Camille Laurens - Alliance Française van Oost

Transcription

Camille Laurens - Alliance Française van Oost
CamilleLaurens
Auditorium 61, Recollettenlei 3, 9000 Gent
21/11/13
Biographie
Camille Laurens appartient à une génération riche en écrivaines douées et audacieuses dans le choix de
leurs thèmes. Elle s'est vite, sous la pression de sa vie personnelle, tournée vers l'autofiction. Cette
orientation vers un ton si introspectif a provoqué plusieurs vives polémiques dans le monde littéraire.
Camille Laurens est le pseudonyme de Laurence Ruel. Elle est née à Dijon en 1957. Après son agrégation
de lettres modernes, elle a enseigné à Rouen, puis au Maroc pendant 12 ans. Encouragée par un essai de
polar à quatre mains avec son mari, elle se lance dans l'écriture en solo : Index paraît en 1991, premier
volet d'une série de quatre romans publiés en 1992, 1994 et 1998. Le tournant dans son œuvre se
produit en 1994, avec la mort à la naissance de son deuxième enfant. Elle met sa douleur dans Philippe,
premier de ses romans à la première personne, où elle s'investit personnellement en une forme
d'autofiction. Suivront dans la même veine Dans ces Bras-là, pour lequel elle obtient le Prix Femina,
l'Amour, pour lequel son mari l'attaque en justice pour atteinte à la vie privée, Ni Toi ni Moi... En 2007
une vive polémique l'oppose à Marie Darrieussecq qu'elle accuse de plagiat à la sortie du roman de cette
dernière, Tom est mort, comme Philippe récit de la mort d'un bébé. Camille Laurens n'en sort pas
indemne : son éditeur POL lui donne tort et cesse de publier ses livres. Elle raconte cette expérience
douloureuse dans Romance Nerveuse chez son nouvel éditeur Gallimard. Camille Laurens est juré au Prix
Femina.
(Source : http://www.laprocure.com/biographies/Laurens-Camille/0-1263325.html)
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Bibliographie
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Index, roman (P.O.L, 1991)
Romance, roman (P.O.L, 1992 - rééd. Gallimard, 2012)
Les Travaux d'Hercule, roman (P.O.L, 1994 - rééd. Gallimard, 2012)
Philippe, récit (P.O.L, 1995 – rééd. Stock, 2012)
L'Avenir, roman (P.O.L, 1998)
Quelques-uns, recueil de textes (P.O.L, 1999 - rééd. Gallimard, 2012)
Dans ces bras-là, roman (P.O.L, 2000) (Prix Femina 2000, Prix Renaudot des lycéens 2000)
L'Amour, roman, roman (P.O.L, 2003)
Le Grain des mots, recueil de textes (P.O.L, 2003 - rééd. Gallimard, 2012)
Cet absent-là, récit (Léo Scheer, 2004)
Ni Toi ni moi, roman (P.O.L, 2006)
Tissé par mille, recueil de textes (Gallimard, 2008)
Romance nerveuse, roman (Gallimard, 2010)
Les fiancées du diable, enquête sur les femmes terrifiantes, beau-livre (Editions du Toucan, 2011)
Le Syndrome du coucou, essai (Stock, 2011)
Encore et jamais, variations, (Gallimard, 2013)
Dans ces bras-là
Le matricule des anges, 32, sept-nov 2000
Par Thierry Guichet
Le désir est le maître mot de l'oeuvre de Camille Laurens. Mais si la narratrice de son nouveau roman
évoque son désir des hommes, c'est l'inassouvie nécessité de rencontrer l'autre, l'inconnu, qui habite ces
pages.
C'est du bonheur quand la langue ouvre dans l'espace qu'elle explore des fenêtres inattendues. Après
une tétralogie (Index, Romance, Les Travaux d'Hercule et L'Avenir) qui interrogeait l'identité et un récit
autobiographique sur la mort de son fils (Philippe), Camille Laurens nous avait donné l'an dernier,
Quelques-uns où elle reprenait la phrase de Beckett, "les mots ont été mes seules amours, quelques-uns."
Aujourd'hui, retour au roman, avec Dans ces bras-là, un "livre sur les hommes, sur l'amour des hommes
(...) les hommes en particulier, quelques-uns".
