Jeux traditionnels et transfert d`apprentissage en EPS :

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Jeux traditionnels et transfert d`apprentissage en EPS :
Jeux traditionnels et transfert d’apprentissage en EPS :
Plaisir de jouer et plaisir d’apprendre
Éric DUGAS (Maître de Conférences – HDR - Groupe d’Études pour une Europe de la
Culture et de la Solidarité – GEPECS, EA 3625, axe 4, Université Paris Descartes, Paris,
France - Membre de l’AE-EPS et du groupe-ressource « Plaisir »)
Introduction
Dans notre société actuelle, l’idée d’associer le plaisir aux situations sociales
vécues fait son chemin, malgré quelques réticences. Ces dernières sont encore palpables
notamment dans la sphère de l’éducation scolaire. Pourtant, le plaisir d’agir est un ingrédient
fondamental de la transformation et de la construction de l’individu apprenant. D’autant plus,
lorsqu’il s’agit d’un enfant qui apprend et s’émancipe à l’école. Mais le concept de plaisir
étant bien difficile à saisir - du fait qu’il est ressenti de façon personnelle par celui qui le vit -,
que les positions sur la question sont davantage liées à la subjectivité qu’à l’administration de
la preuve scientifique. Dès lors, fautes de savoirs, la pensée se contente d’images et de mythes
(During, 1999, p. 51). La notion de plaisir peut ainsi être associée soit à des valeurs négatives
qui ne sont guère compatibles avec l’apprentissage scolaire telles que le non sérieux, la
paresse, la facilité, la fugacité, etc. ; soit à des valeurs positives dans le sens où sans la trace
d’un plaisir intériorisé, il semble difficile d’envisager un réinvestissement positif sur le long
terme, dans la vie future d’un citoyen accompli.
Qu’en est-il dans le contexte particulier des activités scolaires en Éducation
physique et Sportive (EPS) ? À l’image des autres formes sociales de pratiques, le plaisir
ressenti au cours de l’activité ludomotrice peut être protéiforme. Pour Gagnaire et Lavie 1
(2007), le sentiment de plaisir peut recouvrir trois dimensions : la compétition (plaisir de
gagner), la ludisation (plaisir de jouer), la convivialité (plaisir de pratiquer avec l’autre). Pour
d’autres, le plaisir découle essentiellement des progrès réalisés dans l’apprentissage, ce qui
conduit à envisager l’EPS sur le pôle de la maîtrise, liée à des objectifs de progrès (pour aller
plus loin, (re)visiter la didactique du plaisir ; Delignières et Garsault, 2004 et 2007). Le
plaisir est alors perçu comme un contenu d’enseignement qui se limite à seulement quelques
activités physiques et sportives (APS) ce qui permet à l’élève d’accéder à l’expertise dans une
activité sportive.
1
Deux membres actifs de l’AE-EPS, co-responsables du groupe-ressource « plaisir » de cette même association.
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Dans ce contexte éducatif, les pratiques sociales de références sont souvent celles
du sport (pratique compétitive satisfaite sous la tutelle d’une institution sportive), sous
couvert d’une transmission culturelle porteuse de sens connue, commune et partagée qu’il
faut s’approprier et transmettre dans l’agir. En conséquence, le jeu sportif non institutionnel
(jeu traditionnel 2 ou du patrimoine) est moins attractif car ce qu’il gagne, entre autres, en
jubilation ludomotrice immédiate, cela semble le desservir au profit d’une didactisation
sérieuse des apprentissages scolaires. Ce constat est très palpable dès l’entrée au collège au
regard de l’observation des programmations d’APS (Dugas, 2005a ; Dufour, 2006). Si bien
qu’il faut rapidement quitter le statut d’enfant pour endosser au plus vite le statut sérieux
d’élève.
Pour notre part, nous privilégierons un plaisir pluriel qui autorise la multiplicité
des APS pour favoriser le plaisir d’apprendre tout en visant l’expertise de l’élève qui se
façonne et s’exprime dans l’adaptabilité (s’adapter à s’adapter) par une mise en jeu corporelle.
Autrement dit, on cherche à valoriser la maîtrise des conduites motrices. (Parlebas, 1976 ;
Dugas, 2006 ; Bordes, 2008).
Ainsi, tenterons-nous de démontrer au fil de ces pages que le plaisir ressenti dans
le vaste répertoire des jeux traditionnels se conjugue aisément, non pas au passé, mais au
présent et au futur avec les finalités de l’école et les objectifs de l’USEP.
1. Un contexte institutionnel encore favorable à la pratique des jeux
traditionnels
Dans ce texte, nous restreindrons notre analyse au champ des jeux sportifs
collectifs. Car de nombreux jeux sportifs traditionnels font partie de cette catégorie de
pratiques physiques au même titre que les sports collectifs classiques et médiatisés (handball,
football, rugby, volley-ball, basket-ball).
