Blois 2015. Les quatre coups de la Nuit de cristal

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Blois 2015. Les quatre coups de la Nuit de cristal
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Carte blanche aux éditions Albin Michel, Corinne Chaponnière
Blois 2015. Les quatre coups de la Nuit de
cristal
par Joël Drogland
Mise en ligne : vendredi 16 octobre 2015
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Dans le cadre d’une Carte blanche aux éditions Albin Michel, Corinne Chaponnière présentait le
contenu du livre qu’elle vient de publier, Les quatre coups de la Nuit de cristal - L’affaire Grynzpanvom Rath (7 novembre 1938).
Suisse et canadienne, Corinne Chaponnière est docteur en lettres et licenciée en sciences politiques
de l’université de Genève. Elle a débuté comme chroniqueuse judiciaire pour la presse écrite avant
de poursuivre une carrière de journaliste à la télévision. À côté de plusieurs centaines d’articles et
de reportages, elle a publié Le mystère féminin, Vingt siècles de déni de sens (Olivier Orban, 1989), La
Mixité (avec Martine Chaponnière, In Folio, 2005), Henry Dunant, La croix d’un homme (Perrin,
2010).
Le 7 novembre 1938, un juif polonais de 17 ans, Herschel Feibel Grynszpan tira sur le troisième
attaché de la légation allemande à Paris, Ernst vom Rath. Il voulait protester contre le sort de ses
parents expulsés d’Allemagne avec une dizaine de milliers de juifs vers une zone frontière
polonaise. En représailles, les nazis déclenchèrent un gigantesque pogrom dans la nuit du 9 au 10
novembre 1938. L’assassin avait dix-sept ans, sa victime vingt-neuf. Pourquoi Herschel Grynszpan
a-t-il tiré sur Ernst vom Rath ? Dès le lendemain de l’attentat, avant même que l’Allemagne ne
déclenche ses représailles impitoyables, la question était sur toutes les lèvres. Coup d’éclat pour
venger un peuple persécuté ? Coup d’envoi d’une offensive d’envergure ? Coup de tête tout
personnel ? Coup monté par ceux auxquels profitera le crime ? L’Histoire, aujourd’hui, n’a
toujours pas tranché. Que s’est-il passé à Paris le 7 novembre 1938 ? Quelles sont les causes réelles
de ce terrible pogrom ?
"Un ouvrage tout à fait remarquable" (Annette Wieviorka)
Dans la préface qu’elle a rédigée pour cet ouvrage, Annette Wieviorka écrit : " Disons-le d’emblée,
l’ouvrage de Corinne Chaponnière est en tout point remarquable. Servi par une belle plume et une grande
intelligence des hommes et des situations, il retrace tout à la fois l’événement (...) et ses développements
tragiques. Une histoire qui peut sembler simple : pour protester contre le sort de ses parents expulsés
d’Allemagne avec une dizaine de milliers de juifs vers une zone frontière polonaise, le jeune homme
assassina un diplomate allemand. En représailles les nazis déclenchèrent ce qui est resté dans l’histoire
comme "La Nuit de cristal", gigantesque pogrom aux conséquences dramatiques pour les juifs
d’Allemagne.
Mais la simplicité de l’histoire n’est qu’apparente. Car en dépouillant une masse considérable d’archives
dispersées de par le monde, en relisant toute la déjà considérable littérature dévolue à cet événement,
Corinne Chaponnière donne le (ou plutôt les) récit(s) de cette histoire."
Ces récits sont au nombre de quatre, Les quatre coups de la Nuit de cristal. Corinne Chaponnière les
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examine successivement, revenant tout d’abord sur la courte biographie des jeunes protagonistes.
La version française. Geste spontané d’un jeune homme révolté, faisant un coup d’éclat
en tirant sur le premier diplomate venu pour attirer l’attention sur le sort des juifs
Vom Rath occupe une fonction subalterne à l’ambassade d’Allemagne à Paris. Il est troisième
secrétaire de légation, et encore ne l’est-il que depuis trois jours ; il n’était précédemment qu’un
simple attaché. Herschel Feibel Grynszpan est un garçon juif de 17 ans, d’origine polonaise, élevé
à Hanovre. Il est arrivé à Paris en septembre 1936 pour échapper aux persécutions en Allemagne.
Il a cherché à gagner la Palestine mais, étant trop jeune, a été refusé deux fois par les services
d’immigration.
Le lundi 7 novembre 1938 à 9h30 du matin, il se présente à la loge du concierge de l’ambassade
d’Allemagne à Paris. Il s’adresse à la femme du concierge, et l’on ne saura jamais ce qu’il a alors
exactement demandé. Il est conduit par un huissier au secrétariat du premier étage. On entend des
cris, pas de coups de feu. Vom Rath blessé, se précipite dans le couloir et demande des secours. Il
mourra le 9 novembre. Grynszpan a tiré cinq coups de feu. Il est resté dans le bureau et est
immédiatement arrêté et remis à l’agent de police posté devant l’ambassade. Pour la presse
parisienne, il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’un attentat politique. Grynszpan a déclaré avoir
voulu attirer l’attention du monde sur le sort des juifs en Allemagne. Une conférence de presse
tenue à l’ambassade d’Allemagne reprend cette version. Face au commissaire de police français,
Grynszpan ajoute quelques précisions : il a appris par sa soeur que la famille avait été expulsée de
Hanovre, conduite à la frontière polonaise, refoulée par les autorités polonaises, et finalement
parquée avec plus de 10 000 autres personnes dans un no man’s land. Ayant appris par les
journaux les conditions épouvantables de cette détention, il affirme s’être décidé à passer à
l’action.