La narratrice, avant de se rendre chez son éditeur pour lui proposer ce livre-là, croise la silhouette d'un
homme qu'elle décide de séduire. Ce sera Abel Weil (le psychanalyste de la tétralogie) et elle choisit de
le séduire en lui racontant, séance après séance, toute la vérité sur elle. Et dévoile donc cette nature
fougueuse que le protestantisme familial, probablement, masque si bien. Elle aime les hommes comme,
d'autres, en d'autres temps, aimèrent les dieux. Si la narratrice romancière déteste montrer "sa folie" à
son éditeur, c'est bien cette même folie qu'elle souhaite révéler à son futur (expère-t-elle) amant.
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Écrivant sur les hommes, elle donne beaucoup à lire sur les femmes, sur cette différence qui forme
comme une cicatrise à jamais ouverte. D'un désir à l'autre, seule la foi permettrait de croire en la
possibilité d'une rencontre véritable. Les hommes sont décevants (certains portraits sont si cruels qu'ils
en procurent un plaisir presque physique) mais ils le sont d'autant plus qu'il paraît vain de vouloir les
pénétrer, s'en faire pénétrer. L'homme et la femme sont à jamais séparés comme sont à jamais séparés
l'un et l'Autre. "L'homme en moi. Avoir l'homme en moi. Être dans l'homme. Qu'on ne voie plus la limite;
qu'il n'y ait plus de limites" dit la narratrice qui a la chance d'être romancière. Car, ce n'est que dans la
langue que cette transsubstantiation est possible, dans une fiction qui, pour apporter une réponse au
désir, se doit d'être au plus près de la réalité. D'être contre, tout contre. Ce que Camille Laurens réussit à
merveille.
La narratrice de Dans ces bras-là a deux projets : écrire un livre sur les hommes et séduire le
psychanalyste en lui disant toute la vérité. Dans le livre que nous lisons, dit-elle toute la vérité sur ellemême?
Il ne s'agit pas de tout dire sur les hommes; il s'agit d'avoir un début d'explication sur l'Homme sans
penser arriver à la vérité. Sur elle, oui, elle dit la vérité mais avec des nuances : tout n'est pas dit. La
vérité est dans les trous. Et puis, c'est une entreprise de séduction alors elle présente les choses sous un
jour favorable.
Le passage du "je" au "elle" définit-il le passage de la fiction à la réalité?
Le "je", c'est sa voix à elle. C'est une présence physique. Le "elle" c'est davantage de l'écriture. "Je" est
dans le présent, "elle" a une autre temporalité, c'est souvent le "je" du passé.
En allégeant la fiction, en ne donnant la parole qu'à la narratrice, ne tombez-vous pas les masques
derrière lesquels vous jouiez dans la tétralogie?
Je ne vois pas les choses comme ça. J'ai moins joué de l'aspect policier, énigme et autres accessoires.
Mais je ne me suis pas dit : là on va tomber le masque. La construction du roman est plus simple c'est
vrai et j'ai moins travaillé dans le fictionnel.
N'est-ce pas le roman le plus impudique que vous ayez écrit?
Oui. Mais on m'a fait remarquer que, contrairement aux autres romans, il n'y avait dans celui-ci aucune
scène de sexe.
Je ne peux pas dire que c'était difficile d'écrire ce livre. Je me suis sentie très libre au contraire. Ce n'est
qu'après l'avoir fini que je me suis dit : qu'est-ce que tu es allée montrer? Mais c'est un livre que j'ai eu
énormément de plaisir à écrire.
C'était parfait ce choix d'un personnage psychanalyste. J'en avais besoin pour que la narratrice parle à la
première personne sous forme de monologue, sans être interrompue, sans passer par le dialogue.
De plus, le rapport analytique est le modèle du rapport amoureux. Le psychanalyste permet le transfert
de toutes les figures masculines. C'est l'inconnu avec tout ce que ça peut déclencher dans l'imaginaire. Il
fallait que la narratrice puisse projeter ses fantasmes.
Enfin, ça permet de jouer sur les mots et on sait quel sens ça peut prendre...
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Le personnage devient donc une voix?
Oui, jusqu'à Philippe (P.O.L, 1995) je disais que la phrase impossible commençait par "Je". C'est pour ça
que je suis contente d'avoir trouvé cette structure pour pouvoir utiliser le "je". Dans la pratique de
l'écriture, c'était formidable car quand je pouvais dire "je" je laissais filer... Je n'ai pas écrit les scènes
dans l'ordre où elles apparaissent dans le livre, j'ai fait un montage.
