La génétique, puis la génomique et maintenant l`épigénétique?
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La génétique, puis la génomique et maintenant l`épigénétique?
RECHERCHE La génétique, puis la génomique et maintenant l’épigénétique? Avec l’épigénétique, une nouvelle ère s’amorce en matière de génétique animale. L’arrivée de la génomique dans le portrait de la sélection génétique a causé de profonds changements quant à la perception et l’appréciation de la génétique des bovins laitiers, ce qui ne s’était pas vu depuis très longtemps. Bien que l’on commence à peine à mesurer les retombées des efforts investis en génomique qui démontrent présentement une accélération de l’amélioration des performances de production, une nouvelle science se pointe déjà à l’horizon. La nouvelle venue s’appelle « épigénétique » (aussi appelée épigénomique). Pour bien saisir la portée de ce nouveau joueur dans le domaine de la génétique animale, il est important de bien positionner les deux premiers qui sont représentés par l’évaluation génétique traditionnelle et la génomique. Dans tous les cas, que ce soit dans un contexte de génétique traditionnelle, de génomique ou d’épigénétique, l’objectif premier est de permettre un classement des animaux en fonction de leur patrimoine génétique qui confère, entres autres, une capacité de production supérieure. EN UN CLIN D’OEIL CHAMP D’APPLICATION : Épigénétique OBJET DE LA RECHERCHE/ÉLÉMENTS D’INNOVATION : L’intérêt de l’épigénétique pour la sélection génétique RETOMBÉES POTENTIELLES : Dans le contexte de la production laitière, l’épigénétique pourrait améliorer les caractères complexes comme la santé et la fertilité RECHERCHE SUBVENTIONNÉE PAR : Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada POUR EN SAVOIR DAVANTAGE : Claude Robert et Marc-André Sirard, Département des sciences animales, Centre de recherche en biologie de la reproduction, INAF, Université Laval [email protected] [email protected] 38 NOVEMBRE 2014 LE PRODUCTEUR DE LAIT QUÉBÉCOIS Par CLAUDE ROBERT, MARC-ANDRÉ SIRARD, professeurs titulaires, ISABELLE GILBERT, professionnelle de recherche, Département des sciences animales, Centre de recherche en biologie de la reproduction, Institut de la nutrition et des aliments fonctionnels, Université Laval L’ÉVALUATION GÉNÉTIQUE TRADITIONNELLE L’évaluation génétique traditionnelle repose sur les bases établies en 1959 par Charles Roy Henderson, un chercheur américain qui a travaillé à l’Université Cornell, dans l’État de New York, jusqu’à sa retraite en 1976. Il traversa ensuite la frontière pour poursuivre ses travaux à l’Université de Guelph en Ontario. Les principes de la sélection traditionnelle permettent d’estimer la valeur génétique d’un taureau à partir des données de production de ses filles (Figure 1). En gros, si la génétique d’un taureau est disséminée dans plusieurs fermes, il est possible de stipuler que la contribution de cette génétique devrait être la même dans chaque ferme, puisque l’ADN ne change pas. De plus, si on considère que la contribution de la mère ne devrait pas trop varier d’une ferme à l’autre, tenant pour acquis que toutes les fermes sont composées de vaches dans la moyenne de la race, la variabilité dans la production des filles selon la ferme doit donc être associée à l’environnement fourni aux animaux (régie, qualité de l’alimentation, présence de pathogènes, etc.). Ce sont ces principes qui forment la base des valeurs génétiques traditionnelles. Évidemment, plus il y a de données, plus le calcul de l’estimation de la valeur génétique est précis. En contrepartie, la production d’un grand nombre de filles prend du temps, et c’est justement ce que les compagnies de génétique n’ont pas dans cette course au prochain taureau vedette. FIGURE 2. ÉVALUATION GÉNOMIQUE FIGURE 1. ÉVALUATION GÉNÉTIQUE TRADITIONNELLE Évaluation génomique Évaluation traditionnelle Population Référence/élites Impact de la ferme Impact de la ferme Impact de la ferme Impact de la ferme + + + Génétique du troupeau Génétique du troupeau Génétique du troupeau Génétique de la vache Génétique de la vache Génétique de la vache Génétique de la vache + + + Signature ADN + Génétique du troupeau Jeune taureau + Signature ADN Comparaison