seth green

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seth green
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LA VIE AQUATIQUE
DES LARVES ET NYMPHES DE SIMUL1DES
L'INTÉRÊT POSSIBLE DE CES DIPTKKES EN ÉCONOMIE PISCICOLE
par P. G R E N I E R
Assistant à l'Ifistilut Pasteur (1)
Les Diptères constituant la famille des Simulidés sont, à l'état adulte,
de
minuscules
insectes
noirs,
dont
la
taille
n'excède
pas,
chez
les
espèces les plus grosses, 5 à 6 millimètres. Leur aspect général (corps
trapu, ailes larges et claires., antennes courtes et glabres) rappelle plus
une m o u c h e qu'un moustique ; aussi le non-initié les" désigne-t-iJ,
non
sans q u e l q u e vraisemblance, >!ous le nom de « moucherons ».
En diverses contrées, ceux-ci jouent, d'ailleurs,
un rôle
économique
indéniable. Apparaissant en essaims considérables à certaines époques de
l'année e t principalement au printemps, leurs femelles
p i q u e n t sauva-
gement le bétail, q u i périt en grande quantité en raison de la "-toxicité
de la salive injectée. C'est ainsi q u ' u n e d e ces Simulies, la « m o u c h e
de GOLOUBATZ », est bien connue dans les p a y s de l'Europe centrale,
proches d u Danube, o ù 'elle occasionne parfois des dégâts importants.
Ajoutons encore q u e des espèces coloniales o u américaines o n t un intérêt
médical
et
vétérinaire,
car elles
assurent
la
transmission
de
germes
pathogènes.
Mais, si nous ne p o u v o n s qu'indiquer ici, très brièvement, les problèmes
ainsi posés, par contre u n autre aspect de la biologie de ces Diptères v a retenir notre attention : leurs stades larvaires èt n y m p h a u x se passent, en effet,
dans l'eau et, exclusivement, dans les eaux courantes,
parfois très agitées et
toujours bien oxygénées. Ils se trouvent là en rassemblement souvent très
considérables et peuvent, par conséquent, constituer u n apport n o n n é g l i geable dans l'alimentation de certains poissons c o m m e les Salmonidés.
La S i m u l i ç femelle dépose sa ponte sur des supports variés, pierres o u
feuilles
M
immergées, et toujours très près d e la surface de l'eau. 8es œ u f s ,
(î) n m'est très agréable de remercier ici M. le Conservateur VIVIER, Directeur
°
<*le d'hydrobiologie appliquée et Aï. ANGEL, du Muséum national
"Moire Naturelle, pour les renseignements et l'aide qu'ils ont bien voulu m'acS t
t i o n
Centr
Article available at http://www.kmae-journal.org or http://dx.doi.org/10.1051/kmae:1946006
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très petits (o m m . ,
i
à o mm.,
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—
3 ) sont de forme caractéristique ; ils
apparaissent, en effet, c o m m e triangulaires l o r s q u ' o n les e x a m i n e par leur
face la plus
l a r g e . Une
gelée
gluante
les
colle
au
support, (fig.
Les pontes, de couleur rouille lorsqu'elles v i e n n e n t d'être déposées,
i-).
ne
lardent pas à b r u n i r . Elles constituent s o u v e n t des amas considérables a u x quels de nombreuses femelles p e u v e n t collaborer.
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•
1
FIG. 1. — A. — Œufs de Simulium. — B. — Larve au dernier stade. — C. ~r- Tête de la larve vue
dorsalement. — D. — Nymphe dans son cocon.
p : — pseudopode antérieur ; — dp : — disque de fixation ; — tp : — appareil de capture ; —
fr : — filaments respiratoires de la nymphe.