Contrairement aux textes officiels du collège et du lycée qui prônent quasi
exclusivement la pratique des sports collectifs, ceux de l’école primaire préconisent
clairement la pratique des jeux traditionnels comme moyen éducatif pour atteindre les
compétences visées. Pour illustration, il est recommandé d’organiser la pratique des activités
en exploitant les ressources locales. Ces dernières peuvent être soit, de l’ordre du matériel et
de l’espace mis à disposition, soit de l’ordre du culturel en privilégiant les activités physiques
2
Jeu traditionnel : Jeu sportif, souvent enraciné dans une longue tradition culturelle, mais qui n'a pas été
consacré par les instances institutionnelles (Parlebas, 1999, p. 205).
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porteuses de sens (ancrage régional). Cette interprétation des textes officiels est recevable car
parmi l’une des quatre compétences retenues en EPS au cycle 2, Coopérer ou s’opposer
individuellement et collectivement, les Jeux traditionnels et les jeux collectifs avec ou sans
ballon sont conviés à être programmés. En revanche, au cycle 3 (cycle des
approfondissements) - le collège pointant à l’horizon à l’issue de ces trois années
d’apprentissage -, les jeux sportifs collectifs cités sont essentiellement des pratiques
institutionnelles (type handball, basket-ball, football, rugby, volley-ball...). Plus on grandit
pour devenir élève et plus le champ des pratiques non institutionnelles, pour cette
compétence, se réduit en peau de chagrin. Pourtant, à l’école primaire, devenir un élève
consiste à apprendre à l’enfant à reconnaître ce qui le distingue des autres et à se faire
reconnaître comme personne, à vivre avec les autres dans une collectivité organisée par des
règles, à comprendre ce qu’est l’école et quelle est sa place dans l’école. Devenir élève relève
d’un processus progressif qui demande à l’enseignant à la fois souplesse et rigueur (B.O.
n°3, hors-série, 19 juin 2008). Pour atteindre cet objectif, les jeux traditionnels, activités
physiques collectives codifiées, ont bel et bien toute leur place en jouant qui plus est, sur un
patrimoine ludomoteur et culturel original et varié.
Autre instance officielle, l’USEP 3 (Union Sportive de l’Enseignement du Premier
degré), très implantée dans la pratique des jeux sportifs à l’école primaire ne contredit pas nos
propos dans les grandes lignes de sa politique éducative : la visée idéologique exprimée par le
biais de l’éducation par le sport, ne concerne pas exclusivement les pratiques sportives
institutionnelles classiques. Elles sont variées et adaptées au milieu scolaire et ce, dans une
vision humaniste des pratiques physiques en s'adaptant à la diversité culturelle. L’USEP fait
écho d’une société française multiculturelle, et que le métissage, le brassage des cultures sont
des ferments fertiles. (...) [Cela] suppose que nous accomplissions un effort supplémentaire,
celui qui consiste à rencontrer l'autre, dans sa différence et de développer un goût partagé
pour la diversité culturelle. Pour notre part, là encore, nos percevons clairement à travers ses
dires, une nécessité de faire connaître et partager un foisonnement de pratiques physiques
sociales codifiées : de l’activité non institutionnelle codifiée (jeux du patrimoine,
traditionnels, etc.) au sport tel que nous le définissons : situation motrice codifiée dans un
cadre compétitif et institutionnel dont au sommet de la pyramide institutionnelle, on identifie
3
En 1984, « au titre de la loi sur le sport, l'USEP est officiellement reconnue comme la fédération sportive
scolaire des écoles publiques de l'enseignement du premier degré. Ces statuts sont visés par décret du Conseil
d'Etat (dernière validation en septembre 2003). » (In, http://www.usep.org).
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le sport mondial, dirigé par des instances internationales (Parlebas, 1981 ; Bordes, Collard &
Dugas, 2007). Pour exemple, L'individu qui pratique le canoë-kayak en tant que sport, et non
pas pour le loisir, est obligatoirement licencié dans un club sportif et doit suivre régulièrement
les compétitions officielles établies par les instances nationales ou internationales de la
fédération de canoë-kayak (comme le kayakiste de haut niveau). Ce sportif est ainsi soumis à
un entraînement suivi et rigoureux. L’aboutissement de cet entraînement intensif se concrétise
par la compétition au cours de laquelle la codification de l’affrontement est exogène, c’est-àdire que le règlement, les sanctions, le système de classement ou encore les accessits sont
sous le contrôle et le dictat d’une instance officielle, hors du champ décisionnel du pratiquant.
Le sel de l’activité se situe donc dans l’incertitude de l’affrontement formel avec autrui pour
le gain d'une compétition (Dugas, 2007).
À travers les illustrations des différentes formes sociales de pratiques, nous
partageons l’idée selon laquelle les plaisirs ainsi associés sont pluriels, particulièrement au
sein les jeux traditionnels, et qu’ils permettront à l’élève de progresser dans le plaisir
immédiat, mais aussi dans le plaisir différé. Ce contexte est supposé favoriser un
réinvestissement ludomoteur de la part des élèves et ce, afin de poursuivre une pratique
physique régulière hors de l’école et tout au long de la vie, pour leur bien-être physique bien
sûr, mais aussi mental et social.
