Accueillant Réseauter Cordée Fil Harmonieusement Agapes Chœur

Transcription

Accueillant Réseauter Cordée Fil Harmonieusement Agapes Chœur
Mardi 15 mars 2011 : les textes des classes venues
à la Cité nationale de l’histoire de l’immigration
dans le cadre de la Semaine de la langue française et de la Francophonie
Accueilla nt
Résea uter
Cor dée
Fil
Harmo nieusem ent
Aga pes
Chœ ur
Com plice
Av ec
M ain
La Semaine de la langue française et de la Francophonie offre à tous les passionnés de la langue française
l’occasion de jouer avec les mots en donnant libre cours à leur créativité et de manifester combien cette
langue est riche d’innovation, de poésie, d’inventivité. Elle permet à chacun d’exprimer son
attachement à la langue française, outils par excellence du lien social, de l’expression personnelle et de
l’accès à la citoyenneté et à la culture.
Les dix mots suivants
« avec, accueillant, agapes, complice, cordée, chœur, harmonieusement,
fil, main, réseauter »
choisis pour cette édition et qui illustrent chacun à leur manière le thème de la solidarité sont en
écho avec les collections du Musée de l’histoire et des cultures de l’immigration et les
préoccupations de la Cité.
Les deux groupes ( un groupe d’élèves de différentes classes formant l’atelier d’écriture du
L yc é e Camille Claudel à Vauréal et une classe de troisième du collèg e F e rdinand
Buisso n de Juvisy- sur- Org e ) qui ont répondu à l’invitation de la CNHI le 15 mars 2011 ont
d’abord visité l’exposition permanente Repères en tentant de mettre en écho les mots listés et
des éléments de l’exposition. Puis, Les élèves ont produit des textes lors d’un atelier animé par
l’équipe du département Pédagogie en essayant d’articuler les mots retenus et les choix faits
lors de la visite.
Voici les textes qui ont été lus avec émotion par leurs auteurs à leurs camarades à l’issue de cette
demi-journée de découverte à la CNHI.
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Les textes de l’atelier d’écriture du lycée Camille Claudel de
Vauréal
(Cergy-Pontoise)
Sortant de ma patrie saccagée et en larmes
Dans un autre pays je veux retrouver mon âme
Entrant sur une terre dont je n’ai jamais respiré l’air
C’est ici et maintenant que commence ma nouvelle galère
Engagé travailleur avec les gens du pays
Qui très gentiment m’ont pris pour ami
Rentrant dans mon petit logement d’ouvriers
J’ai trouvé mon patron qui venait me supplier
Par grâce, s’il vous plaît, de m’éloigner de mes camarades
Alors à ce moment, c’est là que j’ai décidé
De lutter contre ce vil avec la force de l’amitié
Travailleurs immigrés et français,
Tous unis nous sommes, tous unis nous serons.
Axelle
Pour ce texte, voir l’affiche exposée dans Repères (Affiche de la CFDT au début des années 70
présentée dans la table Au travail) accessible à partir du lien suivant :
http://www.histoire-immigration.fr/musee/collections/affiche-de-la-cfdt-au-debut-des-annees-1970
et
Jeune femme venue d’ailleurs à la
Silhouette svelte et la longue chevelure
Brune recherche homme honnête pour relation complice, âge indéfini.
Mariage rapide possible avec homme
Français ouvert pour faire goûter
Une culture exotique.
Perrine
Pour ce texte, voir l’œuvre « Urgent » (1997-2007) de Ghazel exposée dans Repères et
accessible à partir du lien suivant :
http://www.histoire-immigration.fr/musee/collections/urgent-de-ghazel
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Le cHœur.
C’est un des organes les plus importants, il permet au cerveau de fonctionner. Une personne n’est
définie que par ses actes, que par ses décisions.
Mais rien ne serait possible si à la base il n’y avait le cHœur.
Le cHœur, tous.
Le cHœur, toujours caché, apporte l‘indispensable…
Qui nettoie les lieux publics ?
