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Ile Saint-Louis : Les invisibles Enquête réalisée par Dominique Albertini, Yannick Boussaert, Linh-Lan Dao, Lucile Degoud, Guillaume Dumazet, Celia Heron, Antoinette Jeanson, Sunaina Karkarey, Emanuele Marzari, Yemeli Ortega Luyando, Lisa Pham et Marion Solletty. Janvier 2009. Directeur de la rédaction : Alain Genestar Rédacteurs en chef : Yannick Boussaert et Marion Solletty Chef de photo : Emanuele Marzari Chef d’édition : Lisa Pham Sommaire 04 >> Sous le pavé, le peuple de Paris // Yannick Bousseart 08 >> L’Hôtel Lambert en chantier // Marion Solletty et Lucile Degoud 10 >> De New York à Milan, jamais sans mon pied-à-terre sur l’Ile Saint-Louis // Lucile Degoud 12 >> Rue des Deux Ponts, La Cicatrice // Antoinette Jeanson 13 >> Didier Paquet // Celia Heron 14 >> De Raymond, 85 ans, à Alexandra, 9 ans, on partage la même passion pour les glaces... Berthillon. // Linh-Lan Dao 16 >> Ceux des bains-douches // Dominique Albertini 21 >> Carole Bigot // Lisa Pham 22 >> Vue de l’intérieur // Antoinette Jeanson 24 >> Père Pelletier et « l’ange » Boris. Envoyés de Dieu sur une île. // Yemeli Ortega Luyando 26 >> Le Foyer de la Vigie, une citadelle bien gardée. // Guillaume Dumazet 27 >> Parole de resident // Guillaume Dumazet 28 >> « Un rêve que j’aurais préféré ne pas voir se réaliser… » // Celia Heron 28 >> « Il y a 40 ans on se parlait… aujourd’hui on se parle plus… » // Sunaina Karkerey 29 >> Avec la brigade fluviale, une vue imprenable de l’île // Emanuele Marzari Sous le pavé, le peuple de Paris Le lieu est toujours le même, assoupi dans sa majesté. L’époque a changé. Aujourd’hui on y passe. Il n’y a pas si longtemps on y vivait. Comment ? Imaginons… C ’est assez surprenant. Rien ne le laisse supposer. Les façades des quais de Seine voient le fleuve s’écouler ; la végétation agrémente la promenade. Pourtant l’eau dort et il faut se méfier des apparences. C’est qu’il règne une grande activité derrière ces châteaux de la Loire en plein Paris. Rue Saint Louis en l’Ile comme dans toutes les rues traversières, pas de belles demeures, encore moins d’hôtels particuliers. Ce qui au XXIe siècle s’arrachera à des prix d’or, abrite une masse populeuse. Car elle est nombreuse et industrieuse. Il faut bien qu’elle se loge. Alors les artères intérieures concentrent la majeure partie de la population. Mais la superficie étant somme toute limitée, la population commence à ronger lentement de l’intérieur les quais. Les hôtels particuliers sont divisés, y compris l’emblématique hôtel Lambert. Dans ces lots, on retrouve quelques noms connus, comme Michèle Morgan, locataire d’une partie du fameux palais construit par Le Vau. Bref chaque étage est habité, chaque recoin est le prétexte d’une activité. Pour les commodités, l’hygiène on repassera. L’île ne vaut rien depuis la Révolution française. Etrange paradoxe en effet que cet écrin du XVIIe siècle qui renferme un concentré du Paris populaire, celui de l’Est, celui de l’industrie. Pas la grande industrie, mais l’artisanat, le petit commerce, le vieux monde de la petite échoppe. Ce sont des centaines de gens qui travaillent ici : les achalandages des rez-dechaussée débordent sur les rues et grignotent les cours, les fonds de cours, les sous-sols, les demi sous-sols et même les quais. Certes, pas les quais hauts, il y a des perspectives qui ne se brisent pas. Mais les quais bas fourmillent et grondent aux bruits des bateliers qui exportent les productions de l’île ou de l’accastillage qu’on assemble quai d’Anjou. Le pittoresque le dispute au moderne de l’époque. Tel le bateau-lavoir de la famille Blanc, sis au pont Marie. Trois péniches mises côte-à-côte, et des lavandières à genoux, frottant le linge dans des baquets d’eau chaude. On rince dans la Seine, on sèche sur les toits. En remontant, les rues traversières accueillent les ateliers. Il s’agit de micro activités mais la qualité et le savoir-faire sont là. Du travail d’ébénisterie en passant par les bijoux, le marchand de sabot, les librairies, la petite boutique où l’on fabrique des abat-jours, on dit parfois que l’ile est l’arrièrecour de la place Vendôme. L’activité de tissage reste encore très présente, du traitement du fil - la teinturerie – à la confection, les tailleurs. Pour s’occuper de tout ce beau linge encore faut-il des blanchisseries, où les femmes s’activent sur des fers traditionnels. Quant au chauffage, le charbon reste de mise. Seule point d’approvisionnement les bougnats, où est entreposé le charbon. Il faudra le remonter dans ses étages, car même la modernité conquérante n’arrive pas encore à imposer l’ascenseur ou le monte-charge. Mais l’électricité et le gaz de ville seront là avant les cages en métal. Et les bougnats commencent déjà à disparaître, remplacer par des restaurateurs attirés par la place disponibles dans ces lieux de stockage. Le rue Saint-Louis en l’Ile est la place du village. Tout le commerce de bouche s’y trouve. La restauration bien sûr, mais aussi déjà quelques traiteurs pour les indigènes trop industrieux, ou tout juste lassés de préparer le repas. Le commerce de proximité n’est pas en reste, loin de là. Boucheries, crèmeries, poissonniers, alimentations générales : arpenter la rue c’est faire son marché. L’île est pour ainsi dire indépendante. Entre rive droite et rive gauche, les Ludoviciens ont coutume de dire, lorsqu’ils sont contraints de se rendre sur les rives parisiennes pour une quelconque raison : « je vais en ville ». L’île a des prétentions représentatives si l’on peut dire. Le syndicat des boulangers de Paris est établi sur l’île depuis le milieu du XIXe siècle au 7 quai d’Anjou. De même pour la présence religieuse. Si l’Archevêché a changé d’île, la religion conserve ses ancrages : depuis 1623 l’Eglise n’a jamais cessé son office. Les Filles de la Charité, rue Poulletier, ont encore fort à faire. Enfin en 1926, la fondation juive Alphen s’installe dans un hôtel, rue des Deux Ponts. Elle accueille des familles amenées à fuir les persécutions, et les loge à prix avantageux, le plus souvent dans ses murs. L’île accueille déjà une forte communauté internationale. Les Polonais sont installés depuis 1853 dans un hôtel particulier quai d’Orléans qui abrite une société littéraire. Au fil des fortunes diverses de l’Etat polonais, l’émigration éduquée se donnent dans les salons d’un hôtel particulier, Quai D’Orléans. Par la suite ce seront les italiens, puis les américains et enfin les riches princes du golfe, en attendant peut-être les milliardaires russes. -Yannick Boussaert L’Hôtel Lambert en chantier L’un des plus beaux hôtels particuliers de Paris, classé monument historique, fait l’objet d’un important projet de rénovation depuis son rachat par le frère de l’émir du Qatar, pour un montant de 80 millions d’euros. Climatisation, ascenseurs, et parking souterrain: les travaux envisagés nourrissent une vive polémique. V éritable joyau du 17e siècle, à la proue de l’île Saint Louis, l’Hôtel Lambert fut construit par l’architecte Louis Le Vau. Acquis en 1975 par la famille de Rotschild, il a été vendu en 2007. Le nouveau propriétaire veut investir 13 millions d’euros pour en faire le théâtre d’une nouvelle vie mondaine. Le projet, d’ampleur inégalée dans un passé récent, fait grincer des dents les historiens et architectes spécialistes de Paris. La polémique s’est intensifiée après un échange de courrier vif entre la mairie de Paris, dont l’accord est nécessaire pour les travaux envisagés, et le Ministère de la Culture. Ce dernier, conformément à ses prérogatives, s’est saisi du dossier, mais ne peut outrepasser l’avis défavorable de la municipalité. La commission scientifique, rassemblée