Financer le logement c`est bien, mais les entreprises

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Financer le logement c`est bien, mais les entreprises
Financer le logement c'est bien, mais les entreprises aussi !
Alors que la BCE vient de baisser son taux pour relancer le crédit à l’économie,
deux communiqués récents illustrent les raisons d’un malentendu entre l’opinion
publique et les banques sur la production de crédit. D’un côté, les petites
entreprises et les commerçants se plaignent toujours des conditions draconiennes
que leur appliquent les banques pour leur prêter l’argent dont elles ont besoin
pour leur fonds de roulement. De l’autre, les crédits immobiliers se portent plutôt
bien, alimentant la hausse vertigineuse du prix des logements dans les zones les
plus tendues.
Quand le bâtiment va, tout va ! La construction contribue à la croissance et crée des
emplois, contrairement aux reventes de logements anciens qui constituent l’essentiel du
marché immobilier financé à crédit. (photo © GPouzin)
Pour retrouver une croissance plus satisfaisante, l’économie européenne a besoin
que les investissements redémarrent plus fermement. Pour cela, il faut que les
individus et les entreprises aient des projets, qu’ils soient assez confiants dans l’avenir pour
les réaliser, et que les banques leur accordent les crédits dont ils ont besoin pour les
financer.
L’ultime baisse du taux officiel de la Banque centrale européenne (BCE), annoncée
jeudi 4 septembre 2014 (de 0,15% à 0,05%), après celle du 5 juin 2014 (de 0,25% à
0,15%), doit contribuer à cet objectif, en permettant aux banques commerciales
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d’emprunter auprès de la BCE, quasiment gratuitement, les capitaux qu’elles prêteront
à leur tour aux agents économiques, à des taux facilement 50 à 100 fois supérieurs
(au regard des niveaux actuels). En plus de ce coup de pouce, la BCE offre un filet de
sécurité supplémentaire aux banques pour les inciter à prêter cet argent aux agents
économiques, plutôt que de l’engloutir dans leurs paris pour compte propre sur les marchés,
activité lucrative mais qui les mène régulièrement à des faillites dont la collectivité doit les
sauver.
Ce filet de sécurité offert aux banques pour financer l’économie s’appelle (dans le
jargon des banques centrales) un programme de T-LTRO, pour targeted long-term
refinancing operations, ou opérations de refinancement à long terme ciblées, en
français. Le principe est le suivant : une fois que les banques ont prêté leur argent (collecté
par les dépôts, emprunté sur les marchés ou auprès de la BCE), elles disposent de créances.
Ces créances sont parfois même garanties par des actifs, comme une hypothèque pour
garantir un prêt immobilier, ou un nantissement sur des biens pour garantir un prêt à une
entreprise. Pour être revendables, ces prêts garantis sont regroupés sous forme de
titres adossés à des actifs, ou asset backed securities (ABS) en anglais. Au lieu
d’attendre que ces prêts soient remboursés pour prêter à nouveau, les LTRO permettent
aux banques de mettre leurs créances sous forme d’ABS en dépôt à la BCE, en
échange d’argent frais qu’elles peuvent à nouveau prêter. C’est simple : j’emprunte à la
BCE, je prête aux clients, je rapporte mes créances au LTRO de la BCE contre de
l’argent frais que je prête à d’autres clients, et ainsi de suite. Magique !
Cette « noria du crédit » a été popularisée par la Federal reserve (Fed), la banque
centrale des Etats-Unis, pour remédier à la crise bancaire de 2008, sous le nom de
quantitative easing, ou QE (assouplissement quantitatif, en français). Au pic du traitement,
en juin 2010, la Fed avait ainsi fourni aux banques américaines jusqu’à 2100 milliards de
dollars d’argent frais contre leurs dépôts de prêts emballés sous forme de créances
garanties par des actifs (les fameux ABS). L’assouplissement quantitatif avait été
inauguré dès 2001 par la Banque du Japon, pour tenter d’enrayer la déflation en aidant les
banques nipponnes plombées par leurs créances douteuses depuis les années 1980.
Encore faut-il que l’argent apporté aux banques contre leurs dépôts de créances
soit réellement prêté à l’économie. Pour s’en assurer, la BCE a assorti son LTRO
(assouplissement quantitatif) d’un ciblage (targeted), qui est en faite une mesure
conditionnelle. Comme le souligne la Chambre Nationale des Conseils Experts Financiers
(CNCEF) dans son communiqué, la distribution de ces facilités « se démarque des
précédents plans dans la mesure où les banques des états membres ne pourront y avoir
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recours qu’à la condition de les destiner à l’économie réelle ».
La BCE réservera ainsi ses 400 milliards de crédits contre dépôts de créances aux
banques qui prêtent réellement à l’économie. Très bien ! Mais quelle économie réelle ?
Celle des entreprises commerciales qui investissent et embauchent ? Ou celle de la
spéculation foncière qui renchérit le budget logement des citoyens au détriment de leurs
autres dépenses et du reste de l’économie ?
Les prêts immobiliers financent évidemment l’économie réelle (quoi de plus réel
qu’un logement ?), et ils continuent à croître dans de nombreux pays d’Europe, comme en
témoigne une récente étude du Crédit Foncier. Selon ces travaux, les encours de crédits
au logement ont progressé en 2013 de 2,6% en Europe, avec des écarts de +3,9% en
France, +6% au Royaume-Uni, +8 % en Belgique, et +12% au Luxembourg, mais
-4% en Espagne, Grèce et au Portugal, où le marasme immobilier demeure. Une
partie de ces crédits finance la construction de logements, activité à fort effet
d’entraînement pour l’économie puisqu’elle nécessite des investissements (grues, camions,
etc.), des matières premières (acier, verre, ciment…) et surtout de la main d’œuvre
(emplois). D’où le fameux proverbe un peu tombé en désuétude voulant que « quand le
bâtiment va, tout va ». Sauf que la construction ne représente aujourd’hui qu’une
petite minorité des logements achetés à crédits, qui sont pour la plupart des logements
anciens dont le prix augment mécaniquement avec la baisse des taux d’intérêt, sans aucune
création de valeur ajoutée pour l’économie. On a bien dit « pour l’économie », car personne
ne contestera l’avantage que le propriétaire d’un logement peut tirer de sa plusvalue en le revendant plus cher grâce aux baisses de taux d’intérêt de la BCE, mais cela
ne crée pas d’emplois.
> Pour en savoir plus, consultez l’étude complète du Crédit Foncier « Les marchés
européens du crédit immobilier en 2013 ».
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