Amateurs : un amendement de dernière minute
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Amateurs : un amendement de dernière minute
Amateurs : un amendement de dernière minute Adoption de l’article 11A de la loi LCAP à l’Assemblée nationale, le 21 mars L’encadrement des prestations publiques des pratiques artistiques en amateur était régi, hier encore, par un texte datant de 1953 et depuis longtemps inadapté à la réalité contemporaine de ces pratiques. D’où une forte incertitude juridique qui fragilisait les amateurs et inquiétait les professionnels. La loi LCAP aura été l’occasion d’une longue concertation qui a abouti en dernière minute, le 21 mars, à des dispositions législatives qui ont fait l’unanimité chez les députés, nombreux à se mobiliser sur une question très sensible pour la vitalité des territoires. La ministre a rappelé que les pratiques en amateur concernent au moins 12 millions de Français. quelques jours avant l’examen en séance publique du projet de loi LCAP, la CGT-Spectacle a transmis au Gouvernement des propositions d’amendements sur l’article traitant la question des prestations publiques des pratiques artistiques en amateur. En effet, la version adoptée par le Sénat (1er mars), et très légèrement modifiée par les députés de la commission culture de l’Assemblée nationale, comportait des éléments suscitant une forte inquiétude chez les professionnels L’article 11A présente trois paragraphes. Le premier reconnaît les pratiques en amateur et les définit comme « toute personne qui pratique seule ou en groupe une activité artistique à titre non professionnel et qui n’en tire aucune rémunération ». Il fait consensus depuis le début. Ce qui n’est pas le cas des deux autres. Paragraphe II : la « part » des recettes ? C’est la question de la destination des recettes générées par les spectacles en amateur. Une fois admise l’autorisation d’ouvrir une billetterie, où va l’argent ? Au départ, le projet de loi distinguait deux utilisations possibles, mais n’en précisait qu’une. « La part de la recette attribuée à l’amateur ou au groupement d’amateurs sert à financer leurs activités et, le cas échéant, les frais engagés pour les représentations concernées. » Que la billetterie serve à défrayer les artistes en amateur (et non à les rémunérer) et à soutenir leurs activités ne pose de problème à personne. Mais qu’en est-il de “l’autre part” implicitement supposée par la formulation ? Sans précision, cette somme peut servir à bien des choses. Lors des très nombreux débats des parlementaires, il avait ainsi été souligné que certains spectacles en amateur avaient pour objectif d’abonder des fonds pour des initiatives d’intérêt général (l’exemple était notamment celui des Restos du Cœur, ou encore d’une réhabilitation patrimoniale). Mais des dérives commerciales sont aussi envisageables… D’où cet amendement proposé par la CGT-Spectacle (syndicat d’employés) et qui va également dans le sens des contributions de la FEPS (fédération nationale des employeurs du spectacle) : « La mise en place d’une billetterie payante, la recette de billetterie servant exclusivement à financer le coût du spectacle et les activités du groupement d’amateurs. » Si le « exclusivement » n’a pas été retenu par le Gouvernement et, à sa suite, par les députés, en revanche, la notion « d’une part » a disparu. Formulation adoptée : « La recette attribuée à l’artiste amateur ou au groupement d’artistes amateurs sert à financer leurs activités, y compris de nature caritative, et, le cas échéant, les frais engagés pour les représentations concernées. » Explication de la ministre : « Les groupements d’artistes amateurs peuvent, grâce à cette rédaction, verser tout ou partie de leurs recettes aux organisateurs qui ont fait appel à eux pour leur spectacle », à condition que ces organisateurs aient une visée caritative. La Lettre d’Echanges n°143 mars 2016 FNCC Amateurs : un amendement de dernière minute Adoption de l’article 11A de la loi LCAP à l’Assemblée nationale, le 21 mars Par ailleurs, la version finale du paragraphe II résout un autre problème, celui des festivals de pratique en amateur. En stipulant que la représentation en public d’une œuvre par des amateurs organisée dans un cadre non lucratif, « y