Procédés membranaires : Des progrès dans le traitement de l`eau

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Procédés membranaires : Des progrès dans le traitement de l`eau
PROCÉDÉS MEMBRANAIRES :
DES PROGRÈS DANS LE TRAITEMENT DE L’EAU POTABLE
ROBERT C. ANDREWS, UNIVERSITÉ DE TORONTO
Recherche effectuée en 2008
PROCÉDÉS MEMBRANAIRES :
DES PROGRÈS DANS LE TRAITEMENT DE L’EAU POTABLE
ROBERT C. ANDREWS, UNIVERSITÉ DE TORONTO
Recherche effectuée en 2008, Rapport publié en février 2016
CONTEXTE DE LA RECHERCHE
Le recours à des procédés de filtration membranaire dans les usines de traitement de l’eau potable a connu en essor au cours
des dix dernières années. Les systèmes d’ultrafiltration par membrane sont habituellement composés de gros faisceaux
de fibres creuses immergées dans l’eau à traiter. L’eau est aspirée sous vide à travers de très petits pores à la surface de la
membrane, permettant ainsi de filtrer les particules, bactéries et protozoaires indésirables.
Le traitement membranaire produit avec constance
une eau de grande qualité. Son coût est concurrentiel
comparativement à d’autres solutions classiques de
traitement. Les nouvelles usines et les usines mises
à niveau sont donc nombreuses à avoir adopté cette
technologie. Cependant, malgré ses avantages, des
obstacles limitent encore l’adoption de cette technologie
à grande échelle au Canada. En général, leur usage s’est
limité aux procédés membranaires fonctionnant à faible
pression (principalement pour l’ultrafiltration) lorsque la
source d’eau est de bonne qualité. Par ailleurs, les procédés
membranaires à forte pression (comme l’osmose inversée)
sont souvent utilisés pour le retrait des sels (dessalage).
Eau traitée aspirée
sous vide à travers les
fibres de la membrane
Module membranaire immergé
Accumulation de
salissures à la
surface de la fibre
Fibre de la membrane
Le principal obstacle à l’usage de cette technologie est
l’encrassement, c’est-à-dire l’accumulation de matières
à la surface de la membrane. Certains éléments dans les
Figure 1. Encrassement de la membrane
eaux de surface (comme de la matière organique naturelle)
s’accumulent à la surface de la membrane et créent une
résistance au débit d’eau passant à travers les pores. Il faut
alors plus d’énergie pour aspirer l’eau à travers la membrane, ce qui augmente les coûts de fonctionnement. Des études
sont requises pour identifier et cibler les principaux éléments dans les sources d’eau qui sont connus pour encrasser les
membranes, et pour développer des stratégies afin de minimiser cet encrassement.
Les responsables d’usines de traitement de l’eau potable et les consommateurs ont exprimé leurs inquiétudes quant aux
répercussions potentielles sur la santé des produits pharmaceutiques et autres contaminants d’intérêt émergent présents
dans les eaux de surface, surtout les œstrogènes et les composés à effets endocriniens, comme le bisphénol A. Il n’est pas
clair si les membranes sont capables de retirer de l’eau avec efficacité ces éléments de plus petite taille. Il est donc important
de mieux comprendre comment les procédés membranaires peuvent être optimisés à cet égard.
Ce projet de recherche a été réalisé dans le but général d’améliorer le rendement des membranes pour le traitement de l’eau
potable dans les usines canadiennes. Il était axé sur deux grands thèmes :
1. STRATÉGIES DE DIMINUTION DE L’ENCRASSEMENT
Plutôt que d’aborder la matière organique dans l’eau comme un grand ensemble, les recherches visaient à identifier et cibler
les éléments précis de la matière organique présente dans les eaux de surface qui causent l’encrassement des membranes.
2. INTÉGRATION DES SYSTÈMES MEMBRANAIRES EN VUE DE SATISFAIRE AUX NOMBREUSES NORMES
DE QUALITÉ DE L’EAU
L’intégration des procédés membranaires aux technologies complémentaires déjà en place, comme l’utilisation de coagulants
et d’adsorbants avant la filtration membranaire, peut aider à cerner le retrait d’éléments salissants précis et aussi améliorer
l’enlèvement de contaminants d’intérêt émergent.
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Robert C. Andrews, Université de Toronto, Recherche effectuée en 2008, Rapport publié en février 2016
MÉTHODES DE RECHERCHE
Les chercheurs ont réalisé plusieurs projets connexes dans le but d’optimiser les
procédés membranaires actuels pour le traitement de l’eau potable. Les études incluaient
la collecte de données d’expériences réalisées à l’université de Toronto, où les chercheurs
ont examiné une gamme de scénarios de traitement avec des modules membranaires de
petite taille (Figure 2) fonctionnant de façon automatisée pour répliquer le traitement dans
les usines de taille réelle. Ils ont étudié plusieurs sources naturelles d’eau représentant
un éventail de caractéristiques; ils ont évalué l’encrassement des membranes, de même
que la capacité à retirer les contaminants d’intérêt émergent. De plus, les chercheurs ont
aussi mesuré les concentrations de plusieurs contaminants d’intérêt émergent, dont des
produits pharmaceutiques et des composés ayant des effets endocriniens, dans les eaux
brutes prélevées de prises d’eau de plusieurs usines de traitement de l’eau potable.
