Tribunal administratif

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Tribunal administratif
Tribunal administratif
du Grand-Duché de Luxembourg
N° 16979 du rôle
Inscrit le 19 septembre 2003
Audience publique du 8 mars 2004
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Recours formé par Monsieur ..., …
contre une décision du ministre des Transports
en matière d'immatriculation de véhicule automoteur
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JUGEMENT
Vu la requête déposée le 19 septembre 2003 au greffe du tribunal administratif par
Maître Jean-Paul NOESEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à
Luxembourg, au nom de Monsieur Richard Kurt, dit ..., ingénieur, demeurant à L-…, tendant
à l’annulation d’une décision du ministre des Transports portant refus implicite d'immatriculer
le véhicule militaire "Armored car M8" de marque FORD, numéro de châssis ..., ce refus se
dégageant du résultat du contrôle technique effectué le 14 mai 2003 n'autorisant la mise en
circulation du véhicule que sous le couvert de plaques rouges;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal
administratif le 19 décembre 2003;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 14 janvier
2004 au nom du demandeur ...;
Vu les pièces versées en cause;
Ouï le juge rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Jean-Paul NOESEN et
Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.
----------------------------------------------------------------------------------------------------------------Par lettre du 5 août 1998, Monsieur ... sollicita l'immatriculation du véhicule militaire
"Armored car M8" de marque FORD, numéro de châssis ....
Par courrier du 19 août 1998, le ministère des Transports, tout en rendant Monsieur ...
attentif au fait que le véhicule en question ne satisfaisait pas à certaines exigences techniques
à respecter pour une immatriculation, l'invita à présenter le véhicule au service "Agréation" de
la Société nationale de contrôle technique à Sandweiler.
Suite à cette inspection, Monsieur ... fut informé, par lettre du 6 juin 2000, que son
véhicule pouvait être mis en circulation à condition d'être couvert de plaques rouges,
conformément à l'article 65 modifié de l'arrêté grand-ducal modifié du 23 novembre 1955
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portant règlement de la circulation sur toutes les voies publiques, ci-après dénommé "code de
la route."
Suite à une demande tendant à se voir communiquer les raisons exactes du refus d'une
immatriculation normale de son véhicule, Monsieur ... se vit informer, par lettre du 8
septembre 2000, que suivant les définitions du chiffre 15° de l'article 2 du code de la route,
son véhicule est à considérer comme "véhicule de combat, c.-à-d. un véhicule spécial de
l'Armée et ne répond donc pas à la notion de véhicule routier soumis à l'obligation d'être
immatriculé au sens de l'article 92 du Code de la Route."
Par requête déposée le 20 septembre 2002, Monsieur ... introduisit un recours en
annulation contre la décision de refus implicite du ministre des Transports d'immatriculer son
véhicule militaire.
Par jugement du 26 mars 2003, le tribunal administratif retint que le véhicule litigieux
n'était pas à considérer comme véhicule spécial de l'Armée au sens du code de la route mais
comme véhicule automoteur au sens de l'article 2, 9° du même code et comme tel sujet à
immatriculation. Le tribunal constata par ailleurs que le véhicule en question ne remplissait
pas les exigences résultant des articles 24, alinéa 2 (parties saillantes, pointues ou coupantes),
41 (indicateurs de direction), 42 et suivants (éclairage) et 46 et suivants (champ de visibilité)
du code de la route, de sorte que les défauts en question, énumérés dans la lettre ministérielle
du 19 août 1998, constituaient une base légale suffisante pour refuser l'immatriculation du
véhicule et débouta Monsieur ... de sa demande d'annulation du refus d'immatriculation du
véhicule. Le tribunal souligna encore que la proposition du ministre de munir le véhicule de
plaques rouges ne constituait pas la reconnaissance de l'absence de caractère dangereux du
véhicule ou de son aptitude à faire l'objet d'une immatriculation ordinaire, mais bien au
contraire, le constat que le véhicule présentait des spécificités le rendant inapte à être
immatriculé en vertu des autres dispositions du code de la route.