D e s œ u f s naissent de petits o r g a n i s m e s , m e s u r a n t e n v i r o n o,5 à 0,9 m i l limètres, mais tout-à-fait comparables a u x larves les p l u s âgées, d o n t lo
taille peut atteindre j u s q u ' à 1 1 et 12 m i l l i m è t r e s , c h e z les espèces les p l u s
grosses. L e s larves se dressent verticalement d a n s le c o u r a n t a u q u e l elles
résistent grâce à u n appareil de fixation très p u i s s a n t , constitué p a r u n e
c o u r o n n e de forts crochets, disposés c o n c e n t r i q u e m e n t à la partie t e r m i nale d e l'abdomen. Elles possèdent, en o u t r e , à la face ventrale d u p r o thorax, une fausse-patte p l u s o u m o i n s retractile et m o b i l e , g a r n i e à son
extrémité d'une couronne de crochets, identiques à ceux d u disque pos-
térieùr. La
fixation
n'est que temporaire cl la larve peut se
sur le support en exécutant des mouvements
déplacer
semblables à ceux
d'une
chenille arpenteuse ; se fixant par la partie antérieure au m o y e n de la
fausse-patte,
rieure,
elle décroche,
par un
effort violent,
son
extrémité
posté-
qu'elle ramène contre là bouché, à l'endroit où elle à déposé une
goutte de sa salive visqueuse qu'elle utilise si fréquemment au cours de
v
sa vie. Elle peut, alors, p a r l e m ê m e mécanisme, exécuter un autre m o u vement « en boucle » ou se dresser verticalement. La l a r v e , vient-elle à
perdre sa fixation ? Elle n'est pas p o u r c e l a irrémédiablement emportée
p a r le courant rapide : en étirant la sécrétion de ses volumineuses glandes
salivaires, elle réalise, en effet, une véritable amarre, préalablement
fixée
au support et qui la reliera à lui ; il suffit de secouer dans l'eau d'un
ruisseau, une feuille recouverte dé larves pour assister à leur lente remontée contre le courant : chacune, le coçps bien allongé, se hisse le l o n g de
son fil et revient, d'un m o u v e m e n t presque insensible, se fixer à l'endroit
qu'elle avait dû abandonner.
Les larves présentent une autre caractéristique : il s'agit d'un appareil
de capture q u i leur donne un aspect tout particulier. Ce dispositif se com-'
pose de deux panaches céphaliques, constitués chacun par 20 S u 3o longues
soies, disposées c o m m e les branches d'un éventail pouvant se fermer et"se
rabattre vers les pièces buccales. Un tel appareil, ouvert presque constamm e n t dans le courant, retient toutes les particules que l'eau transporte ;
aussi
le
régime alimentaire
des
larves
de
Simulies
est-il
très
éclec-
tique. Le contenu du. tube" digestif révèle, en effet, la présence de n o m - ,
breux détritus végétaux : fragments de feuille, grains de pollen,
spores.de
C h a m p i g n o n s , ainsi que diverses algues microscopiques, n o t a m m e n t des
Diatomées.
Lorsque la larve a atteint sa taille définitive, elle procède, a v a n t de subir
sa dernière mue, au tissage d'un cocon. Celui-ci, ouvert à l'extrémité antérieure, est bien fermé à la partie postérieure opposée, au courant. Il se
présente sous des aspects un peu différents : chez certaines espèces, il a
la forme d'une simple poche dont Fouverture semi-circulaire peut se compliquer d ' u n processus dirigé vers l'avant ; chez d'autres il est en forme
de « chaussure ». Lorsque le tissage est achevé, la larve, curieusement disposée en U, subit sa dernière m u e à l'entrée du cocon, dans lequel la
n y m p h e s'enfonce à peu près complètement. Celle-ci, qui v a vivre, c o m m e
la larve, entièrement submergée, doit prendre dans l'eau l ' o x y g è n e nécessaire à sa respiration ; une teile extraction est assurée p a r le m o y e n
d'une paire de
filaments
branchiaux, sortant du cocon,
plus ou
moins
grêle9 et diversement ramifiés suivant les espèces (fig. D ) . Après quelques
jours de cette vie, l ' i m a g o r o m p t la .cuticule n y m p h a l e et, enclos
dans
une bulle d'air, g a g n e rapidement la surface d'où il s'envole presque i m médiatement.
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Les larves cl les nymphes de Simulium
—
sont d o n c des formes étroitement
spécialisées, appartenant à cet ensemble d'organismes constituant la faune
des eaux
courantes. Aussi, allons nous essayer de préciser m a i n t e n a n t
quel rôle elles peuvent jouer vis-à-vis de certains poissons, v i v a n t dans le
m ê m e milieu.