Figure 2. Exemple de
module membranaire à
échelle réduite utilisé lors
des études en laboratoire
réalisées dans le cadre de
ce projet de recherche
ÉTUDES SUR LE CONTRÔLE DE L’ENCRASSEMENT
pp But : identifier les principaux éléments encrassant les membranes issus de trois sources d’eaux canadiennes : le lac
Ontario, le lac Simcoe et la rivière Otonabee.
pp Les chercheurs ont étudié la coagulation comme procédé complémentaire à la filtration membranaire pour cibler ces
principaux éléments salissants.
pp Ils ont utilisé différents types de coagulants à diverses doses avant la filtration membranaire pour déterminer les
incidences de ces ajouts sur le rendement des membranes et sur les coûts de fonctionnement et d’entretien.
ENLÈVEMENT DES COMPOSÉS PHARMACEUTIQUES
pp Les chercheurs ont étudié l’enlèvement des produits pharmaceutiques par la filtration membranaire lorsque celle-ci est
précédée par des procédés complémentaires de coagulation et d’ajout d’adsorbant (charbon activé en poudre).
pp Ils ont ajouté jusqu’à 24 produits pharmaceutiques aux sources d’eaux et mesuré leurs concentrations lors des divers
scénarios de traitement.
pp Ils ont également étudié comment ces contaminants étaient rejetés par le procédé membranaire en fonction des
caractéristiques des composés à l’étude, des propriétés de la membrane et de la source d’eau.
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RÉSULTATS DE LA RECHERCHE
Dans les sources d’eaux canadiennes examinées, ce sont les biopolymères (des particules de matière organique de grande
taille) qui sont les principaux éléments salissant les membranes. Les biopolymères sont présents dans la plupart des eaux
de surface en concentrations relativement faibles (< 0,5 mg/L) et ils représentent normalement moins de 10 % des composés
organiques totaux. Ils sont par contre la cause majeure de l’encrassement des membranes. La coagulation avec du sulfate
d’aluminium ou du chlorure de polyaluminium, ces deux produits étant couramment utilisés dans les usines de traitement de
l’eau potable, a bien réussi à enlever les biopolymères des eaux de surface.
L’ajout prétraitement d’une faible dose de coagulant (0,5 mg/L) a été optimal pour l’enlèvement des salissures de biopolymères
et la diminution de l’encrassement, comparativement aux procédés membranaires sans ajout préalable de coagulant et aux
procédés avec ajout de doses plus fortes de coagulant (15 mg/L – ce qui est plus représentatif des pratiques actuelles de
traitement (Figure 3). Aux doses plus élevées de coagulant, on a constaté que le coagulant lui-même encrassait la membrane.
L’utilisation d’une dose faible de coagulant (0,5 mg/L) permettrait de réaliser des économies substantielles (jusqu’à 1 million
de dollars par année pour une usine d’une capacité de traitement de 100 mgd. Cette estimation est basée sur les économies
associées à la quantité moins importante de produits chimiques requis et à la diminution des déchets résiduels, de même qu’à
de plus longues durées de fonctionnement des membranes et une production d’eau accrue.
2,5
Aucun coagulant
0,5 mg/L de sulfate d’aluminium
15 mg/L de sulfate d’aluminium
Résistance réversible (x1012 m-1)
2,0
1,5
1,0
0,5
0,0
0
5
10
15
20
25
Cycle de filtration
Figure. 3 Encrassement (axe des y) par rapport au temps de filtration sans ajout de coagulant; avec ajout d’une faible dose
(optimisée) de coagulant 0,5 mg/L, avec ajout de la dose habituelle de 15 mg/L
Les membranes couramment utilisées dans les usines canadiennes de traitement de l’eau potable (p. ex., ultrafiltration) sont
généralement inefficaces pour enlever les composés pharmaceutiques (< 20 % d’enlèvement) (Figure 4), à l’exception des
composés hormonaux comme les œstrogènes, dont jusqu’à 50 % ont pu être enlevés par les membranes à elles seules.
L’enlèvement des produits pharmaceutiques de cette manière a été principalement attribué à l’adsorption sur la surface de
la membrane.
En outre, la présence de concentrations plus élevées de matière organique (et donc de produits qui encrassent la membrane)
dans l’eau a permis d’accroître la rétention de nombreux produits pharmaceutiques. Cela a été attribué à l’adsorption des
produits pharmaceutiques sur la matière organique qui est ensuite enlevée par la membrane.
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Eau
Produits
pharmaceutiques
Sels
Virus
Bactéries
Solides en
suspension
Ultrafiltration
Osmose inversée
Taille des composés
Figure 4. Sommaire des différents types de membranes et des composés que chacune d’elle retient
Cependant, l’utilisation d’un adsorbant (charbon activé en poudre) avant la membrane a permis d’accroître l’enlèvement de
plusieurs composés pharmaceutiques. Dans des systèmes membranaires où l’on avait ajouté 5 mg/L de charbon activé en
poudre en prétraitement, le taux moyen d’enlèvement des composés était de > 60 %.
