M`A TUER - Causette

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M`A TUER - Causette
Politique
Les feux
de l’amour
à la Une
dou x - p è re dodu
CRISE DE LA DISTRIBUTION
la fin de
la presse,
c’est
maintenant ?
reportage chez
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M’A TUER
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T ribunal
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Quand il s’agit d’envoyer en prison, les magistrats seraient plus cléments à l’égard des femmes
que des hommes. C’est du moins la conclusion de plusieurs études sociologiques qui viennent d’être
publiées. Pour certains, il s’agit surtout d’une vision sexiste de la justice, qui ne sert pas l’égalité entre
hommes et femmes.
42,57
L
Ils livrent des exemples précis. Ainsi, les deux cas suivants :
un homme violent à l’encontre d’un chauffeur de bus et une
femme qui frappe l’enseignante de sa fille. Bilan : six mois de
prison avec sursis pour l’homme, un seul pour la femme…
Certes, on ne peut jamais tout à fait comparer deux peines,
mais il se trouve que les juges ont tenu compte des conditions de vie de la seconde (mère isolée) sans se soucier de
celles du premier.
De la clémence pour les mères
Pour les chercheurs, ces résultats montrent que « les hommes
sont perçus comme généralement, voire naturellement, plus
violents, alors que les violences de femmes, surtout si elles
sont portées envers des hommes, seraient des réactions de
défense ». Au fond, ce qui motive la clémence des juges, c’est
l’idée que la femme serait fondamentalement plus h
­ onnête.
Si elle vole, c’est qu’elle y est poussée. Le mec, lui, c’est plus
dans ses gènes que ça se joue. Bref, une vision qui ne brille
pas par son modernisme.
C’est aussi la conclusion des travaux coordonnés par Daniel
Welzer-Lang, professeur de sociologie à l’université Toulouse-Le Mirail 2. Plus de cinq cents comparutions immé-
1. L’enquête a été publiée dans l’ouvrage collectif Penser la violence des femmes, sous la direction de Coline Cardi et Geneviève Pruvost. Éd. La Découverte, 2012.
2. Comparutions immédiates : quelle justice ? Regards citoyens sur une justice du quotidien, sous la direction de Daniel Welzer-Lang et Patrick Castex. Éd. Érès, 2012.
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Photo : ELENE USDIN - modèle : marie laure saint bonnet
a justice est aveugle, dit-on. Peut-être, mais
elle ferait quand même la différence entre les
sexes, puisqu’elle semble moins sévère avec les
Liramum
femmes. Tel est le verdict de deux sociologues
du droit, Maxime Lelièvre et Thomas Léonard 1.
Ce constat catégorique n’est pas fondé sur de simples
impressions. Les chercheurs ont étudié plus d’un millier de
comparutions immédiates jugées dans six tribunaux correctionnels en France. Ils ont comparé les décisions prises
à l’encontre des femmes à celles prises à l’encontre des
hommes. Leur conclusion est sans ambages : les juges sont
globalement plus indulgents avec les femmes. On pourrait
penser qu’elles commettent des délits moins graves que les
hommes. Pas du tout, répondent Maxime Lelièvre et Thomas
Léonard : « Lors des audiences, le sexe influe sur les décisions prononcées. » Pour chaque type de délit (infractions
routières, trafic de stupéfiants, atteintes aux biens…), les
chercheurs ont calculé le pourcentage de cas dans lequel
le jugement a été plus sévère pour les femmes – et, inversement, celui où elles s’en sont mieux tirées. C’est ainsi qu’ils
ont pu montrer qu’à gravité judiciaire égale, les femmes sont
moins sévèrement jugées que les hommes.
25
diates ont été décryptées. Et, tests statistiques à l’appui pour
attester que les différences sont significatives, la conclusion
tombe : « Une justice sexiste où les hommes et les femmes
ne sont pas traité(e)s de la même manière. » Toutefois, l’étude
apporte quelques nuances.
Ce n’est pas sur la peine prononcée, mais sur le mandat de
dépôt que s’exerce la clémence des juges. Ils envoient moins
les femmes en prison, mais quand ils les envoient, leur peine
n’est pas plus légère que celle des hommes. De plus, pour que
les femmes bénéficient de mansuétude, il leur faut remplir deux
conditions : être mère et être française. L’étude montre qu’une
étrangère célibataire ne bénéficie pas plus d’indulgence qu’un
homme aux yeux des magistrats. En somme, la justice regarde
non seulement le sexe, mais aussi la nationalité...
Les mêmes capacités de violence
Bien sûr, au cas par cas, tel ou tel tribunal peut faire preuve
d’impartialité. N’empêche : les chiffres sont là, et il ne s’agit
pas d’impressions, mais de centaines de données analysées.
Et ce déséquilibre se retrouve au niveau national. Pour toute
la France, en 2007, les femmes représentaient 14,9 % des
personnes mises en cause par
la police… mais « seulement »
3,7 % des personnes incarcérées. Ce qui prouve que, proportionnellement, les femmes
vont moins en prison que les
hommes.
D’une certaine façon, on pourrait
s’en réjouir. N’est-il pas logique
d’être clément à l’égard des
mères, vu que ce sont généralement elles qui s’occupent
des enfants ? « Oui, mais on ne
demande pas aux hommes s’ils
élèvent leurs enfants », répond le
sociologue.
Bon, d’accord, mais les femmes
sont tellement discriminées dans
les autres domaines de la société.
Alors, pour une fois qu’elles sont
avantagées, on ne va pas s’en
plaindre, n’est-ce pas ? Certes,
on peut voir les choses comme
ça. Mais on peut aussi considérer, comme Daniel Welzer-Lang,
que « tout ce qui entretient une
représentation
victimologique
des femmes est un obstacle à
l’égalité ». Ce n’est pas servir l’égalité des sexes que d’entretenir l’image d’une femme forcément plus « sage » et « moins
violente » que l’homme… donc, au fond, plus soumise.
Cela dit, même si les juges étaient aussi sévères à l’égard des
femmes que des hommes, ce ne sont pas quelques dizaines
de détenues de plus ou de moins qui vont perturber l’écrasante majorité masculine dans les prisons (au 1er février 2012,
la population carcérale, en France, comptait 2 242 femmes
pour 63 457 hommes, selon le ministère de la Justice).
Quant à savoir pourquoi le crime et la délinquance sont
surtout affaires de mâles, c’est une autre histoire. Certains
y voient l’effet biologique de la testostérone. Pour d’autres,
il s’agit d’une construction culturelle : la violence masculine
serait une sorte de dégât collatéral de leur domination sociale.
Dans cette logique, faut-il considérer que les femmes bénéficieront du même statut que les hommes le jour où elles
seront aussi nombreuses en prison ? En tout cas, reconnaître
aux deux sexes les mêmes capacités de violence, c’est aussi
ça, l’égalité.
Antonio Fischetti
CAUSETTE #28 • 41

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