La Cour suprême est divisée sur des questions clés de loi et de

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La Cour suprême est divisée sur des questions clés de loi et de
SEPTEMBRE 2007
Actualités – Propriété intellectuelle
La Cour suprême est divisée sur des
questions clés de loi et de politique sur
le droit d’auteur : un distributeur sur le
« marché gris » obtient gain de cause
Kraft Canada Inc. c. Euro Excellence Inc.
PAR JUSTINE WHITEHEAD ([email protected] )
ET D. JEFFREY BROWN ([email protected])
Le 26 juillet 2007, la Cour suprême du Canada (CSC) a rendu sa décision dans
l’affaire Kraft Canada Inc. c. Euro Excellence Inc. La CSC a accueilli l’appel
d’Euro Excellence, refusant ainsi l’allégation de Kraft Canada selon laquelle Euro
Excellence avait violé son droit d'auteur à une étape ultérieure.
Bien que la décision de la CSC d’autoriser l’appel ait été rendue par sept juges
contre deux, la CSC, extrêmement divisée, a produit quatre séries de motifs pour
infirmer les décisions de la Cour d’appel fédérale (2005 CAF 427) et de la Cour
fédérale (2004 CF 652). La décision soulève des questions intéressantes sur le
rapport entre le droit de la propriété intellectuelle et le droit de la concurrence, en
particulier dans la mesure où ce dernier pourrait (et devrait) servir à limiter la
concurrence provenant d’importations sur le marché gris.
Contexte
La poursuite a été intentée dans le but d’empêcher les opérations liées aux
chocolats CÔTE D’OR et TOBLERONE sur le marché gris. Dans cette affaire,
Euro Excellence avait acheté des tablettes de chocolat authentiques CÔTE D’OR
et TOBLERONE à l’étranger, puis les avait importées et vendues au Canada,
contre la volonté de Kraft Canada, qui était alors le distributeur canadien exclusif
des produits CÔTE D’OR et TOBLERONE.
« Cabinet d’avocats
canadien de l’année »
CHAMBERS GLOBAL 2006
Le présent bulletin est rédigé par des
membres du groupe de la propriété
intellectuelle de Stikeman Elliott.
RÉDACTRICE EN CHEF :
JUSTINE WHITEHEAD
[email protected]
STIKEMAN ELLIOTT S.E.N.C.R.L., s.r.l. ¦
Pour traiter de la question du marché gris, Kraft Foods Belgium S.A. (Kraft
Belgique) et Kraft Foods Schweiz AG (Kraft Suisse), fabricants des chocolats
CÔTE D’OR et TOBLERONE respectivement, ont enregistré des droits d’auteur
au Canada dans la catégorie des œuvres artistiques afin de protéger divers
aspects de l’emballage de la marque. Deux licences exclusives ont été
enregistrées le même jour, conférant à Kraft Canada le droit exclusif de produire,
de reproduire et d’adapter le matériel protégé par le droit d'auteur en vue de
fabriquer, de distribuer ou de vendre les produits au Canada.
En s’appuyant sur ces droits d’auteur, Kraft Canada a demandé à Euro
Excellence de cesser de distribuer les produits sur le marché gris au Canada.
Devant le refus opposé par Euro Excellence, Kraft Canada a intenté l’action.
Les motifs du jugement de la Cour
Les principaux motifs du jugement ont été rédigés par le juge Rothstein (avec
l’accord des juges Binnie et Deschamps), le juge Fish ayant rédigé de très brefs
motifs concordants. Comme il est exposé plus en détail ci-après, le juge
Bastarache (avec l’accord des juges Charron et LeBel) a souscrit au résultat,
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mais en se fondant sur une analyse qui différait grandement de celle du juge Rothstein.
De l’avis du juge Rothstein, l’affaire a mené à une application directe de la disposition régissant la violation à une étape
ultérieure prévue à l’alinéa 27(2)e)1 de la Loi sur le droit d’auteur. Le juge Rothstein a conclu que le but de cette
disposition était d’assurer que le titulaire du droit d’auteur canadien obtienne une « juste récompense » même s’il ne
détient pas le droit d’auteur à l’étranger. La loi protège le titulaire du droit d’auteur canadien contre l’importation
parallèle en présumant, dans certaines circonstances, qu’il y a violation du droit d’auteur au Canada même lorsque les
œuvres importées ne violent pas les lois sur le droit d’auteur dans le pays où elles ont été produites. Sans cette
protection, le titulaire du droit d’auteur étranger qui pourrait fabriquer l’œuvre pertinente à un coût moindre à l’étranger
pourrait venir saturer le marché canadien de son œuvre, ce qui dévaluerait les droits d’auteur canadiens.
