’exécution de la composition pénale sont identiques à ceux découlant du prononcé d’une peine revient à occulter des éléments importants de la mesure (sous-section II). Sous-section I – Différences quant au déroulement de la procédure Alors que la règle en droit pénal des majeurs est la publicité de l’audience, la procédure de la composition pénale est quant à elle entièrement « cachée » au public. Le contraire aurait pour conséquence d’annihiler l’efficacité de la composition pénale puisque la procédure serait inévitablement ralentie. De plus, à l’inverse de ce qui est prévu lorsque les poursuites sont engagées, la comparution des parties devant le juge n’est pas une obligation dans la composition pénale. 1 – L’absence d’audience publique Lorsque le procureur de la République entame des poursuites contre une personne majeure ayant commis une infraction, le principe, énoncé à l’article 400 du Code de procédure pénale, veut que l’audience soit ouverte au public. La chambre criminelle de la Cour de cassation a d’ailleurs érigé ce principe en règle d’ordre public36. Ce principe semble être bien connu puisqu’il n’est pas rare de rencontrer des personnes qui viennent assister aux jugements en correctionnel par pur intérêt, ou parfois simplement par curiosité. Ceci dit, la publicité a un rôle nettement plus noble que de permettre à tout à chacun d’assouvir une curiosité car le sens de ce principe est avant tout de permettre à toute personne d’être témoin du bon déroulement du procès. Si le législateur n’indique pas expressément que la procédure de composition pénale n’est pas publique, il n’en reste pas moins que dans les faits toutes les étapes se réalisent entre les seuls acteurs à la procédure. Cette absence de publicité peut facilement s’expliquer par la recherche 36 . Crim., 17 mars 1970. Pourvoi n° 69-92475. 64 de rapidité du traitement pénal avec la composition pénale. Nous savons que la mesure a été notamment créée par le législateur afin de palier à la lenteur des juridictions répressives, juridictions trop débordées pour espérer une décision rapide. Nous avions effectivement vu qu’en moyenne les mesures de composition pénale aboutissent en quatre mois alors que les délais d’audiencement vont souvent de vingt et un à trente et un mois. Or, imposer la publicité de la procédure de composition pénale, du moins dans la phase d’homologation, ralentirait la procédure puisque une audience devrait être prévue et portée à la connaissance du public avant qu’une décision puisse être prise. Avec la composition pénale, les différentes phases de la procédure s’enchaînent rapidement entre les acteurs sans que des délais doivent être respectés entre chaque prise de décisions. Le souci n’est pas la publicité mais la rapidité. Lorsque le délinquant a accepté la composition pénale, le procureur de la République saisit par requête le président du tribunal afin qu’il valide la mesure et informe de cette saisine l’auteur des faits et les éventuelles victimes. Le juge prend alors sa décision seul, sans aucune publicité. Tout se fait rapidement et seules les parties concernées par l’affaire sont tenues au courant des actes de procédure. Certaines personnes dénoncent un abaissement dans la protection des garanties procédurales de l’individu du fait que la procédure se déroule dans l’ombre, d’autant plus que la décision du président du tribunal n’est pas susceptible de recours et que le ministère d’avocat n’est pas obligatoire bien que des délits soient sanctionnés. Des craintes sont émises devant des mis en cause qui acceptent très rapidement la composition pénale, quel que soit le montant de l’amende de composition qui pourrait être prononcé, afin d’éviter une audience publique qui nuirait à leur réputation. Cependant, il faut garder à l’esprit qu’il suffit au mis en cause de ne pas exécuter les mesures prises à son encontre par le parquet pour faire échec à la composition pénale. Ainsi, la personne est toujours à l’abri d’une décision qui se révélerait injuste en ayant la possibilité de l’écarter par sa seule volonté. De plus, l’audience publique est souvent vécue par l’auteur des faits comme une sanction supplémentaire et disproportionnée quand le délit est de faible gravité. Cette absence de publicité dans la procédure de composition pénale devient une évidence lorsque l’on sait que les parties elles-mêmes ne doivent pas obligatoirement comparaître devant le juge pour que ce dernier puisse prendre sa décision. Nous comprendrions mal que le public soit invité à l’audience alors que les parties concernées par l’affaire ne le soient pas. 65 2 – La comparution devant le juge non obligatoire Pour que le juge répressif puisse prendre une décision en connaissance et en conscience et prononcer la peine adéquate, il doit entendre les parties au procès. A l’origine, la composition pénale se rapprochait de ce schéma car même si le plus souvent l’auteur ne sollicitait pas son audition devant le juge, trop content d’échapper à ce qui représente pour lui la figure de la Justice, la comparution était de droit à partir du moment où il la demandait. L’audition par le juge n’était pas systématique, comme c’est le cas lorsque des poursuites sont engagées, mais elle devenait obligatoire dès lors qu’une demande émanait de l’une des personnes intéressées. Depuis la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002, l’écart s’est creusé entre la procédure de composition pénale et celle découlant de la mise en mouvement de l’action publique. Il relève d’une étude réalisée par les professeurs Grunvald et Danet que les magistrats qui avaient reçu une demande d’audition se trouvaient le plus souvent face à des auteurs qui souhaitaient discuter le type ou le taux de la sanction fixée, ou face à une victime qui réclamait une révision de son dédommagement37. Or, le juge n’ayant pas à forger son opinion sur la culpabilité du mis en cause ni tenter d’apprécier la peine à prononcer, ces éléments étant acquis au moment de l’audition et étant du ressort du parquet, l’impossibilité du juge à répondre à