pour l’occasion par Christine Albanel, est donc chargée d’une mission délicate: faire respecter l’intégrité du monument classé, et éviter un conflit diplomatique. Vieux Paris, le nouveau propriétaire envisage, en revanche, une transformation importante, dont l’ajout d’ornements sur la toiture et le changement des lucarnes. “Le projet d’Alain-Charles Perrot est de revenir à un état primitif. Il s’agit donc de faire du faux 17e siècle et Rendre à l’Hôtel Lambert la pour cela de détruire du vrai 19e”, splendeur de son siècle... explique Claude Mignot, historien et membre de la Commission. “Or, Derrière ses hautes fenêtres en architecture, il est préconisé de - certaines vitres sont encore conserver les différentes strates de d’époque - l’Hôtel Lambert recèle de nombreux trésors. Le plus connu l’histoire”, poursuit-il. est la Grande Galerie d’Hercule, Selon Lucile Meunier, conseillère pièce de choix pour les futures technique auprès de l’adjointe réceptions du Sheikh. au maire de Paris chargée du Les Rotschild n’ont pas touché aux patrimoine, Colombe Brossel, la restauration des intérieurs peintures de la voûte, mais ont n’inquiète aucune des parties fait refaire le parquet de bois, très abîmé, de la galerie. Ils effectuèrent concernées. «Nous savons que de ce côté là nous n’aurons pas par ailleurs peu de travaux de de soucis», affirme-t-elle. Pour restauration: les façades furent elle, le Sheikh a acheté l’Hôtel laissées en l’état, les ajouts du XIXème, comme les balustrades de Lambert comme «un vrai bijou» du patrimoine parisien, il ne fer forgé, conservés. voudra pas le dénaturer. La D’après les plans laissés à fiche technique élaborée pour disposition de la Commission du la Commission du Vieux Paris Alain-Charles Perrot, architecte en chef des Monuments Historiques, est à la tête du projet architectural. Il est connu pour les travaux de restauration du Grand Palais et du théâtre de l’Odéon. donne pourtant peu d’assurance sur le sujet. On peut lire que «les plans d’aménagement des étages <n’ont> pas été communiqués». La municipalité n’a pas son mot à dire sur les intérieurs, et aucun nom, à l’exception du décorateur controversé Alberto Pinto, n’a filtré sur les experts qui pourraient être mobilisés pour cette tâche. sous la surface de la grande cour et du beau jardin d’agrément. ...mais lui donner le confort du nôtre Certains en sont sûrs, il s’agit de loger sous le jardin jusqu’à quarante véhicules. De quoi déstabiliser, en plus de l’Hôtel Lambert, ses voisins tout aussi prestigieux, comme l’Hôtel de Lauzun. La réalité est bien moins spectaculaire. Le Sheikh souhaite construire sous le jardin un parking pouvant abriter cinq voitures, soit seulement deux places de plus que sous les Rotschild. Sous la grande cour, des locaux techniques importants, dont personne ne connaît l’usage exact, pourraient être aménagés. Sur l’aménagement intérieur envisagé, un point inquiète cependant la conseillère. Des perçages multiples vont être nécessaires pour installer deux ascenseurs supplémentaires - il en existe déjà deux-, un monteplat, huit salles de bains et autant de cabinets de toilettes. À cela s’ajoute la climatisation à tous les étages. Le passage des canalisations impliquera certainement de démonter les nombreuses boiseries qui ornent les murs. Ce type d’opérations fut déjà mené lors de l’installation de la famille Rotschild. La baronne voulut mettre en place les très belles et très lourdes consoles marbre héritées de sa mère. Mais les planchers du salon n’auraient sans doute pas résisté: il fallut faire passer des poutres de fer solidifiant l’ensemble. Si ces travaux peuvent paraître spectaculaires, ils ne posent pas de réelles difficultés techniques. Les artisans du bâtiment savent percer la maçonnerie fantaisiste de l’époque sans compromettre sa solidité. Selon Lucile Meunier, il s’agit avant tout d’une question de principe. «Veut-on transformer ce monument classé, trésor du patrimoine parisien, en véritable gruyère?» s’interroge-t-elle. Le véritable enjeu de la bataille se trouve ailleurs, à quelques mètres Les mystérieux sous-sol de l’Hôtel Lambert Lorsque cette partie du projet est évoquée sur l’Ile Saint-Louis, les voix s’indignent et les chiffres s’envolent. Le problème? Le sol de l’Ile SaintLouis est instable, gorgé d’eau et stabilisé par des pilotis. Un tel aménagement nécessite donc, en plus des excavations, le coulage d’une immense cage de béton étanche. Sans parler du perçage du muret vers le Quai d’Anjou, pour faire déboucher la rampe d’accès des véhicules. «Moi, je n’aurais pas osé toucher au sous-sol. Les murs sont stabilisés depuis des siècles par ces immenses volume de terre», précise Augustin Julia, architecte des Rotschild. Il rappelle les effets de la grande crue de 1910. Elle a déformé la volée de marche du grand escalier qui conduit au deuxième étage. Sous la terre battue, quelques trésors oubliés se cachent. Ainsi, une pièce souterraine voûtée, à la verticale de la fontaine du jardin faisait office de glacière pour conserver les aliments. Le projet actuel la contourne. Mais qu’en sera-t-il de ce mystérieux passage qui conduit de la Seine à la galerie souterraine, inondée tous les hivers? «Lorsque le fleuve atteint son niveau le plus bas, on peut voir de la berge opposée le sommet une voûte de pierre sous le Quai... Un courageux, sur une barque, pourrait sans doute accéder au sous-sol de l’Hôtel Lambert...», confie l’architecte, fin connaisseur de l’édifice. Aujourd’hui, le principal argument brandi contre le projet est la disparition de la pleine terre sur toute la surface. Elle remet en cause l’existence du jardin et met en danger la stabilité des sols. La mairie s’inquiète également de ne voir aucun détail sur l’ouverture du mur d’enceinte, qu’elle souhaite voir préservé. Conformément à la législation, il reste six mois au Ministère de la Culture pour instruire le dossier et trouver un accord qui satisfasse les experts de la Ville de Paris. Une véritable négociation s’amorce donc. L’avenir de ces murs qui abritèrent Voltaire et tant d’autres parisiens illustres sera bientôt scellé. -Marion Solletty et Lucile Degoud De New York à Milan, jamais sans mon pied-à-terre sur l’Ile Saint-Louis 10 T rès peu d’ascenseurs et de places de parking, pas de supermarché et seulement quelques commerces de proximité, vivre ici demande quelques sacrifices. Mais pour habiter dans ce lieu unique, décor de carte postale, on accepte les concessions. Au regard du marché immobilier, les inconvénients ne sont pas des obstacles, surtout pour y résider quatre semaines par an. Grâce aux propriétaires étrangers, l’Ile Saint-Louis ne connaît pas la crise. Une place de parking vendue 150 000 euros, un Japonais propriétaire de 28 appartements… Bienvenue sur l’Ile Saint-Louis… Beaucoup rêvent d’y habiter mais seuls quelques happy few ont ce privilège. D’abord parce que l’offre est rare. Du studio au bien d’exception, entre 65 et 72 appartements se vendent chaque année sur l’Ile Saint-Louis. La grande majorité des transactions se réalisent entre voisins ou grâce au bouche-à-oreille. Difficile donc d’être mis dans la confidence à moins d’être l’un de ces Ludoviciens du quai nord à l’affût d’un appartement situé quai sud, bien mieux exposé mais aussi plus cher. « Entre la mise en vente et la vente effective, une transaction se réalise en moyenne en trois semaines. Il arrive aussi de conclure une affaire en 48h ou en deux mois, mais c’est rare », explique Patrick Anglesio, directeur de l’agence Lamy située sur l’Ile Saint-Louis. Un acheteur doit parfois chercher plusieurs années avant de trouver un bien. De la patience, donc, mais surtout de l’argent sont nécessaires