Les GASAP, un circuit court pas comme les autres

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Les GASAP, un circuit court pas comme les autres
Les GASAP, un circuit court pas comme les autres
Le terme de circuit court devient l’appellation commune pour désigner une série de systèmes
de vente et d'achat d'aliments qui incluent, au plus, un intermédiaire. Il est parfois difficile de
s'y retrouver et de distinguer ces formules. Beaucoup de différences existent entre ces
systèmes, notamment concernant leur modèle commercial, le type d'agriculture pratiquée, les
modalités d'organisation pour le producteur et pour le consommateur, ou encore leur
accessibilité. Cet article vise à aider le lecteur à construire son opinion sur les circuits courts
via des discussions sur le fonctionnement des GASAP et les valeurs mises en avant par ce
système.
Par Antoine Morthier, avec l'aide de Solène Sureau et Nicolas Cressot
Il existe de nombreux circuits courts qui peuvent être différenciés selon qu’ils font appel à la
vente directe - par exemple, le magasin à la ferme, le groupe d'achat, le marché fermier, la
livraison à domicile, etc. - ou à la vente via un intermédiaire. Parmi ces intermédiaires, on
retrouve classiquement des magasins de toutes tailles (1), le revendeur sur le marché et, plus
récemment, des formules avec commande sur Internet à des coopératives comme Agricovert
ou des entreprises comme la Ruche qui dit oui, Topino ou encore e-Farm.
Un GASAP (2), qu'est ce que c'est ?
Un GASAP est un groupe de mangeurs - entre dix et trente - qui s'organisent collectivement
afin qu'un maraîcher livre des légumes périodiquement - toutes les semaines ou toutes les
deux semaines - dans un lieu de dépôt public - par exemple, dans une école, un local
communal… - ou privé - par exemple, un bar, une maison... Un contrat de solidarité lie les
partenaires durant une "saison", soit entre six et douze mois :
- le producteur s'engage à livrer des légumes dont le type et la quantité varient en fonction des
saisons et des aléas de productions : climats, ravageurs, etc.
- le groupe, quant à lui, s'engage à rétribuer le maraîcher - entre trois cents et six cents euros durant la période donnée et paie à l'avance tous les trois, six ou douze mois. Il décide avec son
producteur du prix auquel il achètera une partie de la production qui est divisée sous forme de
paniers dont le prix varie entre dix et vingt-cinq euros, et accepte d'être livré en fonction de ce
qui pousse dans le champ de son producteur. En d'autres termes, le groupe partage les risques
de production avec le producteur.
Le soutien à l'agriculture paysanne
L'engagement à l'année, le paiement à l'avance, l'absence d'intermédiaire et le soutien à une
agriculture biologique et paysanne sont les caractéristiques spécifiques aux GASAP, qui
fondent leur identité et les différencient d'autres circuits aux modèles commerciaux plus
classiques. Cela procure aux producteurs un revenu stable et régulier - pas toujours suffisant -,
facilite les investissements - matériel, semis, etc. - et aide à organiser le plan de culture.
En somme, ces caractéristiques jouent en faveur du maintien du monde agricole et favorise
l'installation de nouveaux producteurs, ce qui est particulièrement important étant donné que
l'espèce "agriculteur" est est en voie d'extinction.
Notez que les GASAP soutiennent un modèle agricole particulier. Il s'agit de l’agriculture
biologique et de l'agriculture paysanne qui renvoient à des critères d'ordre environnementaux renforcement de la diversité des variétés animales et végétales, de préférence indigènes,
utilisation d’énergie, l’autonomie vis-à-vis des intrants -, sociaux - juste et équitable
rémunération de la main-d'œuvre - et économique - offrir des produits à des prix accessibles à
tous.
Avec ou sans label bio ?
L'agriculture paysanne peut être bio mais tous les producteurs qui livrent les GASAP ne sont
pas forcément labellisés. En effet, la labellisation porte uniquement sur les pratiques
culturales, alors que l'agriculture paysanne intègre des critères qui dépassent ces pratiques ; ils
concernent également le bien-être du paysan, ses conditions de travail, la distribution de ses
produits, les relations avec les mangeurs, etc.
Certains producteurs qui livrent des GASAP refusent d'être labellisés car ils considèrent que
ce système n'est pas adapté à l'agriculture paysanne pour différentes raisons : prix élevé des
contrôles, nivellement par le bas des standards de qualité par l'agro-business, fonctionnement
bureaucratique difficile à suivre pour les petits agriculteurs... Mais, bien que non labellisés, ils
pratiquent l'agriculture biologique et, en termes de pratiques culturales, certains vont même
plus loin que les normes imposées par la réglementation biologique européenne en cultivant
des produits de saison uniquement - en ne chauffant par leurs serres, donc - et en diversifiant
leurs cultures notamment.