Jusqu’à nos jours les historiens ont adhéré à cette version. Elle n’est pas fausse nous dit Corinne
Chaponnière, mais ce n’est qu’un récit parmi quatre récits qui ont leur cohérence propre. Elle
l’appelle la " version française". Simultanément les nazis en ont préparé une autre.
La version allemande. Complot de la juiverie internationale qui aurait armé le bras de
Herschel Grynszpan
Elle est défendue dans la presse nazie et par un discours de Goebbels dans les jours qui suivent
l’événement. Elle n’insiste pas sur le motif invoqué, ni sur le contenu de la protestation. Pour les
nazis ce n’est pas Grynszpan qui a tiré sur un diplomate mais le "judaïsme", et sans doute aussi le
bolchévisme, qui ont tiré sur le peuple allemand. C’est pourquoi le peuple allemand s’est
spontanément livré à des représailles car cet acte ne doit pas rester impuni. Après la "Nuit de
cristal", Goebbels fera de l’attentat de Paris le premier coup de feu de la Seconde Guerre mondiale.
La nouvelle version de Grynszpan. Affaire privée, l’adolescent réglant des comptes avec
un partenaire homosexuel qui lui aurait promis de s’occuper de sa famille et aurait failli
à sa promesse
Lorsqu’il est transféré en Allemagne à l’été 1940, Grynszpan est pris en charge par la Gestapo et
déclare alors pour la première fois qu’il venait se venger de vom Rath, avec lequel il avait une
relation homosexuelle et qui lui avait promis d’aider sa famille à émigrer. Cette thèse fut reprise
par un journal en 1952, puis soutenue par des historiens s’appuyant sur de nouvelles sources,
consécutives à l’ouverture de nouvelles archives, dans les années 1980.
Goebbels entra dans une terrible colère lorsqu’il prit connaissance de cette nouvelle version. Elle
rendait impossible en effet un grand procès visant à faire des juifs les déclencheurs de la Seconde
Guerre mondiale, car il aurait fallu admettre publiquement qu’un diplomate allemand pouvait être
homosexuel ! Corinne Chaponnière laisse entendre que Grynszpan avait envisagé cette issue pour
laquelle il aurait inventé cette version. Il ne sera jamais possible de savoir ce qu’aurait pu déclarer
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le diplomate vom Rath, car il mourut dès les premiers soins que lui procurèrent les médecins nazis
dépêchés de toute urgence à Paris, alors qu’il s’était plutôt bien remis de ses blessures... Le procès
de Herschel Grynszpan n’eut jamais lieu. Herschel Grynszpan fut précieusement gardé de prisons
en camps et l’on perdit définitivement sa trace au début de l’année 1945. A la fin de la guerre
personne ne se préoccupait plus de deux de l’" affaire Grynszpan".
Manipulation des services de propagande de Goebbels
Cette version avait été donnée comme une hypothèse par le journal communiste L’Humanité après
l’événement, et fut ensuite reprise par quelques historiens d’Allemagne de l’Est. En 1936 un
premier meurtre avait été commis à Davos par un jeune juif d’origine croate contre un membre du
parti nazi. L’idée d’une punition collective des juifs, sous forme financière et sous celle d’un
pogrom, avait été alors envisagée par les responsables nazis. Mais les Jeux olympiques d’hiver
allaient s’ouvrir trois jours plus tard et il fallut freiner les ardeurs antisémites.
Il est tout à fait possible que la Gestapo ait repris ce projet en 1938, à un moment où les autorités
nazies faisaient tout leur possible pour que la communauté juive d’Allemagne émigre. L’historien
Ian Kershaw a qualifié l’attentat de Paris d’" exhaussement d’une prière". Beaucoup de témoins
furent convaincus que le pogrom déclenché en Allemagne était préparé dans les moindres détails
bien avant l’attentat.
"Une véritable leçon de méthode" et un récit captivant
Cette conférence fut passionnante : remarquablement construite, très agréablement prononcée,
captivante de bout en bout. Notre impression d’auditeur s’accorde parfaitement avec les louanges
dressées par Annette Wieviorka dans sa préface : "Avec l’auteur nous cheminons le long de ces
différents récits, examinant le prouvé, qui s’appuie sur des archives, dont beaucoup furent détruites, le
probable, le possible, l’hypothétique, le forgé. Tout en nous rappelant que l’histoire est récit, l’auteur nous
donne une véritable leçon de méthode, envisageant tous les scénarios vraisemblables. Les quatre versions
qui furent données de cette histoire ne sont pas exclusives les unes des autres et il y a pas lieu de choisir.
L’une éclaire l’autre, donnant ainsi épaisseur à cette vision vivante de l’événement en train de se
fabriquer - un fait divers aux conséquences politiques considérables. Finalement, conclut l’auteur,
quelques furent ses motivations - révolte, colère, jalousie, naïveté-, le geste de Herschel Grynszpan alerta
le monde et incita des dizaines de milliers de juifs à quitter l’Allemagne".
"Le 25 avril 1961, un vieil homme, portant barbé et kipa et se tenant très droit, fut le premier témoin au
procès d’Adolf Eichmann. C’était Zyndel Grynszpan, le père de Herschel, accompagné de son unique
enfant survivant, Mordechai Eliezer. Symboliquement, Herschel Feibel Grynszpan et son geste
inaugurèrent le récit polyphonique de l’histoire de la Shoah qui fut l’essence du procès Eichmann" (Annete
Wieviorka).
Joël Drogland
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