Toutefois, pour obtenir gain de cause dans son action pour violation à une étape ultérieure, Kraft Canada devait
démontrer qu’Euro Excellence a importé des œuvres qui auraient constitué une violation du droit d’auteur si elles
avaient été produites au Canada par les personnes qui les ont réellement produites. Dans l’affaire en cause, ce sont les
titulaires des droits d’auteur (Kraft Belgique et Kraft Suisse) qui ont fabriqué les œuvres qu’Euro Excellence a ensuite
importées au Canada. Par conséquent, il était nécessaire d’établir que Kraft Belgique et Kraft Suisse (les
titulaires-concédants du droit d’auteur des logos figurant sur les tablettes de chocolat) auraient violé les droits d’auteur
de leur licencié (Kraft Canada) si elles avaient produit les emballages des tablettes de chocolat au Canada.
Le juge Rothstein a conclu que l’allégation par Kraft Canada de violation à une étape ultérieure n’était pas fondée, car le
titulaire d’un droit d’auteur canadien (même s’il avait convenu par contrat de ne pas exercer ce droit) ne peut violer son propre
droit d’auteur. Bien que Kraft Canada, à titre de licencié exclusif, ait un intérêt de propriété dans le droit d’auteur qui lui permet
d’intenter une action pour violation du droit d’auteur contre des tiers, les sociétés mères Kraft conservent un intérêt de
propriété résiduel dans le droit d’auteur qui empêche les licenciés exclusifs de les poursuivre en justice pour violation. Par
conséquent, même si Kraft Belgique et Kraft Suisse avaient violé les conditions de leur contrat de licence exclusive avec Kraft
Canada et produit les emballages des tablettes de chocolat au Canada, Kraft Canada ne peut intenter une action pour
violation du droit d’auteur contre elles. Le seul recours dont Kraft Canada dispose est une action pour rupture de contrat.
Pour sa part, le juge Fish s’est dit d'accord avec les motifs du juge Rothstein, mais a rédigé ses propres brefs motifs
concordants, exprimant (sans se prononcer sur la question) « un doute sérieux quant à la possibilité de transformer [de
la manière demandée par Kraft Canada] le droit régissant la protection de la propriété intellectuelle au Canada en un
instrument de contrôle du commerce qui n’est pas envisagé par la Loi sur le droit d’auteur. »
Les motifs du juge Bastarache diffèrent quant à eux de ceux du juge Rothstein, sauf en ce qui concerne la décision sur
l’appel. Le juge Bastarache a étoffé la question du « doute sérieux » exprimé par le juge Fish concernant l’utilisation du
droit régissant la propriété intellectuelle comme instrument de contrôle du commerce. En effet, il a statué que la Loi sur
le droit d’auteur ne devrait pas être interprétée comme protégeant les avantages économiques résultant de tous les
types de travail et, en particulier, que la protection offerte par le droit d’auteur ne saurait être appliquée aux intérêts
économiques qui ne sont qu’accessoirement liés à l’œuvre protégée par le droit d’auteur.
