Colloque Genre, familles et sociétés
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Colloque Genre, familles et sociétés
Colloque Genre, familles et sociétés Université Cheikh Anta Diop de Dakar, 8-9 juillet 2015 La famille est une construction sociale fondamentale. Si toutes les sociétés humaines connaissent le concept de famille, ce concept correspond à des définitions différentes d’une aire culturelle ou géographique à l’autre. Toutefois, quelle que soit sa composition et sa définition, la famille constitue la cellule de base de toute société. Pour cette raison, il est indispensable de l’étudier et de se tenir à jour de ses évolutions afin de renforcer ses rôles économiques et sociaux. C’est dans ce but qu’un colloque international sur ce thème va être organisé par la Faculté des sciences juridiques et politiques de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, en partenariat avec le CERDRADI (Centre d’Études et de Recherches sur les Droits africains et le Développement institutionnel des pays du sud) de Bordeaux, le Centre toulousain d’histoire des institutions et des idées politiques, la Fondation Kéba Mbaye, la Cour suprême du Sénégal et l’Association des juristes sénégalaises (AJS). I. Contexte : la famille, une construction sociale La famille est le socle de toute société. Ainsi, elle suit les contours et les valeurs de la société à laquelle elle a donné naissance. Il n’y a donc pas une, mais des définitions de la famille. 1.1. Les différents types de famille Les formes familiales étant fonction des cultures, elles sont nombreuses et évoluent dans le temps. Deux archétypes de familles, la famille matriarcale et la famille patriarcale, ont été identifiés. Dans les sociétés patriarcales, la famille est, du point de vue juridique, l’institution qui regroupe les personnes apparentées par le sang ou unies par les liens du mariage, place pouvant, éventuellement, être faite aux liens d'adoption. Dans ce type de famille, où l’accent est mis sur les liens de sang et d’alliance matrimoniale, les distinctions principales sont d’une part entre famille naturelle et famille légitime1 et, d’autre part, entre famille élargie (la famille élargie peut compter plusieurs générations : les grands-parents, les oncles, les cousins, etc.) et famille nucléaire/conjugale (la famille du Code civil français de 1804, quand il fait référence à la notion de chef de famille, il vise l’ensemble constitué par un couple de parents et leurs enfants célibataires). Alors que la famille patriarcale fait largement consensus comme fait historique, l’existence de la famille matriarcale est très largement contestée. Cependant, elle mérite d’être étudiée avec attention, parce qu’elle émane de grands savants. Théoriciens de la thèse évolutionniste selon laquelle toute société humaine se compose de trois étapes, sauvage, barbare, civilisée (le modèle européen), pour Morgan2, Bachofen3 et Engels4 le matriarcat marque le stade de la barbarie. Cheikh Anta Diop déconstruit la thèse évolutionniste, européocentriste, et explique la distinction entre patriarcat et matriarcat par des déterminismes environnementaux et climatiques.5 Ifi Amadiume réaffirme la réalité des sociétés matriarcales africaines en insistant sur ses fondements économiques, sociaux et religieux.6 Le genre ou sexe social, la manière dont la société impose des responsabilités, droits et rôles à chaque individu en fonction de son sexe biologique, fait partie intégrante de l’organisation de la famille. Le genre est utilisé de manière plus ou moins rigide suivant le type de famille concerné. La 1 La distinction entre famille naturelle et famille légitime tend à disparaître partout où les droits de l’enfant progressent. L. H. Morgan, Ancient Society, 1877 3 J. J . Bachofen, Le droit maternel, 1861 4 F. Engels, L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État, 1884 5 Cheikh Anta Diop, L'Unité culturelle de l'Afrique noire précoloniale: domaine du patriarcat et du matriarcat, Présence Africaine, Paris. 6 Ifi Amadiume, Re-Inventing Africa: Matriarchy, Religion and Culture, Zed Books, 1st Ed. 1997. 