Sur la route de Madison… - Institut de l`entreprise

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Sur la route de Madison… - Institut de l`entreprise
éditorial
Sur la route de Madison…
Jean-Marc Daniel
D
ans les élections qui auront marqué le premier semestre 2012, il
en est une qui est passée relativement inaperçue aux yeux des Français, très
mobilisés par leur propre calendrier électoral. Cette élection est celle du gouverneur
du Wisconsin.
La fonction publique au
régime sec
Réélection en fait, car il avait été élu en
novembre 2010.
Dès son arrivée à Madison – la capitale du
Wisconsin –, ce membre du parti républicain annonce son intention de se défaire du
statut local de la fonction publique et de
procéder désormais aux recrutements dans
le secteur public local sans passer par les
syndicats, mais sur la base de contrats de
travail individualisés. Par ailleurs, il entame
une action de réduction des effectifs de la
fonction publique. Les syndicats engagent
avec lui l’épreuve de force. Ils organisent à
plusieurs reprises des manifestations devant
le Congrès local. Le parti démocrate, qui
leur apporte son soutien, entreprend de
réunir le nombre de signatures nécessaires
à ce que les Américains appellent un recall,
c’est-à-dire l’organisation de nouvelles élections. Début juin, les électeurs appelés donc
à se prononcer de nouveau ont tranché
en réélisant le gouverneur sortant avec un
score meilleur que celui qu’il avait réalisé
en novembre 2010.
Scott Walker – c’est son nom – a construit
cette victoire sur un discours très militant axé autour de deux idées-forces : les
dépenses de fonctionnement des entités
publiques sont largement supérieures au
service qu’elles rendent à la collectivité ;
l’activisme syndical des fonctionnaires traduit une captation de l’État, de sorte qu’il
leur sert plutôt qu’ils ne le servent.
On pourrait certes minimiser ce type de
propos en disant qu’ils sont bien connus
et que, par égoïsme fiscal, une partie de
la population a tendance à contester systématiquement la pertinence de l’action
publique et la manière dont elle s’exerce au
travers des fonctionnaires.
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Sur la route de Madison…
La voie du privé
Mais ce serait ignorer que déjà en Suède
le statut de la fonction publique a quasiment disparu et que l’État s’adresse de
plus en plus à des opérateurs privés pour
accomplir certains tâches qu’il juge utile. La
Grande-Bretagne travailliste de Tony Blair
a généralisé les partenariats public-privé,
au point que la gestion au quotidien du 10
Downing Street a été confiée à une entreprise française.
Les électeurs du Wisconsin s’inscrivent
dans une logique qui va au-delà de la
simple dénonciation du poids des finances
publiques dans le PIB. Ce qu’ils ont souligné
en renouvelant leur confiance à leur gouverneur, c’est qu’il faut désormais s’interroger
autant sur la qualité des dépenses publiques
que sur leur quantité. Il faut désormais jeter
un regard précis sur les gains de productivité réalisables et réalisés dans les administrations et se demander si, grâce à un autre
mode d’organisation et à une approche
managériale différente, on n’obtiendrait pas
de meilleurs résultats.
Un rapport coût/service
En France, la masse des salaires bruts du
secteur privé représente 550 milliards
d’euros, soit 770 milliards avec les cotisations sociales employeurs, et celle du
secteur public se monte à 260 milliards
d’euros. Le diagnostic que l’on porte sur
ce coût du travail français conduit de façon
quasi unanime à considérer qu’il est trop
élevé. Or, quand on envisage de le réduire,
c’est par des mécanismes de compensation débouchant sur des hausses d’impôts,
sans se poser la question de savoir si on ne
pourrait pas réduire le coût global du travail en réduisant les 260 milliards d’euros
de coût du travail public.
Cette question devrait pourtant se poser
en toute première analyse. C’est en tout
cas le message venu de Madison. Nous
consacrons 12,5 % du PIB à rémunérer des
fonctionnaires. Nous devons nous demander : « Sommes-nous satisfaits du service
rendu ? » « Sommes-nous sûrs que l’on ne
pourrait pas arriver à un résultat équivalent
à moindre coût ? »
Le gouvernement précédent avait lancé
la désormais célèbre revue générale des
politiques publiques combinée avec le
non-renouvellement d’un départ de fonctionnaire sur deux. Aujourd’hui, les pays
d’Europe du Sud ont engagé dans l’urgence
des politiques d’austérité qui prévoient des
réductions d’effectifs plus brutales. Soumise
à une pression moins forte, mais obligée
d’assainir ses finances, la nouvelle équipe ne
doit pas se tromper. La majorité des habitants du Wisconsin fut moins bruyante que
les syndicats de fonctionnaires mais n’en
est pas restée pour autant silencieuse : elle
a parlé dans les urnes et elle a dénoncé les
rentes publiques. Nos dirigeants doivent
prendre la route de Madison…
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