pour réaliser son rêve. Avec deux ou trois ventes par an sur l’île, une agence immobilière peut vivre confortablement. De 10 000 euros le m2 pour les rues intérieures (au rez-de-chaussée ou au 5e étage sans ascenseur) jusqu’à 30 000 euros le m2 pour le quai sud (quais d’Orléans et de Béthune), l’Ile Saint-Louis n’est pas à la portée de toutes les bourses. Pas étonnant que peu de familles aient élu domicile sur l’île, bastion des 35-40 ans, la plupart en couple sans enfant ou célibataires. « Trois ou quatre semaines par an » Aujourd’hui, près de la moitié des propriétaires sont des étrangers. Les premiers sont les Américains. Ils constituent la communauté étrangère la plus importante de l’île. Les Italiens, les Espagnols, les Anglais et les Irlandais ont suivi. Derniers arrivés, les Asiatiques. Encore peu nombreux, ils pourraient représenter, à l’avenir, une grande part des étrangers de l’île. « Pour l’instant, nous ne constatons pas d’attrait pour l’Ile Saint-Louis de la part des Russes ou des Arabes du Golfe malgré l’arrivée de l’émir du Qatar. Ce type de clientèle ne s’intéresse pas à la vieille pierre comme les Européens, et cherche du clinquant. Ils préfèrent les 8e ou 16e arrondissements de Paris, par exemple les Champs-Elysées », précise Patrick Anglesio. Pour ceux dont le rêve est de retrouver au cœur de la capitale, l’ambiance villageoise d’antan, ou l’atmosphère bobo des artistes encore présents sur l’île dans les années 1970, c’est raté. Objet de toutes les convoitises, l’Ile Saint-Louis est surtout un écrin vide. Seulement 15% des propriétaires étrangers y habitent. Certains occupent leur pied-àterre trois ou quatre semaines par an, d’autres le louent ponctuellement. Au total, moins de 30% des propriétaires habitent l’île à l’année, et une grande partie des appartements sont vides. Alors qu’elle connaît une pénurie de biens, l’Ile Saint-Louis est une île déserte. -Lucile Degoud 11 1 Rue des Deux Ponts, La Cicatrice 924. Les ingénieurs Pierre et Louis Guidetti sont chargés de reconstruire le pont de la Tournelle qui relie la rive gauche de la Seine et l’île Saint Louis. L’ouvrage devra être plus large que le précédent. La municipalité a en effet à cœur de faciliter le développement de la circulation automobile. Eviter les goulots d’étranglement, raccorder les voies haussmanniennes, fluidifier le trafic rive droite – rive gauche, autant de défis à relever pour la capitale. A l’époque, aucune volonté de conserver les quartiers historiques, en mauvais état donc considérés avant tout comme vieux et insalubres. Dans l’entre-deux-guerres, on veut faire de Paris une ville moderne, aérée et hygiénique. Ce dernier point concerne directement la rue des deux ponts, à laquelle mène le pont de la Tournelle et qui coupe l’île Saint Louis en deux. Le projet de la municipalité.? Elargir cette rue devenue trop étroite pour le nouveau pont. Ce qui signifie la destruction des bâtiments existants. Levée de boucliers immédiate des Ludoviciens, qui se regroupent dans une association des « défenseurs de l’île ». Leur but ? Protéger les bâtiments du XVII° siècle de la partie est de la rue, œuvres de l’architecte Louis Le Vau. Le côté ouest a, lui, déjà fait l’objet d’une rénovation pendant le 2nd empire. Dans les années 1920 le groupe s’oppose par tous les moyens à la construction d’immeubles qui pourraient dénaturer leur île. Aucun accord n’est trouvé pour éviter la destruction de la partie est. 12 Elle deviendra une « verrue dans le patrimoine ludovicien ». En revanche, l’association parvient à conserve intacte l’autre partie. Signant la fin des velléités d’élargissement de la chaussée. Outre l’élargissement prévu de l’artère principale de l’île, la municipalité veut profiter de la destruction des bâtiments pour construire des immeubles HLM et des bains douches publics, dans le but d’améliorer l’hygiène de vie des classe ouvrières. Populaire, l’intérieur de l’île l’a toujours été, mais la préoccupation concernant les logements sociaux est nouvelle. Echoppes d’artisans et de commerçants occupaient jusqu’alors tous les rezde-chaussée de la rue des deux ponts, tandis que les familles étaient logées aux étages supérieurs. La construction des HLM signe la fin de ces commerces. Des immeubles sobres, sans aucune sculpture, car cela divertirait les ouvriers, sont érigés entre 1925 et 1935. Depuis, l’île Saint Louis est homogène architecturalement parlant, mais dénaturée par ce bloc de constructions. La rue des deux ponts est, pour l’instant, la seule rue de l’île Saint Louis à disposer d’habitats à loyers modérés. Un projet est en cours à l’angle de la rue Poulletier et de la rue Saint Louis en l’île. Cette fois, c’est une simple rénovation de l’immeuble qui a été retenue, dans une volonté désormais affirmée par la mairie de Paris de préserver le patrimoine historique de l’île. -Antoinette Jeanson Didier Laquet « L’ile est en train de se transformer en musée…Il faut impérativement qu’elle redevienne un lieu de Vie » E nfilez votre plus belle robe… Ce soir, vous croiserez peutêtre Edouard Baer, Guy Bedos, Jamel ou encore George Moustaki. Mais surtout, n’oubliez pas la tarte au citron. Cette soirée là est toute particulière : elle réuni les amoureux de l’Ile Saint Louis et a pour maître-mot la convivialité. Les Ludoviciens ont transformé leur quotidien depuis deux ans à l’insu de tous les «.Continentaux.», sous l’impulsion de Didier Laquet. Cet ancien courtier en assurance, témoin du turnover grandissant des habitants de l’Ile, a vu la sociabilité des Ludoviciens s’émousser. Il s’est lancé le pari d’y remédier : « L’ile est en train de se transformer en musée…Il faut impérativement qu’elle redevienne un lieu de Vie. Il y a énormément de « visiteurs » aujourd’hui, mais plus tellement de vrais amoureux de l’Ile, prêts à partager quelque chose. On n’est pas chez Disneyland ! » Naissent alors le magazine Dis-le (disponible sur l’Ile-Saint-Louis pour 4,30 euros), l’émission Disle à la radio (sur www.idfm98. fr) et la première « Rencontre Ludovicienne.». Si ces initiatives s’appuient sur la participation de personnalités résidant sur l’ile, l’idée est surtout de donner la parole à tous ceux qui souhaitent la prendre. « La démarche n’est pas du tout communautaire, n’importe qui peut y participer, à condition de le faire dans le respect. » Face au succès du magazine et des Rencontres, Didier Laquet décide de les organiser deux fois par an: Le 14 juin sur le quai d’Orléans et le 7 janvier chez un particulier. Tout le monde peut se joindre à la fête d’été, mais l’entrée lors de la Rencontre du 7 janvier se fait sur invitation (obtenue par les Ludoviciens et les «Continentaux» auprès de Didier Laquet). Voir les gens sourire, laisser au vestiaire leurs statuts, leurs classes sociales, retisser un lien. Chacun amène quelque chose à manger, à boire. « Ce qui est incroyable, c’est de voir combien les gens attendent ce type d’initiatives ! Il y a de très belles énergies sur l’Ile, elles se ressemblent et se rassemblent dans tout ce travail ». Ses prochains défis? Organiser des soirées le 24 et le 31 décembre, étoffer sa publication et en faire un webmagazine. « Ces fêtes « obligatoires » tournent au cauchemar quand on est isolé. Désormais les Ludoviciens auront la liberté de ne plus être seul ! Le site internet, qui sera lancé dans les semaines qui viennent, mettra en avant les émissions de radio, le magazine, et une vente en ligne. Il y aura une grande soirée de lancement… Les gens sont impatients, ils attendent le résultat ! Mais ils ne seront pas déçus ! ». Son ambition ne s’arrête pas là : «.J’ai connaissance et conscience de ce qui ne va pas sur l’Ile… Mais je veux me faire l’écho de ce qui est bon ou pourrait le devenir, grâce à tout ces gens qui veulent faire de cet endroit quelque chose de plus beau et de plus convivial. » -Celia Heron Photos: Didier Laquet 13 Fabriquées par trois générations d’artisans, les glaces de la famille Berthillon sont le symbole de l’ÎleSaint-Louis. Portrait d’une saga. De Raymond, 85 ans, à Alexandra, 9 ans, on partage la même passion pour les glaces... Berthillon. 