PRÉVOT Jean (1890 – 1960) - CRISES

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PRÉVOT Jean (1890 – 1960) - CRISES
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PRÉVOT Jean (1890 – 1960)
Carnets d’un ambulancier et pharmacien
Jean Prévot est né à Montauban. Il est le fils unique de Marcelin Prévot, employé dans
les Contributions indirectes surnuméraires, et de Jeanne Gleye, sans profession. Malgré la
modeste condition de ses parents, il part faire ses études de pharmacien à Bordeaux grâce à
des bourses. La mutation de son père à Orléans lui permet de rencontrer sa future femme
Renée Decorzent. Il repart cependant terminer ses études à Bordeaux. C’est alors que la
première Guerre mondiale éclate. Il part le 17 février 1915 en tant que volontaire et est
incorporé au 108e de ligne, 30e compagnie dépôt de Bergerac. Il est ensuite versé à la 12e
section infirmiers militaires le 30 janvier 1915. Puis, s’étant porté volontaire, il est affecté à la
4e ambulance de la 37e division le 16 avril 1915. Le 14 novembre 1915, il est affecté à la
pharmacie, ce qu’il attendait avec impatience après plusieurs demandes de sa part. Le 30 mars
1916 il est nommé au G.B.C (Groupe de Brancardiers de Corps). Le 28 juillet 1917, il est
promu pharmacien aide-major de 2e classe dans le 8e régiment de zouaves, appartenant à la
division marocaine. Il est évacué le 3 septembre 1918 après avoir été gazé. Sur les trois
années et cinq mois qu’il passe au front, il a quatre périodes de permissions : l’une le 3 janvier
1916, une autre le 15 juin 1916, une le 3 octobre 1917, et une dernière le 8 mars 1918. Après
la guerre, il est nommé 1re classe de réserve le 9 juillet 1919 et reçoit la Croix de guerre. En
1922 la commission de réforme de Toulouse lui attribue une pension temporaire de 30% pour
« suite d’intoxication par gaz, troubles pulmonaires, légère tachycardie ». Il se marie avec
Renée Decorzent en 1919 dont il aura 2 filles. Ils vont s’installer à Toulouse où Jean achète
une pharmacie et y restent jusqu’en 1938. Puis il devient actionnaire d’une fabrique de
médicaments qui fait faillite, ce qui met la famille en difficultés financières. La famille Prévot
part à Saint-Thibault pour se ressourcer et en 1939, Jean tient une pharmacie à Carcassonne.
Au retour du propriétaire alors mobilisé pour la Seconde Guerre mondiale, Jean Prévot ouvre
une pharmacie à Lautrec dans le Tarn jusqu’à sa retraite. Enfin il va finir ses jours à Orléans
dans une maison bourgeoise, celle-là même où son petit-fils Marc retrouvera en 1970 ses
carnets de guerre.
Ces Carnets d’un ambulancier et pharmacien, 1914-1918 sont édités par les éditions
des Equateurs en 2007. Ils sont tenus pratiquement tous les jours du 17 février 1915 au 22
juillet 1918, sont au nombre de 4. Il y a malheureusement des manques : du 16 juin 1915 au
1er octobre 1915, puis du 31 août au 1er octobre 1917. Jean Prévot dessina dans l’un de ses
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carnets le plan de l’ambulance 4/37, croquis rapporté dans l’édition des carnets, avec
plusieurs photos de Jean Prévot accompagné de ses camarades ambulanciers. Les carnets ont
été fidèlement réécris par la famille de Jean Prévot après avoir été retrouvés dans le grenier de
sa dernière demeure. Seuls les jours correspondant aux dates furent rajoutés pour une
meilleure compréhension, ainsi que des notes en bas de page. Le témoignage possède une
introduction des descendants de Jean Prévot dans laquelle ils expliquent leur parcours du jour
où ils retrouvèrent les carnets, jusqu’à leur édition. Les carnets n’étaient donc pas destinés à la
publication par leur auteur. Dans ses carnets, Jean Prévot rapporte presque tous les jours le
programme de ses journées ainsi que les faits et mouvements des troupes alentours. Et il
n’oublie jamais de préciser la météo du jour.
Jean Prévot parle lui-même, à la première personne, soit du singulier quand il parle de
ses propres actes, mais parfois aussi du pluriel quand il parle de l’armée française en général,
ou de la France. Les seules autres personnes dont il parle sont les Allemands, dénommés
« Boches », et les alliés : les Russes, les Anglais, les Belges et les Américains. Il garde
toujours un style sobre, un ton égal tout au long du récit, laissant rarement voir ses émotions.