compris dans le cadre de festivals de pratique en amateur », ne relève pas du Code du travail, la ministre a su satisfaire en particulier les demandes fortes du Festival du Puy du Fou mais aussi des Bagadous bretons dont les pressions ont été continues tout au long du processus parlementaire. Peut-être faut-il préciser ici le cas, très courant, de l’emploi de professionnels par des amateurs : peut-on considérer que, quand une chorale embauche un orchestre professionnel pour l’accompagner ou encore qu’un spectacle en amateur s’ajoute les compétences de techniciens professionnels, il s’agit d’un usage de la billetterie pour financer les activités des amateurs ? Sans doute car ce cadre est non lucratif. Paragraphe III : spectacles “mixtes”. C’est le nœud du problème. Comment répondre au désir légitime des amateurs de se produire avec des professionnels sans que, ce faisant, s’installent des pratiques illégales consistant pour un producteur à employer des artistes sans les rémunérer ? Comment concilier, dans un environnement professionnel, le principe intangible de la présomption de salariat et le cadre non lucratif de l’activité des amateurs ? La contradiction est inévitable. La ministre l’expose ainsi : « Ce texte a pour ambition de reconnaître la pratique des amateurs, de la sécuriser, en traçant une ligne de partage entre elle et ce qui pourrait s’apparenter à un détournement, lorsque la présomption de salariat est écartée pour favoriser le travail illégal. Cette ligne n’a pas été facile à trouver. » La solution choisie sera audacieuse. Suivant en cela un amendement proposé par les professionnels, la présomption de salariat est intégralement réaffirmée : « Toute personne qui participe à un spectacle organisé dans un cadre lucratif relève du Code du travail et reçoit une rémunération au moins égale au minimum conventionnel du champ concerné. » Ce qui est, pour les professionnels une avancée majeure, avec sans doute trois conséquen- ces : rendre plus coûteux le montage d’un certain nombre de spectacles, mais en revanche favoriser l’emploi artistique et combattre l’emploi illégal. L’autre partie de la solution est plus classique. Elle était déjà en germe dans la version des sénateurs, mais son inscription dans la loi lui donne une forte légitimité : tout producteur recourant à des amateurs doit, soit avoir inscrit dans ses statuts une « mission d’accompagnement de la pratique en amateur ou de projets pédagogiques, artistiques ou culturels ou de valorisation des groupements d’artistes amateurs », soit s’engagger sur cette même mission dans une convention établie entre la structure et l’Etat ou les collectivités territoriales. Si l’option de la convention constitue une garantie solide, certains émettent des réserves sur l’autre – l’inscription dans les statuts. Pour la FEPS, cette possibilité peut « fragiliser le dispositif en l’ouvrant à des acteurs n’offrant pas nécessairement toutes les garanties professionnelles et les mêmes responsabilités sociales ». Pour sa part, la CGT avait plaidé pour l’institution d’une “commission administrative”, présidée par l’Etat, avec des représentants collectivités, des professionnels et des amateurs, dont la mission aurait été le suivi de la réglementation sur les pratiques en amateur. Ce qui n’a pas été retenu. Enfin, il y a la question du nombre de représentations mixtes autorisées. Ce nombre sera décidé par voie réglementaire, car, a expliqué la ministre, « il faut bien, à un moment donné, objectiver les choses. Le partage doit être fait entre ce qui est professionnel et amateur, et un chiffre adapté permettra de faire manifestement la différence », ajoute-t-elle en se référant à ce propos du président de la commission culture, Patrick Bloche, plaidant pour la renaissance de chorales professionnelles : « Vive les chorales d’amateurs, bien entendu, mais, étant comme vous tous soucieux d’équilibre, je ne voudrais pas que disparaissent les chorales professionnelles ! Permettre aux chorales d’amateurs de participer à des spectacles dans un cadre lucratif est une chose. Mais parallèlement, la politique musicale du Gouvernement pourrait opportunément encourager une nouvelle dynamique pour les chorales professionnelles. » La Lettre d’Echanges n°143 mars 2016 FNCC