14 R aymond Berthillon, déjà âgé de 85 ans, a pourtant de l’énergie à revendre. Même s’il ne va plus à Rungis le matin pour choisir les fruits, le patriarche a fait de la glace à la vanille son domaine réservé. Il la prépare soigneusement tous les matins. «C’est à la vanille que l’on reconnaît un bon glacier »… une phrase que Muriel prononce comme une incantation. « Pour avoir la paix chez Berthillon, il faut le laisser faire ! » ajoute-t-elle en riant. Perfectionniste, le doyen veille à la qualité du produit, au point de goûter toutes les glaces avant l’ouverture de la boutique. Derrière le comptoir, Muriel s’occupe des clients. A 35 ans, la petite fille du fondateur de la maison Berthillon n’a jamais pensé à autre chose qu’à travailler avec sa famille. La vanille est le best-seller de la maison, avec près de 150 litres écoulés par jour. C’est aussi le premier parfum à être proposé, en 1954. M. Berthillon n’a alors que 30 ans. Il tient le café-hôtel La Bourgogne avec son épouse et sa belle-mère, Madame Dangles. Un jour, il décide de faire fonctionner une turbine à glace héritée de ses grands-parents. La notoriété des glaces Berthillon dépasse les frontières de l’île pour atteindre les oreilles, puis les papilles d’Henri Gault et de Christian Millau. En 1961, ils vantent la qualité de « cet étonnant glacier qui se cache dans un bistrot de l’île Saint-Louis ». Depuis, les clients se bousculent aux portes du 31, rue de Saint Louis en l’Ile. La fille de Raymond, Marie-José, épouse Bernard Chauvin, un chef-cuisiner du Jura, qui épaulera son beau-père. Il aurait séduit sa future belle-famille avec…une délicieuse glace au pruneau et à l’armagnac ! Les enfants de Bernard et de Marie-José, Muriel et Lionel, aident aujourd’hui la famille à gérer l’affaire. Comme le veut la tradition, les hommes de la famille font les glaces, les femmes tiennent la boutique et le salon de thé. Au risque de choquer les féministes, l’assignation des tâches ne risque pas de changer. C’est comme ça chez les Berthillon.! « Le métier de glacier est très physique », explique Muriel. Donc mieux adapté à ces messieurs. M. Chauvin se lève à 4h30 du matin et travaille 12 heures par jour. Alexandra, la petite dernière, représente la 5e génération. C’est la fille de Muriel. « Maman fait glacier et Papa fait café » déclaret-elle, du haut de ses 9 ans. Son père fait exception à la règle : il tient une brasserie près du Bon Marché. Entre les deux métiers, le cœur d’Alexandra balance. La famille travaille de façon artisanale. Au cœur des turbines, on ne retrouve que des produits d’une grande qualité : du lait entier, des œufs, de la crème fraîche, et des produits 100% naturels. Ni colorants, ni conservateurs ! Les sorbets contiennent seulement du sirop de sucre à l’eau de source et de la purée de fruit. Près de 75 saveurs sont proposées dans l’année, 25 par jour. La glace aux marrons glacés fait mouche en hiver, et la fraise des bois en été. Les parfums les plus farfelus: la praliné-citroncoriandre ou la glace au foie gras, à Noël. Dix-sept heures…les clients affluent dans la boutique. Ceux qui s’avancent au comptoir viennent acheter la glace au litre. Le téléphone coincé contre la joue pour prendre une commande, Muriel sort des boîtes blanches des containers de métal et les remet aux gourmets. On reconnaît le ludovicien à celui qui n’a pas amené son sac isotherme. Inutile, puisqu’il n’habite qu’à deux pas! Raymond Berthillon, sa fille et son beau-fils sont euxmêmes habitants de l’île. Leur appartement se trouve juste au-dessus de la boutique. Bernard Chauvin se sent privilégié de vivre dans ce petit endroit calme de Paris. « De plus en plus d’étrangers viennent s’y s’installer.», témoigne-t-il, « mais la plupart ne passent pas plus d’un mois par an sur l’île. Ils ne s’intéressent pas tellement aux petits commerces du coin et sont plus du genre à fréquenter les restaurants. » Les ludoviciens habitués de la maison ont l’air aisé et plutôt âgé. Philippe, qui vient depuis 40 ans, se souvient : il a découvert les fameuses glaces quand il était collégien à Henri IV, non loin de là. Une chose est sure : la maison Berthillon restera sur l’île ! Pas question pour la famille d’agrandir la production ni d’ouvrir une usine en banlieue. Il s’agit de garantir le meilleur rapport qualité-prix. Pour cela, pas de budget publicité ; on ne compte que sur le bouche-àoreille. Et ça marche ! On la goûte, on la savoure et on y retourne, avec ses amis, ses enfants, ses petits enfants… -Linh-Lan Dao 15 Ceux des bains-douches O n ne s’attendait pas à les voir ici. Au numéro 8 de la rue des Deux-Ponts, seul un linteau gravé et deux écriteaux plus modestes indiquent l’entrée des bains-douches municipaux de l’île Saint-Louis. Il faut passer une voûte et entrer dans une petite cour blanche avant de voir le bâtiment dans son intégralité.: la brique rouge contraste de manière surprenante avec le blanc-gris des autres édifices de l’île. On vient aux bains-douches pour se laver. En parler, c’est une autre histoire : « Compte tenu des règles relatives à l’image instaurées par la Ville de Paris afin de garantir le respect de l’intimité des usagers des bainsdouches, et de la période très sensible, propice à l’affluence.», nous dira-t-on à la Mairie de Paris, il n’est pas possible de prendre des photos de l’intérieur de l’établissement durant les heures d’ouverture, ni même de s’adresser - en tant que journaliste - aux utilisateurs dans 16 l’enceinte des locaux. Au moins pourra-t-on obtenir une courte visite par un agent d’accueil : salle à l’impeccable carrelage, où une longue banquette de bois taillée pour l’attente fait face aux cabines de douche. Peut-on voir? À l’intérieur, un jeune homme installe son matériel de toilette. Excusez-nous. Y’a pas d’mal. «.Vous voyez, c’est grand. Ils ont deux compartiments, un pour se déshabiller, l’autre pour se laver.». Le luxe par rapport aux autres établissements, c’est le petit strapontin sous le jet. Vers 10 heures, ils sont encore peu nombreux à attendre leur tour. Sur le banc, une vieille dame s’est installée. Bonnet, pull à peluches, jupe en toile, et quelques gros de gros sacs de vêtements. Elle vient du XV° arrondissement pour se laver ici, et l’employé mettra fin à toute tentative de pousser la conversation un peu plus loin. La cour de l’établissement est un intéressant poste d’observation. De là, on peut observer le défilé des arrivants qui se succèdent, de 7h à 19h, du lundi au jeudi. Des hommes pour la plupart, d’âge moyen ou plus avancé, se glissant le long des façades des immeubles de l’île. Pas pressé et regard fixe de qui aura autre chose à faire ensuite, allure plus hésitante de ceux que rien de précis n’attend dans la journée, sauf, pour la majorité d’entre eux, la rue. Ainsi Lionel, 52 ans. L’air usé, il raconte ce qu’était sa vie de père de famille avant de «.perdre la boussole ». Peut-être la faute au bon Dieu: « il n’a jamais voulu de moi.». Mais rien ne pourra le faire transiger sur l’hygiène : il tient, là-dessus, à «.rester normal »; surtout depuis que 15 jours au centre Emmaüs du boulevard Pereire lui ont valu la gale et une hospitalisation. Expérience dont il garde en outre une solide aversion de la promiscuité avec les autres SDF.: « ils boivent tout le temps ». Pas lui, « sauf évidemment une petite bière de temps en temps.». Autrefois habitué des bains- douches de Trocadéro ou René-Coty, c’est désormais sur l’île SaintLouis qu’il vient prendre sa douche tous les deux jours. Justement parce que c’est «.très propre, très soigné.». Les bains-douches sont-ils un endroit où on parle? « Non. Et puis de toute façon je préfère être tranquille.». « Territoire neutre », confirme un autre, précisant par ailleurs que l’établissement de l’île Saint-Louis est réputé parmi les sansabris pour être le plus propre de la ville. En conséquence de quoi ils sont plusieurs dizaines à s’y rendre chaque jour d’ouverture. Ils y côtoient étudiants précaires et retraités mal-logés. A l’occasion aussi, un aventurier urbain, comme ce jeune de 29 ans récemment arrivé de Grenoble dans un van qui, stationné depuis dans le bois de Vincennes, lui tient lieu de maison. Pas trop froid ? « J’ai un poêle à gaz ». Son but, c’est de pratiquer le dessin jusqu’à pouvoir vivre de portraits de touristes. Il restera le temps qu’il faudra pour vivre de ses ressources. « Et avec mon van, je pars quand je veux ! » Evelyne, retraitée, vit dans le VI° arrondissement. C’est une habituée.: « Avant j’allais aux bains de la Butte aux Cailles : les gens y venaient en famille, et il y avait un grand hall où ils s’arrêtaient, discutaient... il ne manquait que le thé à la menthe! ». Mais «.les séchoirs toujours en panne.» ont fini par la faire changer de chapelle. Finalement, c’est presque sur le ton de l’évidence qu’elle précise que son petit appartement dispose d’une douche en parfait état de marche. Si elle continue à venir aux bains-douches, habitude prise à une époque de moindre confort, c’est « pour la convivialité » et l’ambiance : « on se croirait dans un sauna! J’aime la vapeur, et cette impression de partager quelque chose avec les gens ». L’île Saint-Louis, hors-bains ? « C’est pour les riches… » -Dominique Albertini 17 18 19 20 heures au milieu. Cela donne un peu de temps pour le déjeuner et une promenade où elle ne passe pas incognito. « C’est bien et c’est pas bien, si on est un petit peu pressé ou si on n’a pas trop envie de parler, donc… » Mme Bigot habite et travaille dans l’Ile depuis 20 ans. Son petit ami s’y est installé et elle l’a suivi. Ils ne sont plus ensemble, mais la boulangère, aujourd’hui âgé de 46 ans, est restée. « Les loyers sont quand même relativement cher. Moi, j’ai de la chance parce que je ne paie rien. » Son appartement est un logement de fonction en face de la boulangerie, dans un bâtiment avec une cour assez grise, sans jardin. Néanmoins, elle passe beaucoup de temps dehors à cause de Pushkin Junior. 9 ans, « C’est un bon compagnon. » Carole Bigot L a Boulangerie Martin est un lieu de culte pour les amateurs de bon pain. Un espace intime. Les clients locaux et internationaux viennent pour la fougasse aux olives vertes et noires, la baguette à l’ancienne et la brioche feuilletée. Carole Bigot se tient derrière le comptoir. Allure frêle, cheveux bruns, sourire discret et l’air fatigué. Trois heures plus tard, elle quitte la chaleur du magasin pour le froid du dehors. Avec son petit chien, Pushkin Junior, ils se promènent à travers les rues de l’Ile Saint-Louis. La boulangère est habillée d’un manteau brun et d’une écharpe rose, son chouchou d’un petit pull gris foncé. En cours de route, Ils croisent d’autres habitants et leurs chiens. L’Ile Saint-Louis est toujours un petit village. Même quand elle n’est pas à la boulangerie, les clients de Madame Bigot lui demandent s’il reste du pain, des croissants, de la fougasse... « C’est assez difficile comme travail. » Une journée typique commence à 8h du matin et finit à 20h, avec une coupure de deux Comme la papeterie de Mme Fin et chez Berthillon, la Boulangerie Martin est un des magasins les plus connus de l’Ile Saint-Louis. Après une incendie il y a plusieurs années qui a ravagé la papeterie, les habitants se sont mobilisés afin d’aider sa réouverture. L’esprit de convivialité est une des raisons pour laquelle Mme Bigot est restée. Et puis, elle aime la « très jolie » vue de Paris quand elle est en bas, à côté de la Seine. Mais pas Paris Plage. « C’est pour les touristes et les piqueniqueurs. » Mme Bigot adore les glaces de Berthillon à n’importe quelle saison. Ses goûts préférés ? Chocolat blanc et fraise ensemble – « les deux sont bon mélangés dans la bouche » – café, caramel et clémentine. « Et je préfère les déguster chez moi », le seul endroit de l’Ile où la boulangère est invisible. -Lisa Pham 21 Vue de l’intérieur H De gauche à droit: Danielle Dussaix, Isabelle Ohraut et Guy de Thé (Photos: Antoinette Jeanson) abitants de l’île Saint Louis, tous trois se connaissent sûrement de vue. Leur point commun ? Un appartement sur cour, au cœur de l’île. « Ceux qui donnent dans la rue c’est l’horreur » selon Danielle, 57 ans. « Avoir un appartement sur cour, c’est une chance incroyable.» renchérit Isabelle. Quand on leur demande comment ils sont arrivés sur l’île, leurs réponses sont rythmées par les mots «.magique », « merveilleux », «.conte de fées ». « Ma femme et moi, on vivait avec le nécessaire et on économisait le reste », chose rendue possible grâce au salaire confortable offert au chercheur par le Centre International de Recherche contre le Cancer. En 1980, le professeur Guy de Thé rentre à Paris, rêvant d’un pied à terre dans la capitale. Le couple visite trois appartements, dont 22 un sur l’ile Saint Louis « je suis rentré là et je me suis senti bien. J’ai aimé la porte (cf photo), le volume des pièces, tout. J’ai senti que les murs étaient imprégnés d’ « humain », de tous ces artisans qui ont vécu ici depuis 400 ans..» D’ailleurs « un chercheur, c’est un peu comme un artisan, il doit tout faire lui-même ». Danielle préfère, encore aujourd’hui, vivre sur l’île Saint Louis « que dans un grand appartement hors de l’île. J’aime être au centre, ça me rassure.». L’auxiliaire puéricultrice à la retraite rêvait d’y habiter «.pour être entourée d’eau et de calme ». Il y a 31 ans, elle met un premier pied dans l’île, avant de mettre le deuxième en emménageant dans l’appartement acheté par ses parents dans les années 1970. Il y a une vingtaine d’années, Isabelle passait un jour par l’île pour acheter des fleurs. Elle y rencontre à cette occasion Hafiz, vendeur de mobilier et tapis afghans, à côté du fleuriste. Aujourd’hui, ils vivent sur l’île avec leur fils, et elle a «.fini par devenir propriétaire de la fameuse boutique de Hafiz.! », où elle vend des vêtements et objets d’Asie centrale. Elle ne cache pas que les touristes constituent l’essentiel de sa clientèle. Le professeur a toujours aimé le succès de l’île auprès des visiteurs étrangers. Sa carrière internationale lui a permis d’apprécier cette ambiance. «.J’ai d’ailleurs prêté à plusieurs collègues américains mon appartement quand ils venaient à Paris. » Cela se ressent jusque dans son immeuble où habitent un Américain et un Italien. En retraité résolument moderne, il affirme qu’ « il faut jouer le jeu de la mondialisation ». Danielle, comme beaucoup de Ludoviciens, rouspète : «.On est envahis de touristes et le weekend end ça devient gênant ». Sans parler des étrangers qui achètent sur l’île. A l’évocation des projets de l’émir du Qatar dans l’hôtel Lambert, elle s’exclame « s’il y a une pétition, je la signerai immédiatement.!.» Ils s’accordent à dire que l’île est comme un petit village. Bien qu’il copréside un réseau mondial pour la promotion de la santé, Guy de Thé ne quitterait pour rien au monde ce petit village « on se croirait dans la France profonde, tout le monde se salue, et se connaît, au moins de vue ». Selon