L'homme à séduire et la structure en courts chapitres font penser au livre de Leslie Kaplan, Le
Psychanalyste (P.O.L, 1999) et le jeu sur le rapport fiction/réalité à Christine Angot. Vous avez été
influencée par ces deux auteurs?
Quand j'ai vu, l'an dernier, que P.O.L sortait un livre intitulé Le Psychanalyste, j'ai craint un peu. J'avais
déjà commencé Dans ces bras-là et j'ai demandé à mon éditeur de m'envoyer le roman de Leslie Kaplan.
Mais ce livre ne m'a pas influencé.
Christine Angot, oui. Dans le désir de faire entendre la voix de la narratrice. Mais pour ce qui est du jeu
sur la frontière entre fiction et réalité, je ne me pose pas la question. À partir du moment où on écrit,
c'est de la fiction.
Ludique, impudique, Dans ces bras-là laisse voir une autre dimension de votre travail : on y entend une
quête métaphysique. L'homme devient, l'Autre, l'Inconnu, vous consacrez un chapitre à Jésus et vous
citez Couperin... Y a-t-il à l'horizon de votre écriture une question métaphysique?
Oui. Je crois. Complètement. L'autre, c'est l'homme mais c'est surtout la différence, ce qui est en face de
moi : le mystérieux avec ce que ça peut avoir de mystique. C'est la phrase de Char que je cite souvent :
"l'amour réalisé du désir demeuré désir". L'écriture est le seul lieu où on peut réaliser la rencontre,
atteindre quelque chose même si c'est à la fois du domaine de la perte. J'avais commencé une thèse sur
René Char, sur le langage comme étant la maison de l'être pour reprendre la formule d'Heidegger.
L'écriture, c'est le seul lieu où on peut atteindre quelque chose.
Entretien sur l’autofiction
Autofiction.org :
http://www.autofiction.org/index.php?post/2008/10/18/Entretien-avec-Camille-Laurens
Polémique avec Marie Darrieussecq
"Tom est mort", la polémique
LE MONDE DES LIVRES | 23.08.2007
Par Patrick Kéchichian
A chaque rentrée sa polémique, sa dispute, ses invectives. L'année dernière, c'était le gros roman de
Jonathan Littell, Les Bienveillantes, qui avait suscité des commentaires opposés et des critiques
passionnées - ou passionnelles. Cette année, c'est une autre querelle qui éclate, plus brutale et
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personnelle. Elle touche deux auteurs importants de la même maison, POL : Marie Darrieussecq, dont le
premier roman, Truismes, avait paru en 1996, et Camille Laurens qui avait sorti son premier livre, Index,
cinq ans plus tôt. La première publie en cette rentrée son huitième roman, Tom est mort. Comme son
titre l'indique, le livre raconte une mort, celle d'un enfant, dix ans plus tôt. C'est la mère qui est la
narratrice. C'est elle qui parle tout au long du livre, à la première personne. Or Marie Darrieussecq n'a
jamais connu un tel deuil.
Quant à Camille Laurens, elle avait publié, toujours chez POL, en 1995, un court récit, Philippe, relation
de la mort de son bébé, l'année précédente, deux heures après sa naissance. C'est sur ce livre, et donc
sur cette réalité du deuil qu'elle s'appuie dans un texte intitulé "Marie Darrieussecq ou le syndrome du
coucou", à paraître au début de septembre en tête du dernier numéro de La Revue littéraire, publiée par
les éditions Léo Scheer (no 32, automne 2007).
C'est en juin, à Toulouse, que Camille Laurens apprend, raconte-t-elle, l'existence du livre de Marie
Darrieussecq. Elle constate alors une certaine gêne de sa consoeur et de l'éditeur, Paul OtchakovskyLaurens, pour lui en parler. "... Je me suis sentie soudain menacée, mais sans savoir de quoi."
Elue entre-temps jury du prix Femina, Camille Laurens lit quelques jours plus tard Tom est mort, dit-elle,
"dans un vertige de douleur, le sentiment d'une usurpation d'identité, la nausée d'assister par moments à
une sorte de plagiat psychique". Elle rappelle ensuite une autre polémique, qui avait été lancée en 1998
par Marie NDiaye contre Marie Darrieussecq qui publiait alors son deuxième roman, Naissance des
fantômes. La première accusait la seconde non de "plagiat" mais de "singerie" de ses propres romans. La
querelle avait fait long feu.
