Industrie graphique, une filière remaniée

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Industrie graphique, une filière remaniée
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Industrie graphique, une filière remaniée
Comment le numérique a redéfini les nouvelles lignes de force du secteur
Essor des technologies d’impression
numérique, crise économique, engagement écologique des entreprises et des gouvernements :
les facteurs macro et microéconomiques ont frappé de plein fouet la filière de l’industrie
graphique et ses donneurs d’ordres. Si les effets ont été dramatiques pour de nombreuses
sociétés de la filière, le secteur a su s’adapter et s’emparer des évolutions techniques pour
rebondir. Automatisation des flux de production, flexibilité et réactivité accrue, émergence de
nouvelles technologies et personnalisation des services, les prestataires ont su transformer
certains obstacles en atouts.
Livres, magazines, affiches publicitaires, packaging, cartes de visite ou formulaires,
l’industrie graphique intervient partout. Déployée depuis 1450, l’imprimerie traditionnelle –
essentiellement offset – est en train de connaître une révolution majeure. Les technologies
d’impression numérique qui se développent depuis une vingtaine d’années ont bouleversé le
secteur. En complément ou en concurrence avec les techniques traditionnelles, le numérique a
redéfini les lignes de force de la filière.
Pour les acteurs du secteur, s’adapter à la nouvelle donne sectorielle réclame de gros
investissements. Et au vu de la conjoncture, les trésoreries ne sont pas toujours suffisantes. A
la révolution technologique majeure qui touche l’imprimerie est venue s’ajouter la crise, peu
propice au réinvestissement d’une partie du chiffre d’affaires pour nombre de sociétés. La
filière pâtit des restrictions budgétaires des donneurs d’ordres, qui économisent sur la
communication.
Parallèlement, la communication digitale grignote peu à peu des parts de marché à la
communication papier. Depuis l’arrivée des smartphones, des tablettes et des panneaux
d’affichage numériques, la concurrence entre les supports de communication s’est accentuée,
en particulier dans le domaine de la presse. En Europe, les dépenses publicitaires en ligne ont
dépassé celles de la presse quotidienne pour la première fois en 2012, selon le rapport AdEx
Benchmark 2012 de l’IAB Europe et IHS. Elles ont atteint 24,3 milliards d’euros, soit une
augmentation de 11,5 % depuis 2009. Et le rapport de force entre les supports devrait encore
s’accentuer dans les années à venir.
Diminutions des dépenses des entreprises et baisse des commandes, l’impact sur la demande
est lourd pour l’ensemble du secteur. Et à ces difficultés s’ajoutent les contraintes écologiques
qui pèsent sur le média papier. Des mesures telles qu’Ecofolio, qui taxent les volumes
imprimés et certaines technologies employées dans le domaine de l’impression, accentuent
encore la baisse de la demande en imprimés.
“Globalement, on peut considérer que les budgets de communication des entreprises
diminuent à cause de la crise d’au moins 10 %, et comme parallèlement, la part de la
communication digitale augmente au détriment de la communication papier, la baisse des
volumes de papiers dépasse, selon les types de produit, 20 à 30 %. Sans compter que
l’extrémisme environnemental a un impact négatif sur la filière graphique”, résume Patrick
Cahuet, expert de l’industrie graphique.
Résultat : la production du secteur a diminué régulièrement depuis dix ans, l’activité
enregistrant un creux plus marqué en 2008. Réactive, l’industrie graphique n’a cependant pas
tardé à s’adapter à ces mutations : 2010 et 2011 ont marqué un retour à la stabilité. Reste que
depuis 2000, les tonnages produits par l’industrie graphique ont baissé de 26 %, selon une
étude réalisée pour le gouvernement par le cabinet Ambroise Bouteille et associés.
Ces mutations impactent une filière importante de l’économie française, qui comprend 6 000
entreprises employant 70 000 salariés. Loin de se limiter aux techniques de conception et de
fabrication, le secteur englobe tant les donneurs d’ordres – annonceurs et presse – que
l’impression, la finition et le routage. La branche est majoritairement composée de petites
entreprises de moins de 10 salariés. Précipités par les refus de soutien des banques, les dépôts
de bilan se sont succédé et la restructuration du secteur s’est accomplie dans la douleur. “Le
secteur a terriblement souffert du numérique, témoigne Roger Notte, PDG de Suisse
Imprimerie-Colorprint. La raréfaction des commandes alors que les groupes sont plus
nombreux a entraîné un cercle non vertueux, qui casse les prix et baisse sensiblement les
marges. Beaucoup n’ont pas résisté. En janvier, cette pression s’est à nouveau fait sentir par
de nouvelles baisses de commandes et des hausses d’impôts.”
