Amérindiens et Palestiniens : un combat

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Amérindiens et Palestiniens : un combat
Amérindiens et Palestiniens :
un combat commun pour la
justice
Ramzy Baroud – Des milliers d’Américains autochtones (ou »
Amérindiens « ) ont ressuscité l’esprit combatif de leurs
ancêtres alors qu’ils se tenaient dans un rassemblement
unitaire sans précédent pour contester la profanation par une
compagnie pétrolière de leur terre sacrée dans le Dakota du
Nord.
Compte tenu du poids de son contexte historique, ce moment a
été l’un des événements les plus émouvants dans l’histoire
récente.
Le bras de fer, impliquant 5000 manifestants autochtones
américains avec parmi eux les représentants de 200 tribus et
groupes de défense de l’environnement, a été largement
édulcoré dans les bulletins d’informations en étant réduit à
une question de détails techniques – concernant les questions
de permis et de poursuites judiciaires.
Un combat inégal
Au mieux, les tribus rassemblées et la compagnie pétrolière
sont traitées comme si elles étaient à parties égales dans une
lutte prétendument équilibrée. » ‘Dakota’ signifie ‘amical’
et pourtant, il semble qu’aucune des parties n’a été trop
amicale à l’égard de l’autre », écrit Mark Albert sur le site
Web du réseau de télévision américain CBS.
La nation Dakota est à juste titre alarmée par la perspective
que ses réserves d’eau soient polluées par l’énorme pipeline
qui traversera quatre États et s’étirera sur plus de 1100
miles.
L’ « autre côté » est la société Energy Transfer Partners,
dont la construction du Dakota Access Pipeline au coût de 3,7
milliards de dollars, porte atteinte aux droits territoriaux
des tribus amérindiennes, détruisant des cimetières sacrés et
menaçant de polluer les principales ressources en eau de
larges communautés amérindiennes.
Craindre de futurs déversements dans la rivière Missouri n’a
rien d’une exagération. Les États-Unis sont aujourd’hui aux
prises avec des crises de l’eau, en partie à cause de
l’abandon d’infrastructures mais aussi à cause de nombreux
déversements de pétrole et fuites de gaz naturel.
La récente crise de l’eau à Flint dans le Michigan, et le
déversement de pétrole dans un passé récent par la compagnie
British Petroleum dans le Golfe du Mexique – dont le
corollaire a été de graves crises humanitaires et
environnementales – ne sont que deux cas récents parmi les
plus notoires.
Mais le problème est beaucoup plus profond et la situation ne
cesse de s’aggraver.
La pollution des ressources
en eau est devenu un problème
à l’échelle nationale
Des données obtenues par le réseau d’informations CNBC auprès
de l’Agence gouvernementale de protection de l’environnement,
ont montré que « seuls neuf États américains signalent des
niveaux tolérables pour la santé, de plomb dans leur
approvisionnemhttp://chroniquepalestine.com/amerindiens-palest
iniens-combat-commun-justice/ent en eau. Ces États sont
l’Alabama, l’Arkansas, Hawaii, le Kentucky, le Mississippi, le
Nevada, le Dakota du Nord, le Dakota du Sud et le Tennessee
« .
Comme si cela n’était pas suffisamment préoccupant, le
gigantesque pipeline de pétrole brut traversera plusieurs de
ces mêmes États, pouvant encore limiter leur nombre.
Les débats sur les risques potentiels de la construction du
pipeline sont monnaie courante depuis des années. Mais la
question, a gagné une couverture nationale et internationale
lorsque les tribus amérindiennes se sont mobilisées pour
protéger
leurs
terres
et
leurs
ressources
en
eau.http://chroniquepalestine.com/amerindiens-palestiniens-com
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La mobilisation des tribus a été accueillie par une violence
étatique. Au lieu de prendre en compte les importants griefs
des tribus – en particulier ceux dans la réserve de Standing
Rock qui se trouve à seulement un mile au sud de l’oléoduc –
le gouverneur de l’État a convoqué tous les organismes
d’application de la loi et mobilisé la Garde nationale. Mace
Les manifestants ont été battus, arrêtés et chassés par des
hommes armés en uniforme.
Aux États-Unis, quand les gens s’opposent aux grandes
corporations, il semble que le plus souvent la violence d’État
est la seule réponse et est lâchée contre des personnes non
armées, dans l’unique but de protéger les grandes entreprises.
Une
mobilisation
des
plus
impressionnantes
Mais n’oublions pas un élément essentiel : la mobilisation et
l’unité entre les tribus amérindiennes ont été les plus
impressionnantes depuis des décennies. Alors que les chefs et
les représentants de tribus venus de tous les États-Unis
continuaient d’arriver sur les terrains de campement, l’esprit
collectif des nations amérindiennes était relancé avec force.
En fait, la mobilisation actuelle des tribus amérindiennes
dépasse de beaucoup la lutte contre une corporation avide de
gain et soutenue par l’appareil agressif de l’État. Il est
question en vérité de l’esprit des peuples autochtones de
cette terre, qui ont subi un long génocide visant à leur
élimination complète.
