67. Les errements du « super-moi » L`ego pris individuellement et
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67. Les errements du « super-moi » L`ego pris individuellement et
67. Les errements du « super-moi » L’ego pris individuellement et séparément est mû par deux motivations pressantes : rendre éternelle sa propre existence (érôs), et éviter tout ce qui la détruirait (thanatos). Krisnamurti l’exprime ainsi : « L’individu sent à tout instant que sa pré-nature est infinie et éternelle, qu’elle est Tout et Totalité – il possède donc une intuition atman véritable. Néanmoins, la transcendance réelle le remplit d’effroi car elle exige la mort de l’ego ressenti isolément et séparément ». Dans « Halbzeit der Evolution » ( WK(4)), Ken Wilber écrit que tous les hommes sont pris dans ce dilemme fondamental. Tous aspirent profondément à la transcendance véritable, à la conscience atman, à la plus haute forme de Totalité. Parce que tout homme désire ardemment la transcendance réelle mais qu’il ne veut pas la payer de la mort de son ego qu’il ressent comme son moi, il choisit un dérivatif qui l’amène à des solutions de substitution telles que la richesse, la gloire, le savoir, la notoriété, le pouvoir. Toutes choses qui ne sont en définitive que des contrefaçons et ne conduisent pas à une véritable libération dans la Totalité. De là vient que le désir humain est insatiable, que l’individu aspire indéfiniment au plaisir : il ne cherche rien que l’atman mais il ne trouve que des symboles de substitution. Le centre de tout individu est nécessairement son « moi ». Ses sensations, ses sentiments et ses pensées sont presque tous déterminés ou portés par le moi. La conscience progressivement croissante du moi est l’unité centrale d’information et de commande de l’ensemble de l’activité humaine. En même temps, la conscience du moi vit dans la dépendance du corps et des sens. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que tout individu pense d’abord à soi, prenne soin de soi et se défende. La structure moïque permet la pensé rationnelle, l’observation de son monde intérieur, l’accession à la pensée fonctionnelle, la mise en place de règles de conduites et leur application, bref elle donne à l’homme de se connaître en tant qu’individu. Elle est aussi source d’angoisses motivées par des périls réels ou imaginaires. Ces peurs donnent plus de force à l’ego et l’incitent à résister à l’univers complexe et imaginaire de ces périls, à le combattre. « Les satisfactions de substitution, la transcendance apparente et l’immortalité symbolique » sont typiques de la conscience du moi (Ken Wilber - Halbzeit der Evolution) (WK(4)). La personnalité est ce que l’homme « possède » de plus précieux. Le superego entreprendra tout pour consolider cette possession, l’étendre et la protéger. L’homme sera prêt à souffrir, à se sacrifier, à lutter ; s’il la voit menacée, il pourra même aller jusqu’à opprimer, détruire voire tuer. Tant qu’il ne sera pas capable de remettre en question ou même d’abandonner ce domaine qui lui tient tant à cœur, il n’aura aucune chance de découvrir la voie de la transcendance, et encore moins de s’y engager. Les symboles de son immortalité sont les biens matériels sentiments de supériorité évidente, autrement dit tous les accessoires d’un monde d’avoir. Sentiments exubérants, plaisirs orgiaques et mœurs dissolues servent de dérivatifs au besoin de transcendance. Pour mieux faire valoir son propre ego, on refuse à autrui de le reconnaître son égal. Certes, il s’agit là de formes extrêmes de l’égocentrisme mais de telles tendances « super-moïques » sont latentes chez chacun de nous : elles peuvent émerger n’importe quand. Même chez quelqu’un d’apparemment réservé, elles risquent de se manifester de manière plus ou moins virulente. Une personnalité au moi particulièrement puissant a tendance à exploiter autrui, à l’écarter, à le soumettre, et elle en a aussi la capacité. Bouddha nous enseigne que « la haine et l’agression apparaissent partout là où il y a Tenir et Saisir parce que l’homme mobilise tout pour défendre ce auquel il est lié ou ce auquel il tient ». En ce sens, l’agression est en réalité la défense de sa propriété, la lutte pour l’amourpropre, la « persona », la façade. La dépendance et le caractère limité de la structure moïque