Toutefois, si les objectifs dessinés ici sont louables, si les déclarations sont de bon
aloi, il existe toujours un fort déséquilibre, accentué au collège et au lycée, entre les pratiques
sportives et les pratiques non institutionnelles. Peut-on montrer, de façon pratique, sur le
terrain de l’EPS, tout l’intérêt à porter aux jeux traditionnels ? En d’autres termes, peut-on
dévoiler, outre leur richesse culturelle qui n’est plus à démontrer, que ces jeux apportent aussi
une richesse motrice en EPS ? Dès lors, ils mériteraient plus qu’un simple détour, plus qu’une
simple curiosité passagère.
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2. Le cas du transfert d’apprentissage entre les jeux et les sports
L’individu fait partie intégrante d’un système ludomoteur dans lequel il se meut.
Et ce contexte objectif peut être analysé et modélisé de façon opératoire afin d’être rendu
intelligible (analyse praxéologique de Parlebas, de 1976 à nos jours). Cette approche de
l’action motrice place au-devant de la scène la logique interne 4 de la situation motrice dans
laquelle s’insère le pratiquant, donc l’élève en EPS. Ce contexte d’analyse nous a permis
d’exploiter les plans expérimentaux établis par Pierre Parlebas (1976) au sujet du problème
épineux du transfert d’apprentissage 5 (effet d’apprentissage positif ou négatif). Quelle trace
laisse l’activité motrice passée dans l’action présente ?
En éducation physique et sportive ou dans le domaine de l’entraînement sportif, le
transfert est un processus dont les effets présentent un intérêt fondamental, puisque ceux-ci
sont à la source des transformations et des progrès des apprentissages moteurs.
Si le transfert intraspécifique, qui se traduit par une succession de séances
d’éducation physique consacrées à la même activité, s’impose pour toute progression
pédagogique allant de la simplification à la complexification motrice, le transfert
interspécifique entre deux pratiques est davantage source de suspicion. Alors qu’en est-il
réellement entre des APS collectives différentes, telles que les sports collectifs et les jeux
traditionnels ?
L’objectif de notre expérience de terrain, (Parlebas & Dugas, 2005) ; Dugas, in
Bordes, Collard & Dugas, 2007) réalisée en EPS à l’école primaire, était de savoir si la
pratique des sports collectifs avait une influence sur la pratique des jeux traditionnels et viceversa ?
L’organisation de cette expérience (tableau 1, infra) a rendu nécessaire la
constitution de dix groupes composés chacun de vingt-quatre élèves pouvant être considérés
comme comparables. L’expérience s’est déployée sur six semaines dont quatre semaines
étaient consacrées au cycle d’apprentissage.
4
Logique interne : Système des traits pertinents d’une situation motrice et des conséquences qu’il entraîne dans
l’accomplissement de l’action motrice correspondante (1999, p. 216)
5
Si la notion de transfert d’apprentissage est présentée comme un processus d’apprentissage par les
psychologues (Oléron, 1964), nous retiendrons, dans le champ des pratiques physiques, la définition
opérationnelle inspirée de la psychologie expérimentale : effet que l'on constate quand l'exécution d'une activité
modifie, de façon positive ou négative, l'accomplissement d'une activité nouvelle ou la reproduction d'une
activité ancienne (Parlebas, 1968 et 1981).
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Enfin, l’agencement des pré-tests et des post-tests a été systématiquement
organisé pour tester l’influence des sports collectifs sur les jeux traditionnels et,
réciproquement l’influence des jeux sur les sports.
1 semaine
GROUPES
I
Pré-test
1 Séance
4 semaines
PHASES
II
(Apprentissage)
8 séances
1 semaine
III
Post -test
1 séance
OBSERVATION
Pratique de 3
sports collectifs
SCO
sports collectifs (Hand
Pédagogie ludique
Idem phase 1
foot, basket)
SCO : hand, foot, basket
sports collectifs
SCO
Pédagogie signifiante Idem phase 1
SCO : hand, foot, basket
jeux traditionnels
SCO
Pratique de 8 Jeux
Pédagogie ludique
Idem phase 1
collectifs traditionnels
SCO : hand, foot, basket
jeux traditionnels
SCO
Pédagogie signifiante Idem phase 1
Pratique de 8
jeux traditionnels
JT
JT : passe à 10, balle au cap.,
balle aux chasseurs par équipe.
Jeux collectifs
Pédagogie ludique
Idem phase 1
traditionnels
jeux traditionnels
JT
JT : passe à 10, balle au cap.,
balle aux chasseurs par équipe. Pédagogie signifiante Idem phase 1
Pratique de 3
sports collectifs
JT
JT : passe à 10, balle au cap.,
balle aux chasseurs par équipe.
sports collectifs
Pédagogie ludique
Idem phase 1
(Hand, foot, basket)
sports collectifs
JT
JT : passe à 10, balle au cap.,
balle aux chasseurs par équipe. Pédagogie signifiante Idem phase 1
Pratique sans
SCO : hand, foot, basket
athlétisme
SCO
Pédagogie ludique
Idem phase 1
coopération ni
entraide
athlétisme
JT
JT : passe à 10, balle au cap.,
balle aux chasseurs par équipe.
instrumentales
Pédagogie ludique
Idem phase 1
SCO : sports collectifs - JT : jeux traditionnels par équipe.