2 relation de pouvoir inégale selon le sexe est l’armature même de la famille patriarcale. Elle repose sur une division stricte des responsabilités, droits et rôles parentaux et conjugaux en fonction du sexe. Ainsi, la puissance maritale et la puissance paternelle sont les produits juridiques du genre dans les sociétés patriarcales. Le genre est conçu de façon assez souple dans les familles matriarcales, car elles s’écartent du fait biologique pour identifier des pères de sexe féminin (les bàjjen – baay jigéen, en wolof, tantes paternelles), des mères de sexe masculin (les nijaay – ni yaay, en wolof, oncles maternels) et des maris de sexe féminin (les njëkké en wolof, belles-sœurs). En raison de cette souplesse de genre les fonctions familiales sont distribuées de manière égale aux individus des deux sexes suivant leur statut au sein de la parenté classificatoire.7 Dans les systèmes de parenté classificatoire la terminologie met l’accent sur la parenté sociale et non sur la proximité biologique (des parents collatéraux peuvent être classés dans la même catégorie que des parents en ligne directe, la terminologie ne permettant pas de les distinguer : par exemple le même terme peut-être utilisé pour indiquer la sœur et la cousine ou la tante maternelle et la mère). Dans les systèmes de parenté descriptifs, caractéristiques de la famille patriarcale, la terminologie met l’accent sur le degré de proximité ou d’éloignement avec le parent, avec une différenciation claire des parents en ligne directe et des parents en ligne collatérale. La Déclaration des droits de l’homme de 1948 a encore élargi le concept de famille avec le terme de « famille humaine ». Elle est composée de l'ensemble des êtres humains sans distinction, ni discrimination, l'humanité tout entière. Il s’agit, avec l’utilisation de ce terme d’étendre à tous les êtres humains le devoir de solidarité et de fraternité qui découle de la parenté, entendue comme l’appartenance à une même famille. La famille a en effet, entre autres rôles, celui d’assurer sécurité et protection à ses membres. 1.2. Le rôle de la famille : à quoi sert la famille ? Quelle que soit la définition qu’on lui donne, la famille a les différentes fonctions suivantes : -‐ assurer à ses membres, sécurité et protection ; -‐ être un espace d’éducation et de socialisation, processus par lequel les individus font l'apprentissage des rapports sociaux entre les individus et assimilent les normes et valeurs de la société ; -‐ constituer un espace de coopération économique stable et durable. À ce titre, la famille remplit trois grandes fonctions économiques qui sont la consommation, la production et la transmission du patrimoine. Les typologies de famille et les rôles qui ont été brièvement retracés ci-dessus sont remis en cause partout dans le monde du fait de facteurs différents d’une région à une autre et en soulevant des interrogations multiples. II. Justification : des typologies remises en cause par les interrogations contemporaines 2.1. En Afrique : disparition programmée de la famille matriarcale et des successions lignagères Les impacts de la colonisation en Afrique et dans les Amériques et les reculs consécutifs des représentations sociales, juridiques et religieuses africaines, aborigènes et amérindiennes ont fait des familles matriarcales des objets d’étude en voie de disparition. Toutefois, en disparaissant, la famille matriarcale emporte avec elle toutes les formes de gouvernance de la famille ainsi que toutes les formes de transmission des biens familiaux et du nom de famille, sensibles aux droits des femmes et des enfants, qui la caractérisent. C’est aussi un espace de 7 Lire également, Ifi Amadiume, Male Daughters, Female Husbands. (Gender and Sex in an African Society, Zed Press, London 1987. socialisation fondé sur l’idéologie d’égalité des sexes et d’éducation au respect de la nature et des êtres humains que le matriarcat porte comme valeurs structurales qui s’effondre. La revitalisation de la famille matriarcale, notamment par sa prise en compte dans les différents codes de la famille en Afrique, peut-elle aider à favoriser l’effectivité des droits humains en général et des droits des femmes et des enfants en particulier dans tous les domaines du droit de la famille (filiation, mariage, succession) ? Ces questions se posent surtout dans les pays qui ont adopté après leur indépendance le droit de la famille des anciennes puissances colonisatrices. Du fait que ces anciennes puissances sont toutes de tradition patriarcale et qu’aucune ne connaissait un droit de la famille protecteur des femmes et des enfants durant toute la durée de la colonisation, la question de l’impact de la domination coloniale sur les structures familiales des peuples dominés se pose nécessairement. La législation, le système économique et politique postindépendance ont-ils aggravé ou amélioré la situation des membres vulnérables des familles africaines ? Ce sont des questions tout à fait différentes qui se posent dans les pays industrialisés où les désastres économiques et humains causés par les deux guerres mondiales ont favorisé les réformes législatives internes en faveur de l’égalité des sexes au sein de la famille. Ce facteur ainsi que beaucoup d’autres ont conduit à une diversification croissante de la famille patriarcale. Une diversification qui n’est pas non plus sans poser des questions sociétales cruciales. 