Les composés hormonaux sont ceux qui ont connu le plus important taux d’enlèvement par les membranes et les adsorbants
(jusqu’à 97 %). Cependant, la présence de plus fortes concentrations de matière organique a généralement suscité une
baisse d’efficacité de rétention des composés pharmaceutiques par l’adsorbant, probablement attribuable au fait que la
matière organique présente dans l’eau faisait concurrence aux produits pharmaceutiques pour les sites d’adsorption. Les
seuls systèmes membranaires à l’étude
qui ont rejeté avec efficacité et constance
les composés pharmaceutiques sans
COMPOSÉ
LDD (NG/L)
LAC ONTARIO
LAC SIMCOE
RIVIÈRE OTONABEE
aucun prétraitement ont été les procédés
Carbamazépine
26
nd
d’osmose inversée (rétention de > 90 %)
nda
< LDMb
(Figure 4).
Kétoprofène
24
< LDM
nd
nd
En pratique, l’installation de membranes
de forte pression pour le traitement d’eaux
de surface qui sont déjà de grande qualité
n’est peut-être pas faisable, si l’on tient
compte des coûts élevés d’investissement
et d’exploitation de ces systèmes. De plus,
l’analyse des sources d’eaux de surface
utilisées pour l’eau potable en Ontario
indique que très peu de contaminants
d’intérêt émergent ont été détectés dans
les eaux brutes, et qu’ils étaient présents
en très faibles concentrations (Tableau 1).
Naproxène
17
nd
112 (±105)
< LDM
Pentoxifylline
15
< LDM
< LDM
< LDM
Sulfaméthoxazole
10
< LDM
26 (±23)
15 (±8)
Sulfaméthizole
6
10 (±17)
nd
8 (±19)
Sulfachlorpyridazine
32
< LDM
nd
< LDM
Acétaminophène
35
66 (±114)
nd
< LDM
Bisphénol A
57
< LDM
nd
< LDM
Acide clofibric
22
nd
nd
73 (±45)
Diclofénac
37
< LDM
nd
51 (±12)
Diéthylstilbestrol
61
nd
nd
< LDM
Estriol
52
nd
nd
nd
Estrone
67
nd
< LDM
< LDM
Gemfibrozil
51
nd
nd
nd
17β-estradiol
90
nd
< LDM
< LDM
A
non détecté
détecté à une concentration inférieure à la limite de détection de la méthode
B
Tableau 1 : Concentrations de micropolluants organiques mesurées dans les eaux
de surface brutes, recueillies aux sources d’approvisionnement des usines de traitement de l’eau potable; les valeurs représentent la concentration moyenne ± l’écarttype de trois échantillons distincts
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INCIDENCES POUR LES MUNICIPALITÉS
Ce projet de recherche s’est penché sur les façons dont les municipalités peuvent améliorer l’efficacité des procédés
membranaires pour le traitement de l’eau potable tout en satisfaisant de multiples normes de qualité de l’eau :
pp L’encrassement des membranes est principalement dû à la présence de particules de matière organique de grande taille
(des biopolymères) dans les eaux de surface
pp On recommande un prétraitement pour les produits salissants ciblés.
pp Une faible dose de coagulant peut être une excellente stratégie prétraitement pour réduire les produits salissants ciblés.
pp L’usage réduit de coagulants, une quantité moindre de déchets résiduels et un rendement accru des membranes peuvent
donner lieu à des économies importantes de coûts et d’énergie.
pp Les procédés membranaires à forte pression comme l’osmose inversée ou l’ajout d’adsorbants peuvent être nécessaires
pour enlever des produits pharmaceutiques des eaux de surface pendant le traitement membranaire.
pp Les composés pharmaceutiques n’ont généralement pas été détectés (ou ils ont été détectés en concentrations trace)
dans les sources d’eau examinées dans cette étude.
pp Si les risques associés aux contaminants d’intérêt émergent sont jugés faibles, la mise en œuvre de procédés de pointe
peut ne pas être réaliste, étant donné les coûts d’investissement et d’exploitation que cela comporte.
POUR PLUS D’INFORMATION, PRIÈRE DE JOINDRE ROBERT ANDREWS, UNIVERSITÉ DE TORONTO,
[email protected]
RAPPORT RÉDIGÉ PAR HEATHER WRAY, UNIVERSITÉ DE TORONTO
ÉQUIPE DE CHERCHEURS :
ROBERT ANDREWS, Université de Toronto
HEATHER WRAY, Université de Toronto
PIERRE BÉRUBÉ, Université de la Colombie-Britannique
MONIQUE WALLER, CH2M Hill
ANWAR SADMANI, Université de Toronto
PARTENAIRES :
CALGON CARBON
GE WATER & PROCESS TECHNOLOGIES
VILLE DE BARRIE
PETERBOROUGH UTILITIES COMMISSION
MUNICIPALITÉ RÉGIONALE DE PEEL
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