Tableau 1 : Plan expérimental en situation sociomotrice. Comparaison de huit groupes expérimentaux
(A1, A2, B1, B2, C1, C2, D1, D2) avec deux groupes témoins (E1, E2).
Bloc expéri- A1
n=24
mental
A
A2
n=24
Bloc expéri- B1
n=24
mental
B
B2
n=24
Bloc expéri- C1
n=24
mental
C
C2
n=24
Bloc expéri- D1
n=24
mental
D
D2
n=24
E1
Bloc témoin n=24
E
E2
n=24
SCO : hand, foot, basket
La présente recherche teste également le rôle de l’intervention de l’enseignant en
évaluant les effets de deux modalités pédagogiques différentes : la pédagogie ludique et la
pédagogie signifiante. Au sein de la première, il s’agit pour l’enseignant d’encourager une
pratique ludique dépourvue d’apprentissages didactiques. Il intervient essentiellement pour
assurer la participation active des élèves, un climat relationnel serein et le bon déroulement
des séances (respect des règles et d'autrui). Dans la seconde modalité, l’enseignant intervient
de façon soutenue et normative afin d’entraîner des progrès moteurs. La pédagogie employée
recherche alors une attitude réflexive sur les conduites motrices engagées. Dans ce contexte,
les enfants et les enseignants tentent de réfléchir ensemble au moyen d'être le plus efficace
possible dans les actions individuelles et collectives. Cette pédagogie signifiante ou de
compréhension cherche à améliorer les principes moteurs engagés dans les tâches de
l'expérience.
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3. Les résultats de l’expérience
D’emblée, les résultats 6 du transfert intraspécifique montrent sans surprise que,
quel que soit le statut des jeux collectifs (institutionnel ou non), le gain d’apprentissage est
positif et ce, très significativement. Ne dit-on pas à juste titre que nous ne pouvons apprendre
à jouer au football qu'en jouant au football ? Autrement dit, la répétition des mêmes situations
motrices prend donc toute sa signification lorsque l’enseignant recherche des progrès notoires
dans une activité physique déterminée. Par ailleurs, les résultats dévoilent que, quelles que
soient les situations d’enseignement, le transfert est plus important dans le cadre d'une
pédagogie signifiante cherchant à favoriser la prise de conscience des principes d’action à
actualiser. L’interaction dyadique entre l'enseignant et l'enseigné semble accroître le
développement d'une intelligence motrice spécifique. Mais les progrès sont réels aussi sans
didactisation appuyée de la part des enseignants. De fait, nous pouvons suggérer qu’un
individu qui agit est un individu qui apprend.
Mais passons rapidement aux résultats des transferts interspécifiques qui nous
intéressent particulièrement. En effet, les jeux traditionnels qui ne génèrent, pour certains,
qu’un plaisir immédiat (ce qui n’est pas déjà pas mal lorsque nous savons que bon nombre
d’élèves sont peu enclins à agir de bon gré dans les premières séances de certaines APS de
référence) sont-ils aussi pertinents à exploiter dans les apprentissages pour faciliter l’atteinte
des compétences souhaitées ?
Du jeu traditionnel au sport
Bloc B
Apprentissa ge
JT
(8 séances)
Bloc B
Pré-test
Evaluation
SCO
Gr. E1
Transfert
positif
+ 4,56
Bloc B
Post-test
Evaluation
SCO
Gr. E1
Du sport au jeu traditionnel
Bloc D
Apprentissage
SCO
(8 séances)
Blo c D
Pré-test
Evaluation
JT
Gr. E2
Transfert
nul
+ 3,75
Bloc D
Post-test
Evaluation
JT
Gr. E2
- 0,73
Gr. E1
APS
athlétisme
(8 séances)
Transfert
positif
Gr. E2
APS
athlétisme
(8 séances)
-1
Transfert
nul
Figure 1 : Résultats des transferts interspécifiques entre spo rts et jeux collectifs ; et entre certaines APS
d’athlétisme et les jeux sportifs collectifs.
6
Précisons que ces recherches expérimentales établissent simplement des constats sur l'effet de transfert sans
préjuger de la nature des processus sous-jacents ; mécanismes qui par ailleurs se révèlent très complexes à
interpréter et qui donnent lieu à de nombreuses théories controversées. Les résultats de l’expérience n’apprécient
donc que les effets terminaux de ce processus transférentiel.
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Les résultats révèlent la présence d’un transfert interspécifique réciproque entre
les jeux traditionnels et les sports collectifs. Ainsi, la pratique du sport est-elle facilitée par
l’apprentissage de jeux traditionnels. Jusqu’à maintenant, rien d’étonnant. Les jeux
traditionnels sont souvent exploités pour amener les élèves vers des activités estimées plus
complexes, les sports collectifs. En effet, le transfert interspécifique au sein des jeux collectifs
n’est exploité qu’essentiellement dans le cadre d'un effet de transfert unilatéral. Les jeux
traditionnels sont donc généralement sous-estimés ou délaissés au profit des sports collectifs.
De fait, les jeux traditionnels sont encore de nos jours considérés comme inférieurs aux sports
collectifs et ne seraient, en fait, que préparatoires à l'accomplissement de ces derniers. À ce
propos, l’appellation péjorative jeux pré-sportifs qui perdure depuis des décennies n’est que
trop explicite.
