Les jambes - Rotary Toulon Levant

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Les jambes - Rotary Toulon Levant
LES JAMBES
J’ai écrit sur le dos ; j’ai écrit sur la main ; récemment j’ai écrit sur le nez. Il
n’y a pourtant pas beaucoup de place !
Mais on peut écrire sur tout.
Monsieur Francis de Miomandre a obtenu le prix Goncourt pour « Ecrit sur
de l’eau ». Il est vrai que c’était en 1908. Cela fait un bout de temps.
Depuis, l’eau a coulé sous biens des ponts. Et l’on pourrait « écrire sur les
ponts ». Ce qui serait original, car, quant il est question de ponts,
d’habitude, c’est toujours de leur côté protecteur qu’il s’agit.
« Sous les ponts de Paris » par exemple. Ou encore « Sous le pont
Mirabeau coule la Seine », si l’on en croit Apollinaire. Les ponts sont un
objet de rêve.
C’est sans doute en rêvant au pont du 14 Juillet que l’employé de banque
stationne autour de l’abribus en attendant l’autobus 26.
J’ai bien dit : autour, parce que c’est effectivement autour que se tient ce
français moyen. Pourquoi ?
Parce qu’il contemple les jambes gainées du collant « WELL », que la
malice des publicitaires a fait poser à l’extérieur de l’abribus.
Et ces jambes sont fascinantes. Il court de petits pois noirs dessus ; ou
parfois des sortes d’hirondelles.
« Elle avait un cœur d’hirondelle
Et de longues jambes de faon…. »
Chante Aragon en rêvant à une belle étrangère ainsi définie.
C’est vrai que ces jambes sont longues. Longues, effilées, au contour
délicat. Une cheville fine et aristocratique sur des pieds superbement
moulés dans des escarpins de daim noir.
Et le genou, donc ! De face, de profil, il n’est qu’un agrément de plus entre
la jambe et la cuisse. Et la cuisse, aussi parfaite que le reste monte son
tronc de cône en s’évasant lentement jusqu’à des hauteurs inaccessibles.
Depuis le photo célèbre de Marylin Monroë, retenant sa jupe plissée
qu’elle laisse s’envoler au vent qui souffle de la bouche d’aération du
métro, les messieurs qui font les affiches ne manquent pas une occasion
de s’en inspirer.
Ces jambes isolées de leur contexte, ces jambes idéalisées par le fin
réseau d’un bas « DIM » ou d’un collant « Le Bourget », se chargent d’un
message de plus avec ces hirondelles qui vous chantent le printemps. On
se sent tout guilleret. On voudrait passer sa vie à genoux devant de telles
jambes. On voudrait les emporter avec soi.
On finit par acheter une boîte de ces choses soyeuses et enivrantes qui
décorent si bien la jambe.
Mais les jambes dont on dispose, hélas, ne correspondant pas à l’idée
qu’on s’en faisait. Alors on stationne devant les vitrines des pharmaciens
où l’on voit des jambes irréprochables grâce à une crème magique qui
sculpte les formes. Ou encore des jambes dont le bronzage, grâce à
« Bergasol », est si réussi qu’il dispense de collant et résiste au lavage.
Et si, malgré tout, vous pensez que vous n’avez pas tout ça à la maison,
promenez-vous, et étudiez la foule.
Ce ne sont que blue-jeans décevants. Et le pire, vous l’avez remarqué,
c’est que les jeans les plus collants moulent de ridicules cannettes de
flamant rose qu’on imagine prêtes à casser comme bois d’allumettes.
Ou alors des jupes trop longues qu’aucun mistral complaisant ne soulève.
Et, si par hasard, les jupes sont trop courtes, ce qu’elles laissent
dépasser….. c’est pas vraiment la peine.
Heureusement, il nous reste les affiches. Il nous reste ces jambes vêtues
du collant « WELL ».
Des jambes qui vous font rater l’autobus 26….

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