Le véritable enjeu de nos obligations

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Le véritable enjeu de nos obligations
TRAVAIL ET SANTÉ
SEPTEMBRE 2007
VOL.23 No 3
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GESTION DU STRESS
Jacques Lafleur
L’avantage à faire un budget, c’est qu’on peut mieux
choisir où ira notre argent. Nous n’avons pas pour
autant plus d’argent mais cet exercice nous aide à savoir
comment réduire nos dépenses pour ajuster notre mode
de vie à notre revenu. Le désavantage, c’est qu’on perd
nos illusions sur ce qu’on peut se permettre. Quand on
choisit, on laisse forcément des choses de côté et ce
renoncement peut s’avérer douloureux.
Le véritable
enjeu de nos obligations
Par Jacques Lafleur1
UNE QUESTION DE CHOIX
É
PHOTOS : HUGUETTE BEAUCHAMP
tablir ses priorités dans la vie et au
travail, c’est aussi faire des choix. C’est
en quelque sorte faire un exercice de
budgétisation avec le temps. C’est décider de
ce qu’on va faire passer en premier dans son
horaire. Il est évidemment suggéré de mettre
en priorité les choses essentielles plutôt que
ce qui est moins important ou moins urgent.
Mais attention ! Cela ne nous donnera pas plus
de temps. Le fait d’établir ses priorités pourrait au contraire nous faire constater que nous
avons trop de travail à première vue prioritaire.
Et c’est là que des choix devront être faits ; ce
qui signifie -- lâcher prise. Le plus difficile, le
plus douloureux, n’est pas de choisir, mais de
laisser tomber ce qu’on ne choisit pas.
LES OBLIGATIONS
Beaucoup de stress se cache sous des expressions comme « on n’a pas le choix » ou « il
faut ». Par définition, une obligation représente un incontournable. De plus, si on ne prend
pas le temps de l’analyser, elle semble se baser
sur une vérité (on croit que « c’est vrai » qu’il
faut faire ceci ou cela) et elle a un côté urgent
(sinon, on dirait « il faudrait » ou « on n’aura
pas le choix tantôt » ). Toute obligation cache
aussi une forme de devoir et comporte un
aspect moral au sens où c’est mal de ne pas
1. PSYCHOLOGUE ET FORMATEUR
être à la hauteur de ses obligations. Et une
personne qui ne fait pas son devoir est jugée
comme étant moins bien que les autres ; ainsi,
les obligations non remplies constituent une
menace à la dignité et à
l’estime de soi.
Lorsqu’on prend ou
reçoit plus d’obligations
que nous avons de temps
pour les accomplir, le
fait d’établir des priorités mènera forcément à la
conclusion que, faute de
temps, certaines obligations devront être abandonnées, tout comme
on renonce à certaines
dépenses quand on
manque d’argent. Et c’est
ici que ça fait mal parce
qu’on se donne difficilement le droit de laisser
tomber ce que nous, notre
employeur, nos collègues
ou nos clients considérons
comme des obligations. Nous avons été conditionné au fait qu’il est vrai qu’il faut remplir ses
obligations, qu’il est même nécessaire et urgent
de le faire, que les personnes qui ne le font pas
ne sont pas correctes et qu’elles méritent une
perte de l’estime de soi et de la dignité. Lorsqu’on
a réellement une charge de travail trop lourde
et trop de « il faut », on est stressé. Stressé si on
veut arriver à faire tout ce « qu’on doit » faire,
stressé si on décide d’en laisser tomber.
LES CHOIX
La capacité et la permission de faire des choix
s’avèrent donc essentielles à qui veut gérer
sereinement une apparente ou réelle surcharge
de travail. Le mot capacité fait ici référence à
la compétence de mettre l’essentiel en priorité,
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TRAVAIL ET SANTÉ
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GESTION DU STRESS
Tableau 1. Dix-huit choix possibles.
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C’est le choix qui englobe tous les
autres. Je garde l’obligation (la tâche),
je la laisse tomber ou je verrai plus
tard si j’ai du temps. Est-ce vraiment
une obligation ?
Serait-il utile de séparer la tâche
en plus petites parties et d’insérer
des choses plus agréables ou plus
reposantes entre chacune ?
Le choix du « oui,
non ou peut-être »
2
Le choix du degré
de responsabilité
À qui revient-il d’accomplir cette
tâche ? Est-elle de ma responsabilité
ou de celle du service où je travaille ?
Est-elle flottante, dans l’attente que
quelqu’un veuille bien s’en charger ?
3
Le choix du nécessitant
Qui a besoin que cette tâche soit
réalisée ? Comment s’implique-t-il ? Aije tendance à en faire plus que ce que
le nécessitant en fait lui-même ?
4
Le choix de l’exécutant
Qui d’autre que moi pourrait
prendre la responsabilité de cette
obligation ? Puis-je la déléguer sans
me sentir fautif ? Puis-je la déléguer
temporairement ?