Qui fait le travail le plus ingrat ?
Le plus souvent, des émigrés, le cHœur, le coeur.
Dans l’urgence, ils font ces métiers.
Ce sont les cHœurs de notre pays, le cœur de notre vie.
Vincent
Pour ce texte, voir le tableau « Paris est propre » (1989) de Chéri Samba exposé dans Repères
et accessible à partir du lien suivant :
http://www.histoire-immigration.fr/musee/collections/paris-est-propre-de-cheri-samba
A bien regarder, c’est poétique, une fête : tous ensemble, liés par un bonheur commun.
Le plus intéressant dans cette fête, c’est que c’est ma Bar-mitsva et que même si nous, juifs, n’avons
rien, il est tout de même possible d’être bien.
Voilà environ trois ans que nous sommes en Italie, près du Vatican. Ce que nous fuyions, c’était une
guerre impliquant notre chère Israël. Autant l’ambiance n’était pas super là-bas, autant notre accueil
ici avait été quasiment glacial. Il paraît que le Duce venait juste de tomber. Il laissait derrière lui des
personnes étranges, somme toute, puisqu’elles nourrissaient une haine sans borne pour l’autre,
celui qu’elles ne connaissaient pas. Beaucoup de gens de la ville en étaient ; charmants personnages.
Ils nous détestaient sans vraie raison, alors nous ne voulions pas savoir pourquoi. Car ma famille
n’était pas la seule à avoir quitté sa terre.
Certains avaient dû couper leurs racines, mais oublier d’où l’on vient n’est pas forcément facile.
Certains se confinaient chez eux comme des bêtes dès lors qu’on les traitait de la sorte. Et les autres
continuaient à vivre parce qu’ils le devaient. Ils avaient bougé pour ça, alors pas question de se
laisser mourir.
Dès lors, on ne comptait plus les membres de cette communauté italo-juive qui se réunissait pour
pouvoir à nouveau vivre. On vivait pour soi et plus dans l’angoisse qu’une quelconque milice
n’arrive.
Ainsi, à Naples, au milieu du XXème siècle, je fêtais ma Bar-mitsva avec ma famille et mes amis.
Plus tard, je découvrirais le sud, le travail agricole, les différentes galères de la vie. Mais pour le
moment, j’étais jeune et j’avais bien trop de choses à penser pour que le regard que la société avait
sur moi ne m’importât.
J’étais un « métèque ». Et j’en étais fier.
Cécilia
4/14
Avec
Il est avec elle.
Ce jeune homme beau, grand, blond, aux yeux bleus la regarde. Il sent un malaise et un bonheur
interne qui le submerge.
Son cœur se serait-il ouvert à nouveau ?
Pourtant ses yeux ont vu les pires atrocités, la guerre l’a peut-être changé.
Mais son cœur s’ouvre, il s’ouvre peu à peu, au fur et à mesure qu’il la regarde.
Il a quitté son pays, la France. Le voilà dans un nouveau continent, dans un nouveau pays. Une
nouvelle culture s’offre à lui et la voilà…
Sa démarche le rend perplexe. Telle une aristocrate parisienne, en compagnie de sa mère, elle se
dirige vers la grand-place.
Il la suit, lui adresse quelques mots, parvient à la faire rire.
Peu après, elle doit partir.
La reverra-t-il ?
Comme un enfant, il se demande si c’est une princesse, venue lui prendre son cœur d’un regard.
Il la reverra, il sera avec elle.
Corine
Prends-moi la main comme un frère,
Nous serons plus forts,
Unissons-nous dans la misère,
Unis, oui, jusqu’à la mort.
Résiste, conteste, bats-toi, je t’aiderai,
Ne reste pas soumis à des lois inégales,
Demande, réclame, exige même, je te guiderai
Là où tu n’auras plus jamais mal.
Tu as souffert, mon ami,
Il est temps de te révolter,
Résiste à tes ennemis,
Ressors vivant et fort, pas comme un damné !