leurs attentes n’était guère comprise par les parties. La réforme opérée par la loi du 9 septembre 2002 a de ce fait été soutenue par les praticiens qui constataient que la comparution provoquait des frustrations et des incompréhensions chez les auteurs d’infraction et leur victime là où elle était justement censée leur permettre de mieux saisir la portée de la mesure. Par son article 36, la loi du 9 septembre 2002 a en effet abrogé la disposition de l’article 41-2 du Code de procédure pénale (sixième alinéa) qui stipulait que « les auditions sont de droit si les intéressés le demandent ». Désormais, les personnes dont l’affaire est traitée par une composition pénale perdent leur droit à être entendues par le juge. Comme nous l’avons constaté, la procédure de composition pénale ne se déroule pas tout à fait de la même manière que lorsque des poursuites sont engagées contre l’auteur des faits par le parquet. Cependant, là ne se trouvent pas les principales différences d’avec une peine. Plus que des différences dans la procédure, la composition pénale se distingue de la peine par les effets qu’elle provoque. 37 . S. Grunvald et J. Danet, La composition pénale. Une première évaluation, Ed. L’Harmattan, p. 150 et 151. 66 Sous-section II – Différences quant aux effets du prononcé des mesures de composition Ce qui peut apparaître comme la plus importante des différences entre la composition pénale et la peine est que l’auteur des faits est libre d’exécuter ou non la mesure de composition pénale alors qu’il ne peut refuser d’exécuter la peine. De plus, contrairement aux peines, les sanctions prises dans le cadre de la composition pénale ne constituent pas le premier terme de la récidive légale bien que faisant l’objet d’une inscription au casier judiciaire de l’individu. 1 – Des sanctions dépourvues de caractère exécutoire Nous le savons, la composition pénale doit être proposée à l’auteur de l’infraction qui doit l’accepter pour qu’elle puisse produire de quelconques effets. Nous savons également que l’auteur ne peut plus revenir sur son consentement quand bien même il n’approuverait pas les sanctions prises à son encontre par le procureur de la République. Mais si la personne ne peut qu’accepter la décision du parquet, n’ayant pas le pouvoir de discuter les sanctions, il n’est pas pour autant contraint par celle-ci car les mesures de composition pénale n’ont pas de force exécutoire. En d’autres termes, le mis en cause ne peut pas être forcé d’exécuter les sanctions prises par le procureur de la République dans le cadre d’une composition pénale. Seulement, les poursuites seront obligatoirement déclenchées et la personne sera jugée et condamnée non plus à une sanction, mais à une peine qui elle devra obligatoirement être exécutée. La personne a donc tout intérêt à exécuter les mesures de composition pénale. Même si dans les faits il apparaît que c’est le magistrat du siège qui impose ses choix au parquet, précisant, en amont de la mise en œuvre de la composition, quelles infractions peuvent donner lieu à la proposition de la mesure et quelles sanctions peuvent être envisagées, son rôle, une fois la procédure lancée, se limite à accepter ou rejeter la composition pénale. Les sanctions n’émanant pas directement du juge, le législateur aurait eu quelques difficultés à donner à des mesures décidées par le parquet la valeur d’une peine. Il se serait certainement heurté à la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui exige une séparation nette entre l’autorité de jugement et l’autorité de poursuite38. En ne donnant pas la force exécutoire aux 38 . Décision n° 95-360 DC du 2 février 1995. 67 mesures de composition pénale, le législateur avoue donc implicitement qu’elles ne peuvent être considérées comme des peines. La composition pénale est souvent comparée à l’ordonnance pénale par des juristes qui considèrent que la première est un élargissement de la seconde. L’ordonnance pénale, décrite aux articles 524 et suivants du Code de procédure pénale, est une procédure simplifiée réservée aux contraventions, et depuis la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002, aux délits prévus par le code de la route. Lorsque le parquet choisit la procédure simplifiée, il communique le dossier de la poursuite et ses réquisitions au juge du tribunal de police qui statue sans débat préalable par une ordonnance pénale portant soit relaxe, soit condamnation à une amende, ainsi que, le cas échéant, à une ou plusieurs des peines complémentaires encourues. Ceux qui voient dans la composition pénale une « ordonnance pénale élargie » considèrent que les procédures sont tellement proches que ce qui différencie les mesures tient seulement dans leur champ d’application car la composition pénale est également applicable à tous les délits encourant à titre de peine principale une peine d’amende ou une peine d’emprisonnement d’une durée inférieure ou égale à cinq ans, et pas seulement les délits prévus par le code de la route. Ils voient alors dans la composition pénale une ordonnance pénale élargie aux délits. Cependant, puisque dans l’ordonnance pénale le parquet ne fait que des réquisitions et c’est le juge qui statue, la décision du juge a les effets d’un jugement passé en force de chose jugée et est donc exécutoire, ce que, comme nous le savons désormais, la composition n’a pas. Qualifier la composition pénale d’ « ordonnance pénale élargie » apparaît ainsi réducteur et rapide car, contrairement à la composition pénale, l’ordonnance pénale aboutit au prononcé d’une véritable peine. Le fait que les mesures de composition pénale, bien qu’imposées au mis en cause par le parquet, soient des sanctions dont l’exécution ne peut être obtenue de force, constitue la différence la plus importante d’avec une peine, outre le fait que la peine doive être prononcée par l’autorité de jugement. Mais le choix du prononcé d’une mesure de composition pénale plutôt que d’une peine produit un autre effet non négligeable qui apporte une preuve supplémentaire de l’impossibilité de considérer la composition pénale comme une peine à part entière. 