Le 14 mai 2003, Monsieur ... présenta de nouveau le véhicule au service
d'immatriculation. Le certificat de contrôle technique délivré le même jour précise que le
véhicule ne peut être mis en circulation que sous le couvert de plaques rouges, tout en relevant
comme "points à surveiller" le champ de visibilité qualifié d'insuffisant et la présence de
parties respectivement saillantes ou coupantes.
Par requête déposée le 19 septembre 2003, Monsieur ... a introduit un recours en
annulation contre ladite décision.
Il entend se baser sur la motivation du jugement du tribunal administratif du 26 mars
2003 ayant retenu que l'immatriculation du véhicule ne pouvait pas être refusée au motif qu'il
se soit agi d'un véhicule de l'Armée, mais seulement en raison de ses défauts techniques. Or
ceux-ci auraient été entre-temps éliminés dans une mesure raisonnable, ainsi qu'en
témoignerait le certificat de contrôle technique qui n'aurait pas considéré le véhicule inapte à
la circulation en raison de manquements graves, mais se bornerait à mentionner certains
"points à surveiller." – En ordre subsidiaire, il invoque un détournement de pouvoirs de la
part de l'administration qui tendrait à empêcher la circulation d'un véhicule "qui ne plaît pas."
Le délégué du gouvernement soulève l'irrecevabilité du recours pour défaut d'intérêt
dans le chef du demandeur. Le véhicule aurait été immatriculé, un certificat de contrôle
technique valable jusqu'au 14 mai 2005 ayant été délivré. Il concède que le certificat contient
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un certain nombre de "points à surveiller", dont celui que le véhicule doit être muni de
plaques rouges, sans que cette mention constitue un empêchement à la circulation.
Au fond, il estime que le véhicule, n'appartenant pas à l'Armée, ne saurait être
immatriculé comme véhicule spécial de l'Armée ainsi que le prévoit l'article 96 du code de la
route. Classifié comme véhicule spécial de l'Armée mais n'appartenant cependant pas à celleci, le véhicule ne saurait être immatriculé au sens de l'article 92 du code de la route, sauf à
rentrer dans les exceptions prévues par les articles 49 du même code (véhicules conçus selon
des techniques nouvelles), hypothèse à exclure en l'espèce, et 65 (possibilité d'autorisation,
par décision individuelle et à titre exceptionnel du ministre des Transports, d'utiliser des
plaques rouges pour des besoins spéciaux non spécifiés par les dispositions définissant l'usage
normal des véhicules). En permettant à Monsieur ... l'utilisation de plaques rouges, le ministre
aurait fait une application exacte de la loi.
Le moyen d'irrecevabilité pour défaut d'intérêt, du fait que Monsieur ... ne s'est pas vu
refuser l'immatriculation de son véhicule est à rejeter. Il est vrai que c'est à tort que celui-ci
soutient que l'octroi de plaques rouges empêche une immatriculation d'un véhicule. En effet,
l'article 92, alinéa 3 du code de la route permet l'immatriculation de véhicules munis de
plaques rouges, sauf que la carte d'identité spéciale délivrée par le ministre des Transports
remplace la carte d'immatriculation. En revanche, l'immatriculation moyennant l'octroi de
plaques rouges ne confère pas autant de droits qu'une immatriculation ordinaire telle que
prévue par l'article 92, alinéa 1er du code de la route. En effet, en vertu de l'article 65 du code
de la route, abrogé par l'article 19 du règlement grand-ducal du 17 juin 2003 relatif à
l'identification des véhicules routiers, à leurs plaques d'immatriculation et aux modalités
d'attribution de leurs numéros d'immatriculation, mais applicable aux faits de l'espèce, les
plaques rouges sont mises à la disposition, par le ministre des Transports, des organismes
chargés du contrôle technique et des personnes autorisées à faire le commerce ou les
réparations de véhicules routiers. Monsieur ... n'étant ni commerçant ni réparateur de
véhicules routiers, il ne peut se voir mettre à disposition ces plaques que par l'intermédiaire de
la Société nationale de contrôle technique (SNCT). Or, il se dégage d'une pièce versée par le
demandeur que l'utilisation des plaques louées auprès de cette société n'est expressément
autorisée qu'au Luxembourg, en Belgique et aux Pays-Bas, leur utilisation dans tout autre
pays se faisant sous la seule responsabilité et aux seuls risques du locataire. De plus, la
circulation moyennant location de plaques rouges auprès de la SNCT est fonction de la
disponibilité de telles plaques auprès de cette société et de sa volonté de les donner en
location. Ces contraintes n'existent pas dans le chef de voitures faisant l'objet d'une
immatriculation normale au sens de l'article 92, alinéa 1er du code de la route.