Un jour, au bout de tes efforts,
Toujours, et sans aucun remords,
Tu trouveras le repos, tu seras récompensé,
Et tes fils après toi, seront libérés.
Main dans la main.
Sindy
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C’est donc ça la liberté ? Partir et tout quitter ?
Je me suis toujours demandé pourquoi ils fuyaient tous. Ce qu’ils cherchaient, fuyaient. Si c’étaient
les méandres d’un passé douloureux, un présent au bord de l’anarchie où règne un bordel sans
nom, ou un futur à l’image de ces conneries qu’on voit à la TV.
Après tout, pourquoi ne pas opter pour une vie de banlieue avec mari infidèle et drame permanent ?
Mais plus tard, j’ai compris.
J’ai compris.
J’ai compris pourquoi ils empaquetaient leur vie dans une voiture.
Et un beau jour, je partirai moi-même, légère, avec pour seul bagage, un paquet de clopes et mon
orgueil.
Barbara
Bordeaux, le 14 /02/1984
Cher Sami,
Voilà aujourd’hui deux ans que mon périple a touché à sa fin. Voilà deux ans que j’ai atteint la terre
que nous rendaient inaccessible les eaux et nos poches trouées. Voilà deux années que je suis en
France, et chaque lettre que je t’adresse depuis lors est un douloureux tiraillement, une sécheresse :
ton absence m’est insupportable…
La France t’aurait déçu, en fin de compte. C’est toi qui avais raison : papa aussi savait
comment sont les Français, et je ne l’ai pas écouté. Maintenant, notre complicité est rompue par ma
faute, et pourtant je t’écris, toujours et encore. Ces deux années t’ont-elles tant changé que tu ne
reconnaisses plus en moi la complice avec qui tu courais la nuit dans les ruelles ? N’est-ce pas
avec moi que tu as crocheté ta première serrure ? Que tu as volé ton premier cageot de fruits ? Et
n’est-ce pas à toi que jadis j’ai offert mon cœur ? Est-il trop tard pour espérer enfin une réponse de
toi ?
Peu importe, je ne t’écrivais pas pour rouvrir les anciennes plaies, mais pour t’annoncer mon
retour prochain à la maison. La France ne peut pas nous aider, c’est ainsi. Et je préfère survivre avec
sous les pieds ma terre natale que de faire semblant d’aimer vivre dans ce monde froid, stérile et
méprisant.
Ton frère m’a écrit au sujet de son intention de tenter une carrière sportive ici. Malgré mes
efforts dans ma dernière lettre où je lui déconseillais fortement de venir, sa décision semblait
irrévocable ; j’espère que tu auras su le raisonner mieux que moi…
Si tout se passe comme prévu, ma démission sera acceptée d’ici quelques jours : un mois à
attendre et tu retrouveras la complice que tu avais perdue. Et je prie pour que tu me pardonnes mon
départ précipité, pour que nous reprenions nos vies deux ans plus tôt.
Après tout, effacer deux ans, c’est comme souffler un tas de sable : c’est insignifiant, et à part le
sable lui-même, qui s’en soucie ?
A très bientôt,
ta Manuela
Adrien
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On se réunit tous, un soir
Nos frères et sœurs sont aussi là pour boire
Le repas abondant, la bonne chair
Est communément préparée. Coutume chère.
Ensemble de saveurs, d’âmes connues
Les épices flattant les palais nus
L’esprit lui-même porté aux nues
Ce soir où tout le monde est venu.
On se déclare « S’agapo, agapinou »
Sans gêne, soumis à aucun regard filou
De même que la chaleur s’adoucit
Cette soirée, cette nuit reste plus qu’un récit.
Tout un chacun sous le regard des autres
Se meurt alors de jouissance
Devant l’ambiance alors de clémence
Où nos mets sont aussi ceux des autres
Que l’on soit Ali, Pierre, Edvar ou Moussa
Pas un regard de pierre, tout est agapes
La force de l’amitié ici s’attrape
Et c’est alors pour nous plus fort que tout ça.