Sous le seuil d’acceptabilité Génétique du taureau L’ÉVALUATION GÉNOMIQUE Avant l’arrivée de la génomique, les grands changements s’appuyaient principalement sur l’ajout de nouveaux caractères dans l’épreuve et dans la façon d’effectuer les calculs. Depuis 2009, l’évaluation génétique des bovins laitiers a pris une tournure très différente alors que l’information de la séquence d’ADN sert maintenant à estimer le potentiel génétique. Les jeunes taureaux sont maintenant évalués dès leur naissance et même peu de temps après leur conception à partir d’une biopsie embryonnaire. Les principes de cette estimation du potentiel génétique sont évidemment différents de l’approche traditionnelle. Par contre, il y a un lien entre les deux. La génomique se base sur une approche comparative de signatures d’ADN (Figure 2). L’analyse génétique réalisée en laboratoire à partir de l’ADN de follicules pileux ou de cellules embryonnaires permet de déterminer quelles lettres (les acides nucléiques : soit A, C, G et T) il y a pour un peu plus de 50 000 positions dans le génome. C’est beaucoup et peu en même temps, parce que le génome bovin est composé de 3 milliards de ces lettres. Le point sur lequel se recoupent les sélections traditionnelle et génomique est qu’il faut déterminer un groupe de référence composé des animaux présentant les meilleures valeurs génétiques pour le caractère d’intérêt, c’est-à-dire production de gras, de protéine, conformation, etc. Il faut donc obtenir ces valeurs génétiques qui sont tirées des données recueillies dans les fermes. En gros, l’évaluation génomique compare la signature de l’ADN de l’animal avec les meilleurs de la race et estime dans quelle mesure un individu partage ou non des similitudes avec l’élite de la race. L’ÉVALUATION ÉPIGÉNÉTIQUE La nouvelle venue, l’épigénétique, apporte une perspective complète- Améliorateur ment différente. Avec elle, on cherche à déterminer comment, en génétique, l’ADN est « programmé » pour être utilisé. L’exemple le plus facile à présenter est le cas de la mule et du bardot. En réalité, la mule et le bardot ne se ressemblent pas, et pourtant ils sont tous les deux composés d’un génome de cheval et d’un génome d’âne (Figure 3). Ces nombreuses différences physiques viennent du fait que l’ADN se souvient s’il provient du FIGURE 3. EXEMPLE DE PROGRAMMATION ÉPIGÉNÉTIQUE. Femelle Mâle A Femelle Mâle B A : l’accouplement d’une ânesse avec un étalon produit un bardot. B: une jument croisée A avec un âne donne une mule. Cet exemple illustre bien l’influence des gènes du père et de la mère sur les caractéristiques physiques. Crédits photos – Cheval : domaine public; âne : voyages Provence CC.BY.2.0; mule : Luis Fernandez Garcia/CC BY-SA-/3.0, bardot : Just chaos/flickr/CC.BY.SA 2.0. Les images ont été redimensionnées. NOVEMBRE 2014 LE PRODUCTEUR DE LAIT QUÉBÉCOIS 39 RECHERCHE FIGURE 4. ÉVALUATION ÉPIGÉNÉTIQUE Évaluation épigénétique Génétique équivalentes Impact de la ferme Impact de la ferme du troupeau Génétique du troupeau Génétique de la vache Génétique de la vache + Génétique + + + Programmation génétique du taureau père ou de la mère. On sait maintenant que des groupements chimiques sont déposés sur l’ADN (d’où la racine épi qui veut dire « autour de »). La présence, l’emplacement et le nombre de ces groupements changent l’expression des gènes. Il existe d’autres études célèbres qui expliquent bien comment l’épigénétique influence les caractères complexes comme la santé et la fertilité. Un cas frappant est celui de « l’hiver de la faim » qui s’est produit à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, en Hollande. Les femmes enceintes durant cette affreuse famine ont donné naissance à des enfants qui, une fois parvenus à l’âge adulte, ont développé plus de diabète, d’obésité et de maladies cardio-vasculaires. Ces observations ont mené à « l’hypothèse de Barker », un chercheur anglais qui a publié en 1992 sa perspective sur la capacité d’adaptation du fœtus durant les premiers mois de gestation. En gros, l’environnement dans lequel vit la mère influence la programmation de la génétique de la descendance (Figure 4). Il est maintenant démontré que l’environnement dans lequel vit le père influence aussi comment l’épigéné- 