actuassurance – la revue numerique en droit des assurances

Transcription

actuassurance – la revue numerique en droit des assurances
ACTUASSURANCE – LA REVUE NUMERIQUE EN DROIT DES ASSURANCES
Publication n° 24 JANV-FEV 2012
Cass. 2ème civ., 13 janv. 2012, n° 11-11.350
Assurance vie
Demande de rachat – signature de la demande différente de celle du contrat – versement
par l’assureur sans vérification – faute de l’assureur (oui)
Obs : l’assureur qui procède à un versement de fonds à la suite d’une demande de rachat
sans vérifier l’identité des signatures figurant respectivement sur le contrat et la demande
de rachat commet une faute qui engage sa responsabilité.
Il arrive parfois que les juges du fond éprouvent une certaine réticence à appliquer la règle de
droit. Tel est le cas lorsque celle-ci conduit à un résultat qui semble indésirable au regard des
circonstances de fait. Ils recherchent alors des correctifs, le plus souvent inspirés de l’équité,
qu’ils tentent de dissimuler par un argumentaire juridique. Ce tour de passe-passe trouve
cependant rarement grâce aux yeux de la Cour de cassation.
En l’espèce, un époux avait souscrit en 1995 une assurance vie, à son profit et à celui de son
épouse. En 2002, celle-ci avait demandé, par un document signé de sa main, la perception de
la valeur de rachat et l’avait obtenue. L’époux souscripteur, informé de ce rachat dès 2003,
n’avait engagé aucune démarche pour se faire rembourser par son épouse. Il assignait
l’assureur en 2007 et réclamait le paiement du capital et des dommages et intérêts. Entre
temps, le divorce avait été prononcé sans que le souscripteur mentionne l’existence du contrat
d'assurance vie lors des opérations de liquidation de la communauté ni la valeur de rachat
illégitimement perçue par son ex-épouse.
La Cour d’appel avait débouté le souscripteur. Si elle estimait la faute de l’assureur
caractérisée, en ce que celui-ci n’avait pas vérifié la signature de l’auteur de la demande de
rachat, alors que seul le souscripteur a qualité pour procéder à un rachat du contrat, elle
contestait en revanche le lien de causalité entre cette faute et le préjudice invoqué par le
souscripteur. En effet, elle estimait que celui-ci était l’auteur de son propre préjudice dans la
mesure où d’une part, il avait tardé à agir – argument peu pertinent – et d’autre part –
argument davantage pertinent – il avait laissé le préjudice se réaliser alors qu’il aurait pu être
neutralisé à l’occasion des opérations de liquidation de la communauté. La Cour indique
d’ailleurs in fine que s’agissant d’un bien commun, la prise en compte du capital aurait dû
augmenter la masse commune à partager. En d’autres termes, aux yeux de la Cour d’appel, le
préjudice allégué n’avait d’existence que parce qu’aucun compte n’avait été tenu de
l’assurance vie.
L’arrêt est cassé assez sèchement : « en statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses propres
constatations que la faute de l’assureur était en lien direct et certain avec la remise des fonds
à l’épouse, la cour d’appel a violé l’article 1147 du Code civil ».
Cette solution doit être approuvée. Elle a le mérite de permettre la sanction du comportement
négligeant de l’assureur et témoigne ainsi de la fonction régulatrice de la responsabilité civile.
Elle confirme également, de manière implicite, qu’en droit français, la victime n’est pas tenue
de limiter son dommage dans l’intérêt du responsable. Ainsi, l’assureur ne saurait s’abriter
derrière le comportement certes contestable du souscripteur au moment de la liquidation de
son régime matrimonial, pour ne pas assumer les conséquences de sa faute (il n’est au
demeurant pas exclu que le silence à propos de l’assurance vie ait été inspiré par l’assureur
sur lui-même ou ses intermédiaires, qui au moment de la souscription ont certainement vanté
le caractère « hors succession » de l’assurance vie). En conséquence, l’assureur aura payé
deux fois : une fois lors du rachat illégitime, une seconde fois lorsque le juge l’y condamnera.
La sanction pourra paraître un peu lourde. Cependant, rien n’interdisait à l’assureur d’agir en
répétition contre l’ex-épouse, ayant reçu sans droit la valeur de rachat. Le temps ayant fait son
œuvre, il est désormais trop tard : l’action est prescrite. Où l’on voit que le reproche
d’attentisme adressé au souscripteur se retourne in fine contre l’assureur.
M. Robineau
L’arrêt :
Sur le moyen unique, pris en ses deuxième et quatrième branches :
Vu l’article 1147 du code civil ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que, le 29 décembre 1995, M. X... a souscrit auprès de la
société UAP assurances, aux droits de laquelle vient la société Axa France vie (l’assureur), un
contrat d’assurance sur la vie à son profit et à celui de son épouse, Mme Y... ; que cette
dernière, le 15 juin 2002, a demandé et obtenu le versement à son profit du capital prévu au
contrat ; que lui reprochant d’avoir commis une faute en versant les fonds à son épouse sans
ordre de sa part, M. X..., le 25 mai 2007, a assigné l’assureur devant un tribunal d’instance en
paiement du capital représentatif du contrat et de dommages-intérêts ;
Attendu que pour débouter M. X... de ses demandes, l’arrêt énonce qu’il apparaît par
comparaison entre le contrat d’adhésion et la demande de rachat que les signatures figurant
sur ces documents sont distinctes ; que l’assureur, en ne vérifiant pas la signature de l’auteur
de la demande de rachat, a commis une faute de nature à engager sa responsabilité envers M.
X... qui avait seul qualité pour procéder à un rachat du contrat ; que cependant cette faute
n’est pas la cause directe de son préjudice ; qu’en effet, avisé dès le 21 novembre 2003 du
rachat du contrat litigieux, celui-ci n’a effectué aucune démarche pour se faire rembourser par
son épouse le montant de ce contrat ; que bien plus, dans le procès-verbal d’ouverture des
opérations de liquidation de la communauté, M. X... n’a pas mentionné le capital retiré par
son épouse et a au contraire indiqué qu’il n’existait aucun contrat d’assurance sur la vie ; qu’il
n’a fait aucune allusion au capital ainsi détourné par son ex-épouse alors même que
l’ensemble des biens communs permettait largement d’assurer le remboursement de cette
somme à son profit ; qu’il a dès lors lui-même provoqué le préjudice dont il demande
réparation, étant observé que, s’agissant d’un bien commun, les fonds tombaient dans la
communauté ;
Qu’en statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses propres constatations que la faute de l’assureur
était en lien direct et certain avec la remise des fonds à l’épouse, la cour d’appel a violé les
dispositions du texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 5 février 2010, entre les
parties, par la cour d’appel de Poitiers ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans
l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour
d’appel de Bordeaux ;

Documents pareils