68 2 – Des sanctions ne constituant pas le premier terme d’une récidive Depuis la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002, les compositions pénales exécutées sont inscrites au casier judiciaire de l’individu. Le passé pénal de chaque personne est donc désormais également alimenté par les compositions pénales. Nous aurions pu croire que le législateur entendait permettre aux juges répressifs de punir le mis en cause selon les règles de la récidive s’il venait à commettre une nouvelle infraction, mais ce n’est pas le cas. L’inscription au casier judiciaire signifie uniquement que les autorités judiciaires pourront savoir qu’une personne a fait l’objet d’une composition pénale, et peut-être prononcer une peine plus sévère que celle qu’elles auraient envisagée avant de se renseigner sur le passé pénal de l’individu, mais en aucun cas elles ne pourront y voir le premier terme d’une récidive légale, celui-ci s’appréciant à partir d’une condamnation pénale définitive, ce que n’est pas une mesure de composition pénale puisque pas prononcée par l’autorité de jugement. Les articles 132-8 et suivants du code pénal ne sont effectivement pas applicables à l’auteur d’une nouvelle infraction dont la première avait été traitée par le biais de la composition pénale. Les mesures de composition pénale, si elles sont inscrites au casier judiciaire, ne constituent ni le premier terme d’une récidive spéciale (lorsque la nouvelle infraction est de même nature que la précédente) ni celui d’une récidive générale (lorsque les deux infractions sont de nature différente). Alors que le fait d’être à nouveau jugé pour la commission d’une nouvelle infraction, pour un individu qui a déjà été condamné à une peine par une juridiction française pour la commission d’une infraction, est une rechute à laquelle la loi prévoit une aggravation de la peine, qui est souvent doublée, le législateur n’attache aucune aggravation de la peine lorsque la première infraction a fait l’objet d’une composition pénale. Nous avons vu que l’absence d’inscription au casier judiciaire, information bien mise en évidence lors de la phase initiale de la procédure, était un attrait majeur de la composition pénale aux yeux du mis en cause et contribuait fortement à leur faire accepter la mesure. Les auteurs y voyant là le moyen d’être sanctionnés sans pour autant être stigmatisés. C’est pourquoi, aujourd’hui, l’information de l’inscription des mesures exécutées au casier judiciaire faite à l’auteur des faits est accompagnée, le plus souvent, d’une explication sur les conséquences de cette inscription. Le procureur de la République ou ses délégués insistent sur le fait que l’inscription ne signifie pas que les autorités judiciaires pourront s’en servir pour appliquer les règles de la récidive afin de ne pas rebuter les personnes à accepter la composition pénale. 69 Ainsi, être traité par une composition pénale apparaît toujours plus attrayant que d’être poursuivi et de voir une peine prononcée à son encontre. Alors que les caractéristiques qui éloignaient la composition pénale des mesures alternatives aux poursuites étaient justement celles qui rapprochaient la mesure des peines que peut prononcer le juge répressif, nous venons de constater que, pour autant, nous ne pouvons valablement assimiler les sanctions prises dans le cadre de la composition pénale aux peines. Mais le caractère punitif de la composition pénale a conduit à proposer un nouvel ordonnancement pénal et une gradation du traitement pénal. N’étant ni tout à fait une mesure de la « troisième voie » ni tout à fait une peine, il nous faut admettre qu’elle constitue à elle seule un nouveau mode de traitement des infractions. Section II – Un nouvel ordonnancement pénal La composition pénale a été instituée à une époque où rien n’existait entre la « troisième voie », ne proposant que des mesures réparatrices, et la poursuite devant la juridiction correctionnelle. Désormais, une nouvelle solution s’offre aux membres du Ministère public pour la suite à donner aux affaires portées à leur connaissance. Lorsque le parquet engage les poursuites contre l’auteur d’une infraction et que ce dernier comparait devant l’autorité de jugement, une peine n’est pas obligatoirement prononcée. Le juge peut faire preuve de clémence. Si la composition pénale ressemble, en moins sévère, à certaines peines, elle s’apparente également à ces « jugements sans peine » (sous-section I). La composition pénale, qui allie réparation et sanction en dehors de la mise en mouvement de l’action publique, offre au parquet non seulement une diversification mais aussi une graduation dans les réponses pénales (sous-section II). Sous-section I – Une mesure proche des jugements écartant la peine d’emprisonnement Nous avons comparé les sanctions prises dans le cadre d’une composition pénale aux peines prononcées par le juge répressif pour en déduire que, certes, elles sont proches par certains côtés, mais les mesures de composition pénale sont tout de même moins sévères que peuvent l’être les peines pour des infractions similaires. Maintenant que la composition pénale est 70 avérée plus douce que les peines, il convient de comparer la mesure aux jugements qui excluent la peine alors que la culpabilité est établie. Une fois la comparaison effectuée entre la composition pénale et la reconnaissance de culpabilité avec dispense de peine, nous verrons que la mesure tient davantage du sursis avec mise à l’épreuve. 