Raphaël
Nous étions plus d’une bonne vingtaine à l’arrière de ce fourgon. Sans pouvoir déceler le moindre
fragment de paysage. Nous étions entassés les uns contre les autres.
Soudain, on sentit une secousse, comme si le véhicule avait roulé sur une pente rugueuse. Puis il
s’arrêta. Les portes s’ouvrirent. Certains tombèrent aussitôt sur le bitume, les autres se
recroquevillaient sur eux-mêmes à la simple vue de la « Ville Lumière ». Moi, j’étais calée sur un
caisson à l’arrière du camion. Mon sac en toile qui ne regroupait qu’une infime partie de mes
affaires entre les bras. Et sur mon épaule, la tête de Leïla, encore endormie, me rappelait que je
n’étais pas seule. Je lui tapotai le crâne, doucement pour la réveiller. Elle fit grise mine avant de
s’agripper à moi pour que je l’aide à se lever. Je la soutins et nous sortîmes toutes les deux ; les
autres, d’une terrible impatience, nous dévisageaient. Le trajet avait été long et rude, et chacun avait
une raison bien particulière d’avoir quitté maison et famille. Ils étaient de toutes nationalités, noirs,
arabes, africains, magrébins, polonais, russes, asiatiques ; moi, je venais d’Inde. J’avais fui ma
famille pour éviter un mariage forcé qui aurait pu détruire ma vie.
Au début du voyage, lorsque le bateau fit escale en Asie, sur le marché d’un port local, nous nous
étions immédiatement liées d’amitié avec Leïla. J’ai partagé avec elle une part de gâteau de
semoule indien et elle, elle m’a fait découvrir la corne de gazelle. Le bateau avait eu un problème et
on allait traverser le pays à l’arrière d’un camion d’exportation.
Nous étions désormais à l’aube d’une vie nouvelle. Le groupe de voyageurs avec qui nous étions
parties était très convivial, mais tout s’arrêtait là. Ils savaient tous où aller, tous, sauf nous deux.
Nous avions continué à pied. Au fur et à mesure, les gens s’en allèrent. Souvent parce qu’ils
connaissaient de la famille qui pouvait les accueillir à bras ouverts. Mais nous, non. Au bout d’un
moment, nous nous sommes retrouvées seules. Sans aucun papier, aucun droit, nous étions deux
immigrées. Nous avons continué notre route seules, avons trouvé de quoi nous loger, un squat. Pour
avoir de quoi nous nourrir, nous avons dû travailler… au noir.
Jason
Je regarde. Je visite. Je savoure l’exposition.
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Je vois ce mortier. Identique à celui de la maison. Je les vois ces images, d’agapes, de fêtes, de
convives…
Je les vois et je ressens, tout comme ces personnes que je ne connais pas et que je ne connaîtrai
jamais, cette joie toute particulière, ce bonheur spécifique à la vie de famille.
Quand je vois cette mama arabe, servir des gâteaux en riant, ou ces autres accompagnant leurs
enfants, je me sens proche d’elles. Comme si je pouvais les toucher, toucher leur bienveillance, leur
sourire, leur chaleur…
Intérieurement, je repense à ma propre famille. Je repense à ces fêtes, ces repas. Je peux réellement
sentir l’odeur des misolés, des bananes plantains cuites à l’huile, le goût du ndolé, ce plat
typiquement camerounais. Je me rappelle même l’imperceptible goût du gombo fondant dans la
bouche avec le foufou. Un délice. Un mets qui me ravit le palais et l’esprit.
Puis je me revois, ma famille et moi, mangeant et riant. Dansant aussi.
La musique qui nous relie.
Ces agapes nous rassemblent et le rire nous unit.
