Article publié par : Lefigaro.fr le 15 Octobre 2007, repris en PDF

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Des cancers dus aux essais nucléaires français
Pour la première fois, une enquête épidémiologique française conclut que les essais nucléaires français
réalisés en Polynésie entre 1969 et 1996 auraient entraîné une augmentation des cancers de la thyroïde. Les
résultats de cette étude, non encore publiée, effectuée par Florent de Vathaire, directeur de l'unité 605 sur
l'épidémiologie des cancers de l'Inserm, suscitent des remous au sein de l'armée française et des associations
de victimes.
«Nous confirmons que nous avons établi un lien entre les retombées dues aux essais nucléaires réalisés par la
France et le risque de cancer ultérieur de la thyroïde. Ce lien explique un faible nombre de cancers
thyroïdiens, mais il est significatif, explique Florent de Vathaire. Nous avons communiqué, chose
exceptionnelle, ces résultats dans leurs grandes lignes avant leur publication dans une revue scientifique, car
nous avions promis d'en réserver la primeur aux Polynésiens.»
L'étude en question a porté sur 239 cas de cancers de la thyroïde survenus entre 1966 et 1999, qui ont été
comparés à un nombre équivalent de témoins. La relation entre ce cancer et les essais nucléaires a été mise en
évidence à partir d'une reconstitution dosimétrique et des données météorologiques disponibles durant les
vingt et un jours suivant chaque essai.
Le nombre de cancers lié avec certitude à ces essais serait très faible, de l'ordre d'une dizaine de cas. «Cette
relation est nette, poursuit le chercheur de l'Inserm, si l'on prend en compte la dose reçue, quel que soit l'âge
au moment de l'irradiation et elle est même renforcée si l'on étudie la dose reçue avant l'âge de 15 ans et
avant l'âge de 10 ans.»
Afin de pouvoir quantifier avec plus de précision les conséquences des essais nucléaires, les chercheurs
estiment nécessaire que l'armée fasse déclasser certains rapports des services de radioprotection du Centre
d'expérimentation du Pacifique. Ce qui n'a pas été fait, malgré certaines déclarations en ce sens. «Il est
nécessaire que nous puissions compléter nos études sur le cancer de la thyroïde dans la population générale,
notamment afin de quantifier avec plus de précision le nombre de cancers attribuables aux essais et afin
d'étudier les susceptibilités génétiques aux radiations en Polynésie française, ajoute Florent de Vathaire. Il est
aussi absolument nécessaire que nous puissions réaliser enfin une étude de cohorte sur les travailleurs qui ont
participé à ces essais, toutes choses que nous ne pouvons pas réaliser actuellement, faute de financement.
Nous demandons donc à l'armée française de financer ces études.»
Une nocivité tardivement reconnue
L'Aven (Association des vétérans des essais nucléaires) soutient quant à elle que : «La France est un des
derniers pays à reconnaître la nocivité des essais nucléaires alors que la législation des États-Unis reconnaît,
depuis 1988, 31 types de maladies dont 25 cancers qui peuvent être provoqués par les essais nucléaires sur
des personnes présentes dans un rayon de 700 kilomètres autour du point zéro.» Le ministère de la Défense
attend pour sa part la publication de l'étude avant de s'exprimer.
Mais depuis plusieurs années, l'armée a tout de même rendu publics de nombreux documents permettant de
mieux connaître ces essais et leurs éventuelles conséquences.
La France a effectué, entre le 13 février 1960 et le 27 juillet 1996 un total de 210 essais nucléaires : 17 ont eu
lieu en Afrique du Nord entre 1960 et 1966 – 4 atmosphériques dans le Sahara et 13 souterrains dans le
Hoggar –, et 193 essais nucléaires ont été réalisés en Polynésie, de 1966 à 1996 sur les îles de Mururoa et
Fangataufa – dont 46 atmosphériques et 147 souterrains. D'autres îles d'Océanie furent elles aussi le théâtre
d'essais nucléaires, les atolls Eniwetak et Bikini, Johnston et Christmas pour les essais américains, Christmas
et Malden pour les britanniques.
Le 2 juillet 1966, une première bombe nucléaire de moins de quelque 30 kilotonnes explosait sur une barge au
centre de l'atoll de Mururoa. La bombe Little Boy à l'uranium lâchée sur Hiroshima en 1945 avait une
puissance de 20 kilotonnes. Celle larguée sur Nagasaki, au plutonium, était de 17 kilotonnes. Le 24 août 1968,
la première bombe H, d'une puissance de plus de 1 000 kilotonnes, explosait au-dessus de Fangataufa,
suspendue à un ballon. Les 41 essais atmosphériques menés entre 1966 et 1974 se sont faits à partir de barges,
de ballons, d'avions (Mirage III, IV et Jaguar) ou de tours.
Des doses d'irradiation dépassées
Pendant cette période, de légères augmentations de la radioactivité ont été mesurées par des laboratoires néozélandais et australiens aux confins de la Polynésie française. Et le gouvernement français a reconnu que
plusieurs expériences avaient entraîné des dépassements de doses d'irradiation admises pour les populations.
Ainsi, en juillet 1966 (deux essais à 17 jours d'intervalle), des dépassements de 5 fois la dose annuelle admise
ont été constatés aux îles Gambier (les plus proches atolls habités des essais nucléaires), à 1 700 kilomètres à
l'est de Papeete. En juillet 1967 (un essai) et en juin 1971 (deux essais dont un très gros), de légers
dépassements étaient enregistrés sur l'atoll de Tureia, proche du site de tir. En août 1971 (un gros essai),
nouveau petit dépassement aux îles Gambier. Et en juillet 1974 (trois essais dont un gros), l'irradiation
maximale annuelle était approchée à Tahiti.
On estime que 527 tests nucléaires atmosphériques ont été effectués sur la planète entre 1945 et 1980 (date du
dernier test de ce type par la Chine) pour une puissance cumulée de 479 mégatonnes (soit l'équivalent de 30
000 Hiroshima).