1 – La composition pénale et la reconnaissance de culpabilité avec dispense de peine L’article 469-1 du Code de procédure pénale dispose que « le tribunal peut, après avoir déclaré le prévenu coupable, le dispenser de peine ». Lorsque le juge pénal dispense de peine le prévenu, ça signifie qu’il le déclare coupable mais l’affranchit de l’obligation de subir sa peine. Le premier alinéa de l’article 132-59 du code pénal précise que la dispense peut être accordée lorsque le reclassement du coupable semble acquis, que le trouble résultant de l’infraction a cessé ou que le dommage causé est réparé. Même si, de ce fait, la dispense de peine semble plus proche des mesures réparatrices de la « troisième voie » que de la composition pénale, mesure principalement « sanctionnatrice », il n’en reste pas moins que l’on peut voir dans cette dernière quelques ressemblances avec la dispense de peine. Tout d’abord, elles sont toutes deux des chances offertes aux auteurs d’infractions reconnus coupables par les juridictions répressives ou qui ont avoué leur culpabilité. En effet, dans les deux cas la personne échappe à la peine. Seulement, dans la composition pénale l’auteur de l’infraction sera tout de même sanctionné car, contrairement à la dispense de peine, lorsque le procureur de la République propose les mesures, le reclassement de l’auteur n’est pas acquis, le dommage causé n’est pas réparé ou le trouble résultant de l’infraction n’a pas cessé. De plus, même si ce n’est pas systématique mais dépendant de la volonté du juge, la dispense de peine peut être accompagnée de l’absence d’inscription du jugement au casier judiciaire. Le deuxième alinéa de l’article 132-59 du code pénal dispose en effet que « la juridiction qui prononce une dispense de peine peut décider que sa décision ne sera pas mentionnée au casier judiciaire ». Par conséquent, aucune trace du passage de l’individu devant la juridiction répressive ne sera conservée et le jugement ne constituera pas le premier terme d’une récidive légale. C’est en cela que les deux mesures se rejoignent, car nous le savons, toutes les compositions pénales exécutées sont inscrites au casier judiciaire depuis la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002. 71 Mais comme nous le disions, si l’on peut voir quelques points de convergence entre la composition pénale et la reconnaissance de culpabilité avec dispense de peine, la composition pénale se rapproche surtout du sursis avec mise à l’épreuve, aussi appelé sursis « probatoire ». 2 – La composition pénale et le sursis avec mise à l’épreuve En procédant à une analyse comparée de la composition pénale et du sursis avec mise à l’épreuve, on s’aperçoit que le législateur semble s’être fortement inspiré de ce procédé lorsqu’il a institué la composition pénale. Mais avant d’examiner ces ressemblances, il convient de rappeler brièvement en quoi consiste ce sursis. Le sursis avec mise à l’épreuve, uniquement applicable aux peines d’emprisonnement, est un sursis assorti, comme son nom l’indique, d’une épreuve ou probation qui comporte certaines obligations que le juge impose au condamné. L’inexécution des obligations, ou une nouvelle condamnation pendant le délai de l’épreuve, peut entraîner sa révocation. La composition pénale apparaît comme une espèce de sursis avec mise à l’épreuve mise à la disposition du Ministère public. Si nous osions, nous pourrions dire que la composition pénale est en quelque sorte « la procédure simplifiée du sursis « probatoire ». La première des ressemblances tient dans le fait que l’emprisonnement est évité dans les deux situations et que des épreuves ou des sanctions sont prononcées. En effet, il ne faut pas oublier que l’emprisonnement est exclu des mesures de composition alors que la composition pénale est mise à la disposition du parquet pour qu’il puisse sanctionner des infractions qui pourtant pourraient être punies jusqu’à cinq ans d’emprisonnement mais qui, par manque de temps et à cause de l’encombrement des juridictions répressives, échappent régulièrement au jugement. Même si, contrairement au sursis avec mise à l’épreuve, le but principal de la composition pénale n’est pas de faire échapper l’auteur d’une infraction à l’emprisonnement, dans les faits le choix de proposer la mesure plutôt que d’engager des poursuites revient à écarter l’emprisonnement. D’ailleurs, le contenu même des mesures de composition pénale et des épreuves assorties au sursis est parfois identique. Par exemple, les mesures de composition pénale consistant à ne pas paraître dans certains lieux ou à ne pas rencontrer les éventuels coauteurs ou complices se retrouvent aux neuvième et douzième alinéas de l’article 132-45 du code pénal relatif au sursis avec mise à l’épreuve. Une autre ressemblance, tout aussi révélatrice du rapport entre la composition pénale et le sursis « probatoire », tient dans l’effet résultant de la non-exécution des mesures décidées. En 72 effet, tout comme c’est le cas quand le condamné bénéficie d’un sursis avec mise à l’épreuve, lorsque le mis en cause n’exécute pas les mesures prises à son encontre la composition pénale est révoquée. Dans le cas d’un sursis avec mise à l’épreuve le sursis est révoqué et la personne devra effectuer sa peine d’emprisonnement, et dans le cas d’une composition pénale le procureur de la République met en mouvement l’action publique pour que l’individu soit jugé. Les deux mesures, bien que concentrées entre les mains d’autorités judiciaires différentes, le Ministère public pour la composition pénale et le juge pour le sursis avec mise à l’épreuve, semblent avoir la même ambition : sanctionner l’auteur d’une infraction tout en évitant la sanction suprême, la privation de liberté. Parce qu’elle ressemble autant à une décision émanant de l’autorité de jugement après que des poursuites eussent été engagées, la composition pénale prouve une fois de plus son originalité par rapport aux autres traitements d’infractions existants. Elle forme à elle seule un nouveau mode de traitement pénal des infractions. Sous-section II – Une gradation et une diversification dans la réponse pénale La composition pénale, à mi-chemin entre les solutions apportées par la « troisième voie » et celles émanant d’un jugement, apparaît non seulement comme une chance offerte à l’auteur des faits de ne pas être poursuivi par le parquet et d’être sanctionné moins sévèrement que s’il s’était vu attribuer une peine, mais aussi comme la « dernière chance » offerte à ce dernier. La composition pénale, étant la mesure de la « dernière chance », se positionne en mécanisme intermédiaire puisqu’elle est l’ultime alternative aux poursuites avant la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC). 