Article Livres Hebdo

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Livres Hebdo numéro : 0900
Date : 09/03/2012
Rubrique : avant critiques
Auteur : Sean James Rose
Titre : Annie Lebrun
15 MARS > ESSAI France
Nocturne hugolien
A l’occasion d’une exposition de dessins de Victor Hugo, Annie Lebrun déploie son regard
sensible et acéré dans un essai sur la part de l’ombre chez l’auteur des Misérables.
Certains poètes ont aussi dessiné. On pense à Henri Michaux ou à Cocteau… Avant eux, il y eut surtout
Hugo. La Maison de Victor Hugo, sise place des Vosges à Paris, inaugure le 14 mars « Les arcs-en-ciel du
noir », une exposition réunissant 80 dessins de l’auteur des Misérables en provenance du musée parisien
et d’Hauteville House à Guernesey, ainsi que des œuvres d’illustrateurs contemporains de l’écrivaindessinateur. A l’occasion, bien mieux qu’un catalogue, paraît chez Gallimard dans la collection « Art et
artistes » un essai illustré signé Annie Lebrun. On goûte avec délices les camaïeux d’ombres à la plume et
au lavis d’encre, parfois rehaussés de gouache : mélancolique Vieux bourg dans l’orage (1837) ; Ecce lex
(1854), sinistre silhouette de pendu se découpant dans un ciel crépusculaire ; vague déferlant avec fureur
lyriquement intitulée Ma destinée (1857)… Si belles soient les œuvres reproduites, l’ouvrage qui porte le
titre de l’exposition ne constitue pas pour autant le commentaire de celles-ci. Si l’œil se délecte, l’ouïe
n’est pas en reste, et l’on sait gré à Annie Lebrun de nous faire réentendre la musique des mots du poète.
La noirceur chez Hugo n’est pas le noir d’un mal circonscrit et qu’on opposerait au blanc du Bien, rien à
voir avec le manichéisme auquel on tend parfois à le réduire. « La tension entre les contraires lui importe
bien davantage, analyse l’auteure de Du trop de réalité (Stock, 2000), ne serait-ce que par la hauteur qu’elle
exige pour faire surgir cette lumière d’intensité sans laquelle il ne peut vivre ni penser. » C’est que le noir a ses
nuances, ses « arcs-en-ciel », il est diffus comme l’ombre et gît, tapi dans les replis de l’âme, tel un désir
qui sommeille. Annie Lebrun tire Hugo du côté de Sade et montre que ce désir-là, propre au sensible et
affleurant toute chose, revêt dès les débuts de Victor Hugo le masque de la monstruosité ou de la folie :
Bug-Jargal, son premier livre, « roman de l’ambivalence de l’excès » sur un esclave insurgé épris d’une
Blanche, ou Han d’Islande, autre roman de jeunesse dont le héros éponyme est un bandit sanguinaire.
Aussi n’y a-t-il pas vice d’un côté et vertu de l’autre, mais jeu constant entre l’ombre et la lumière.
« Lumière d’intensité qui va de pair avec une érotisation du monde que celui-ci vit plus que tout autre, mais
qu’il ne parviendra jamais à reconnaître comme telle, peut-être parce qu’intuitivement il la sait indissociable
de son ombre portée, de la nuit où elle ramène toujours. »
Cette « faculté souveraine de voir les deux côtés des choses » force l’admiration d’Hugo pour Shakespeare
auquel il consacre un essai. N’est-ce pas le dramaturge anglais qui rappelle que « nous n’avons que le choix
du noir » ? Hugo, quant à lui, se fera jusqu’à la fin le truchement de l’équivoque du cœur des hommes :
« Moi qu’on nomme le poëte/Je suis dans la nuit muette/L’escalier mystérieux ;/Je suis l’escalier Ténèbres
;/Dans mes spirales funèbres/L’ombre ouvre ses vagues yeux. » SEAN J. ROSE
Annie Lebrun
Les arcs-en-ciel du noir : Victor Hugo
GALLIMARD
TIRAGE : 2 500 EX.
PRIX : 19 EUROS ; 160 P.
ISBN : 978-2-07-013703-9
SORTIE : 15 MARS
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