La demande étant par ailleurs régulière quant aux conditions de forme et de délai, elle
est recevable.
Au fond, le raisonnement du délégué du gouvernement selon lequel le véhicule
litigieux serait un véhicule militaire mais n'appartenant pas à l'Armée et que, par voie de
conséquence, il ne saurait faire l'objet d'une immatriculation ordinaire, ne saurait valoir. En
effet, s'il est vrai qu'il se dégage de l'article 2, 15° du code de la route que seul un véhicule
chenillé, semi-chenillé ou de combat appartenant pour le surplus à l'Armée peut être qualifié
de véhicule spécial de l'Armée, de sorte que le véhicule litigieux, n'appartenant pas à l'Armée,
ne saurait tomber sous la définition de véhicule spécial de l'Armée, on ne saurait en déduire
que les véhicules chenillés, semi-chenillés ou de combat ne sauraient pas faire l'objet d'une
immatriculation ordinaire, même si elles remplissent par ailleurs les conditions techniques
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pour faire l'objet d'une telle immatriculation. A défaut d'être visés par une disposition spéciale
du code de la route, de tels véhicules sont à considérer comme véhicules automoteurs, sujets à
immatriculation, au sens de l'article 2, 9° du code de la route qui qualifie comme tel tout
véhicule pourvu d'un dispositif de propulsion mécanique ou relié à un conducteur électrique,
mais non lié à une voie ferrée.
Il se pose dès lors la question de savoir si le véhicule de Monsieur ... remplit les
caractéristiques techniques nécessaires pour se voir délivrer une carte d'immatriculation
ordinaire au sens de l'article 92, alinéa 1er du code de la route, étant précisé qu'en vertu des
articles 2, paragraphe 4 de la loi modifiée du 14 février 1955 concernant la réglementation de
la circulation sur toutes les voies publiques, et 92 précité du code de la route, un véhicule ne
peut circuler sur la voie publique que moyennant une carte d'immatriculation délivrée par le
ministre des Transports.
A cet effet, il se dégage du certificat de contrôle technique délivré le 14 mai 2003 que
le véhicule a été rejeté ("manquement grave") pour cause d'absence de plaque
d'immatriculation réglementaire, une mise en circulation n'étant possible que sous le couvert
de plaques rouges, les autres défauts du véhicule (champ de visibilité suffisant, parties
saillantes ou coupantes) étant seulement qualifiés de "points à surveiller" n'entraînant pas le
rejet du véhicule.
Or, en rejetant le véhicule au motif qu'il n'était pas muni de plaques rouges alors qu'il
aurait appartenu à l'autorité compétente d'énoncer les motifs juridiques ou techniques
justifiant un refus d'immatriculation ordinaire au sens de l'article 92, alinéa 1er du code de la
route, entraînant comme seule alternative possible l'immatriculation sous le couvert de
plaques rouges, celle-ci n'a pas légalement motivé sa décision.
La décision de refus d'immatriculation ordinaire, conformément à l'article 92, alinéa
1 du code de la route, est partant à annuler.
er
Par ces motifs,
le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement,
reçoit le recours en annulation en la forme,
au fond, le déclare justifié,
partant annule la décision du ministre des Transports portant refus implicite
d'immatriculer le véhicule militaire "Armored car M8" de marque FORD, numéro de châssis
..., autrement que moyennant des plaques rouges, ce refus se dégageant du résultat du contrôle
technique effectué le 14 mai 2003 n'autorisant la mise en circulation du véhicule que sous le
couvert de telles plaques, et renvoie le dossier au ministre des Transports,
condamne l'Etat aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 8 mars 2004 par:
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M. Ravarani, président,
M. Campill, vice-président,
M. Spielmann, juge,
en présence de
M. Legille, greffier.
s. Legille
s. Ravarani