On
sait q u ' a u x Etats-Unis un poisson très c o m m u n appartenant à la
famille des Catostomidae, le Catostdmus
de'white
sucker o u common
commersonii,
c o n n u sous le n o m
sucker est, dans les rivières du S a s k a t c h e w a n ,
un grand ^destructeur de S. articum,
dont il se nourrit presque exclusive-
ment. L a situation ventrale de sa bouche c i r c u l a i r e , p o u r v u e de lèvres
charnues expliquerait ce comportement : pour capturer les S i m u l i e s ,
le
poisson, doit, en effet, « brouter » les supports, face inférieure des feuilles
ou pierres immergées, sur lesquels elles se tiennent (CAMBRON, 1922).
On s'est demandé, également, si ces larves et ces n y m p h e s entraient
dans l'alimentation des Salmonidés. Deux auteurs a l l e m a n d s considèrent
qu'elles jouent à cet égard un rôle non négligeable. A i n s i K u r t SMOLIAN
(1920) affirme qu'elles sont pour ces poissons
u n e excellente nourriture
dans les cours d'eau froide et A . W I L L E U (1924) écrit qu'elles, peuvent être
d'une grande importance lorsqu'elles sont particulièrement
abondantes.
Cependant d'autres auteurs ne sont pas aussi catégoriques. L'entomologiste anglais F . W . EDNVAHDS (1920), notamment, rapporte q u ' i l a toujours
trouvé tiès peu de larves et nymphes de Simulium
dans, les estomacs de
Truite, excepté cependant chez un seul exemplaire o ù la récolte s'est m o n trée particulièrement abondante. Il s'agissait d ' u n e espèce encore inconnue Simulium
trodecimoHum, qui ne semble pas avoir été trouvée depuis
en .abondance, ce qui laisse supposer qu'elle se t i e n t j d a n s des conditions
très spéciales, probablement dans des gîtes d'accès difficile, o ù la Truite
sait les découvrir. L'auteur anglais note, en outre, q u e ce sont le plus
souvent des individus adultes, principalement des m â l e s de S. omalum
S. equinum,
Ces
et
que l'on trouve chez ce poisson.
quelques
indications
sont précisées
dans
l ' i m p o r t a n t e thèse
de
STANKOWITCH (1922). Il ressort, on le sait, de c e travail, au cours duquel
o n t été examinées de nombreuses Truites p r o v e n a n t des torrents alpins
français, que la base de l'alimentation de ces S a l m o n i d é s est constituée,
en hiver et au printemps (ainsi q u e pendant u n e partie d e l'automne), par
les larves d'insectes aquatiques. Pendant la période estivale par contre, les
contenus stomacaux présentent la- m ê m e variation, q u e la faune aquatique ;
les larves aquatiques sont extrêmement peu a b o n d a n t e s alors q u e l'apportexogène, constitué d'insectes aériens, a u g m e n t e considérablement.
donc, très probablement chez
C'est
les Truites capturées l'été, qu'EDWARDs a
découvert une quantité appréciable d'imagos
de Simulium.
Il apparaît, en
outre, que, pendant toute la période où elle se nourrit de larves aquatiques, la Truite sélectionne
sa nourriture. C e q u ' e l l e semble rechercher
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19 —
particulièrement ce "sont les larves de Trichoptèrcs, Ephéméroptèrcs, Plécoptères et Diptères, q u i apparaissent dans les contenus stomacaux dans la
proportion d e 88 !%, sur lesquels 20 % seulement reviennent a u x seules
larves de Diptères. S i l'on examine de plus près les chiffres donnés pour
ces dernières, o n constate que les larves et n y m p h e s de Simulium
trouvées chez presque tous les individus examinés, mais en
o n t été
faible.quan--
tité : les chiffres étant en général inférieurs à 10, alors que le n o m b r e des
larves de Trichoptères atteint 200 chez certains individus. Un seul e x e m plaire faisait cependant exception, il contenait 60 larves et. 1 n y m p h e de
Simulium
pour 10 larves de Perlides, 7 larves d'Ephémères et 9 de T r i -
choptères.
