Le poisson combattant
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Le poisson combattant
BULLETIN FRANÇAIS II F PISCICULTURE SIXIÈME ANNÉE LE N° 61 JUILLET 1 9 3 3 POISSON COMBATTANT P a r M. M a r c e l D A G R Y De tous les p o i s s o n s d ' a q u a r i u m , il en est p e u q u i jouissent, auprès des amateurs, de la v o g u e des Combattants {genre Bettà) ; elle s ' e x p l i q u e fort bien par la beauté et les m œ u r s remarquables de ce p o i s s o n . Il appartient à la famille des Labyrinthicidés d o n t l e s représentants o n t , au-dessus de la c h a m b r e branchiale, u n e cavité spacieuse, creusée d a n s le crâne, o ù se c o n t o u r n e n t et s'enchevêtrent des l a m e s r i c h e m e n t v a s c u l a r i z e s qui constituent u n o r g a n e respiratoire c o m p l é m e n t a i r e . Ceci permet à ces habitants des e a u x d o u c e s de la zone torride, d o n t la teneur e n o x y g è n e dissous est souvent très faible, de suppléer à son insuffisance par utilisation directe de l'air a t m o s p h é r i q u e . Ils v i e n n e n t aspirer cet air à la surface, le déglutissent et l ' e m m a g a s i n e n t dans le l a b y r i n t h e o ù l'eau retenue le dissout, ce qui le rend a s s i m i l a b l e . Ce privilège permet à u n des poissons du g r o u p e : l'Anabas, de circuler hors de son élément, de quitter, par e x e m p l e , u n e m a r e qui s'assèche p o u r u n e autre m i e u x pourvue. Il facilite au Combattant la construction de son curieux nid de bulles. Le genre Betta c o m p r e n d , a u j o u r d ' h u i , treize espèces distinctes q u i abondent dans les Indes orientales. La plus c o m m u n e au S i a m , qui est aussi la p l u s belle, est Betta splendens REGAN d o n t le n o m vernaculaire est Pla-Kad Elle mérite bien son épithète latine ; sans conteste, c'est l'as des p o i s s o n s d ' o r n e m e p t . Les premiers s p é c i m e n s c o n n u s en France furent importés par JEUNET, en i 8 g 3 ; et ces petits a n i m a u x , d o n t la l o n g u e u r , de la p o i n t e d u m u s e a u à la naissance de la caudale, n e dépasse guère 4 centimètres, sont restés l o n g t e m p s rares et très chers. Jusqu'à ces dernières a n n é e s , il était courant q u e les sujets de c h o i x se v e n d i s s e n t de i 5 o à 2 0 0 francs le c o u p l e . Maintenant, les prix ont s e n s i b l e m e n t d i m i n u é ; toutefois les e x e m p l a i r e s de t o u s p o i n t s parfaits n e se rencontrent pas f r é q u e m m e n t et font toujours prime. Inutile de d o n n e r u n e description détaillée d u Combattant, dont p l a n c h e e n couleur d o n n e u n e représentation fidèle. une - 6 - C'est le mâle qui est splendide, à raison de ses amples nageoires d'opulent coloris. Toutefois, sa livrée n'est pas toujours somptueuse. Quand le p o i s s o n est au repos o u maintenu à u n e température relativement basse, il paraît terne ; la teinte générale est brunâtre, avec, occasionnellement, q u e l q u e s zébrures. Mais lorsque, l'eau étant tiède, l'ardeur amoureuse o u c o m b a t i v e de l ' a n i m a l vient à être excitée, o n assiste à une véritable métam o r p h o s e . Le corps se fonce, devient phosphorescent, arborant des nuances m a g n i f i q u e s pourpres, vertes, bleues ; les opercules se détachent en rouge foncé, les y e u x brillent d'un éclat s i n g u l i e r ; m a i s , par dessus tout, les n a g e o i r e s se dressent, se déploient, se parent des couleurs de l'are-en-ciel, f o r m a n t c o m m e une auréole ondulante, irisée, dont les y e u x ont peine à se détacher, tant est prenant le charme du Combattant, quand il déploie toutes ses séductions. La femelle, p l u s petite, est plutôt m o d e s t e m e n t vêtue, ses nageoires sont p e u développées. C'est q u e son rôle n'est ni la lutte, ni la parade ; elle se confine dans sa fonction reproductrice. L'observation de la fraye, de la confection du nid, de la garde de la p o n t e est p a s s i o n n a n t e . P o u r s'y a d o n n e r dans des conditions favorables, il convient de ne mettre en présence que des sujets parvenus à complète