1 – La mesure de la « dernière chance » Même si les mesures de composition pénale sont de véritables sanctions prises à l’encontre de l’auteur de l’infraction, il n’en reste pas moins que le sort de ce dernier aurait été beaucoup moins avantageux si le parquet avait préféré mettre en mouvement l’action publique. Il aurait sûrement été contraint d’exécuter une peine qui, inscrite au casier judiciaire, aurait constitué le premier terme d’une récidive légale en cas de commission d’une nouvelle infraction. Le mis en cause mesure d’ailleurs sa chance lorsqu’il se voit proposer une composition pénale. Il a conscience qu’il est sanctionné moins sévèrement et que la procédure est moins 73 traumatisante que si des poursuites avaient été engagées, et donc qu’il pourra « tourner la page » plus facilement, puisque ne donnant ni lieu à audience publique ni comparution devant une autorité de jugement. Cependant, si la composition pénale est une chance pour les auteurs d’infraction, elle se révèle surtout être leur dernière chance. Lorsque le parquet fait le choix de la composition pénale plutôt que de l’une des mesures alternatives aux poursuites de l’article 41-1 du Code de procédure pénale, comme il le pourrait, c’est qu’il estime qu’une réparation n’est pas suffisante et que l’auteur des faits a besoin d’être sanctionné pour mesurer la portée de son acte. En revanche, lorsque la composition pénale est préférée aux poursuites ça implique que le procureur de la République estime la sanction apportée par la mesure proportionnée et suffisante, ne justifiant pas spécialement un jugement. La proposition de la composition pénale est la dernière solution laissée aux membres du parquet pour sanctionner l’auteur des faits avant de mettre en mouvement l’action publique et la dernière chance laissée à ce dernier puisque la prochaine étape est le déclenchement des poursuites avec comparution devant la juridiction répressive. A partir du moment où le procureur de la République propose une composition pénale, la personne n’a plus d’autre choix que de l’accepter et exécuter les mesures prises à son encontre si elle espère échapper à la comparution devant le juge répressif. En effet, si la personne refuse la composition pénale ou l’accepte mais n’exécute pas les mesures, le parquet est obligé de mettre en mouvement l’action publique. La composition pénale, qui s’adresse principalement à des primo-délinquants qui, dans leur très grande majorité, souhaitent se dédouaner rapidement et sans traumatisme, est donc perçue comme l’ultime chance de répondre à leurs attentes car elle permet d’éviter une audience publique et de ne pas être « traînés devant les tribunaux ». Etant la dernière mesure pénale pouvant être prise par le parquet avant d’engager des poursuites, la composition pénale se positionne dans l’ordonnancement pénal comme un mécanisme intermédiaire entre les mesures de la « troisième voie » et, depuis récemment, la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. La composition pénale, qui donne un outil supplémentaire à l’arsenal du traitement pénal de la petite et moyenne délinquance, crée par conséquent une gradation dans les réponses pénales. 74 2 – Un mécanisme intermédiaire : ultime alternative aux poursuites avant la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) L’institution de la composition pénale dans le paysage juridique français n’a pas seulement eu pour effet de diversifier le traitement des infractions de petite et moyenne gravité, elle a aussi et surtout totalement modifié l’ordonnancement pénal en instaurant une gradation dans les réponses pénales apportées par le parquet. Jusqu’à l’intervention du législateur, par la loi n° 99-515 du 23 juin 1999, le procureur de la République n’avait pas d’autre possibilité que de classer l’affaire, sèchement ou sous les conditions exprimées à l’article 41-1 du Code de procédure pénale, ou engager des poursuites pour que l’affaire soit jugée et que l’auteur des faits soit condamné et sanctionné. Désormais, comme l’ont si bien résumé les professeurs Grunvald et Danet, le Ministère public dispose d’un mécanisme intermédiaire où il peut jouer de la souplesse d’une procédure de « troisième voie » en conservant la maîtrise de l’intervention et en échappant aux contraintes de l’audience juridictionnelle, tout en affichant une dimension répressive qui exprime le degré de la réprobation de l’acte commis39. Avec la composition pénale, qui aboutit à des sanctions assez proches des peines, le Ministère public s’écarte des mesures réparatrices de la « troisième voie » pour se rapprocher des décisions que peuvent prendre les juges répressifs, tout en restant une mesure concentrée dans ses mains et mise en œuvre en amont de l’exercice des poursuites. La composition pénale est de ce fait plus sévère que les mesures alternatives aux poursuites de l’article 41-1 du Code de procédure pénale mais bien plus douce que la manière classique de sanctionner, soit, en d’autres termes, lorsque l’affaire passe en jugement après que l’action publique ait été mise en mouvement. Aujourd’hui, le parquet peut envisager les suites à donner à une affaire de cinq façons différentes puisqu’il a le choix entre le classement « sec », le classement « sous conditions » avec les mesures alternatives aux poursuites de l’article 41-1, la composition pénale, la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité et le renvoi de l’affaire devant la juridiction répressive. Les deux dernières impliquent que les poursuites soient exercées. Avant la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004, qui a institué la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, la composition pénale était située, dans l’arsenal du traitement pénal de la petite et moyenne délinquance, entre les mesures de la « troisième voie » et le renvoi de l’affaire devant les juridictions répressives puisqu’elle était l’ultime alternative aux poursuites 39 . S. Grunvald et J. Danet, La composition pénale. Une première évaluation, Ed. L’Harmattan, p. 92. 