5
Le choix du moment
Puis-je reporter la tâche ? L’accomplir
à un moment plus favorable (quand
je serai seul, plus reposé ou plus
disposé) ? Dans quel ordre puis-je
faire les choses pour que ce soit plus
agréable ou plus léger ?
alors que le mot permission définit la possibilité, sur le plan psychologique, de laisser
tomber des choses. En tant qu’individu, ai-je
la compétence de choisir ? Comment puis-je
m’accorder ou demander l’autorisation de le
faire ?
Pour nous aider à développer cette faculté
de faire des choix sensés, le tableau 1 met en
évidence 18 choix qui peuvent nous aider.
11 Le choix de la qualité
Le choix de procéder par
étapes
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Quel est le véritable enjeu de la
qualité dans ce cas précis ? Ai-je
un problème de perfectionnisme ?
Comment arriver à me satisfaire
même si tout n’est pas parfait,
au moins dans les cas où les
conséquences ne sont pas graves ?
Le choix des moyens
Existe-t-il des moyens plus agréables
ou plus économiques en temps et
en énergie pour parvenir au même
résultat ? Comment arriver à les
utiliser ? Comment insister pour qu’on
me les donne ?
8
Le choix de la vitesse
d’exécution
Suis-je obligé de travailler à la
course ? Quel serait le bon rythme
pour moi ? On peut être efficace sans
être pressé. Et plus on court, moins
on a de recul et moins on prend le
temps de choisir...
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Le choix de l’échéance
Quelle est la véritable échéance de
cette tâche ? Puis-je au moins le
demander ? Puis-je la faire réviser s’il
y a trop de choses à faire à cause des
autres échéances et des ressources
limitées dont on dispose ?
10 Le choix de la fréquence
Dois-je vraiment accomplir cette tâche
aussi souvent ? Que se passerait-il si
je réduisais la fréquence ? Ou serait-il
au total plus économique en temps et
en énergie de la faire plus souvent ?
Prenez le temps de les consulter et de méditer
leur impact tant au travail que dans votre vie
personnelle (1).
DE L’OBLIGATION AU CHOIX
Toute « obligation » peut être considérée
comme un moyen d’atteindre un objectif.
Toute phrase commençant par « il faut » peut
en effet être complétée par une autre qui com-
12 Le choix du temps
consacré
Cela m’aiderait-il de fixer d’avance
le temps que je vais consacrer à
telle ou telle chose ? Le temps que
l’on va donner à chaque item d’une
réunion, par exemple. Une fois le
temps écoulé, on passe à autre chose.
Limiter le temps permet souvent
d’être plus efficace.
13 Le choix de
l’investissement
Comment éviter de mettre 20 $
d’énergie dans un problème à 10 $ ?
Quel est le résultat visé ? Comment
l’atteindre en utilisant un effort
moins grand ? Est-ce que je cherche
du mérite et de l’admiration ou des
résultats ?
14 Le choix de l’attitude
Dois-je nécessairement me sentir
accablé devant cette supposée
obligation ? Si je choisis vraiment
de la remplir, comment agir avec un
certain plaisir, une certaine sérénité,
un certain sens de la satisfaction,
plutôt que de me sentir esclave et de
vouloir m’en débarrasser au plus tôt ?
mence par « parce que je veux ceci ou parce
que j’ai peur de cela ». L’obligation passe alors
au niveau des perceptions personnelles, des
buts et des peurs.
Pourquoi faut-il ceci ou cela ? Qu’est-ce que
je veux ? De quoi ai-je peur ? Voilà autant de
questions simples qui pourront nous aider à
saisir le véritable enjeu des obligations qu’on
se donne. Les réponses qu’on leur apportera
TRAVAIL ET SANTÉ
15 Le choix de la
collaboration
Dois-je accomplir ces choses
seul ? Serait-il moins lourd ou plus
efficace de demander de l’aide ou
de la collaboration, de travailler
avec d’autres ?
16 Le choix de l’image
projetée
Ai-je peur de ce que les autres
vont dire si je laisse tomber des
choses, si je refuse de les faire,
si je retarde les échéanciers, si je
demande de la collaboration ? Mon
travail et ma vie seraient peut-être
plus agréables et je serais peut-être
tout aussi efficace si j’avais moins
peur du jugement des autres.
17 Le choix moral
Serait-il vraiment immoral ou
incorrect de me libérer quelque
peu de telle ou telle supposée
obligation ? Serait-ce vraiment une
faute ?
18 Le choix de l’estime de
soi
Est-ce que je mériterais vraiment
de m’aimer moins ou de me
détester si je choisissais de
me débarrasser de cette tâche,
de l’accomplir autrement, d’en
retarder l’accomplissement, d’en
remettre la charge aux personnes
à qui elle revient, etc. ? Ma valeur
comme personne est-elle vraiment
mise en cause dans ce cas-ci ?
pourront nous aider à mieux prioriser et à
faire des choix plus heureux et plus féconds.
Bonheur et utilité : n’est-ce pas là l’essentiel, ce
qui donne le plus de sens à la vie ?
Référence bibliographique
1. Pour une analyse plus en profondeur, voir : Lafleur,
Jacques, Le stress, La-police et Le-bon-dieu, Logiques,
Outremont (2001).
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