Des donneurs d’ordres plus exigeants
Dans ce contexte, les donneurs d’ordres ne cessent de durcir leurs politiques d’achat, et la
pression sur les prix s’est encore intensifiée. Surtout, les clients cherchent de plus en plus de
différenciation des produits imprimés. Les prestataires observent ainsi un morcellement de la
demande, à travers la baisse du volume des commandes unitaires et l’augmentation parallèle
des modèles différents. “Désormais, la tendance est plutôt de commander trois séries
différentes de 500 exemplaires plutôt que 1 500 similaires”, observe Roger Notte, de Suisse
Imprimerie-Colorprint.
Une exigence particulière s’exprime en termes de personnalisation des commandes. Dorure,
gaufrage, reliage ou vernis : la concurrence se joue sur la qualité des finitions. “Dans un
contexte de concurrence accru, l’objectif des donneurs d’ordres est la valorisation et la
différenciation du produit final”, note Patrick Wack, PDG de 5 Sept Étiquette.
Les entreprises cherchent aussi à simplifier leur relation avec les imprimeurs et expriment la
volonté de ne traiter qu’avec un seul interlocuteur pour l’ensemble d’une campagne de
communication. “La fonction des clients a changé, les acheteurs d’imprimés disparaissent.
Les imprimeurs s’adressent désormais à un plus haut niveau, les directions marketing ou des
achats”, remarque l’expert Patrick Cahuet.
Multisupport et automatisation, l’offre crée la demande
Si les prestataires du secteur de l’industrie graphique ont souffert, la filière a toutefois su
s’emparer des évolutions technologiques qui ont bouleversé la structure du marché. Loin de
s’accrocher à des techniques traditionnelles, beaucoup de petites et grandes structures ont été
motrices des évolutions technologiques dans leur domaine. Car c’est l’offre qui crée la
demande sur ce secteur. “La demande sur le marché de l’industrie graphique est engendrée
par la poussée technologique”, rappelle Patrick Cahuet.
En passant d’une offre de prépresse traditionnelle à celle d’outils dédiés à la création
multisupport, l’éditeur de logiciels graphiques Adobe est représentatif des grandes évolutions
du secteur des arts graphiques. Les solutions proposées évoluent au fil de l’émergence des
nouvelles technologies et des besoins qui s’ensuivent. Les offres de cette société répondent
désormais à des stratégies de communication multicanale ou mobile first par exemple, grâce
au rachat de solutions hébergées. Sans oublier les réseaux sociaux : l’acquisition de
Behance.net permet aux graphistes de partager leur travail. “L’innovation a incité les
entreprises à vouloir créer de nouveaux contenus pour de nouveaux supports”, constate Lionel
Lemoine, responsable des équipes avant-vente d’Adobe France.
Devançant la demande et les évolutions technologiques, les prestataires ont réalisé ces
dernières années de gros investissements en matière d’outils informatiques, de matériel
d’impression dernier cri, mais aussi de formation du personnel. Les prestataires ont aussi
anticipé la pression des prix à travers l’automatisation d’une partie des flux de production,
offrant des tarifs extrêmement compétitifs. Les commandes sont ainsi “externalisées” sur des
serveurs dédiés avec accès personnel, qui permettent de visualiser les modèles, l’avancée des
commandes ou l’état des stocks.
“L’innovation est la porte de sortie vers le succès. Investir est une orientation stratégique qui
nous permet de nous ouvrir à un maximum de marchés, grands et plus petits, ce qui est
indispensable dans ce contexte”, déclare Jérôme Chaudré, PDG de la société Michel Lata.
Certaines sociétés ont d’ailleurs misé sur le tout-Internet. L’apparition du Web-to-print
permet d’éditer des devis et de commander en ligne tout en offrant des délais de réponse très
courts. Certains de ces imprimeurs parviennent désormais à proposer une offre très haut de
gamme pour des tarifs concurrentiels grâce à une automatisation complète des processus et
aux économies d’échelle ainsi réalisées. “Le potentiel du Web est d’offrir des réponses ultraautomatisées et donc ultra-réactives, pour des résultats équivalents, parfois même supérieurs,
puisque certains prestataires se permettent même d’offrir les finitions”, remarque l’expert
Patrick Cahuet.