L'objectif de la labellisation est qu'une "tierce partie indépendante" contrôle une ferme afin
d'assurer la confiance du client dans la qualité d'un produit. Elle est donc nécessaire dans
certains circuits de distribution, où producteur et consommateurs ne se connaissent pas. Dans
les GASAP, la confiance se tisse grâce au contact direct qui lie un groupe avec son producteur
lors des permanences ou d'événements sur l'exploitation, comme des visites, des récoltes, des
fêtes... La transparence est donc totale et le besoin d'une tierce partie indépendante pour
rassurer les mangeurs devient relative. Les visites des fermes réalisées par l'association afin de
s'assurer que le producteur travaille bien dans l'esprit de la charte contribuent à garantir la
confiance.
Légumes imposés : entre contrainte et liberté
Le contenu des paniers est réalisé en fonction de ce qui pousse dans le champ et les mangeurs
n'ont pas la possibilité de commander ou non un panier étant donné qu'ils s’engagent à
l’année. Pour certains, cet aspect est contraignant car il faut adapter la cuisine en fonction du
contenu du panier de courses : les légumes ne correspondent pas forcément aux goûts de la
famille et la diversité de légumes peut être réduite en hiver. Enfin, comment faire lorsqu’on ne
peut pas venir chercher le panier ou que l'on part en vacances ?
Pour d'autres, cette absence de choix est un plus : elle permet la découverte de nouveaux
légumes, la stimulation de la créativité dans les recettes et la disparition de questionnements
kafkaïens pour choisir entre un navet et un choux-rave qui sont - ou ne sont pas - bio, locaux,
de saison et qui rétribuent correctement - ou pas - le producteur. Enfin, les membres d'un
GASAP, qui sont souvent voisins, trouvent des solutions pour s'entraider en cas d'absence lors
des livraisons.
Un modèle commercial plus "démocratique" pour les consommateurs et
les producteurs ?
L'absence de choix individuel dans les GASAP est contrebalancée par une participation du
groupe à des prises de décision desquelles les consommateurs sont exclus dans d'autres
filières de vente. Dans certains circuits courts, comme la vente par Internet ou le magasin,
l'individu peut donner son avis, par exemple, sur les conditions de production, la rétribution
du producteur ou encore le contenu du panier. Mais le producteur et/ou l'intermédiaire fait ce
qu'il veut de cet avis. En tant que groupe, les membres d'un GASAP ont la possibilité de
discuter avec le producteur, notamment concernant le contenu du panier - diversité, poids -, le
prix, le jour de livraison, la durée de la saison ou encore la fréquence des paiements. En
d'autres termes, les membres du groupe et le producteur sont impliqués dans des négociations
auxquelles ils n'ont pas accès dans le système commercial classique.
Attention ! Ce regroupement peut parfois dériver en un partage de prise de décision
déséquilibré entre un groupe et son producteur. Si un groupe devient trop exigeant - et
demande, par exemple, des produits hors saisons à prix réduit -, s'il ne tient plus compte de la
réalité de l'agriculteur, alors le terme "solidaire" n'a plus sa place. Dans ce cas, il s'agit
uniquement d'une relation commerciale dont le fonctionnement se rapproche du modèle
"classique".
Un équilibre doit donc être trouvé dans ces négociations afin que tous les acteurs s'y
retrouvent. Le contact direct et la communication entre un groupe et son producteur sont
importants pour éviter les dérives. En effet, ce dernier a l'occasion de s'expliquer lorsqu'il y a
des mécontentements ou des attentes du groupe qui ne peuvent être satisfaites. En dernier
ressort, les bénévoles impliqués dans l’association (3) jouent un rôle de médiateur, crucial
pour crever l‘abcès et repartir du bon pied.
Certains circuits courts peuvent donner l’impression que la relation commerciale est plus
équitable car il y a moins d'intermédiaires, ou que l'intermédiaire est moins puissant.
Toutefois, certains producteurs ne veulent pas travailler avec certains intermédiaires de
circuits courts car ils ressentent une trop forte pression en termes de prix, de conditions etc.