75 et que, une fois les poursuites engagées, le jugement de l’affaire était le seul dénouement possible. Désormais, la composition pénale s’intercale entre la « troisième voie » et la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité qui demande à être examinée tant la proximité avec la composition pénale est frappante. Tout comme la composition pénale, la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité nécessite l’aveu de culpabilité de la part d’un auteur des faits majeur pour être mise en œuvre. Cependant, dans la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité le parquet propose à l’inculpé, qui ne peut renoncer à son droit d’être assisté par un avocat, d’exécuter une peine, non plus une sanction, qui peut consister en un emprisonnement. Dans ce cas, comme le précise le deuxième alinéa de l’article 495-8 du Code de procédure pénale, la peine d’emprisonnement ne peut avoir une durée supérieure à une année ni excéder la moitié de la peine d’emprisonnement encourue. A l’inverse encore de la composition pénale, où la comparution devant le magistrat du siège n’est pas de droit, lorsque la personne accepte la proposition elle est aussitôt présentée devant le président du tribunal de grande instance (ou un juge délégué par lui), saisi par le procureur de la République d’une requête en homologation. S’il ne peut que homologuer ou rejeter la proposition de peine, le juge doit tout de même entendre l’inculpé et son avocat afin de s’assurer que la personne a bien avoué sa culpabilité et accepté la ou les peines proposées par le parquet, puis il doit vérifier si ces peines sont justifiées au regard des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur, choses dont le juge n’a pas à se soucier dans la composition pénale. Enfin, comme en ont décidé les membres du Conseil constitutionnel en 2004, l’homologation doit avoir lieu en audience publique car la décision du juge constitue une décision juridictionnelle susceptible de conduire à une privation de liberté d’un an40. La comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité s’appliquant aux mêmes délits que la composition pénale, soit rappelons-le tous ceux punis à titre principal d’une peine d’amende ou d’une peine d’emprisonnement d’une durée inférieure ou égale à cinq ans, à l’exception des délits politiques, de presse, d’homicides involontaires ou ceux dont la procédure de poursuite est prévue par une loi spéciale, le choix opéré par le procureur de la République entre ces deux mesures sera révélateur du degré de 40 . Voir Cons. Const. 2 mars 2004, n° 2004-492 DC. Les mots « en chambre du conseil » à la fin de la première phrase du second alinéa de l’article 495-9 du Nouveau code de procédure pénale ont été déclarés contraires à la Constitution car ils méconnaissent les exigences constitutionnelles résultant de la combinaison des articles 6, 8, 9 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 qui posent le principe de la publicité du jugement des affaires pénales pouvant conduire à une privation de liberté sauf circonstances particulières nécessitant le huis clos. 76 gravité qu’il entend appliquer à l’auteur des faits. C’est bel et bien encore de gradation de la réponse pénale dont il s’agit ici. Dans la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité il s’agira d’infractions dont la gravité, les antécédents de l’auteur ou sa personnalité imposeront des sanctions pénales plus graves que celles prévues à l’article 41-2 du Code de procédure pénale. Si la composition pénale se rapproche de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, une fois de plus nous constatons que les quelques différences relevées ont des conséquences si importantes qu’elle ne peut lui être assimilée. Nous avons rencontré ce problème tout au long de notre étude, à chaque fois que nous effectuions un rapprochement avec une autre mesure. Tout ceci ne fait que conforter le fait que la composition pénale est un mode de traitement de la petite et moyenne délinquance indépendant de tout ce que nous connaissions jusque là. 77 CONCLUSION Au terme de cette étude, nous nous retrouvons face à une mesure qui renvoie à beaucoup d’autres sans jamais pourtant s’en approcher complètement. Nous avons constaté que la composition pénale s’apparente sur certains points à d’autres modes de traitement de la petite et moyenne délinquance, comme par exemple la « troisième voie », la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité et le prononcé de peines décidées par la juridiction répressive, mais les quelques différences relevées ont un tel impact qu’elle ne peut leur être assimilée, ce qui complique notre recherche sur la nature juridique de la composition pénale. D’autant plus que les mesures auxquelles la composition pénale semble s’inspirer évoluent dans des catégories aux antipodes les unes des autres qui apparaissaient jusqu’alors inconciliables. En effet, alors que la composition pénale est mise en œuvre par le parquet en dehors de l’engagement des poursuites, à l’instar de la « troisième voie », elle relève parallèlement d’une logique de sanction propre aux décisions prises par l’autorité de jugement après la mise en mouvement de l’action publique. Notre recherche s’est heurtée au même problème lorsque nous avons essayé de voir si la composition pénale pouvait être rattachée aux formes de « justice négociée » existantes. Notre tentative d’assimilation à cette forme de justice s’est vite transformée en échec, malgré la constatation de quelques points communs avec le contrat d’adhésion et la transaction, du fait de l’absence d’éléments essentiels à la négociation dans la composition pénale. Avant l’institution de la composition pénale, la ligne de partage des rôles des autorités judiciaires était nette : le parquet décidait des suites à donner à une affaire, il avait le choix entre classer l’affaire ou engager des poursuites contre l’auteur, et le juge répressif sanctionnait le