2.2. En Europe : diversification croissante de la famille patriarcale De nouveaux types de familles, recomposée, monoparentale, homoparentale, voient le jour au sein de la famille nucléaire : - la famille recomposée est une famille dans laquelle un au moins des deux conjoints a un ou deux enfants d'un mariage précédent. Ces nouveaux conjoints peuvent ne pas avoir d'enfants ensemble ; - la famille monoparentale est une famille ou il n'y a qu'un seul parent et un ou plusieurs enfant(s) ; - la famille homoparentale est formé d’un couple du même sexe qui élève un ou plusieurs enfants. Toutefois, quel que soit le type de famille en cause, dans le monde contemporain, le rôle de protection de ses membres idéalement attribué à la famille se révèle être trop souvent une illusion masquant une réalité de discrimination et d’abus divers. 2.3. Dans le monde : la famille un espace de protection équivoque Lieu de protection, d’éducation et de première socialisation, la famille est aussi le lieu où se produisent, dans le secret, les pires formes d’abus, des abus masquées par l’adage selon lequel « le linge sale se lave en famille ». Comment alors faire assumer à la famille, quelle que soit sa définition, son rôle de protection de ses membres ? S’il y a des membres surprotégés alors que d’autres, pourtant vulnérables, le sont moins ou pas du tout, comment rétablir l’équilibre au sein de la famille ? Comment permettre à tous ses membres de bénéficier d’une protection égale ou équitable ? C’est toute la question de l’accès à la justice quand il s’agit d’infractions graves commises au sein de la famille ou avec la pleine participation de la famille : inceste, actes de pédophilie, mariages d’enfants, mutilations génitales féminines, violences conjugales, viol conjugal… En dépit de ces dysfonctionnements, dont les États ont la responsabilité de faire en sorte qu’ils soient l’exception et non la règle, les familles n’en restent pas moins des lieux de production économique vitale pour ses membres et utile à la société. Pourtant les États peinent à reconnaître cette réalité, notamment en Afrique. 2.4. La famille, un espace économique menacé Les familles paysannes, celles qui vivent du produit de la terre (agriculture), du bétail (élevage) ou de la mer (pêche), sont particulièrement menacées par la globalisation capitaliste qui conduit à l’accaparement par ceux qui disposent de la force financière et technologique des sources de revenus des populations autochtones. Se posent alors les questions suivantes : -‐ Les réformes foncières entreprises ici et là de par le monde prennent-elles en compte les droits et les besoins des exploitations familiales paysannes ? -‐ Les accords de pêche régionaux et internationaux ont-ils des clauses sauvegardant les droits économiques des industries artisanales et familiales de pêche et de transformation des produits halieutiques ? -‐ Comment assurer la viabilité des PME et PMI qui sont souvent des entreprises familiales ? -‐ Comment rendre le droit des successions immobilières compatible avec la protection des biens familiaux (patrimoine/matrimoine, biens acquis, terrains, maisons dont le propriétaire initial est décédé depuis plus d’une génération) Pour répondre à ces questions qui touchent à des disciplines diverses, il faut une méthodologie adéquate. III. Méthodologie : approche pluridisciplinaire et internationale Le colloque va être un lieu d’échanges et de partage de savoirs, d’expériences et de propositions concrètes avec les personnes suivantes : -‐ expert/e/s et universitaires de différentes disciplines (droit, anthropologie, histoire, sociologie, économie) et de diverses nationalités ; -‐ représentant/e/s de la société civile de divers pays (associations de défense des droits des femmes et des enfants, association de défense des exploitations paysannes familiales, …) ; -‐ décideur/euse/s politiques (représentant/e/s de différents ministères, parlementaires) IV. Objectifs Objectif général Élaborer des propositions concrètes pour la protection de la famille dans son ensemble, en tant qu’unité de production, de reproduction, de socialisation et d’éducation, et pour chacune de ses composantes, notamment les plus vulnérables. Objectifs particuliers -‐ Partager de manière pluridisciplinaire, transversale et transfrontière les questions soulevées et les réponses à y apporter. -‐ Clarifier les concepts et les typologies en matière de famille. -‐ Donner accès aux actes du colloque au public le plus large possible, universitaires, décideur/euse/s, société civile, c’est-à-dire, publication disponible en libre accès sur la toile des actes du colloque ? V. Résultats attendus -‐ Partage pluridisciplinaire, transversal et transfrontières, des questions soulevées et des réponses à y apporter. -‐ Clarification des concepts et des typologies en matière de famille. -‐ Publication des actes du colloque, en libre accès, sur la toile.