Danielle, habiter une île « n’est pas anodin », ça a même « quelque chose de rassurant ». Un avis partagé par Isabelle : elle avoue avoir toujours été attirée par les îles. L’identité insulaire rapproche les habitants les uns des autres, contribuant à un sentiment de sécurité. « Pour mon fils de 10 ans, c’est génial, il a pu aller à l’école tout seul plus tôt qu’ailleurs dans Paris. » Ici, tout le monde rend service à son voisin, à commencer par les épiciers, toujours prêts à aider les personnes âgées pour leurs courses. Les deux dames partagent l’envie de s’impliquer dans la vie de l’île. Danielle, la retraitée, voudrait s’engager plus dans la paroisse de l’île, et peut-être aider des personnes âgées ou les enfants de l’école. Isabelle, la mère de famille, a organisé plusieurs années de suite des animations pour les habitants au moment de Noël, une chorale avec les enfants de l’école , un âne cherché au jardin du Luxembourg, une conteuse, un calendrier de l’avent fait de pain d’épice en collaboration avec le salon de thé « La Charlotte en l’ile »… Autant de petites initiatives pour rendre la période encore plus festive et tisser des liens entre Ludoviciens. Elle voudrait perpétuer cet état d’esprit, étant attachée à « ces ondes positives qui donnent du sens à son engagement ». Les trois Ludoviciens ne nient pas les transformations de l’île ces dernières années. De plus en plus nombreux, les touristes ont provoqué un changement. Les commerces de proximité ont presque tous disparu, remplacés par des galeries d’art. « Il faut aller plus loin pour faire les courses, mais bon, on ne peut pas tout avoir!.» conclut Danielle. -Antoinette Jeanson 23 Photo: Yemeli Ortega Luyando Père Pelletier et « l’ange » Boris. Envoyés de Dieu sur une île. C uré de la Paroisse Catholique de Saint-Louis en l’île depuis huit ans, le père Pelletier rassemble tous les dimanches 250 ludoviciens autour d’une même quête: la foi. Portant avec une élégance simple sa chasuble, ou comme il l’appelle, son « manteau de la charité » le prêtre insiste « mon église mérite une visite pour sa beauté, pour les gens qui la font vivre et, pourquoi pas, pour faire une prière ». La paroisse est toute imprégnée d’un arôme d’encens et s’échappent de son vieil orgue, quelques notes dissonantes, comme des cris effarés. Un sourire se dessine sur la bouche du père Pelletier au moment où ses yeux se lèvent vers le ciel, comme pour implorer avec humour le Seigneur de mieux accorder cet orgue, une bonne fois pour toutes. « J’ai la chance que mon église soit très belle et remplie 24 d’œuvres d’art. Elle fait partie du patrimoine de la ville », dit le curé tout en montrant du doigt le tableau « Repas d’Emmaüs » accroché à l’intérieur de la chapelle Saint Joseph, une œuvre du XVI de l’école du Titien. « Mais je crois que le vrai trésor, ce sont les gens», ajoute-t-il. Agréables, accueillants, sympathiques… d’après le père au sourire permanent, les gens de l’île sont « riches mais généreux » et en plus, liés par une vraie cohésion sociale, « comme dans les petits villages, tout le monde se connaît et s’entraide… Mais malheureusement, je crains que ça ne disparaisse». La population autochtone se voit menacée par deux ennemis: les Américains riches et les «fantômes». Les premiers rachètent les appartements devenus aujourd’hui inabordables, et ne viennent que 15 jours par an. Les fantômes sont des gens pour qui avoir un toit sur l’île n’est qu’un placement financier. Entre les décès des plus âgés et les jeunes couples qui déménagent peu de temps après la naissance des enfants, contraints de fuir le prix prohibitif du mètre carré, la communauté insulaire se transforme petit à petit en une masse éthérée et éparse. « Dire que l’île devient un grand Hôtel est exagéré », avance le religieux qui se métamorphose, l’espace d’une seconde, en revendicateur. Las il concède que, à son grand regret, «l’évolution de l’île va dans ce sens-là». Cependant, le curé sait retrouver sa motivation chaque dimanche matin, quand il donne la liturgie de la parole aux enfants qui «comprennent l’évangile bien mieux que nous ». Mais, la paroisse de Saint Louis ne les verra pas grandir. « Au moins on aura semé le grain de l’amour en eux…De toute façon, c’est pour ça qu’on est là ». Le territoire du Père Pelletier est une île où il n’y a ni synagogue ni mosquée. Pas de concurrence. «Quelques juifs viennent de temps en temps pour discuter, mais il n’y a pas de protestants et encore moins de musulmans », raconte le père avec un langage plus corporel qu’oral, « …Mais bon, peut-être que ça va changer avec l’émir du Qatar qui vient d’acheter l’Hôtel Lambert». Sur les bas-côtés de l’église, La Maison Saint Louis compte cette année, en plus du Père Pelletier, huit séminaristes. Outre leurs études à l’Ecole Cathédrale voisine et la vie communautaire elle-même, les séminaristes participent à ce qu’ils appellent « le monastère invisible ». Un endroit qui comme son nom l’indique, n’existe pas matériellement, sinon dans les cœurs et dont la mission est d’offrir sa prière pour les vocations sacerdotales et religieuses « dont le monde a tant besoin ». Plus prosaïquement, le Père Pelletier accompagne les Sœurs de Saint Vincent de Paul. Ce sont des femmes vouées « au service des malades et au service corporel et spirituel des pauvres.». Installées au 23 quai d’Anjou, derrière une grande porte verte érodée par le temps, elles offrent chaque samedi soir, un repas pour les personnes âgées qui souffrent « du mal le plus douloureux: la solitude ». Cette « armée d’anges » fondée à l’origine par Saint Vincent de Paul en 1632, a changé son nom pour L’équipe des Dames de Saint Vincent. « Ça fait moins vieillot », dit Mme Boris, tout en se dépêchant de servir le chapon haricots purée qu’elle a préparé pour les 25 «grands-parents », comme elle les appelle affectueusement, qui viennent dîner ce soir. D’une bonté manifeste, Mme Arlette Boris est la présidente, depuis six ans, de ce groupe de 12 dames et 15 bénévoles, où chacune a sa propre spécialité. En effet, il n’y a pas que les dîners du samedi, mais aussi des ventes de charité avec des produits locaux, des braderies trois fois par an et l’atelier couture du mardi où elles réparent les vêtements d’occasion qui seront vendus dans les braderies. Il y a aussi les cours de rattrapage pour aider les enfants en difficulté les lundis et jeudis. Des grands-mères bénévoles viennent motiver les enfants à faire leurs devoirs ou leur apprendre les bonnes manières, comme dire « bonjour », « merci », et sourire… « Enfin, tout ce que fait une vraie grand-mère » dit Mme Boris, en regardant les photos des «mamies bénévoles », sur le tableau de l’emploi du temps de la semaine. «Ça, c’est Odile, ça c’est Jeanne, et Marie… voilà Lucienne et Renée… » En ce début janvier, la maison de L’équipe des Dames de Saint Vincent est décorée d’étoiles et de cheveux d’ange qui s’enroulent autour du piano et des tables en bois où les grands-parents se rassemblent et se retrouvent au gré de leurs affinités. Ils ont déjà eu droit à un apéritif, une entrée, un plat, du fromage, un dessert et un petit café, mais la soirée est loin d’être fini. C’est le moment de sortir les jeux de société et de passer des heures à «papoter». Jeannine aime bien se mettre à côté de Paul pour jouer « aux petits chevaux ». Elle tire inlassablement les dés, avec les yeux pleins d’espoir, comme une enfant qui espère tirer le 6 juste pour pouvoir rejouer. De prime abord, on ne devine pas que cette femme vient d’enterrer son fils, mort d’un cancer. Elle laisse sa peine chez elle, ici, elle sourit, elle envoie des regards complices à son adversaire de jeu et savoure le jus d’orange qui lui a été