mis en cause en prononçant des peines. Désormais, la ligne de partage n’est plus aussi claire car le parquet, tout en ne mettant pas en mouvement l’action publique, peut sanctionner le délinquant. Par conséquent, la composition pénale apparaît comme un mode de traitement de la petite et moyenne délinquance d’un genre nouveau puisqu’elle est à la fois une alternative aux poursuites, une alternative aux classements, une alternative au jugement traditionnel, une mesure réparatrice et une mesure « sanctionnatrice ». Son caractère hybride en fait une mesure d’une nature juridique irréductible à toute catégorie juridique. Après avoir 78 tenté de la rattacher aux autres mesures pour en définir sa nature, il nous faut admettre que la composition pénale est une mesure sui generis dont la nature est totalement atypique. Après la « troisième voie », qui a permis au Ministère public de ne plus classer « sèchement » les affaires qu’il n’entendait pas poursuivre, nous pourrions dire que la création de la composition pénale a modifié le paysage juridique français en mettant à la disposition du procureur de la République une « quatrième voie », à mi-chemin entre les alternatives réparatrices aux poursuites et le jugement. Une sanction moins traumatisante pour le primodélinquant, car expliquée, acceptée et exécutée de plein gré, qui n’omet pas la réparation du préjudice de la victime et dont la bonne fin est contrôlée par le parquet, voici en définitive ce que la « quatrième voie » a de mieux à offrir que ses concurrentes. 79 BIBLIOGRAPHIE Ouvrages Grunvald S. et Danet J., La composition pénale. Une première évaluation, Bibliothèques de droit, Edition L’Harmattan, 2004 Guinchard S. et Buisson J., Procédure pénale, Edition Litec, 2005 Pradel J., Procédure pénale, Edition Cujas, 2005 Articles de doctrine Céré J-P. avec la collaboration de P. Remillieux, « De la composition pénale à la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité : le « plaider-coupable » à la française », Actualité juridique pénal, n° 2/2003, p. 45 à 52 Di Marino G., « Violences et droit pénal », R.P.D.P. 2003, p. 327 Hederer J., Un an d’expérimentation de composition pénale dans un tribunal de grande instance, AJPénal, n°2/2003, novembre 2003, p. 53 Leblois-Happe J., « De la transaction à la composition pénale ». Loi n° 99-515 du 23 juin 1999, JCP G, 2000, doctr. n° 3, p. 63 à 69 Le Guhenec F., « Présentation de la loi n° 99-515 d u 23 juin 1999. Première partie : juin 1999, JCP G, 2000, doctr. n° 3, p. 63 à 69 Mathias E., « Poursuivre autrement », Les Petites Affiches, 11 août 1999, n° 159, pp. 4-8 Poncela P., « Quand le procureur compose avec la peine », Rev. sc. crim. 2002, p. 638 à 644 Pradel J., « La procédure pénale française à l’aube du troisième millénaire », Recueil Dalloz 2000, n° 1, p. 1 à 9 Pradel J., « Une consécration du « plea-bargaining » à la française : la composition pénale instituée par la loi n° 99-515 du 23 juin 1999 », D. 1999, ch ron. p. 379 et s. Regnault J-D., « Composition pénale : l’exemple de Cambrai », Actualité juridique pénal, Dalloz 2003, pp. 55 Saas C., « De la composition pénale au plaider-coupable : le pouvoir de sanction du procureur », RSC, octobre/décembre 2004, p. 827 à 842 80 Volff J., « Un coup pour rien ! L’injonction pénale et le Conseil constitutionnel », D. 1995, chron. p. 201 à 204 Volff J., « La composition pénale : un essai manqué », Gazette du Palais, 26–28 mars 2000, pp. 559563 Mémoire de D.E.A Bureau A., Les premières applications de la composition pénale dans le ressort de la Cour d’appel de Poitiers, Mémoire de D.E.A de droit pénal et sciences criminelles, Université de Poitiers, EPRED, 2003 Schittenhenhelm C., La composition pénale, essai d’un bilan, Mémoire de D.E.A de Sciences criminelles, Université Robert Schuman, Strasbourg, 2003. 81 Table des matières Remerciements..................................................................................................... 3 INTRODUCTION............................................................................................... 4 Première partie – LA COMPOSITION PENALE : UNE MESURE PROCHE DE CELLES DE LA « TROISIEME VOIE », AVEC L’APPARENCE D’UNE NEGOCIATION ...................................................... 9 Chapitre I - La composition pénale : une justice négociée ?.................................................. 9 Section I – La « dépendance » de la mesure à la volonté du mis en cause ...................... 10 Sous-section I – L’aveu et le consentement obligatoires du mis en cause................... 10 1 – L’aveu pour l’ouverture de la procédure............................................................ 11 2 – Le consentement pour l’exécution des mesures proposées ................................ 12 Sous-section II – Le domaine limité du consentement ................................................ 14 1 – L’étendue du consentement................................................................................ 15 2 – Un consentement proche de celui du contrat d’adhésion ................................... 16 Section II – Le rapprochement avec des formes de justice négociée............................... 17 Sous-section I – La composition pénale et le contrat................................................... 17 1 – Les similitudes avec le contrat ........................................................................... 18 2 – Les différences essentielles avec le contrat........................................................ 19 Sous-section II – La composition pénale, la négociation et la transaction .................. 20 1 – L’absence de négociation avec le mis en cause ................................................. 21 2 – Une mesure proche de la transaction pénale ...................................................... 24 Chapitre II – La composition pénale : une mesure alternative aux poursuites?................... 28 Section I – Les caractéristiques des mesures de la « troisième voie » ............................. 29 Sous-section I – La présentation des mesures de la « troisième voie » ....................... 