doivent être mis en relation avec le vécu de chacun. Plus l’homme a souffert, plus il a été soumis par un monde qu’il considère injuste à des tensions et à des défis, plus il sera tenté de s’en retirer. Le processus individuel d’apprentissage se fait à l’école de la vie, il ne peut être remplacé par aucune théorie ni aucune doctrine. Extrapolé et simplifié à l’extrême, il n’existe de choix que celui entre le pouvoir et la sagesse ; le premier pousse la personne à s’enliser de plus en plus profondément et violemment dans sa tendance moïque, le second requiert le temps de la réflexion, du retour sur soi, du lâcher-prise. Pour la plupart des gens, ces deux notions contraires ne sont pas familières. Les options pratiques sont beaucoup moins différenciées : l’individu glisse plus ou moins consciemment vers l’une ou l’autre voie, par le jeu des circonstances ou des contraintes. C’est peut-être parce qu’il aura renoncé à résister qu’un jour il prendra position : son choix du « chemin de facilité » pourrait n’être que le produit de sa paresse intellectuelle, le résultat de l’indolence de son moi. La lutte pour la prise de possession du moi est exposée dans notre monde à toute une série d’influences matérialistes. Jamais encore dans toute l’Histoire de l’humanité, autant de gens n’avaient connu un tel bien-être, jamais encore les loisirs et les congés n’avaient joué une telle importance. La télévision, les ordinateurs, les jeux électroniques, l’Internet ont été popularisés sinon inventés au cours des 40 dernières années. Quelle aire de jeux pour les ébats d’une personnalité moïque… À l’inverse, la solidarité est devenu un sujet alibi, le bénévolat tombe en désuétude. Le moi est conforté en permanence, le sentiment du présent est magnifié. Le passé n’est plus de mode et personne ne sait ce que réserve l’avenir. L’accentuation énorme, démesurée, du niveau conscient a pour conséquence une atrophie du subconscient : les mythes et les légendes qui sommeillent dans les profondeurs de l’inconscient collectif, les messages cryptés des dieux qui ne fournissent plus que des scénarios de science fiction ne sont plus pris au sérieux depuis belle lurette. Tout ce qui lui est désagréable au niveau du vécu et des sentiments, le conscient hyper-puissant le refoule dans la poubelle du mental, l’ego doit vaincre dans tous les domaines, dans toutes les activités, à chaque fois que c’est possible, puisque dans notre société les perdants n’ont pas la parole. Le refoulement systématique du subconscient est orchestré par une hypothèse illusoire selon laquelle l’ego serait totalement indépendant et se suffirait à luimême. « Cette erreur n’a été possible que parce que l’ego n’a pas seulement refoulé les couches profondes du conscient dont il était issu (ou a cherché à toute force à en détourner le regard) mais aussi ses couches plus superficielles qui pourtant auraient dû être ce à quoi il tendait. L’ego a tenu à distance l’inconscient et le sur-conscient. Cet ego s’est construit sur le refoulement de la terre nécessaire à son existence et sur celui du ciel factuel. Et, fort de ce conscient doublement paré, le nouveau moi s’est investi avec sa vision cosmocentrique dans la reconstruction du monde occidental » (WK4). Le super-moi a opprimé à la fois sa source et la finalité du développement de sa conscience, il s’est autoproclamé le centre de son univers. L’homme qui « fonctionne » selon ces règles est rationnel, abstrait, isolé, ultraindividualiste, il prend ses distances par rapport à ses propres émotions, il se méfie de tout ce qui est surnaturel. Il est incapable de remettre ses idées en question, de prendre ses distances par rapport à son statut social ni de se détacher de ses biens matériels. Il résiste au lâcher-prise et se ferme à sa propre identité supérieure, il se dépouille de la possibilité de se développer vers la découverte de son soi. En grec, hybris signifie arrogance, suffisance, sur-droit, c’est vouloir être l’égal des dieux. Le super-moi est tenté par cette pulsion blasphématoire mais heureusement tout le monde n’a pas le pouvoir de ses ambitions, et toutes les personnalités moïques n’ont pas l’occasion de gaver leur moi. Le petit cercle de ceux qui gravitent autour de ce genre de personnes n’a pas la vie facile : ils ne supportent aucun autre dieu dans leur parage.