maturité sexuelle. On a la certitude q u e le mâle est à point lorsqu'à la surface du bac le renfermant, o n remarque u n e écume épaisse. Quant à la femelle, le g o n flement de son a b d o m e n et la saillie de l'orifice génital sont indices certains que la ponte est proche. Quand d e u x poissons prêts à la fraye sont réunis dans le m ê m e aquarium, ils se teintent s i m u l t a n é m e n t de leurs plus vives couleurs, agitant leurs nageoires. P u i s c o m m e n c e n t les assauts du mâle contre la femelle au cours d e s q u e l s cette dernière a fréquemment à pâtir ; car elle se rend seulement après u n e résistance qui dure de 18 à 20 heures, et lui vaut d'être souvent blessée et parfois m u t i l é e . Entre t e m p s , le m â l e aspire de l'air, et, e n g l u a n t la bulle de m u c u s v i s q u e u x , la recrache. Répétant persévéramment cette m a n œ u v r e , il const i t u e u n e sorte de radeau d'écume blanrhâtre à l'abri duquel s'effectuera l ' i n c u b a t i o n des œufs. Après q u i n z e à v i n g t passes durant lesquelles le m â l e , frôlant la femelle, la c o u c h a n t sur le côté et se mettant en travers sur son corps, cherche à p r o v o q u e r la ponte, le m o m e n t décisif arrive. \ u x mariages blancs succèdent les véritables accouplements, qui se répètent pendant deux ou trois h e u r e s . Le m â l e étreint la femelle, qui a cessé toute réaction, en se contourn a n t de telle sorte que sa tête appuie sur l'un des flancs tandis que, de la q u e u e , il pèse sur l'autre. Des alternatives de fortes pressions et brusques détentes d é t e r m i n e n t l'expulsion par saccades des œufs m û r s , qui, i m m é diatement fécondés, se dispersent dans tout l'aquarium. 1 On voit alors les père et mère se précipiter sur ces œ u f s , les happer et les porter sous le nid de bulles, auquel ils s'accolent. Ce travail de ponte, suivi de la récolle du frai, se renouvelle jusqu'à la délivrance complète, ce qui d e m a n d e deux o u trois heures ( i ) . Le nombre des œufs varie de 200 à 700 suivant la taille de la mère. Aussitôt la ponte t e r m i n é e , le m â l e r e c o m m e n c e à chercher noise à cette dernière ; pour peu qu'elle se rebelle, il la tue sans aucune pitié. Le plus prudent est donc de séparer les époux. Il est vrai q u e si le père n e défendait pas sa progéniture, la mère aurait tôt fait de s'en repaître. C'est p o u r éviter cette catastrophe que le m â l e m o n t e u n e garde vigilante, écartant d u nid de bulles tous les intrus. On ne voit pas pour quel motif le père, qui n'est pas hors d'état de s'alimenter et gobe, par e x e m p l e , des larves de moustiques, respecte les œufs dont sa c o m p a g n e est friande. Et, cependant, il les prend dans sa bouche, les y garde quelques instants pour les enduire de la mucosité qu'il sécrète (4 les rejette avec des bulles d'air incluses. Cctle opération se réitère jusqu'à l'éclosion ; de la sorte, les œufs sont l'objet de soins constants sans lesquels ils ne viendraient pas à bien. Car, si le mâle est e n l e v é , les œ u f s abandonnés tombent pour la plupart au fond de l ' a q u a r i u m et m e u r e n t . Ceci tient à ce qu'au bout d'un certain temps les bulles qui les allègent cessent d'être adhésives. L'éclosion a lieu relativement vite. En 48 heures, lorsque la température est m a i n t e n u e à 26 C , les petits c o m m e n c e n t à sortir. L'incubation peut se prolonger encore une journée si la chaleur est m o i n d r e . 0 Ces m i n u s c u l e s alevins ont encore besoin de leur père, car ils sont incapables de nager au tout premier début de leur existence, leurs pectorales étant insuffisamment développées ; ils flottent à ce m o m e n t , c o m m e auparavant les œ u f s , soutenus par l ' é c u m e dont ils sont e n g l u é s et que le m â l e renouvelle. Au bout de trois à quatre jours ce père vigilant cesse sa faction devenue sans objet. On peut l'enlever, m a i s ce n'est pas indispensable, car il ne m a n g e pas ses petits tant qu'il reste en leur c o m p a g n i e . Il en irait autrement si, après q u e l q u e s jours de séparation, o