Emeline
Moi, j’dis que l’immigration, ça crée des liens. On vient tous de partout, Cameroun, Vietnam,
Portugal, Maroc, Amérique latine, Roumanie, Chine, et j’en passe, et on nous enferme dans des
dizaines de grandes tours se réunissant pour former ce que l’on appelle une « cité ». Alors, nous,
dans cette « cité », nous ne sommes plus « différents peuples », mais une seule famille, qui s’unit
contre ce racisme d’état ! Et ouais ! Une sorte de complicité s’installe entre nous, et c’est comme
ça que l’on peut voir un blanc jouer avec un jaune ou un noir avec un rebeu. Bon, après, j’dis pas
que c’est tous les jours très drôle, par exemple, une fois, mon pote s’est fait brûler sa caisse juste
parce qu’il avait oublié de donner 50 cts à un épicier du coin. Mais c’est ça aussi, la cité, c’est
« jovial », y a de l’action, du fun ! bien sûr, tous ne comprennent pas, il faut y vivre pour apercevoir
notre complicité. Cependant, notre rêve à tous, c’est d’en sortir, de quitter le ghetto, de mener une
vie de bourge avec de la tune plein les poches et une Ferrari achetée honnêtement…
Y en a qui y arrivent
Y en a, parmi nous, qui y arrivent
mais on ne peut pas dire que c’est fréquent,
que l’on nous aide vraiment.
J’avais des rêves.
Une grosse publicité mensongère, voilà ce qu’est la France !
Heureusement, dans la cité, nous, on s’aime, on vous tend la main pour que vous nous acceptiez
tels que nous sommes tous, parce que, malgré votre racisme, votre rejet, votre incompréhension,
nous, on vous aime, français par dessus tout !
Axel
Pour ce texte, l’exposition Repères propose plusieurs œuvres évoquant la vie dans des « cités »
par exemple les photographies de Denis Darzacq intitulées « Bobigny, centre ville » (2007)
présentées dans la section Ici et la-bas et accessibles à partir du lien suivant :
http://www.histoire-immigration.fr/musee/collections/bobigny-centre-ville-de-denis-darzacq
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J’effleure l’accordéon de mon front, de mes cheveux, de mes pensées, de mes souvenirs, à travers la
vitre
Et tout revient
Puis tout repart
Entre deux vagues, je suis là, face à lui.
Musique en cage comme l’oiseau. Harmonieusement, ma tête résonne de rires d ’enfants quand
mon père…
Quand ma mère…
Etrange malaise face aux touches noires et blanches. Retrouvailles avec l’air de famille. Agapes
lointaines.
« Tu seras accordéoniste comme ton père, Rachel ! »
Où est mon passé ? Où est cet hier prometteur ? Famille, rires d ’enfants, accordéon ? Où sont les
miens ?
Séparés de moi par cette fine feuille de verre…
Ma main laisse une trace fuyante sur la paroi vitrée. Je croise un regard au détour d ’un reflet. Les
yeux de ma mère me suivent, me sourient, me font signe.
Les larmes refluent
Je salue l’instrument
Et je m’incline vers le futur.
Sylvie
Pour ce texte, voir l’accordéon de la manufacture Schenardi-Costa exposé dans la section Au travail et
accessible à partir du lien suivant :
http://www.histoire-immigration.fr/musee/collections/accordeon-de-la-manufacture-schenardi-costa
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Tic Toc Tic Tic. Résonne en moi ce son d ’autrefois. La mine est là, mais pourtant n ’est plus.
Les miens sont venus ici pour elle. Enfin, cela, c’est l’Histoire qui le dit. Tout cela m’est familier et
pourtant inconnu.
Ce sang, ce charbon coule dans mes veines.
L’odeur imprègne tous les pores de ma peau alors que mon nez l’a si peu sentie.
Mon nom est associé au charbon.
La fierté de ce nom résonne, rayonne à travers chaque fibre de mon corps.
Ce nom si souvent obscurci par la croyance des gens. Cette croyance qui veut qu ’à travers ce nom
tout soit figé, tout soit écrit.
Ca, c’est l’histoire qui le dit.