En apportant de la prédictibilité, l’informatisation des outils de contrôle a également apporté
une réponse aux exigences de qualité du produit fini, parfois difficile à garantir, en particulier
sur les éléments dotés d’effets spéciaux comme la dorure ou les reliefs. “Le niveau d’exigence
qualitatif de la part des donneurs d’ordres s’est resserré, et la tolérance sur les petites
défaillances techniques – telles que les écarts de couleur entre deux étiquettes – a
considérablement diminué”, observe Patrick Wack de 5 Sept Étiquette.
Offres packagées et services, la concentration du secteur
Mais pour nombre de prestataires de l’industrie graphique, il s’agit d’optimiser la commande
en ligne à travers le développement parallèle d’un service de proximité, toujours plus
personnalisé, et ce particulièrement pour les clients haut de gamme. Du conseil pour assurer
un support d’impression adapté à l’optimisation des volumes de commandes, à la veille
technologique, sans oublier les besoins plus spécifiques des “éco-clients”, les prestations
s’étendent bien au-delà de la simple impression.
“L’équipement en machines ne suffit plus. Nous avons beaucoup axé sur la qualité d’accueil
et le service impeccable. Si c’est pour offrir la même chose que sur Internet, je ne vois pas
l’intérêt qu’auraient nos clients à rester chez nous. C’est comme cela que nous les fidélisons :
lorsqu’il y a un problème, nous offrons une écoute. Cela nous permet aussi de mieux
connaître nos clients”, souligne Roger Notte de Suisse Imprimerie-Colorprint.
Autre voie de salut pour les entreprises du secteur : la diversification des services proposés et
les offres packagées. De la prise en charge du prépresse au conseil en marketing, la
communication papier et numérique, ou encore la gestion logistique sont venus enrichir la
simple prestation d’impression. Un phénomène de packaging qui a mené à un nombre
important de fusions et acquisitions dans la filière. Adobe a ainsi racheté la société française
Neolane, spécialiste des campagnes multicanales, pour étayer son offre. Des groupements
d’imprimerie se sont ainsi constitués en masse. “Depuis la conjugaison des crises
conjoncturelle et structurelle, les imprimeurs se regroupent pour pouvoir proposer une gamme
complète de services, entraînant du même coup une baisse du nombre de prestataires. La
grande tendance est d’avoir des fournisseurs de services globaux”, observe l’expert Patrick
Cahuet.
Avantage à la complémentarité
En dehors des très grosses structures, les prestataires qui ont intégré les technologies
d’impression numérique s’en sortent généralement mieux que ceux restés sur les techniques
offset traditionnelles. À moins d’être positionné sur une niche. Les petites entreprises de la
filière qui se situent sur l’étiquetage viticole, l’agroalimentaire et le packaging ont ainsi été
relativement préservées par la conjoncture.
À l’image de ces sociétés qui sont parvenues à tirer leur épingle du jeu, Roger Notte, PDG de
Suisse Imprimerie-Colorprint, a rapidement investi dans le numérique qu’il a ajouté à son
activité d’impression offset, par l’acquisition d’une filiale. Car si les techniques traditionnelles
restent fortement utilisées, la plus-value essentielle du numérique est d’offrir une souplesse
accrue, en accord avec les réclamations des donneurs d’ordres.
Si les commandes en offset ne peuvent passer sous la barre des 1 500 exemplaires, réaliser des
tirages en petites séries différenciées et personnalisées est rendu possible par le numérique.
“Le numérique a rendu obsolètes les contraintes de l’imprimerie traditionnelle”, souligne
Roger Notte. Sans oublier la technologie d’impression numérique inédite développée par le
chef d’entreprise pour imprimer sur tous les supports, et que les marques venues de l’étranger
s’arrachent. “Flexible et écologique, le numérique reste le plus porteur pour l’avenir”,
reconnaît-il.
In fine, au sein du rapport de force qui se joue entre numérique et papier, les lignes bougent et
s’ajustent petit à petit. D’aucuns ont pu crier à la disparition du papier, il apparaît désormais
clairement que son avenir ne pourra se définir que dans sa complémentarité avec le
numérique. Pour preuve, l’analyse des secteurs de l’impression touchés ou non par le digital.