Par conséquent, le juge Bastarache a refusé de conclure que la vente d’une tablette de chocolat affichant sur son
emballage un logo protégé par le droit d’auteur équivaut à vendre l’œuvre protégée par le droit d’auteur. « En termes
simples, […] [l]’œuvre en tant que telle est simplement un élément accessoire du bien de consommation et, partant, la
vente de ce bien ne saurait à proprement parler être considérée comme étant la vente de l’œuvre. Un logo apposé sur
un emballage peut certes jouer un rôle essentiel dans la vente de l’article contenu dans cet emballage, mais c’est le
rôle qu’il joue en tant que marque de commerce et non en tant qu’œuvre protégée par le droit d’auteur. »
Même s’il reconnaît qu’il est difficile de déterminer si une œuvre constitue un « simple élément accessoire » d’un bien
de consommation, le juge Bastarache a déclaré que son interprétation était nécessaire pour maintenir l’équilibre
essentiel qui se trouve au cœur de la législation sur le droit d’auteur et pour veiller à ce que la protection conférée par le
droit d’auteur n’aille pas au-delà des intérêts légitimes du titulaire de ce droit. Le juge Bastarache a remarqué qu’il
pourrait être utile de tenir compte de certains facteurs afin de déterminer si une œuvre constitue simplement un élément
accessoire d’un bien de consommation, notamment la nature du produit et de l’œuvre protégée ainsi que le lien entre
l’œuvre et le produit. En bref, si « un consommateur raisonnable qui effectue une opération commerciale ne croit pas
que c’est l’œuvre protégée par le droit d’auteur qu’il achète ou utilise, il est probable que l’œuvre est simplement un
élément accessoire du bien de consommation visé par l’opération. »
Conformément à cette interprétation de la Loi sur le droit d’auteur, la vente d’une tablette de chocolat affichant un logo
protégé par le droit d’auteur ne constituerait pas une violation du droit d’auteur à une étape ultérieure, tout comme une
opération liée à la tablette de chocolat ne serait pas considérée comme une opération liée à l’œuvre protégée par le
droit d’auteur. Ainsi, la revendication de Kraft pour violation à une étape ultérieure aurait été rejetée, peu importe si un
L’alinéa 27(2)e) prévoit ce qui suit : « Constitue une violation du droit d’auteur l’accomplissement de tout acte ci-après en ce qui a trait à l’exemplaire d’une œuvre […] alors que la personne qui accomplit
l’acte sait ou devrait savoir que la production de l’exemplaire constitue une violation de ce droit, ou en constituerait une si l’exemplaire avait été produit au Canada par la personne qui l’a produit : a) la vente
ou la location; b) la mise en circulation de façon à porter préjudice au titulaire du droit d’auteur; c) la mise en circulation, la mise ou l’offre en vente ou en location, ou l’exposition en public, dans un but
commercial; d) la possession en vue de l’un ou l’autre des actes visés aux alinéas a) à c); e) l’importation au Canada en vue de l’un ou l’autre des actes visés aux alinéas a) à c). »
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licencié exclusif avait ou non le droit de poursuivre le titulaire-concédant pour violation du droit d’auteur. Le juge
Bastarache a toutefois indiqué en obiter qu’il croit que le libellé de la Loi sur le droit d’auteur précise clairement qu’un
licencié exclusif à qui l’on a conféré le droit exclusif au droit d’auteur peut faire valoir ces droits contre le titulaire dans
une action pour violation de droit d’auteur, plutôt que seulement pour rupture de contrat.
Les différences entre les motifs des deux principaux jugements accueillant l’appel sont d’autant plus intéressantes que
les juges Rothstein et Bastarache prétendent tous deux recourir à la même approche en matière d’interprétation
législative, selon laquelle « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et
grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur ».
Malgré le fait qu’ils se fondent sur le même principe d’interprétation législative, les deux juges en arrivent à des
conclusions très différentes. Le juge Rothstein argue que le juge Bastarache a substitué ses préférences en matière de
politique générale à celles du législateur. Pour le juge Rothstein, dès que chaque partie admet que les logos résultent
de l’exercice du talent et du jugement et qu’ils sont pour cette raison légitimement visés par le droit d’auteur, les limites
de la protection du droit d’auteur doivent être prescrites par le législateur. Remarquant que la méthode du caractère
« accessoire » préconisée par le juge Bastarache s’apparente à la méthode adoptée en Australie, le juge Rothstein a
également noté que la méthode australienne a été établie par une loi et non par des juges.
Finalement, le juge Rothstein a indiqué que la Loi sur le droit d’auteur permet expressément qu’une œuvre bénéficie à
la fois de la protection conférée par le droit d’auteur et de celle conférée par la marque de commerce. Par conséquent,
étant donné que le législateur a permis que les étiquettes bénéficient à la fois de ces deux protections, jusqu’à ce qu’il
prévoie le contraire, les tribunaux sont tenus de conclure que le logo apposé sur l’emballage d’une tablette de chocolat
peut bénéficier à la fois de la protection conférée par la marque de commerce et de celle conférée par le droit d’auteur.
Les motifs dissidents de la juge en chef McLachlin et de la juge Abella ont été rédigés par cette dernière. Les juges
dissidents ont clairement identifié les deux principales questions soumises à la Cour comme les suivantes : 1) l’œuvre
protégée par le droit d’auteur peut-elle être vendue ou mise en circulation lorsqu’elle est imprimée sur l’emballage d’un
produit de consommation? 2) le titulaire d’une licence exclusive au Canada peut-il invoquer une protection prévue par la
Loi sur le droit d’auteur lorsque l’œuvre qui viole le droit d’auteur a été produite par le titulaire-concédant du droit d’auteur?