servi dans un verre « Dragon Ball Z». Quand le crépuscule se penche par la fenêtre, Mme Boris demande à ses invités de finir leurs parties et de remettre leurs conversations à la semaine prochaine. « Allez mes petits enfants, que la nuit tombe et le chemin devient dangereux pour vous ». Tout le monde obéit sur le champ et se confond en remerciements. Les soirées du samedi à la maison de L’équipe des Dames de Saint Vincent est pour beaucoup de ces personnes âgées, «le seul moment de la semaine où ils parlent avec quelqu’un ». Mme Boris soupire pendant qu’elle range les dernières assiettes. Du coin de l’œil, elle regarde si tout est en ordre avant de fermer la porte. La même porte verte qui s’érode tous les jours avec le temps. La pleine lune allume la Seine comme un phare et la chef de L’équipe des Dames disparaît dans la brume hivernale. Demain, c’est dimanche… Elle ne manquera pas la messe de 11 heures, pour écouter le sermon du Père Pelletier. Le berger de l’île. -Yemeli Ortega Luyando 25 Le Foyer de la Vigie, une citadelle bien gardée. C ’est une simple porte cochère, comme il y en a tant d’autres le long des rues de l’Ile Saint-Louis. Une des ces énormes portes, imposantes, nobles, d’un bois lourd et souvent séculaire, et qui renferment de nombreux mystères. Derrière elle, rue Poulletier, se cache le Foyer de la Vigie. Un foyer pour jeunes femmes, travailleuses et étudiantes, âgées de 18 à 25 ans. Le lieu situé en plein cœur de l’Ile Saint-Louis réserve la moitié de sa capacité d’accueil (140 lits) à de jeunes étrangères à des prix sensiblement inférieurs aux prix locatifs exercés sur l’île. Mais attention, ne pénètre pas qui veut à l’intérieur de l’enceinte du foyer. Aujourd’hui, l’espace de la rue n’est plus celui de l’Ile du 19e siècle. Les passages se sont fermés et n’engloutissent plus carrosses et passants au hasard d’une visite. Les entrées se sont dotées de digicodes, d’interphones et de caméras de surveillance : le Foyer de la Vigie porte bien son nom. Les écoliers de l’Ile Saint-Louis l’appellent « le château des filles.». Une dénomination enfantine et naïve, mais lourde de sens pour quiconque serait désireux d’approcher le cœur du foyer pour mieux le connaître. Le château des filles est entouré de hauts murs. A l’inévitable douane de l’accueil, on monte la garde : tout visiteur extérieur doit attendre la personne résidente à l’entrée et non ailleurs, et pour de plus amples informations, «.veuillez attendre le directeur ». Prévoyez alors d’annuler tous vos rendezvous dans les heures qui suivent, car l’attente risque d’être longue. 26 Monsieur Garcia, actuel directeur du foyer, n’a pas souhaité nous rencontrer, préférant solliciter la décision de son conseil d’administration pour retarder les autorisations d’investigation, sinon pour les empêcher d’être délivrées. Le foyer refuse de communiquer en invoquant « des expériences négatives avec la presse ». L’heure est aux barricades. La politique du foyer a radicalement changé en décembre 2006 après un lourd remaniement du conseil d’administration. Le foyer de la Vigie est un organisme qui dépend aujourd’hui de l’Association de Résidences et Foyers de Jeunes (ARFJ), et plus spécifiquement du Centre de Logement des Jeunes Travailleurs (CLJT). Ce nouveau statut s’érige en franche rupture vis-à-vis du précédent conseil d’administration majoritairement composé par la Congrégation des sœurs de Sainte-Clotilde. Véronique Nègre, ancienne directrice du foyer de la Vigie, se rappelle du brutal changement de philosophie.: «.On voulait que je m’occupe d’une gestion avant tout financière de l’établissement pour pouvoir dégager d’avantage de marge, alors qu’avant le projet de la maison était le mélange interculturel et social ». C’est à cette occasion que Mme Nègre a été invitée à quitter la direction du foyer. Elle regrette une époque qui semble désormais révolue : «.En terme de milieux sociaux, on accueillait aussi bien des jeunes filles de milieu très aisé que des jeunes filles de la DDASS ou de la protection judiciaire de la jeunesse. Tout cela donnait un mélange explosif et intéressant qui demandait une grande présence, beaucoup d’accompagnement, ce que savaient faire les sœurs, à toute heure de la journée et de la nuit et même le week-end ». Cet héritage religieux remonte à la fin du 18ème siècle, à l’époque où l’action sociale était en grande partie prise en charge par l’Eglise. Le foyer de la Vigie tel qu’il existe encore aujourd’hui dans sa structure a été fondé dans les années 1950, mais n’a pas tout d’abord vu le jour dans l’Ile SaintLouis. Fondé en premier lieu dans le 16ème arrondissement de la ville de Paris, il s’est ensuite exilé dans le 5ème, au gré d’une misère sociale qui n’est jamais sédentaire. Ce n’est que dans les années 1970 que l’Ile Saint Louis a accueilli le foyer, au 7, Rue Poulletier. Le bâtiment physique appartenait alors aux sœurs de Saint-Vincent de Paul, une communauté religieuse très forte qui avait créé un dispensaire et une crèche à l’époque où l’Ile Saint Louis était délabrée sur le plan social. Dans les années 1965-68, l’Ile Saint-Louis s’est transformée tout comme le Marais grâce à une entreprise de réhabilitation, et le foyer a naturellement suivi l’évolution. Aujourd’hui, évoquer le foyer de la Vigie c’est d’une certaine façon le jeu des poupées gigognes : les lieux se mêlent aux époques, plusieurs univers se superposent. Paris, l’Ile Saint Louis, le foyer, des vies aux multiples couleurs…la Vigie est un palimpseste insulaire où résonnent dans la cour centrale les pas de plusieurs générations de jeunes femmes. -Guillaume Dumazet Photo: Lisa Pham Stéphanie Delestienne, 24 ans, étudiante belge. Résidente depuis 2006. « La première année, l’ambiance était familiale, chaleureuse. Les filles, aussi bien celles de l’accueil que les résidentes, étaient en majorité serviables et agréables. Ensuite, il y a eu un changement de direction et des suppressions de postes, l’ambiance est plus froide et les liens se créent moins facilement, l’accueil est moins bien géré, il n’y a plus vraiment de cohésion. Il est agréable de vivre sur l’île car on peut y acheter son pain, ou même faire des courses sans aller trop loin, y comprit le week-end, il y a deux épiceries et deux boulangeries. Les voitures sont rares ce qui augmente cette impression de bulle. Etre au foyer m’aura permis de ne pas être seule en arrivant dans une ville que je ne connaissais pas, et de lier des amitiés qui durent encore aujourd’hui. Etre sur l’île m’aura permis de profiter d’un des plus beaux coins de Paris, ce que je n’aurais jamais pu faire si je n’avais pas été au foyer ». Parole de Resident Rebecca Heans, 23 ans, anglaise, en formation comptable. Résidente de 2006 à 2007. « J’étais très contente du foyer de la Vigie. Je garde de bons souvenirs des sorties organisées entre nous à la Comédie Française, au Louvre, au cinéma et pour danser la salsa. Au quotidien les repas ensemble le soir et le petit déjeuner étaient des moments géniaux. . Il y a toujours quelqu’un à l’accueil pour répondre aux questions et aider avec les démarches administratives. Les femmes de ménage et les cuisiniers sont tous gentils. Le mélange d’étudiantes et de travailleuses, françaises et étrangères, crée aussi une ambiance plus détendue et intéressante. Je sentais que l’île était un peu à part, mais ce n’était pas désagréable. Il y avait moins de circulation et souvent moins de monde. Je ne me sentais pas isolée parce qu’il y a deux lignes de métro près de l’île et on est au centre de la ville ». Fernandez-Fournier, 25 ans, étudiante espagnole en médecine. Résidente de 2006 à 2008. « Une expérience superbe et inoubliable. Vivre au foyer la