Estimant que l'écrivain - mieux que le critique ou l'éditeur - "sait ce qui lui appartient", Camille Laurens
écrit : "J'ai eu le sentiment, en le lisant, que Tom est mort avait été écrit dans ma chambre, le cul sur ma
chaise ou vautrée dans mon lit de douleur. Marie Darrieussecq s'est invitée chez moi, elle squatte." Pour
étayer ses accusations, elle affirme avoir "aisément" reconnu des "passages de Philippe, mais aussi de
Cet absent-là où (elle) évoque cet enfant perdu (...) : phrase ou idée, scène ou situation, mais aussi
rythme, syntaxe, toujours un peu modifiés mais manifestement inspirés de mon épreuve personnelle et de
l'écriture de cette épreuve." Parmi les quelques exemples qu'elle cite, celui-ci : "Je ne suis pas le corps, je
suis la tombe." (Philippe) ; "Sa terre natale, moi. Moi, en tombe." (Tom est mort). "Je ne dis pas que le
piratage soit constant, mais les occurrences suffisent à créer une tonalité, un climat littéraire et
stylistique, sur lesquels je ne peux pas me tromper", conclut-elle sur ce point.
Pour Camille Laurens, Tom est mort "pose la question de l'obscénité et du cynisme" dans la mesure où
Marie Darrieussecq, n'a pas, comme elle, vécu directement le drame de la mort de son enfant. "Au bout
du compte, mise à part l'émotion facile et prompte, quel est le projet d'un tel déploiement sur un "thème"
aussi consensuel ?", s'interroge-t-elle, avant de dénoncer "l'ambiguïté de l'instance narrative" : "La mort,
d'accord, mais pour de faux. La mort, c'est du roman !"
Enfin, faisant allusion au second "métier" de Marie Darrieussecq, la psychanalyse, Camille Laurens
rappelle que la psychanalyse comme la littérature ont en commun une même "exigence de vérité" et
ajoute : "La vérité ne va rien chercher en dehors d'elle-même - et surtout pas dans le discours des autres".
En conclusion, elle grince : "Rappelons donc à la thérapeute distinguée comme à la romancière à succès
qu'on n'endosse pas la douleur comme on endosse un chèque."
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Marie Darrieussecq, auteur d'une thèse sur l'autofiction, qu'elle ne pratique pas dans ses romans - à la
différence de Camille Laurens - avait rendu hommage à celle-ci, et à son livre Philippe, dans un entretien
à la revue professionnelle Livres Hebdo (du 29 juin), "l'un des livres pour lequel j'ai choisi POL". Anticipant
peut-être la polémique elle avait déclaré : "Sans doute est-ce une grande transgression d'écrire une
fiction avec la mort d'un enfant, mais avec les tabous, on ne peut pas écrire. Si l'on pense qu'il y a des
sujets interdits, autant ne pas écrire."
Jointe au téléphone, Marie Darrieussecq, très émue, se dit "calomniée" par Camille Laurens. "C'est une
lutte haineuse où un écrivain veut tuer un autre écrivain", affirme-t-elle. C'est un "ignoble concours de
douleurs" ressenti à la lecture de son texte. "Je suis mise en demeure de me justifier pour avoir osé parler
de la mort des enfants." Puis elle explique : "On n'écrit pas Tom est mort sans raison. Mes parents ont
perdu un enfant. Il y a eu chez eux une forme de silence que je respecte, admire. Je ne suis pas moins
légitime comme soeur que comme mère endeuillée. Il y a une universalité de la douleur." A propos de la
justification par le seul vécu, qui pose la question de l'autofiction, Darrieussecq ajoute : "Je suis un
écrivain de fiction et j'ai voulu, dans un récit décalé, décrire les étapes de la douleur. J'ai cherché à être ce
"je", cette première personne... J'ai pensé à Françoise Dolto qui parle des universaux du deuil. Les mères
endeuillées ont toutes les mêmes cris."
Quant à Paul Otchakovsky-Laurens, il nous a dit son intention de répondre à Camille Laurens, dont il
annonce qu'il n'éditera plus les livres.
(Source : http://abonnes.lemonde.fr/livres/article/2007/08/23/tom-est-mort-la-polemique_946764_3260.html)
Pour en savoir plus sur la polémique entre Camille Laurens et Marie Darrieussecq :
http://contextes.revues.org/5016
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