En ce qui concerne la première question, la juge Abella a souscrit à la conclusion du juge Rothstein selon laquelle rien
dans la Loi sur le droit d’auteur ne milite en faveur d’une définition restrictive du terme « vente ». « Lorsqu’un produit est
vendu, la propriété de l’emballage est également transférée à l’acquéreur. Il importe peu, du point de vue de la Loi, que la
vente de l’emballage soit importante ou non pour le consommateur. » La juge Abella a fait part de son malaise à cet égard
en invitant les tribunaux à explorer, cas par cas, la question de savoir si un logo est accessoire ou non à un produit, et elle
s’entend avec le juge Rothstein pour dire que rien ne permet aux tribunaux de limiter la protection conférée par le droit
d’auteur en fonction de ce qui pourrait ou ne pourrait pas constituer un intérêt économique légitime.
Cependant, sur la question de savoir si le titulaire d’une licence exclusive peut invoquer une protection contre la violation à
une étape ultérieure lorsque l’œuvre protégée par le droit d’auteur a été produite par le titulaire-concédant, la juge Abella
ne partage pas l’avis du juge Rothstein et a déclaré qu’une « licence exclusive qui n’empêcherait pas autrui, y compris le
titulaire-concédant, d’accomplir les actes énoncés dans le contrat de licence ne serait plus exclusive. Elle viderait
également de tout son sens la définition que l’art. 2.7 de la Loi donne du licencié exclusif comme étant celui qui détient des
droits opposables à tous, y compris le concédant (“to the exclusion of all others including the copyright owner”). »
Fait intéressant, il semble que Kraft avait réellement réussi à persuader la majorité des juges de la CSC à la fois que la
Loi sur le droit d’auteur pourrait appuyer une action pour violation dans le cadre de la vente de tablettes de chocolat
affichant sur leur emballage un logo protégé par le droit d’auteur et qu’un licencié exclusif pourrait poursuivre le titulaire
du droit d’auteur en justice pour violation de son propre droit d’auteur. Néanmoins, Kraft a tout de même perdu l’affaire,
car elle n’a pu convaincre la majorité des juges sur chacune des questions en litige.
À l’intersection du droit de la propriété intellectuelle et du droit de la concurrence
Les écarts importants entre les motifs dans cette affaire (et l’étrange alignement des motifs sur deux questions clés)
permettent difficilement de rendre compte de l’état du droit après cette décision. Néanmoins, l’affaire est intéressante
parce qu’elle est la deuxième, au cours des dernières années, dans laquelle la CSC a discuté de la portée de la
protection de la propriété intellectuelle et, plus particulièrement, de l’application des droits de propriété intellectuelle
hors des limites prévues par la loi pour soi-disant contrôler l’orientation des marchés, dans chaque cas sans tenir
compte de la Loi sur la concurrence ou des principes sur lesquels se fonde son application.
En novembre 2005, la CSC a conclu dans l’affaire Kirkbi AG c. Gestions Ritvik Inc. (2005 CSC 65) que le fabricant de briques
emboîtables de marque LEGO ne pouvait utiliser le « droit applicable en matière de commercialisation trompeuse et de
marques de commerce [pour] perpétuer un monopole lié à des brevets maintenant expirés. » Étant donné que ses brevets
LEGO ont expiré et qu’elle fait face à la concurrence de nouveaux joueurs ayant « des produits similaires, voire identiques »
aux siens, notamment Mega Bloks Inc. (Mega Bloks, auparavant Gestions Ritvik Inc.), Kirkbi AG (Kirkbi) a cherché à
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empêcher la concurrence provenant de la vente de briques semblables par des tiers en invoquant des droits liés à une
marque de commerce relativement au système de cylindres creux sous les briques. N’ayant pu enregistrer ces droits liés à
une marque de commerce au Canada, elle a invoqué des droits non déposés, soulevant la question de savoir si la vente par
Mega Bloks de son produit concurrent crée de la confusion avec la marque de commerce non déposée de Kirkbi.