n le réunissait à eux ; il semble que l'instinct paternel soit aboli par l'absence. Les alevins de Combattants, l o n g s , à leur naissance, d'environ 3 m i l l i mètres, c o m m e n c e n t à s'alimenter au bout de trois à quatre jours ; leur nourriture se compose d'infusoires. Très voraces, ils se développent vite, arrivant quelquefois à la l o n g u e u r d'un centimètre au bout d'un m o i s . Ce premier mois est, pour l'élevage, la période critique, la mortalité p o u v a n t atteindre o u dépasser 00 %. (1) I) semble, toutefois, qu'il y ait deux séances de ponte séparées par un intervalle d'une semaine environ, les œufs de chacun des ovaires ne parvenant pas simultaném e n t à maturation. - 8 — Par la suite, les petits p o i s s o n s s'attaquent a u x larves aquatiques, à celles de m o u s t i q u e s n o t a m m e n t ; leur croissance est rapide. Quand ils atteignent d e u x m o i s , mâles et femelles se laissent distinguer par les nageoires a b d o m i n a l e s , plus grandes c h e z le m â l e qui est aussi m i e u x coloré. Dès ce m o m e n t l'instinct querelleur se manifeste ; le pisciculteur agira p r u d e m m e n t e n séparant ses élèves qui, autrement, se m o r d e n t et se font d e s blessures qui ne guérissent pas toujours. A quatre m o i s , si le d é v e l o p p e m e n t a été n o r m a l , la maturité sexuelle est acquise. Il v i e n t d'être question de l ' h u m e u r batailleuse qui a valu son n o m au Combattant. Elle s'affirme q u a n d le m â l e m o n t e la garde devant le n i d de b u l l e s d o n t il écarte la femelle et tous autres prédateurs. Mais, e n Europe, o ù le Combattant est u n a n i m a l de luxe q u ' o n n e se lasse guère de c o n t e m p l e r , o n se garde b i e n de l'exciter à la lutte. Il n'en va pas de m ê m e a u S i a m o ù l'espèce abonde ; là, les i n d i g è n e s p r e n n e n t plaisir à suivre les péripéties des d u e l s a c h a r n é s que se livrent les m â l e s m i s en présence. C h a q u e c a n t o n a son c h a m p i o n et, les jours fériés, des matches sont organisés, prétextes à des paris parfois très élevés. Quand les enjeux sont suffisants, la séance c o m m e n c e . Les partenaires sont d'abord m i s e n présence, isolés d a n s des b o c a u x de verre qu'on amène au contact. Ils s'aperçoivent, s'observent, s ' a n i m e n t , déployant leurs nageoires, dressant leurs opercules, se parant de leurs p l u s brillantes couleurs. P e n d a n t ce t e m p s , les spectateurs c o n t i n u e n t à miser, passionnés à ce p o i n t q u ' i l s jouent quelquefois leurs f e m m e s et m ê m e leurs enfants. Enfin, q u a n d « rien ne va plus », les Combattants sont m i s aux prises dans le m ê m e bocal et s'attaquent aussitôt avec furie, fonçant l ' u n sur l'autre, se saisissant aux nageoires d o n t les l a m b e a u x v o l t i g e n t autour d'eux, se lardant de c o u p s , se crevant les y e u x . Après u n e lutte brutale, sans m e r c i , g é n é r a l e m e n t brève, qui, parfois, n e dure q u ' u n e d e m i - m i n u t e , l'un des adversaires t o m b e sur fond, épuisé, m o r t . . . Mais le vainqueur ne vaut souvent guère m i e u x q u e le v a i n c u et n e l u i survit que quelques heures. Ces distractions cruelles ne sont h e u r e u s e m e n t pas prisées dans nos pays o ù elles seraient d'ailleurs fort dispendieuses. Les pisciculteurs d ' o r n e m e n t n e d e m a n d e n t au Combattant que d e s satisfactions d'ordre esthétique ; ce poisson m a g n i f i q u e les dispense g é n é r e u s e m e n t , car il suffit de troubler q u e l q u e p e u sa quiétude p o u r l'émouvoir et, par là, l'inciter à prendre, sans qu'il ait à pâtir, ces attitudes et ces couleurs qui font de lui le plus c h a r m a n t des hôtes de l'aquarium de salon ( i ) . ( i ) Plusieurs des observations relatées sont empruntées à u n intéressant article d'un ichthyologiste siamois : M. LUANG CHOOLA : — Some observations on the breeding of flcb-ting fish ; The Journal of the Siam Society ; Natural history supplement, — tome V I I I , fascicule 2, p. 9 1 . — Times Press ; Bangkok, i g 3 o .