Par
conséquent.malgré leurs populations considérables,
grande densité
coïncide
précisépxcnt
avec l'époque
dont
la
de grande activité
plus
nutri-
tive de la Truite, ces Diptères n'entrent que de façon tout-à-fait occasionnelle dans l'alimentation de ce poisson. P o u r quelle raison ? O n n e peut
songer à i n v o q u e r le fait q u e les larves de Simulium
sont accrochées puis-
s a m m e n t au support par le moyen d'un dispositif très efficace : en effet,
elles se trouvent parfois en grande abondance dans certains estomacs examinés ce q u i semble i n d i q u e r que, lorsque la Truite n'a pas d'autres proies
à sa portée, elle sait fort bien s'adresser à.ces organismes fixés et détruire
complètement toute u n e population. D e plus, elle réussit aussi à arracher
des pierres, d'autres larves de Diptères,
c o m m e celles des Liponeura,
de Dicranota.
fixées
au m o y e n de
ventouses
o u de crochets, c o m m e celles d'Alhcrix
et
P a r conséquent, la seule interprétation admissible est bien
celle d e L . LÉGER (191 I ) et STANKOVITCH (1932), suivant laquelle la Truite
semble préférer les proies se déplaçant activement et qu'elle peut happer
au passage.
Mais l'intérêt alimentaire de ces
Diptères n'est pas le seul et il
nous
faut ici, signaler d'autres particularités, encore imparfaitement connues,
bien que signalées depuis fort longtemps, et q u i mériteraient peut-être
d'attirer l'attention. E n 1870, u n pisciculteur américain répondant au n o m
de Seth GREEN signalait q u ' u n « petit ver » constituant la nourriture favorite des Truites et d'autres poissons, était aussi l ' u n des e n n e m i s les plus
redoutables des très jeunes alevins, qu'il capturait au m o y e n d ' u n
filet,
c o m m e les araignées le font pour les mouches. L'auteur décrivait le tissage de ce filet et la prise de petits alevins possédant encore leur sac o m b i lical. Les fils de soie se collaient aux nageoires, autour de la tête et des branchies, e n g l u a n t les poissons qui mouraient ainsi empêtrés. L ' e n t o m o ' giste RILEV, peu après identifiait le « ver » c o m m e la larve d'une S i m u l i e
qu'il appelait S. piscidium.
La m ê m e année S. J . MAC BRIDE réfutait l'ob-
servation de SETH GREEN, q u e RILEY au contraire, estimait c o m m e très
plausible puisque la larve de Simulie était effectivement capable de tisser,
à tout m o m e n t , un réseau de fils de soie. Les choses en restèrent là j u s q u ' à
20
une observation relativement récente de BRADT ( i g 3 2 ) et faite d a n s le m ê m e
sens : des larves de Simulie, en a q u a r i u m , o n t été v u e s , à plusieurs reprises, entourant de leurs fils des n y m p h e s d ' E p h é m è r e , q u i ,
finalement
embarrassées dans le réseau gluant, mouraient u n e d o u z a i n e d ' h e u r e s p l u s
tard, abandonnées par les Simulies. C e c o m p o r t e m e n t m e s e m b l e très vraisemblable, car j'ai fréquemment constaté m o i - m ê m e q u e des larves de
S., costatum
et S. ornatmn,
dans les mêmes c o n d i t i o n s ,
se
défendaient
a c t i v e m e n t . et non d'une façon purement fortuite et p a s s i v e c o n t r e
les
G a m m a r e s qui, les pattes embarrassées, t o m b a i e n t très vite a u fond d u
récipient et ne parvenaient à se d é g a g e r q u ' a u b o u t de q u e l q u e s instants
(P. GRENIER, 1944).
Ces diverses observations montrent donc q u e les larves de
Simulium
savent utiliser leur sécrétion salivaire c o m m e m o y e n de défense. Les o b servations
anciennes
de Seth
GREE.N ne
sont
peut-être pas i n v r a i s e m -
blables et il ne faudrait pas 0 priori écarter tonte idée d ' i n t e r v e n t i o n de ces
larves dans la destruction de très jeunes alevins. Bien e n t e n d u , ce rôle doit
être ramené à ses justes proportions ; il est i n f i n i m e n t p r o b a b l e en effet
que si les Simulies constituaient u n danger sérieux p o u r les T r u i t e s , o n n e
l'ignorerait pas. Cette particularité de leur activité est c e p e n d a n t d ' u n certain intérêt biologique et mériterait de susciter e n c o r e d'autres o b s e r v a tions.
C e sont là, brièvement esquissés, quelques aspects de la b i o l o g i e larvaire
de ces Diptères. Ils nous ont semblé pouvoir retenir l'attention de t o u s c e u x
qui o n t la passion des eaux courantes, ainsi q u e de leur r e m a r q u a b l e faune
dont l'étude est si attachante.
niBL
IOGRAPHIE
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