Si les résultats de notre expérience abondent de façon convergente avec ces
suppositions coutumières, ils dévoilent aussi que les sports peuvent préparer aux jeux ! Un tel
constat autorise l’interprétation selon laquelle des activités qui possèdent de nombreux traits
communs de logique interne, peuvent faciliter la transposition des conduites motrices d’une
activité à une autre. Ici, les traits similaires entre jeux et sports sont : une interaction motrice
opératoire avec autrui (présence de partenaires et d’adversaires) ; un duel d’équipes
symétrique (pouvoirs et rôles identiques) ; un nombre de joueurs identique par jeu collectif
(pour les besoins de l’expérience) ; l’utilisation d’une balle ou d’un ballon. Un milieu connu,
stable et standardisé (un gymnase).
En revanche, ce transfert interspécifique possède des limites : on ne constate
aucune facilitation rétroactive entre les activités d’athlétisme de l’expérience (activités dans
lesquelles le pratiquant agit en isolé sur le plan moteur : sauts, courses rapides, lancers) et les
jeux sportifs collectifs. L’absence de transfert entre les pratiques témoigne de l’hétérogénéité
de ces deux domaines d’action. Si dans bon nombre de jeux sportifs collectifs, on court, on
saute et on lance, c’est essentiellement sous la pression des adversaires et des partenaires qui
agissent dans le même espace. Le joueur de sports collectifs, ne court pas seul, et de façon
rectiligne, dans un couloir ; sa course est contrariée par le ballon et/ou les adversaires et/ou
encore les partenaires. Il en est de même pour le saut. Quant au lancer de la balle, la réussite
motrice ne dépend pas exclusivement du lanceur : en sport collectif, une passe peut être
considérée techniquement comme parfaite, mais son succès dépend d’une part, de la
transparence motrice entre les deux protagonistes et d’autre part, de l’interception éventuelle
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de l’adversaire. Nous avons affaire ici à deux univers sportifs distincts, voire opposés qui ne
facilitent pas le processus transférentiel.
En guise de synthèse, les résultats permettent de poser un regard plus objectif sur
la richesse des jeux traditionnels souvent minorés au profit des sports collectifs. Pourtant, les
jeux traditionnels apparaissent, non seulement aussi riches que les sports collectifs, mais aussi
plus facilement transposables dans d'autres activités (transfert positif plus significatif pour le
bloc B en comparaison au bloc D ; cf. figure 1 supra).
Le plaisir d’agir dans ces jeux n’est donc pas qu’un simple défouloir dédié au
monde enfantin. Ce sont des jeux codifiés de formes variées (tant le plan moteur que culturel),
modulables et adaptables à l’âge des élèves sans que cela soit mal perçu par certains élèves.
En effet, les observations des pratiques sportives collectives en fin de séances d’apprentissage
durant les phases de jeu en situation réelle montrent que, le sport pratiqué à l’école se
transforme fréquemment en un jeu sportif didactique au cours duquel certains traits de
logique interne du sport pratiqué sont modifiés. Nous définirons cette catégorie de jeux
sportifs, par l’ensemble des situations motrices codifiées par les enseignants selon des normes
éducatives et à des fins pédagogiques (Dugas, 2005b, p. 14). Mais pourquoi, parfois, faire si
compliqué lorsque l’on peut faire plus simple ?
Certains pédagogues formuleront à juste titre que l’enseignant peut changer
certaines variables d’un sport (variables spatiales, temporelles, corporelles, relationnelles ou
celles liées aux systèmes de scores) sans pour autant changer la logique interne profonde du
jeu. L’important pour l’enseignant est de posséder les moyens d’analyse et de transformation
des variables pour une bonne adaptation aux circonstances et aux objectifs (J.C. Marchal,
p.15, 1992). Cependant, quitte à transformer un sport, pourquoi ne pas envisager la pratique
d'autres formes sociales d'activités physiques - par exemple les jeux traditionnels collectifs
(jeux de patrimoine) - plus accessibles que le sport selon l'âge et les capacités des
participants ? A fortiori lorsque la pratique culturelle de référence n’est pas toujours un
modèle éducatif à s’approprier et bouscule un tant soit peu les valeurs prônées par l’école.
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4. Du plaisir aux déplaisirs des conflits interpersonnels
Illustrons nos propos à l’aide de la fameuse main d’Henry, capitaine de l’équipe
de France de football, qui retira en trichant toute chance à l’équipe d’Irlande d’être qualifiée
pour la prochaine coupe du monde 2010. Ce fait divers, pris parmi d’autres, révèle toute la
difficulté de choisir une pratique de référence qu’il faut paradoxalement détourner de sa
réalité pour garantir les objectifs éducatifs attendus. Ou plutôt, comment défendre certaines
valeurs à l’école, lorsqu’en dehors de ces enceintes, la réalité montre que pour obtenir un
gain 7 , la ruse et le masquage de ses intentions vis-à-vis de l’adversaire, qualités évidentes
pour être efficace, peuvent produire des effets non voulus (mais prévisibles, car la
compétition génère ce genre d’excès). Encore une fois, quelle énergie dépensée surtout
actuellement, pour réaliser un cycle de football en EPS. Si, bien sûr, l’école ne se confond pas
avec le club sportif, si les moyens (les APSA) ne se confondent pas avec les fins, la
transposition didactique ne règle pas tout, et le lieu d’exercice non plus. Si bien que d’autres
sports moins exposés médiatiquement aux problèmes récurrents cités ci-dessus, et plus
adaptés à l’aisance motrice des élèves mériteraient, au même titre que les jeux traditionnels,
d’être davantage utilisés (Tchoukball, Korfbal, Ultimate etc.).