S'interroger sur le fonctionnement de la relation commerciale dans certains circuits courts
vaut donc parfois le détour…
Liens social et dynamique de transition dans un quartier
L’adhésion à un GASAP s’accompagne bien souvent de nouvelles rencontres car les membres
d’un groupe s’organisent pour gérer les permanences durant lesquelles l’agriculteur livre les
paniers. On commence ainsi à passer du temps, ensemble entre voisins. On échange des trucs
et astuces pour préparer ces drôles de légumes et les conserver. Aussi, des liens d’entraide
peuvent éclore, par exemple, pour babysitter un panier et/ou des enfants, faire du jardinage,
prêter un outil...
Il arrive que ces relations sociales débouchent sur la découverte et puis l’implication dans
d’autres initiatives citoyennes, comme les potagers et les composts de quartier ou encore les
systèmes d’échanges locaux. En somme, les GASAP constituent le terreau pour faire de belles
rencontres autant que pour initier des dynamiques de transition dans un quartier.
Le modèle GASAP ne convient pas forcément à tous car il faut pouvoir s’organiser pour aller
chercher le panier, payer à l’avance, avoir envie de s’impliquer dans un groupe... D’autres
types de circuits courts sont plus accessibles, plus faciles et moins contraignants car on peut
commander quand on veut, car il n’y a pas forcément de jour de livraison imposé, car on peut
choisir le contenu du panier, etc. Mais ces systèmes peuvent parfois mélanger des
caractéristiques de différents modèles commerciaux et agricoles. La limite entre agriculture
paysanne, biologique et conventionnelle n’est pas toujours claire. La proximité, la vente
directe ou encore la juste rémunération du producteur et de ses salariés sont parfois mises en
avant, sans pour autant être systématique. Ainsi, circuit court ne veut pas forcément dire bio comme, par exemple, le projet de Carrefour dénommé "Des producteurs locaux près de chez
vous" (4), par lequel la grande surface achète directement auprès de producteurs locaux pour
quelques rayons du magasin, quel que soit le type d’agriculture pratiquée - et local ne signifie
par forcément circuit court - comme, par exemple, les plateformes web s’approvisionnant en
légumes bio auprès des mêmes grossistes que les grandes surfaces. De même, selon la charte
de la Ruche qui dit oui, le seul critère à respecter est le nombre d’intermédiaires entre le
producteur et la ruche qui doit être égal à zéro ; en revanche, on peut y trouver des produits
conventionnels, le choix des producteurs restant à la discrétion de la personne en charge du
projet. En d'’autres termes, certains circuits courts n’ont pas de charte et le flux
d’informations crée ainsi des confusions et des amalgames chez les consommateurs…
Une autre vision du système alimentaire
L’identité des GASAP se veut cohérente et la plus claire possible. Au delà d’un modèle
commercial alternatif, ce modèle propose une autre vision du système alimentaire au travers
du soutien à une agriculture paysanne et biologique, de justes conditions de travail et de
rémunération du producteur, des produits alimentaires de qualité et sains pour le mangeur, le
producteur et l’environnement. La solidarité est la valeur fondamentale par laquelle les
GASAP tentent de redéfinir les rapports entre les mangeurs et producteurs pour qu’ils ne
soient plus uniquement commerciaux et pour les rendre plus équitables. C’est tout cela qui
permet une reprise en main de l’assiette et de la fourche, et contribue à la souveraineté
alimentaire. Cette vision systémique et intégrée est reprise dans une charte qui fixe les
principes de fonctionnement des GASAP pour les groupes et les producteurs. C’est pour cette
raison qu’être membre d’un GASAP, c’est bien plus qu’acheter un panier bio, c’est faire un
choix de société !
Plus d'infos : Émilie Hauzeur, coordination - Réseau des GASAP asbl [email protected]
Notes :
(1) Du petit magasin bio aux grandes surfaces. Voir la note sur la vente de produits locaux
en grande surface publiée par IEW : www.iew.be/spip.php?article6036
(2) Le terme GASAP - Groupes d’Achat Solidaires de l’Agriculture Paysanne - est propre à
Bruxelles. En Wallonie, on parle de GAC (Groupes d'Achats Communs) lorsqu'il n'y a pas
d'engagement et de GAS (Groupements d'Qchats Solidaire) lorsqu'il y a un engagement. Pour
plus de détails sur les GASAP, consultez le site www.gasap.be dans lequel vous trouverez
notamment une charte et un vademecum.
(3) Une association contribue à la diffusion du modèle et s'assure que les GASAP restent dans
l'esprit de la charte. Voir : Le Réseau des GASAP bruxellois, un mouvement citoyen en plein
essor, paru dans Valériane n°106.
(4) Carrefour a lancé l'initiative "Des producteurs locaux près de chez vous" en août 2013.
Voir : http://corporate.carrefour.eu/Press_Detail.cfm?pID=200&lang=FR