40 NOVEMBRE 2014 LE PRODUCTEUR DE LAIT QUÉBÉCOIS tique s’établit dans le spermatozoïde et que cette programmation va ensuite influencer sa descendance. Ainsi, notre environnement, et même l’environnement de nos parents, influencent comment nos gènes s’expriment, et ce, à long terme. Nous pensons maintenant que cette régulation par l’épigénétique permet de résoudre le problème que notre ADN ne change pas durant la vie, mais que l’environnement peut changer. L’épigénétique serait une sorte de mémoire environnementale des gènes. Dans le contexte de la production laitière, plusieurs éléments attirent l’attention, notamment le fait que les taureaux jumeaux n’obtiennent pas les mêmes évaluations génétiques. Le cas des jumeaux Jerrick et Jordan est maintenant célèbre. Nous ne savons pas exactement comment deux copies génétiques transmettent un potentiel génétique différent, mais nous croyons que c’est l’épigénétique qui diffère entre les deux jumeaux. D’autres exemples aussi frappants ont été récemment rapportés, notamment le fait que les génisses issues d’une fécondation lorsque la vache est en déficit énergétique naissent avec des réserves ovariennes amoindries. Effectivement, ces travaux en provenance de l’Irlande menés par le Dr Alex Evans semblent indiquer une capacité de l’environnement embryonnaire et fœtal à adapter la fertilité du futur animal. Chez l’humain, il a été récemment démontré que l’ensemble des marqueurs d’ADN trouvés jusqu’à maintenant explique moins de 1,6 % de la prédisposition à développer de l’obésité à l’âge adulte. Par contre, une combinaison de trois marqueurs épigénétiques améliore la prédiction du facteur de risque de 25 fois. Il semble de plus en plus clair que les caractères complexes, comme ceux associés à la santé et à la fertilité, sont grandement influencés par la programmation épigénétique. C’est pourtant une chose bien connue que les performances sont égales à l’impact de la génétique et de l’environnement de l’animal (P=G+E). L’épigénétique représente maintenant une signature moléculaire de l’effet de l’environnement qui module à long terme la façon dont s’exprime la génétique. Pour le moment, on ne sait pas dans quelle mesure l’épigénétique influence les caractères de santé et de fertilité des vaches laitières ni quel environnement fournir pour optimiser la programmation de l’épigénétique afin de maximiser l’expression du potentiel génétique. Nous croyons que l’épigénétique agit à tous les stades de la vie, mais nous savons aussi que les périodes de développement et de croissance sont très susceptibles à une modulation épigénétique. Plusieurs questions restent à répondre : Quelle est la meilleure régie pour la production de gamètes (spermatozoïdes ou ovules) bien « programmés »? L’embryon garde-t-il des traces de sa conception dans un moment où le métabolisme de la mère est négatif? Quel est l’impact de la qualité de la mère lors d’un transfert embryonnaire? Quels sont les impacts à long terme de la régie d’élevage prépubère dans la « programmation » de la glande mammaire, du système immunitaire ou du système reproducteur pour la productivité future? Le Québec est bien positionné pour répondre à ces questions alors que la qualité des données prises à la ferme permet des études épidémiologiques afin d’isoler l’impact de l’épigénétique et ses effets à long terme. De plus, la seule plateforme technologique permettant l’étude de l’épigénétique par dépôt de ces groupements chimiques sur l’ADN a été développée à l’Université Laval. De telles études pourraient amener à reconsidérer la préparation des sujets de remplacement et pourraient aussi expliquer ce que plusieurs producteurs laitiers ont précédemment observé, c’est-à-dire que le potentiel génétique ne se traduit pas toujours en succès, et vice versa. Nous croyons également que le contexte québécois de la production laitière, grâce entre autres aux données de performances précises recueillies par le contrôle laitier, est favorable à un excellent suivi de l’environnement qui pourrait offrir une programmation génétique optimale. Ceci pourrait devenir un enjeu important pour le commerce de la génétique, puisqu’à génomiques égales, celle qui offre une meilleure programmation devrait être valorisée.