Alors que la communication commerciale et la presse quotidienne sont les plus durement
ébranlées, les affiches grand format, l’emballage, les étiquettes et les catalogues, peu
concurrencés par le média électronique, continuent d’apporter une véritable plus-value. “Le
papier s’impose ainsi petit à petit comme le média premium et différenciateur”, conclut
l’expert Patrick Cahuet.
Éco-responsabilité
Une filière multi-labelisée
Souvent pointée du doigt comme l’un des responsables des problèmes environnementaux qui
secouent la planète, la filière de l’industrie graphique a vite réagi. La destruction de forêts
ainsi que les produits utilisés dans la production d’imprimés qui présentent des risques
majeurs de pollution du sol, de l’eau et de l’air, sont en effet associés au média papier et
nuisent à l’image du secteur. Mais depuis une quinzaine d’années, les professionnels du
secteur se sont emparés de cette problématique pour réduire leur impact sur l’environnement.
La profession a ainsi créé la marque Imprim’Vert et mis en place des démarches telles que les
certifications de gestion durable de la forêt PEFC (Programme for the Endorsement of Forest
Certification schemes) et FSC (Forest Stewardship Council) qui garantissent l’écoresponsabilité des papetiers. “Lorsque nous coupons un arbre, nous en plantons un nouveau”,
rappellent en cœur les professionnels du secteur. À l’encontre des idées reçues, Patrick
Cahuet, expert en industrie graphique ajoute : “On plante des arbres pour faire du papier, on
n’en coupe pas. Les papetiers éco-responsables sont de très forts contributeurs à la forêt et
même à la diversité de la forêt”. Au-delà des questions environnementales, l’engagement
écologique est une question de survie du secteur.
Plus d’arbre, plus de papier. “L’industrie graphique est une industrie verte”, souligne Roger
Notte, PDG de Suisse Imprimerie-Colorprint. Pour obtenir le label Imprim’Vert, marque
collective gérée par le P2i (Pôle d’investissement de l’imprimerie), les imprimeurs doivent
répondre à des critères strictement définis par un cahier des charges qui régule la gestion des
déchets dangereux, l’utilisation de produits toxiques et la consommation énergétique des sites
de production, sans oublier la sensibilisation de la clientèle. Les certifications forestières
PEFC et FSC garantissent un bois utilisé pour la fabrication de papier en provenance de forêts
gérées durablement et la traçabilité du produit grâce à la surveillance de chaque maillon de la
filière.
La norme ISO 9 001 s’intéresse à la qualité du produit, de la conception à la production en
passant par le service après-vente. Vient s’ajouter la norme ISO 14 001, qui certifie le
management environnemental et la maîtrise de l’impact de son activité sur l’environnement.
D’autres projets sont également mis en place par le service environnement de l’Union
nationale de l’imprimerie et de la communication (Unic), tels que ClimateCalc, pour la
“définition d’une approche commune de quantification des gaz à effet de serre” et la
réalisation de bilans carbone auprès des imprimeurs.
Selon l’Unic, 8 points sont ainsi passés au crible : l’énergie, les intrants, les futurs emballages,
le fret, le déplacement des personnes, les déchets, les immobilisations et la fin de vie des
imprimés. Par ailleurs, les “imprimeurs verts” ne sont pas les seuls à s’être engagés au sein du
secteur. Les fabricants d’encre ont ainsi développé la démarche Coatings Care, et les papetiers
sont sous le coup de la directive européenne IPPC, “Integrated Pollution Prevention and
Control”.
Chiffres révélateurs
Un secteur concentré
La filière de l’industrie graphique est conséquente, puisqu’elle comprend 6 000 entreprises et
70 000 salariés. 36 % sont spécialisés dans la prépresse, 60 % dans l’imprimerie et le reste
dans la finition. Avec la concentration des marchés et les fusions et acquisitions qui émaillent
le secteur, le nombre d’entreprises baisse régulièrement dans les trois branches. Si près des
3/4 des établissements comptent moins de 10 salariés, ces TPE n’emploient que 1/4 des
salariés du secteur. 40 % appartiennent à des établissements de taille intermédiaire, tandis que
le tiers restant se trouve dans les plus grandes structures.
Source : Étude “La branche de l’imprimerie et des industries graphiques”, cabinet Ambroise
Bouteille et associés.
Par Laurène Rimondi
Publié le 05/12/2013 | Mots clés : Achats & Services généraux, Les dossiers