29 1 – Des mesures issues d’initiatives parquetières .................................................... 30 2 – Des alternatives aux poursuites .......................................................................... 30 Sous-section II – Les effets des mesures de « troisième voie » ................................... 32 1 – Les effets sur l’action publique .......................................................................... 32 2 – Des mesures réparatrices .................................................................................... 35 Section II – La composition pénale, une alternative réparatrice à l’engagement des poursuites ......................................................................................................................... 37 Sous-section I – Une alternative à l’engagement des poursuites ................................. 37 1 – Une mesure prise en amont des poursuites ........................................................ 38 2 – Les délégués du procureur de la République ..................................................... 40 Sous-section II – Une alternative en partie réparatrice ................................................ 41 1 – L’obligatoire proposition de réparation.............................................................. 42 2 – Les garanties autour de la réparation.................................................................. 44 Deuxième partie – LA COMPOSITION PENALE : UNE MESURE PROCHE D’UNE PEINE................................................................................. 46 Chapitre I – L’aspect répressif certain de la composition pénale ........................................ 46 82 Section I – Une alternative particulière à l’engagement des poursuites .......................... 47 Sous-section I – Une dimension « sanctionnalisante » dans la composition pénale.... 47 1 – Entre alternative réparatrice et alternative « sanctionnatrice » .......................... 48 2 – La « prépotence » du parquet ............................................................................. 49 Sous-section II – Le rapport ambigu de la composition pénale avec l’action publique ...................................................................................................................................... 50 1 – L’obligation de poursuivre dans certains cas ..................................................... 51 2 – De la suspension à l’interruption de la prescription de l’action publique.......... 52 3 – Une cause d’extinction de l’action publique ...................................................... 53 Section II – Des sanctions proches des peines ................................................................. 55 Sous-section I – Des mesures calquées sur des peines existantes................................ 55 1 – Une ressemblance dans le type des sanctions .................................................... 56 2 – Une ressemblance dans les barèmes appliqués .................................................. 58 Sous-section II – Des effets proches de ceux provoqués par une décision de condamnation ............................................................................................................... 59 1 – Des mesures privatives de droits et restrictives de liberté ................................. 60 2 – L’inscription au casier judiciaire des compositions pénales exécutées.............. 61 Chapitre II – Les caractéristiques manquantes pour faire de la composition penale une veritable peine ...................................................................................................................... 63 Section I – Les différences essentielles d’avec une peine................................................ 63 Sous-section I – Différences quant au déroulement de la procédure ........................... 64 1 – L’absence d’audience publique.......................................................................... 64 2 – La comparution devant le juge non obligatoire................................................. 66 Sous-section II – Différences quant aux effets du prononcé des mesures de composition .................................................................................................................. 67 1 – Des sanctions dépourvues de caractère exécutoire............................................. 67 2 – Des sanctions ne constituant pas le premier terme d’une récidive..................... 69 Section II – Un nouvel ordonnancement pénal ................................................................ 70 Sous-section I – Une mesure proche des jugements écartant la peine d’emprisonnement ........................................................................................................ 70 1 – La composition pénale et la reconnaissance de culpabilité avec dispense de peine ......................................................................................................................... 71 2 – La composition pénale et le sursis avec mise à l’épreuve.................................. 72 Sous-section II – Une gradation et une diversification dans la réponse pénale ........... 73 1 – La mesure de la « dernière chance » .................................................................. 73 2 – Un mécanisme intermédiaire : ultime alternative aux poursuites avant la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) .......................... 75 CONCLUSION.................................................................................................. 78 BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................ 80 Ouvrages............................................................................................................................... 80 Articles de doctrine .............................................................................................................. 80 Mémoire de D.E.A ............................................................................................................... 81 83