Mon nom sonne comme un ailleurs alors que je ne connais qu ’ici. Pour eux, mon ici doit être
ailleurs.
Leur ailleurs doit être mon ici. C’est l’histoire qui l’a dit.
Mais moi, je sais que mon nom me porte. Les galeries de la mine m’élèvent.
Tic Toc Tci Tic pour moi le bruit du pic n ’est plus qu ’un écho.
La pelle mécanique soulage. La mine est fermée. Qu’importe ! Mon nez, ma main, mon nom, mon
cœur sont toujours là. Rien n’est terminé, tout ne fait que commencer.
J’avance main dans la main avec moi-même.
Les autres viendront. Des fils se tisseront. Des liens se noueront.
Enfin, ça, mon histoire le dira.
Marie
Pour ce texte, voir par exemple les photographies de Kazimir Zgorecki (années 1920 ) qui font partie des
collections de la CNHI et sont accessibles à partir du lien suivant :
http://www.histoire-immigration.fr/musee/collections/mineurs-embauches-par-la-compagnie-des-mines-de-lens-le-2-octobre-1
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Mémoires épinglées
Fil.
Tu as toujours aimé suivre celui qui irrigue le crayon, dans l’ombre de la mémoire qui glisse,
tantôt vite, tantôt non, sur la feuille.
Le fil relie
Le fil tisse
Devenus plusieurs, ils se ramifient et nouent les liens du regard, le temps d ’une pause où l’on
accueille, où l’on s’arrête à quelque chose, comme ce cliché suspendu au fil, cordage de linges
familiers. L’enfant est là, devant toi sur ce cliché tendu, l’enfant bien droit, noir et blanc, son petit
corps effacé par un grain flou, son visage net, lui, seul au creux d ’une main, il en est le centre,
l’univers importe peu, sa tête est là, glissée comme un oiseau battant au creux des doigts qui le
retiennent délicatement, tête de rêve, tête étonnée, détachée, attentive, que va-t-il m’arriver, que vas-tu
faire de moi, ô toi qui me regardes, hypnotisé par mon regard fou, tête plus réelle que tout ce qui
tourne autour, dans ce médaillon de chair au fond duquel tu me regardes, tu me fixes à en pleurer,
décalcomanie qui flotte au-dessus de toi, sur ce cliché épinglé, à côté des autres de ma famille, cordée
traçant, de ces captures d’un rien, les moments de vie d ’un ici et d ’un ailleurs, peu importe lesquels,
les miens, les tiens,
ces moments
se
rejoignent
complices
d'une photo vers une autre, sur le fil, les deux cuillères tristes chacune en enfilade inversée, tête
bêche, bien alignées sur une table en formica toute tachée, piquetée de rouille et de fin de repas, dans
un invisible sillon
effroyablement tracé, deux cuillères étrangères portant encore les coups de
langues, confiture et poudre de chocolat, cacao amer, tristes cuillères, elles se cambrent l'une vers
l'autre dans un sens à chacune unique qui fait mal, de toute leur courbe métallique, elles ont beau
tendre, elles ne se touchent pas, des mains les ont posées là, involontairement, sur cette table
constellée, et le mouvement n'est plus, c'est fini, il faut sortir de table, retourner jouer peut-être,
oublier, ne pas voir cette signature involontaire, ce signe inadvertant. Le chocolat se marie-t-il jamais
avec la confiture?