Pour circonscrire la question en litige, le juge LeBel, qui a rédigé la décision au nom de la CSC, a prévenu que la
« quête [par les titulaires de droits de propriété intellectuelle] d’une protection permanente de ce qu’ils considèrent
comme leur propriété légitime […] comporte le risque d’abandonner des distinctions fondamentales nécessaires entre
diverses formes de propriété intellectuelle et leurs fonctions juridiques et économiques. » Bien qu’il reconnaisse que le
« fonctionnement du marché dépend […] largement des marques de commerce » et que l’« achalandage rattaché à
une marque est perçu comme un bien très précieux », le juge LeBel a statué qu’« une marque ne doit pas être
confondue avec le produit qu’elle sert à identifier — elle représente autre chose. Elle devient un symbole du rapport
entre la source d’un produit et le produit lui-même. » Lorsqu’elle s’applique aux lois sur les marques de commerce et
les brevets, la distinction « fondamentale nécessaire » est protégée par le « principe de la fonctionnalité », qui repose,
selon le juge Lebel, « sur le souci d’éviter d’étendre démesurément le monopole aux produits eux-mêmes et de gêner
ainsi la concurrence entre des marchandises partageant les mêmes caractéristiques techniques. »
Bien que les questions précises soumises à la CSC diffèrent dans les affaires Kraft et Kirkbi, les deux affaires ont en
commun la tentative d’utiliser les droits de propriété intellectuelle comme protection contre la concurrence d’une manière
qui apparemment dépassait les limites appropriées de la propriété intellectuelle en cause. Dans l’affaire Kirkbi, tous les
juges de la CSC ont conclu que la tentative de Kirkbi d’utiliser le droit des marques de commerce dépassait en fait ces
limites. Seuls les juges minoritaires ont adopté un point de vue semblable dans l’affaire Kraft. La conclusion du juge
Bastarache, qui a rédigé les motifs dissidents (avec l’accord des juges LeBel et Charron) pour les juges minoritaires, selon
laquelle la « présence […] accessoire [d’]œuvres protégées sur les emballages des tablettes de chocolat ne rend pas
applicables à ces dernières les protections offertes par la Loi sur le droit d’auteur » semble émaner du même désir de
protéger les « distinctions fondamentales nécessaires » entre diverses formes de propriété intellectuelle que celle
exprimée par la CSC dans l’affaire Kirkbi. « Si la législation sur les marques de commerce ne protège pas une part de
marché dans un cas particulier », a noté le juge Bastarache, « il n’y a pas lieu de recourir à la législation sur le droit
d’auteur pour offrir cette protection si cela oblige à sortir le droit d’auteur de son champ d’application normal. La protection
offerte par le droit d’auteur ne saurait être appliquée aux intérêts économiques qui ne sont qu’accessoirement liés à
l’œuvre protégée par le droit d’auteur. »
Même si les affaires Kirkbi et Kraft présentaient toutes deux des allégations d’utilisation de propriété intellectuelle à des
fins anticoncurrentielles, la Loi sur la concurrence n’a jamais été invoquée et la CSC n’a fait mention de cette loi ou
des principes du droit de la concurrence dans aucune de ces affaires. Cela n’est pas problématique, du point de vue
juridique, dans la mesure où les questions soumises à la CSC sont convenablement examinées dans les limites
étroites des lois sur la propriété intellectuelle applicables. Toutefois, si l’approche de la CSC concernant ces lois reflète,
consciemment ou non, une tentative de gestion du rapport entre le droit de la propriété intellectuelle et celui de la
concurrence, une telle omission pourrait causer certaines discordances, puisqu’une analyse fondée uniquement sur le
droit de la propriété intellectuelle pourrait donner des résultats différents d’une analyse fondée sur l’application des
principes du droit de la concurrence. Dans l’affaire Kraft, par exemple, une analyse fondée sur le droit de la
concurrence pour savoir si l’exigence de Kraft voulant que ses licenciés exclusifs vendent uniquement les produits en
cause dans leurs territoires respectifs (« limitation du marché » au sens de l’article 77 de la Loi sur la concurrence)
empêchait ou diminuait sensiblement la concurrence aurait inclus la définition des produits et des marchés
géographiques pertinents. De même, dans cette affaire, on aurait tenté de savoir si le comportement causait du tort non
seulement à un seul concurrent, mais aussi à la concurrence sur le marché des tablettes de chocolat pertinent. Toute
tentative pour « protéger » la concurrence qui n’adhérerait pas à un tel cadre restreindrait la concurrence plutôt que de
la protéger, notamment en encourageant la concurrence intramarque sans tenir compte des incidences défavorables
éventuelles sur la concurrence intermarque.
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