Il semble vouloir rapporter un récit strictement militaire des opérations et des mouvements de
troupes. Il précise aussi les activités que lui et ses camarades font, autant dans le cadre de
l’ambulance que dans un cadre plus privé, lors de leurs après-midi libres par exemple.
Jean Prévot, tout au long de ses carnets, s’intéresse beaucoup aux mouvements de
troupes, aux stratégies, aux avancements du front. Il semble aussi avoir une certaine
connaissance de l’artillerie car il commente chaque mouvement de canon en précisant le
calibre. Il tient aussi à se tenir au courant de l’avancée générale de la guerre en lisant les
journaux régulièrement, quand il le peut. Ou parfois en extirpant des renseignements aux
prisonniers allemands. Il rapporte ainsi ce qu’il entend des grandes batailles de la guerre, ainsi
que l’entrée en guerre de nouveaux alliés, comme la Belgique ou l’Italie l. 2-4 de la p. 89 :
« Pendant le repas, Salama est arrivé nous annonçant la mobilisation générale de l’Italie, ce
qui a été accueilli par des applaudissements. » Ses camarades de l’ambulance se tiennent au
courant tout autant que lui des nouvelles de la guerre et tous peuvent ainsi en discuter en bons
patriotes. Mais malgré leur enthousiasme pour les avancées alliées, la paix reste leur
principale motivation comme nous pouvons le voir l.8 de la p. 162 « On se souhaite la bonne
année de bonne heure et l’on n’oublie pas la paix ».
Lorsque l’ambulance est installée de manière fixe sur un endroit du front, Jean Prévot
loge dans des tentes alentours, ou dans les tentes de l’ambulance lorsqu’il est de garde. Or,
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lorsqu’ils sont en déplacement pour s’établir dans un autre lieu, le personnel de soin est logé
chez les habitants, bien que ceux-ci préfèrent loger les automobilistes chargés du transport,
qui payent mieux et en avance ! Les logements sont donc de fortune la plupart du temps :
grenier, ferme, paillasse (plus ou moins épaisse). Jean Prévot va tous les dimanches à la
messe, lorsqu’il en a la possibilité. Les églises sont, elles aussi, souvent de fortune, comme il
nous le montre l.9-12 p. 71 : « L’autel est bien arrangé, on a planté quelques sapins de plus, on
en a fait un devant d’autel avec des troncs de bouleau. Deux douilles de 75 servent de portebouquet ». Lors des cantonnements, le peu d’eau potable rend la toilette difficile, ainsi que la
lessive, qui est souvent envoyée dans une ville voisine. Lorsque les malades ou blessés se font
rares, ou lorsqu’il est en repos, le personnel s’occupe en organisant des matchs de foot, ou des
partis de pêche, ou encore de grandes balades dans les environs.
Dans ses carnets, Jean Prévot n’oublie pas non plus de mentionner ses supérieurs.
Lorsqu’il les rencontre pour la première fois le 8 mars 1915, il les décrit tous, un par un. Il les
désigne parfois par leur grade, comme à la l.15 p. 43 : « Le 5 galons est venu visiter le
cantonnement », ou par des noms de code utilisés avec ses camarades, comme l.32 p. 137 :
« Le Roy qui est resté couché à Dunkerque, a attrapé 8 jours d’arrêt par « 22 » ». Il se plaint
de certains de ses supérieurs, comme Bataille. Il commente chaque remplacement d’un
supérieur, et rapporte même les déplacements du Q.G. Nous pouvons voir une certaine volonté
de la part des supérieurs d’endiguer l’indiscipline. Par exemple il est stipulé à l’ambulance le
14 avril 1915 que tout absent à deux appels sera versé dans l’infanterie, ou encore que les
infirmiers ayant des condamnations extérieures ou enclins à l’ivrognerie seront renvoyés.
Cependant il est intéressant de relever d’autres mesures prises, comme celle qui nous est
rapportée l.1-6 p. 77 : « Une note émanant du ministère de la Guerre conseille à toutes les
troupes de l’avant de se débarrasser de leur or, de le remettre à l’officier payeur qui donnera
un reçu et l’équivalent en billets. Ce n’est pas de très bon augure. On explique bien que c’est
pour éviter d’être pillé par les Boches ». Les autorités veulent ainsi empêcher tout moyen aux
ennemis de se ravitailler avec leur or. Quand aux médecins-chefs, Jean Prévot note qu’ils
prennent parfois la décision d’une amputation un peu vite. Malgré tout, il entretient de bonnes
relations avec ses supérieurs en général.