Béatrice
Pour ce texte, voir l’installation de Kader Attia « Correspondance » (2003) exposée dans Repères dans
la section Ici et là-bas et accessible à partir du lien suivant :
http://www.histoire-immigration.fr/musee/collections/correspondance-kader-attia
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Les textes de la classe de troisième du collège Ferdinand Buisson
à Juvisy-sur-Orge
Carnet de route d'un immigrant clandestin
Il prend des dangers,
Pour pouvoir la rencontrer,
Des étapes à parcourir,
Afin de construire un avenir,
Mais la traversée ne se tient qu'à un fil,
Entouré de semblables, c'est l'exil,
Se demandant si ce pays sera accueillant,
Dans un pays rempli de ces immigrants,
Il avance, tend sa main,
Traverse les difficultés, attend le destin,
Maintenant, il construit,
Petit à petit,
ce qu'il appellera,
aux gens de là-bas,
Carnet de route d'un immigrant clandestin
Sana
La petite Espagnole
Un soir de bal à Paris, la petite Espagnole essayait de se faire de faire de nouveaux contacts pour
devenir chanteuse. Un jeune homme la regardait, l'admira dans sa robe rouge flamboyante et ses
petits volants. Sa peau mate et ses longs cheveux bruns qui lui tombaient dans le dos lui rappelaient
le Sud et son regard noir mais si doux l'envoûtait. Il lui tendit sa main pour une danse et tous deux
dansèrent avec complicité. Leurs deux corps harmonieusement cordés dansaient et dansaient en
chœur à chaque pas, à chaque mouvement. Leurs regards restèrent figés l'un dans l'autre jusqu'au
moment où ils comprirent …
Margaux
Voici les photographies de J.P. Charbonnier « Vie quotidienne d’une bonne espagnole à
Paris » (1962) exposées dans Repères dans la section Enracinements qui m'a inspirée :
http://www.histoire-immigration.fr/musee/collections/vie-quotidienne-d-une-bonne-espagnole-a-paris-de-jean-philippe-charbonnier
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Ma Fatima à moi.
Elle était drôle, saupoudrée d'orient la peau mate d'une Shéhérazade modernisée en jean et ballerines,
elle me rappelait les personnages des mille et une nuits. Au fil du temps nous sommes devenues
complices, tout ce qu'une amie pouvait offrir.
La première fois que je l'ai vue c'était dans l'avion, destination Paris-Orly : moi, revenant de vacances
avec mes parents, triste et nostalgique de quitter ce beau pays ensoleillé à toute époque de l'année;
elle, était heureuse comme jamais de le quitter : de nouvelles opportunités s'offraient à elle. Son
sourire malicieux évoquait la pincée d'aventure qui faisait battre son cœur plus vite.
À sa main, un de ces grands sacs blancs à rayures bleues qu'on avait l'habitude de se voir proposer
par des gamins affamés de nourriture mais surtout d'argent dans les souks en échange d'une
modeste pièce. Un sac typique qui paraissait porter des tonnes de souvenirs. Ce jour-là, nous ne
nous étions pas parlé. Aucune de nous n'imaginait revoir l'autre un jour. Et pourtant!
Le jour de la rentrée je la revis dans le collège et nous finîmes par devenir les meilleures amies du
monde. Je l'ai aidée à s'intégrer et à réseauter me disait-elle souvent: elle adorait ce mot qui était
pour elle synonyme de ses ambitions.
Je me rappelle particulièrement les agapes des jours de ramadan que je passais chez elle avec sa
grande famille, harmonieusement réunie autour d'un repas délicieux aux saveurs
méditerranéennes. La table débordait souvent tellement la quantité de mets savoureux et délicieux
était énorme.
Tous ces plats qui pour moi étaient étrangers: tajines, couscous, chorbas, bricks, pastillas, gâteaux au
miel et les inévitables dattes fourrées à la pâte d'amande...et tout un tas d'épices aux couleurs et aux
odeurs agréables.
Mais qui aurait cru qu'un jour on me l'enlèverait ma Fatima à moi sous prétexte qu'elle n'était pas
née dans ce pays, qu'elle adorait pourtant et qu'elle considérait comme sa deuxième patrie?
Amina.
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BALABAN
Quand je joue du balaban ,
Cette musique douce qui me rappelle mon Azerbaidjan
Avec cette terre qui m'a vu naître et exister,
Et pour moi un lieu de prospérité.
Ce lieu que j'ai dû quitter est pour moi un lien brisé...
Jouer de cette flute et pour moi le retrouver.
YK
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