Les voir debout une fois de plus, avec leurs familles, montant
leurs chevaux drapés de plumes, luttant pour leur identité,
est une cause de célébration. Aux peuples opprimés partout
dans le monde, ils apportent l’espoir que l’esprit humain ne
sera jamais détruit.
Le génocide des Amérindiens, semblable à la destruction
ininterrompue de la nation palestinienne, est l’un des points
les plus bas atteint par la morale humaine. Il est
particulièrement décourageant de voir à quel point il est
toujours nécessaire de se battre pour faire reconnaître cette
grave injustice.
Un génocide qui n’a jamais
cessé
Pendant 500 ans, les Américains autochtones ont subi toutes
les tentatives imaginables pour les effacer de la surface de
la planète. Leurs nombre est tombé de dix millions avant
l’arrivée des Européens en Amérique du Nord, à moins de trois
cent mille au début du 20e siècle. Ils ont été exterminés par
les guerres coloniales et ravagés par les maladies venues de
l’étranger.
Les appels à détruire les Amérindiens n’étaient pas suggérés
mais plutôt clairement affichés. Par exemple, Spencer Phips,
lieutenant-gouverneur de la province de Bay dans le
Massachusetts a publié cette déclaration en 1755 au nom du roi
George II: « Les sujets de Sa Majesté doivent saisir toutes
les occasions de poursuivre, capturer, tuer et détruire la
totalité et chacun des Indiens précités. »
La liste des prix pour les scalps des autochtones assassinés
était la suivante : « 50 livres pour les scalps d’adultes de
sexe masculin; 25 pour les scalps de femmes adultes, et 20
pour les scalps des garçons et des filles de moins de 12 ans.
»
Cette politique génocidaire contre les Amérindiens s’est
poursuivie sans relâche.
Un siècle plus tard, en 1851, le gouverneur de Californie
Peter H. Burnett, a fait cette déclaration: « Une guerre
d’extermination continuera d’être menée entre les deux races
jusqu’à ce que la race indienne ait totalement disparu « .
Les méthodes d’extermination étaient variées, allant de
l’assassinat pur et simple et la distribution de couvertures
infectées par les maladies, à, comme c’est le cas aujourd’hui,
la menace sur leur ressource la plus vitale : l’eau.
Pourtant, d’une certaine manière, l’esprit de Sitting Bull et
Crazy Horse et de nombreux et courageux chefs et guerriers
parcourent encore les plaines, exhortant leur peuple à se
lever et à poursuivre un combat très ancien pour la justice et
les droits.
Amérindiens et Palestiniens
Les Palestiniens ont toujours estimé que l’héritage des
Amérindiens est semblable au leur.
« Nos noms: les feuilles aux branches de la parole divine; les
oiseaux qui montent plus haut qu’un coup de pistolet. Vous qui
venez d’au-delà de la mer, voulant la guerre; ne coupez pas
l’arbre de nos noms; ne lancez pas vos chevaux enflammés à
travers les plaines « .
Ce sont quelques-uns des versets du poème séminal du poète
palestinien Mahmoud Darwish : « Discours de l’Indien rouge. »
Je me souviens du jour où cet impressionnant morceau de
littérature arabe a été publié intégralement dans le journal
palestinien « Al-Qods». A l’époque, j’étais un adolescent dans
un camp de réfugiés à Gaza. Je l’ai lu avec beaucoup
d’appréhension et de vertige – soigneusement, lentement, et à
plusieurs reprises.
Ceux qui ont pu le lire l’ont récité à voix haute à ceux qui
ne le pouvaient pas.
Beaucoup de larmes ont été versées ce jour-là, surtout parce
que nous savions tous trop bien que nous étions les
http://chroniquepalestine.com/amerindiens-palestiniens-combatcommun-justice/« Indiens rouges ». Ils étaient nous-mêmes.
Bien avant que la théorie critique féministe ait inventé le
terme « intersectionnalité » qui soutient que l’oppression est
interconnectée et qu’une institution oppressive ne peut pas
être analysée isolément des autres, les Palestiniens, comme
les autres victimes de la colonisation génocidaire, en ont
toujours connu cette vérité.
Les Palestiniens perdent leurs vies, leurs terres et leurs
oliviers tandis qu’ils résistent aux chars et aux bulldozers
israéliens. Leur réalité est la répétition d’expériences
similaires auxquelles ont fait face – et continuent de faire
face – les Amérindiens. En ce 21e siècle, la lutte des
Amérindiens et des Palestiniens reste une seule et même lutte.
« Nos pâturages sont sacrés, nos esprits inspirés,
Les étoiles sont des mots lumineux où notre fable
est lisible du début à la fin .. »
… a écrit Mahmoud Darwish pour les Amérindiens. Et pour les
Palestiniens…
* Dr Ramzy Baroud écrit sur le Moyen-Orient depuis
plus de 20 ans. Il est chroniqueur international, consultant
en médias, auteur de plusieurs livres et le fondateur de
PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Résistant en
Palestine – Une histoire vraie de Gaza (version française),
peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième
Intifada (version française) est disponible sur