Tout au long de son récit, ses camarades sont mentionnés, par leurs nom et prénom. Il
se fait quelques amis avec lesquels il joue aux cartes ou va boire un verre les soirées où il
n’est pas de garde. A chaque nouvelle affectation, il se fait de nouveaux amis, mais essaie de
garder contact avec les anciens, en leur rendant visite à l’ambulance lorsqu’il est dans le
même secteur qu’elle. Cela lui permet même de retrouver d’anciens camarades de classe : le
19 mars 1915, il retrouve un ancien élève de l’école de médecine navale de Bordeaux qu’il a
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rencontré pendant ses études. Quant aux soldats alliés, il en parle peu, mais toujours de façon
aimable.
L’ennemi est, lui aussi, très peu mentionné. Il appelle toujours les Allemands « les
Boches », mais n’en parle jamais péjorativement. Il ne laisse entrevoir aucune haine envers
l’ennemi. Or, le 6 décembre 1917, il fait une remarque intéressante sur les relations entre
Allemands et Français, à la l.25 p. 252 : « Un avion boche a lâché des proclamations, en
allemand !, disant que les républicains allemands demandaient à leurs camarades français de
se rendre. Ils n’avaient qu’à se présenter en donnant le mot de passe : République et qu’alors
ils seraient traités non comme des prisonniers mais comme des frères ». Jean Prévot précise
aussi à plusieurs reprises le nombre de prisonniers faits lors des batailles.
Les attaques rythment la vie du personnel médical, puisque attaque rime avec blessés,
et donc avec soins. Ils sont donc avertis lorsque d’importantes attaques se préparent, afin
qu’ils puissent être aptes à recevoir les victimes, qui peuvent être autant alliées qu’ennemies.
Ils sont aussi avertis des attaques car ils doivent alors éteindre les lumières afin de ne pas être
pris pour cible par les avions ennemis. Ses journées se déroulent au son des canonnades
incessantes et des moteurs d’avions. En effet, la majorité des attaques qu’il rapporte sont entre
l’artillerie et les avions, ou entre les avions eux-mêmes. Il rapporte toujours les armes
utilisées, le calibre des canons, ou le types de bombes. Nous pouvons aussi remarquer que les
gaz sont beaucoup utilisés, dans les deux camps. Alors que le lance-flamme n’est mentionné
qu’une fois. Des entrainements aux masques à gaz sont d’ailleurs organisés pour les soldats.
Les pertes sont elles aussi parfois notées.
Cependant, la violence de guerre est peu présente dans ces carnets de guerre. Malgré
qu’il travaille dans l’hôpital d’évacuation, il décrit peu les blessés, seulement quelques fois au
début de son récit. Il remarque qu’il y a beaucoup de blessés à la tête, et que certaines
journées ne sont consacrées qu’aux amputations. Et de même, lorsqu’il est brancardier dans le
G.B.C, il décrit peu ses interventions dans les tranchées, et ne donne pas de détails.
Lorsque Jean Prévot travaille à l’hôpital d’évacuation, il précise à chaque fois que l’un
de ses patients tombe dans le « grand sommeil », comme il surnomme la mort. Il fait preuve
de compassion. Il aide parfois le fossoyeur dans sa corvée. Le 30 mai 1915, il note l. 6-7
p. 95 : « On doit nous munir d’une seconde plaque d’identité que l’on n’enlèvera pas en cas
de mort ». Le nombre de disparus ou de corps non-identifiables semble donc préoccuper les
autorités.
Malgré cette omniprésence de la mort et de la violence, Jean Prévot semble trouver un
certain réconfort en allant à la messe tous les dimanches. De plus, il semble être sensible à la
météo, car il décrit tous les jours le temps qu’il fait. Lorsqu’il découvre pour la première fois
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les conditions dans lesquelles il va loger durant la guerre, il ne trouve pas ça « très gai ».
Heureusement, il semble qu’une bonne ambiance règne au sein de l’ambulance : des parties
de foot sont organisées, des parties de cartes, des balades, des sorties… En ce qui concerne la
nourriture, il n’en est pas toujours très satisfait, comme il le montre à la l.31 p. 108 : « le pain
que nous mangeons est vieux, souvent de plus de 10 jours et presque toujours moisi». Seuls
les repas de fêtes sont appréciés.
Au début de son récit, quelques visites de ses proches ainsi que des lettres semblent lui
faire plaisir. Puis plus le temps passe, et moins il parle de ses proches. On ne sait donc pas si
c’est parce qu’ils ne donnent plus de nouvelles, ou si c’est une omission de jean Prévot.
Émilie LAFON (Université Paul-Valéry Montpellier III)

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