Vigie a été pour moi la découverte de la vie en France et des françaises. J’en ai pris connaissance par internet et je l’ai choisi parce que je ne voulais pas vivre toute seule dans un petit appartement à Paris. Etudiante en programme d’échange, le fait d’être loin de mon pays ne m’a pas gênée grâce au soutien que j’ai trouvé au foyer. Je me suis fait de bonnes amies. Bien-sûr, c’est une vraie chance de pouvoir vivre au plein cœur de Paris. En plus je travaillais à l’hôpital Saint-Louis et donc à vingt minutes à pied de l’île de Saint Louis. Dès que je traversais les ponts j’avais l’impression d’arriver dans un petit coin de repos, je me sentais vraiment chez moi ». -Guillaume Dumazet 27 « Un rêve que j’aurais préféré ne pas voir se réaliser… » Méfions nous des aspects invisibles de l’Ile Saint-Louis : A trop s’en approcher, ils finissent par occulter sa vraie beauté. A 19 ans, Nadine, d’origine algérienne, est une passionnée de littérature et une grande amoureuse de l’Ile Saint Louis…qui l’a pourtant déçue. «J e vivais dans 9 mètres carrés, avec toilettes sur le palier, mais peu importait : J’étais sur l’Ile. J’aimais me promener très tard, prendre des photos, contempler le calme les rues, la Seine, lire la gazette de l’île saint louis. Les séances photos qui se déroulaient dans les rues, Georges Moustaki ou le comédien Stanislas Mehrar se promenant sur les quais, tout cela m’amusait … J’avais réussi mon pari. » aucun dérangement. Mon autre voisine, une femme assez âgée, n’était pas très liante. J’étais très loin de ce que j’avais imaginé: un sentiment de solitude a commencé à se développer, et ce ne fut pas une année très gaie pour moi. » « Les touristes aussi m’énervaient: ils faisaient beaucoup de bruit, riaient, chantaient...on n’était pas dans le même état d’esprit...J’avais le sentiment de ne rien partager avec « La réalité a rapidement personne, je regardais les repris le dessus : Ma voisine groupes, les couples, tout de palier est venue frapper ce qui auparavant respirait à ma porte dès les premiers à mes yeux la poésie, sans jours pour se plaindre du me reconnaître nulle part. bruit que faisait le placard J’avais à la fois la sensation encastré dans notre mur d’être privilégiée, mais aussi commun: Elle révisait ses d’être assez seule et isolée. partiels et ne supporterait Ce deuxième sentiment a commencé à estomper le premier…Et puis je n’avais pas imaginé à quel point c’était pénible de vivre dans un petit espace, je pouvais à peine marcher à l’intérieur et rencontrais vite le plafond.» « En juillet de cette année, une très bonne amie m’a annoncé qu’un studio se libérait dans son immeuble, j’ai tout de suite contacté la propriétaire. Elle vivait dans le 13ème arrondissement. J’ai déménagé. Je m’y sentais mieux. » « J’ai finalement eu l’impression d’être moimême devenue invisible… à force d’être trop souvent dans la contemplation. Comme si l’Ile m’avait absorbée. » « Il y eut pourtant un étonnant retournement de situation : le nouveau locataire de mon studio était un chanteur brésilien. Je me suis attachée à lui et je suis retourné travailler comme serveuse « Je n’en pouvais plus de sur l’Ile Saint-Louis, juste vivre avec ce sentiment d’être à l’écart, à l’écart de pour pouvoir le voir plus la ville, et peut-être à l’écart facilement ! » de la réalité de la vie aussi. On a l’impression de ne -Celia Heron voir que des touristes et de riches parisiens. » « Il y a 40 ans on se parlait… aujourd’hui on se parle plus… » E lle remet son chapeau gris et dit «Au revoir » au boucher en souriant. Ce samedi matin il lui reste encore fort à faire pour remplir son sac avec les provisions de la semaine. Elle marche avec une allure rapide malgré son âge, 86 ans, habillée d’une jupe grise foncé, un chemisier bleu et une grosse écharpe blanche. En sortant de la petite boucherie à la Rue Saint Louis en Ile, elle regarde autour d’elle. Louis et regrette ce qu’elle est devenue aujourd’hui. « Aujourd’hui malheureusement, l’île est habité par des étrangers et des touristes de passage. Les habitants originels sont tous partis.» dit-t-elle. Elle habite au Petit Hôtel Bretonvilliers, dans la rue du même nom. Derrière les grandes portes rouges de l’immeuble, construit en 1639, se trouve une petite cour charmante. Les murs sont couverts des lianes grimpantes zigzagants, et les vieux escaliers sentent le bois. « Là il y avait des écuries pour des chevaux », elle montre du doigt, le bout de la rue. « Et juste à coté, tous les commerçants de l’île. Ils « Il y a quarante ans, les gens travaillaient sur l’île et ils y vivaient descendaient dans la cour pour aussi » rappelle-t-elle. échanger des mots. On rentrait de nos courses, on croisait nos Des personnes entrent les voisins dans la cour et ensuite on restaurants, d’autres qui sortent allait chez eux pour prendre un de la boulangerie, quelques uns café. Maintenant, il n’y plus de rentrent chez eux. Et debout là convivialité ». dans la rue, parmi eux, elle se souvient de ce qu’était l’île Saint Même si elle a déménagé sur l’île dans 28 les années cinquante, elle l’a connue bien avant. Ses parents habitaient de l’autre coté, sur le « continent ». Mais elle a eu un lien fort avec l’Ile Saint Louis depuis sa naissance. « Je suis née en 1923, chez mes grand parents qui habitaient sur l’île » explique-t-elle. Aujourd’hui elle vite toute seule aujourd’hui au rez-de-chaussée de son immeuble. Cependant sa fille habite dans un autre appartement dans le même immeuble. «.Pour des raisons de sécurité et les besoins d’urgence » dit-elle. « Je suis vieille est je me sens en sécurité en sachant que ma fille est tout près de moi. » Ludovicienne depuis cinquante ans, cette dame fait portrait d’une vraie ludovicinenne. Toutefois, elle ne veut pas donner son nom. Elle préfère rester anonyme, parmi tous les autres oubliés de l’Ile Saint Louis. -Sunaina Karkarey Personne ne voit l’île comme eux. Dans leurs bateaux et leurs zodiacs, les 77 hommes de la brigade fluviale de la police patrouillent les rives de la Petite Couronne. Les quatre pontons de leur caserne flottante sont amarrés à quelques centaines de mètres en amont de l’extrémité Est de l’île. Le sousbrigadier Régis et le gardien de la paix Mahdi ont partagé avec nous leur regard à fleur d’eau. Une fine nappe de neige couvre encore le quai du bras Marie. Exposé au nord, il n’est jamais touché par le soleil timide de l’hiver. Régis connaît bien ces rives : « Ici l’été, raconte-il en montrant du doigt l’extrémité Ouest, se réunissent les poètes. À la tombée de la nuit, ils amènent leurs bougies, leurs bouteilles, leurs guitares et déclament leurs propres vers. Certains nous saluent de la main quand on passe en patrouille. Nous sommes perçus plutôt comme des sauveteurs que comme des flics». Six brigades de roulement garantissent en permanence, de jour comme de nuit, la sécurité des hommes et des bateaux transitant dans les eaux troubles de leur zone de compétence. Avec la brigade fluviale, une vue imprenable de l’île Des promeneurs maladroits laissent parfois tomber à l’eau leur téléphone, leur appareil photo, leur montre en or. S’ils ne sont pas engagés ailleurs, les hommes-grenouilles de la fluviale parviennent la plupart du temps à les récupérer au fond du fleuve. Ils prennent ce défi comme un entraînement car, dans la Seine, la visibilité sous l’eau atteint 30 centimètres quand les conditions sont bonnes. En 2008, au cours de quelque 3000 interventions, ils ont récupéré un cadavre par semaine et 30 voitures dans l’année. 100 personnes ont pu être secourues. Parmi eux sans doute quelques poètes emportés dans leur élan…leurs ailes de géant les empêchent de nager. -Emanuele Marzari 29 30 31 32