Ce contexte ambiant peut donc aller à l’encontre du plaisir recherché dans l’action
(problèmes liés à l’enjeu compétitif, à l’opposition motrice, à la domination de l’un sur
l’autre, à des activités ressenties plus masculines, etc.) et engendrer du déplaisir.
À ce propos, nous relaterons une expérience vécue en EPS par Philippe Gagnaire,
déjà cité et professeur d’EPS 8 chevronné. Le récit qui va suivre décrit le climat d’une classe
de 5ème SEGPA au cours de la pratique du handball proposée à la suite de quelques séances
consacrées à un jeu traditionnel collectif, la balle au capitaine.
Il nous fait part que si le passage d'un jeu traditionnel à une forme sportive ne pose pas de
problème particulier d'un point de vue moteur ; ce sont les mêmes compétences attendues
dans les nouveaux programmes (excepté pour « tirer » remplacé par « passer à son capitaine
dans la zone ») : Handball, niveau 1 [issu du programme des collèges] : dans un jeu à effectif
réduit, rechercher le gain du match par des choix pertinents d'actions de passe ou dribble
pour accéder régulièrement à la zone de marque et tirer en position favorable, face à une
défense qui cherche à gêner la progression adverse. S'inscrire dans le cadre d'un projet de jeu
simple lié à la progression de la balle. Respecter les partenaires, les adversaires et les
décisions de l'arbitre. Pourtant, avec des élèves de 5ème SEGPA, ce passage constitue une
7
En EPS, il est stipulé pour un cycle de sport collectif, que dès la classe de 6ème, l’élève doit dans un jeu collectif
à effectif réduit rechercher le gain du match (Bulletin Officiel Spécial n°6 du 28 août 2008).
8
Philippe Gagnaire fait partager ses expériences de terrain dans différents écrits. Notamment avec François
Lavie dans Cultiver le plaisir des élèves en EPS, une condition pour l'apprentissage ! , in Le plaisir des élèves en
EPS : futilité ou nécessité ? (livre collectif, AEEPS et AFRAPS, 2007).
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étape très difficile voire impossible dans certains cas. Autant il est aisé de faire construire à
presque tous les élèves la compétence ci-dessus à partir de la « balle au capitaine », autant le
passage au handball crée chez eux une forte régression face à un nouvel enjeu, peu perçu par
l'enseignant, qui consiste à tirer le plus fort possible du plus loin envisageable pour
« dégommer » le gardien... Du coup, les filles ne jouent plus et abandonnent, la progression
collective du ballon n'existe plus, le démarquage n'a plus de sens, le gardien se cache, les plus
forts monopolisent le ballon, la technique ne sert à rien, il n'y a plus ni projet collectif, ni
respect des autres... ».
Cette étude de cas que nous nous gardons bien de généraliser peut être expliquée
au travers de l’analyse de la logique interne du sport pratiqué (c’est-à-dire l’interaction
consubstantielle entre la situation et les élèves agissants) : d’une part, le handball autorise le
contact corporel avec les adversaires et, d’autre part, l’évolution du score (prendre l’ascendant
sur son adversaire) consiste lors d’une dernière interaction motrice d’opposition (le tir)
d’entrer en duel avec le gardien. Le fait d’être agressif au cours d’interactions motrices
autorisées par le règlement (valeur positive) est déterminant pour l’obtention du gain. Mais ce
contexte interactionnel peut vite faire basculer les élèves dans des conduites inciviles lorsque
l’enjeu (ce que l’on peut perdre) prime sur le contrôle de leurs émotions, c’est-à-dire de la
maîtrise de soi.
A contrario, le jeu de la balle au capitaine est également un duel symétrique entre
deux équipes, mais le système des scores évolue pour chaque équipe par des interactions de
coopération entre le capitaine (placé dans une zone faisant toute la largeur du terrain sur 2 à 3
mètres de profondeur) et le partenaire porteur de la balle. Bref, point de duel avec un gardien
pour marquer un point. Nous émettons l’hypothèse que ce trait de logique interne (interaction
de marque de coopération) est particulièrement fondamental pour réduire la tension
potentielle que peut générer ce sport (ou le football) avec ce type d’élèves. D’ailleurs,
Philippe Gagnaire constate plus de conflits à gérer, pour ce type de classe, comparés à la
pratique de la balle au capitaine. Celle-ci est vécue comme un jeu où l’on fait circuler le
ballon, où il faut doser ses passes (notamment pour marquer 1 point), où la stratégie du
démarquage à un sens, etc. ajoute-t-il. En somme, il en conclut pour cette classe singulière de
SEGPA, qu’il existe plus de conflits en handball qu'à la balle au capitaine, surtout si l’objectif
avoué est l’atteinte de la compétence spécifique du niveau 1 en Handball.
