Travail social : un autre monde est il possible ?

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Travail social : un autre monde est il possible ?
Travail social : un autre monde est il possible ? Je ne peux m’empécher de proposer à votre réflexion un texte que j’ai rédigé il y a plus de 10 ans et que me semble complètement d’actualité. Pour autant il n’existe pas de recette magique pour avancer et quitter cet « enlisement professionnel » dans lequel – crise oblige – nous sommes plongés. Il y a des solutions : à nous de les trouver… De la chute du mur de Berlin à l’effondrement du bloc de l’Est, c’est un lieu commun de rappeler la faillite des idéologies, notamment du marxisme et de toute autre tentative d’élaborer un système organisé à partir d’une réflexion sur l’homme, ses besoins, son devenir et sa capacité à maîtriser son destin. Le seul système économique considéré comme » ayant réussi » est celui de l’économie libérale. Les conditions de vie des hommes et des femmes ne sont désormais mesurées qu’à l’aune de leur pouvoir d’achat et de leurs capacités à investir. Le modèle humain dominant reste celui de l’individu qui s’est construit » tout seul » et qui a réussi dans la vie(*1). Le fait collectif n’est de fait que la résultante d’exploits individuels mis au service d’une cause. La prééminence des lois de l’économie. Seule une idéologie demeure. Elle fait force de loi, c’est » l’économisme » avec sa fameuse loi du marché. Les règles de l’économie libérale sont désormais considérées comme naturelles et incontournables. Cette loi du marché est l’un des piliers de ce que certains appellent la » pensée unique « . Sans aucun frein ni contre pouvoir l’économie appelée désormais néolibérale met en œuvre des processus au delà des lois des Etats (*2) . Cette évolution nous renvoie à un sentiment d’impuissance qui se résume dans nos discussions par des » on n’y peut rien, ça nous dépasse » ou pire des » c’est comme ça et on ne peut pas faire autrement ».. Il devient alors logique de considérer comme » normaux et naturels » les mécanismes d’exclusion et le nombre grandissant des laissés pour compte de la société de consommation néolibérale. Les fausses bonnes réponses du travail social. En réponse à cela notre système politique et social a inventé non seulement un revenu de subsistance mais également le concept d’insertion. Marche après marche, il est proposé une mise en mouvement de la personne à travers des paliers successifs. L’objectif final étant de quitter le dispositif RSA à travers l’insertion professionnelle qui reste survalorisée par rapport à l’insertion sociale. Les finances n’ont pas manqué pour pallier l’absence d’offres d’emplois notamment chez les non-­‐qualifiés. Pourtant, les mécanismes d’exclusion continuent et le nombre d’allocataires du RSA ne cesse de croître. Afin de tenter d’enrayer le processus les services de l’Etat et les collectivités territoriales ont également inventé les dispositifs. Ils doivent permettre d’éviter le pire (comme par exemple la perte de logement) . !mais on le sait, les dispositifs sont engorgés et coûtent de plus en plus cher à l’heure des économies et des contraintes budgétaires… C’est l’impasse Insertion et dispositifs sont nos principales inventions sociales pour lutter contre l’exclusion. Pour l’instant , ils n’ont pas apporté la preuve d’une réelle efficacité pour enrayer un processus mais ils restent nécessaires. Dans cette logique, les missions demandées aux travailleurs sociaux peuvent être considérées comme impossibles(*3) . Le travail social victime de » l’économisme « L’insertion est une bifurcation du travail social(*4) nous a rappelé Michel Autès chargé de recherche au CNRS. La gestion des dispositifs en est de même. Chargé de paradoxes et d’une histoire mouvementée, » le travail social se situe au centre d’enjeux contemporains qui articulent le politique et l’économique (*5) » . Ainsi, nombreux sont celles et ceux qui ont réduit le travail social en une gestion par l’économique des victimes des mécanismes d’exclusion. Là encore le triomphe de » l ‘économisme » fait des ravages. Les secours et aides sociales sont attribués avec parcimonie et le montant du RSA nettement en dessous du seuil de pauvreté devient le maximum pour être aidé à ne pas dépasser. De l’impuissance à agir A force de mettre les travailleurs sociaux à toutes les sauces, dans une multiplicité de tâches parfois contradictoires ou dans un surnombre de prises en charge, on n’aide en rien une clarification des enjeux. C’est alors que peut apparaître le discours de l’impuissance et la perte de sens. Nombreux sont celles et ceux qui ont baissé les bras. Assumer le travail pour lequel on est mandaté, ne pas trop se prendre la tête, se protéger aussi face aux violences qu’elles soient institutionnelles ou des personnes, là aussi les ingrédients sont réunis pour que chacun à sa place, travailleur social » de base » ou encadrant, développe un discours sur cette impuissance ou du moins cette impossibilité d’agir autrement. Travail Social : un autre monde est possible La critique est facile, c’est autre chose de proposer. Alors proposons justement. Le mouvement anti mondialisation nous montre une voie : celle qui consiste à ne plus accepter la fatalité d’un monde qui nous domine et mettre en valeur tout ce qui fait la richesse et la diversité de l’humain. Il n’est pas qu’une unité de production, qu’un exclu ou un smicard… Le préalable consiste à renouer avec la pensée et à y prendre du plaisir. C’est à dire construire collectivement des façons d’agir ayant du sens aussi bien pour les professionnels que pour les personnes. Les priorités d’intervention, leurs objectifs et finalités peuvent être élaborés aussi bien entre professionnels qu’avec les bénéficiaires d’un service ou d’une prestation. 2ème objectif : Se réapproprier le travail social et en redéfinir les frontières par équipe de travail ou par service. Il s’agit par exemple de remettre à sa place la question de la gestion des dispositifs afin qu’ils ne prennent pas toute la place. Il y a aussi l’intervention sociale d’aide à la personne(*6) , (qui gardera, quoi qu’on en dise, une grande place dans le travail social). Pour autant ce n’est pas tout. Le libéralisme économique et une forme de gestion » fataliste » de l’exclusion a su se satisfaire pleinement de 2 axes d’intervention ( dispositifs + aide psychosociale individuelle et réparatrice ). Il s’agit également de construire les conditions d’une intervention sociale porteuse de sens sur des valeurs qui dépassent l’économisme. Le monde du « libre » et du « gratuit » nous montre une autre voie. Nous avons des expériences à partager sur le faire et le dire ensemble professionnels et personnes aidées. Certe c’est compliqué, c’est « insécurisant » mais il nous faut renouer avec le plaisir du partage et de la construction de réponses collectives. Le « collectif » traite du lien social. Replonger aux sources du travail social, de son éthique ne sera pas inutile pour construire de nouvelles formes d’intervention dont nous avons tous besoin…. Didier Dubasque http://dubasque.org/2014/04/24/travail-­‐social-­‐un-­‐autre-­‐monde-­‐est-­‐il-­‐possible/