Ainsi, le transfert d’apprentissage du jeu vers le sport n’est-il pas toujours aisé sur
le plan des conduites motrices et sociales. Notamment lorsque les textes officiels stipulent que
l’école, le collège et le lycée, doivent aider à l’appropriation d’une culture physique, sportive
et artistique de façon critique, responsable, lucide et citoyenne.
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5. Quelques arguments en faveur des jeux traditionnels pour un plaisir
pluriel.
Il s’agit non pas de faire ici l’apologie des jeux traditionnels au détriment de
certains sports, mais d’en révéler tout l’intérêt afin de puiser dans un grand choix d’activités
physiques codifiées (des sports et des jeux traditionnels). Autrement dit, il s’agit de faire avec
les jeux et les sports et non pas opposer les jeux et les sports.
Si nous avons tenté de montrer que les jeux étaient intéressants sur le plan de
l’apprentissage et sur le plan culturel en participant à la promotion de valeurs corporelles
identitaires et patrimoniales dont notre culture physique n’a vraiment pas à rougir, les plaisirs
qui les accompagnent sont pluriels. Donnons rapidement quelques arguments :
•
En premier lieu, quel que soit l'âge ou le sexe des pratiquants, le plaisir de
participer à ces jeux est très souvent partagé, ce qui n'est pas négligeable
dans le cadre du plaisir d'éduquer (Bui-Xuan, 2003) et du plaisir de
pratiquer. Ce plaisir d’agir n’est donc pas exclusivement du ressort des
plus jeunes élèves. En effet, Colette Comble, enseignante d’EPS dans le
secondaire et ancienne professeure d'EPS dans le premier degré à la ville
de Paris durant dix ans, intègre des cycles de jeux traditionnels dans sa
programmation au collège et lycée. De surcroît, cette doctorante en STAPS
a réalisé une enquête dans le cadre d’un mémoire de recherche de Master 2
(Comble, 2007). Les résultats confirment que les collégiens et les lycéens
ayant suivi un cycle complet de jeux traditionnels souhaiteraient, pour une
grande majorité d'entre eux, pratiquer ces activités physiques si elles
étaient reconduites au cours de l'année suivante.
Des stages de formations initiales et continues révèlent aussi l’engouement
suscité par la pratique des jeux traditionnels. Formations réalisées, d’une
part, au cours d’un stage que nous animons chaque année à l’UFR STAPS
de Paris Descartes auprès de nos étudiants sportifs (troisième année de
Licence) ; d’autre part, lors d’un stage de formation continue que nous
avons encadré pour des enseignants d’EPS du secondaire (Dugas, 2008 ;
Dugas 2009). Les résultats de l’enquête (questionnaire passé avant et après
le stage) témoignent d'un changement de représentations et surtout
d'attitudes de la part des enseignants envers ces jeux. En seulement deux
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journées, les professeurs d'EPS (certifiés ou agrégés, femmes ou hommes,
jeunes ou plus âgés) ont majoritairement apprécié ces jeux et ont modifié
leurs opinions. La pratique des jeux ainsi que l'éclairage théorique distillé
durant ces deux jours ont bouleversé la donne : les jeux sont considérés,
après le stage, comme pas moins complexes que les sports collectifs. Les
entretiens informels appuient ce constat : pour les enseignants, les jeux
montrent un réel intérêt éducatif (effort physique, stratégie individuelle et
collective, plaisir dans la réalisation motrice, etc.).
De fait, si pour les enseignants les jeux permettent surtout au cours de
l’action enseignante de réguler les tensions et de procurer des émotions, à
la suite d’une formation de jeux traditionnels, ils partagent l’idée selon
laquelle les jeux, à l’instar des autres pratiques, dépassent ce stade de la
simple jubilation motrice (Bui Xuan, 1993).
•
En second lieu, les jeux collectifs offrent des structures relationnelles très
diversifiées et originales. Comme l’a déjà démontré Parlebas (1987), de
nombreux jeux collectifs du patrimoine (non institutionnels) admettent des
structures d’affrontement collectif variées : un contre tous, une équipe
contre les autres, chacun pour soi, etc. De plus, les relations entre les
partenaires et les adversaires peuvent être instables selon le règlement en
vigueur : un joueur peut changer d’équipe au cours de la rencontre. Dans
certains cas, les relations sont mêmes paradoxales 9 : un joueur peut être à
la fois partenaire et adversaire et cela dans des temps très proches.
Ajoutons, que l’absence d’objets médiateurs ou, a contrario, l’abondance
de ces derniers servant aux échanges entre les protagonistes ainsi qu’une
aire de jeu la plus souvent non standardisée ni artificielle, voire naturelle,
ne peuvent qu’accroître la difficulté d’adaptation des pratiquants. En fait,
ces jeux possèdent des structures originales peu vécues (donc
déconcertantes dans un premier temps), qui procurent un plaisir certain
chez les participants (le voleur de pierres, les barres, le jeu des sept pierres,
le double-drapeau, etc.).
9
Jeu paradoxal : Jeu sportif dont les règles de pratique entraînent des interactions motrices affectées
d’ambiguïté et d’ambivalence, débouchant sur des effets contradictoires et irrationnels. (Parlebas, 1999, p. 192).
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•
En dernier lieu, la recherche de la victoire n'est pas le seul objectif à
atteindre, contrairement aux sports. À tel point que l’incertitude du résultat
de l’affrontement, si chère au spectacle sportif n’est pas toujours de
circonstance : certains jeux sont parfois déterminés, c’est-à-dire que l’issue
finale est connue d’avance, l’intérêt étant ailleurs ; d’autres se pratiquent
sans affrontement, ils sont alors strictement coopératifs et valorisent
l’entraide. Tous les jeux ne sont pas strictement compétitifs dans toutes les
sociétés soulignait Lévi-Strauss (1962). La compétition sportive est avant
tout un produit culturel (Caillat, 2002). Mais nous pouvons nous
questionner plus particulièrement sur les motifs et mobiles d’agir des
enfants : le plaisir de jouer est-il plutôt fondé sur de la coopération
transparente et attendue ou est-il l’expression d’une opposition incertaine,
si appréciée dans le sport ? Même lorsque l’on agit seul dans un milieu
incertain (naturel par exemple), on s’oppose au milieu environnant pour le
vaincre, le contrôler et le dominer. S’il est vrai que le plaisir de jouer peut
se retrouver dans certains jeux sportifs déterminés et des jeux de rites
(Lévi-Strauss, ibid), généralement, le sel de l’ensemble des situations
sociales jouées réside dans l’incertitude liée à l’issue du jeu, ou bien dans
le déroulement sans cesse changeant et parfois ambivalent (jeux
paradoxaux) qui plonge les acteurs dans des émotions bien singulières.
Vaincre l’autre ou gagner un défi personnel et/ou collectif et, d’un point de
vue plus global, vivre des sensations ludomotrices sont autant de leitmotiv
bien connus pour engendrer le bouillonnement des situations jouées,
principalement dans notre culture occidentale.
Nonobstant, soulignons que les communications praxiques entre les joueurs dans
certains jeux traditionnels (balle assise, galoche, etc.) n’ont pas toujours une signification
seconde de type tactique comme dans les sports collectifs (recherche de l’efficacité motrice
pour obtenir un gain). Cette métacommunication motrice (Parlebas, 1979) peut être aussi de
type affectif (relation socio-affective) ou référentiel (activités d’expression, certaines formes
dansées).
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En guise de synthèse, les jeux traditionnels sont, à l’instar des sports, des formes
sociales de pratiques physiques qu’il ne faut pas négliger pour le plaisir d’agir des élèves. La
pratique de ces jeux favorise entre autres :
•
La jubilation motrice ancrée dans la mémoire : plaisir d’agir (tout au long
de sa vie et au-delà des séances d’EPS, pour un réinvestissement futur de
la pratique physique, quelle que soit sa forme).
•
La variété de formes jouées (richesse culturelle et motrice) pour des
plaisirs pluriels.
•
Les progrès moteurs au sein d’un cycle complet d’apprentissage en
adéquation avec les compétences scolaires visées.
•
Le plaisir de maîtriser les conduites motrices : l’expertise de l’élève en
EPS consiste dès lors à viser l’adaptabilité motrice (s’adapter à s’adapter).
Conclusion
Nous venons d’observer que selon la forme de pratique physique choisie, les
expériences motrices ne sont pas de même nature. Or, un des enjeux de l'Education Physique
et Sportive consiste alors à faire vivre et partager aux élèves des expériences corporelles
dans toutes leurs dimensions (sociales, cognitives, motrices, sensibles, affectives), inspirées
des différentes formes de pratiques sociales en usage et transposées selon les finalités
scolaires des différents niveaux de curriculum et les caractéristiques effectives des élèves
[c'est nous qui soulignons] (Lafont et Bouthier, 2003, p. 95). S'il est vrai que depuis quelques
années, l'introduction de nouvelles pratiques et/ou de jeux sportifs reflétant la culture locale
(jeux basques, picards, bretons, etc.) est plus fréquente, la réalité des pratiques scolaires au
sein des séances d'EPS n'évolue que très lentement : la référence culturelle est souvent de type
sportif (activités physiques institutionnalisées de compétition). Ces activités physiques
institutionnelles diffusent ainsi des normes et valeurs d'une société qui valorisent
l'affrontement dans un cadre compétitif. De fait, nous passons allègrement des techniques du
corps (Mauss, 1934) aux techniques sportives du corps qui se façonnent au sein d'un système
de règles institutionnel.
Voilà pourquoi le rôle de certaines associations, telles que l’USEP ou les
CEMEA, sont capitales pour promouvoir un vaste répertoire d’activités physiques codifiées
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(sportives ou traditionnelles) et pour varier le plaisir des élèves sans les enfermer dans un type
restreint d’actions motrices.
Nous espérons qu’à travers ce texte, un autre regard sera porté sur ces jeux
traditionnels codifiés qui méritent un ancrage plus important au sein de l’éducation physique
scolaire.
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